Imaginez un peu la scène : des archéologues, au Nouveau-Mexique, tombent sur des empreintes de pas. Pas n’importe lesquelles, hein. Des traces humaines, imprimées dans du gypse tendre il y a environ 23 000 ans. On y voit encore clairement les orteils, la voûte plantaire, le talon. C’est fou, non ?
Pendant des lustres, la plupart des experts pensaient que les premiers humains avaient débarqué sur le continent américain bien, bien plus tard. On parlait souvent des pointes de lance de Clovis, datant d’environ 13 000 ans, comme point de départ. Mais voilà, ces nouvelles empreintes, elles viennent tout chambouler. Elles repoussent cette chronologie de quelque 10 000 ans ! Ça nous oblige à repenser complètement comment nos ancêtres ont bravé des températures glaciales, des rivages changeants et des prédateurs inconnus pour se frayer un chemin à travers un continent gelé.
Un monde perdu sous le soleil du Nouveau-Mexique

Ces fameuses empreintes, elles ne sont pas seules. Elles se trouvent juste à côté de traces de mammouths, de paresseux géants et d’autres charmants voisins de l’Âge de Glace. Tout ça, c’est au parc national de White Sands, au Nouveau-Mexique. Un véritable instantané d’une époque où humains et mégafaune se partageaient le paysage, et pas n’importe quand : durant la période la plus froide du dernier Âge de Glace.
Le lac Otero, un lac de cette période glaciaire qui couvrait, tenez-vous bien, environ 4 000 kilomètres carrés, a laissé derrière lui, en s’asséchant, des couches de boue et de sable. Et c’est précisément dans ces couches que le passé nous parle.
Des pas figés dans le temps, des histoires révélées

Au total, ce sont 61 empreintes humaines qui ont été mises au jour. Certaines appartenaient à des adultes, d’autres, émouvantes, à des enfants qui, visiblement, couraient, dérapaient et faisaient demi-tour sur le sol humide près de l’ancien lac. On imagine les rires, les jeux… ou peut-être la hâte?
Ces traces racontent des bribes de vie. Des enfants qui pataugent dans les flaques, des adultes qui parcourent de longues distances, parfois, semble-t-il, en portant des nourrissons. Sally Reynolds de l’Université de Bournemouth souligne à quel point ce site du Nouveau-Mexique a permis de découvrir des exemples merveilleux de l’activité humaine, des interactions entre eux, avec le paysage et la faune locale. Matthew Bennett, un autre chercheur de Bournemouth, ajoute qu’on peut même voir où une personne a glissé dans la boue, et les empreintes d’un enfant posé à terre, « probablement parce qu’elle était fatiguée et avait besoin d’une pause ». Et il ne faut pas oublier qu’il y avait du danger : des loups terribles et des tigres à dents de sabre rôdaient.
La science face au mystère des dates

Alors, comment être sûr de l’âge de ces empreintes ? Au début, des tests au radiocarbone sur de minuscules graines de Ruppia cirrhosa trouvées dans les empreintes ont donné des âges entre 21 000 et 23 000 ans. Kathleen Springer, géologue à l’USGS et co-auteure, avoue : « On savait que ça allait être controversé ». Elle se souvient qu’après la première publication, « on savait qu’il fallait en faire plus ».
Pour faire taire les doutes (certains craignaient que la plante aquatique donne des dates trompeuses), l’équipe a collecté des dizaines de milliers de grains de pollen de pin – une source terrestre, elle – provenant des mêmes fines couches. Résultat ? Des âges entre 22 600 et 23 400 ans, collant parfaitement aux âges des graines. Et ce n’est pas tout ! La datation par luminescence stimulée optiquement (OSL) sur du quartz dans l’argile sus-jacente a montré que le sable était caché de la lumière du soleil depuis plus de 21 500 ans. Encore une fois, raccord.
Jeffrey Pigati, un autre géologue de l’USGS, affirme que les âges des deux méthodes sont « statistiquement indiscernables de nos âges de graines originaux ». Thomas Higham, expert en datation au radiocarbone à l’Université de Vienne, qui n’a pas participé aux travaux, parle d’une « confirmation cruciale et convaincante ». Même si quelques sceptiques, comme le géoscientifique Joe Davis, soulignent que des vents ou des cours d’eau auraient pu redéposer de l’argile plus ancienne au-dessus de boue plus jeune, l’équipe de recherche maintient que des fouilles minutieuses n’ont montré aucun signe de mélange.
Plus que des traces, un lien humain ancestral

Ces empreintes, ce ne sont pas juste des données scientifiques froides. Pour Kim Charlie, du Pueblo d’Acoma, qui a aidé à localiser certaines traces, le lien est direct et puissant. « Ces traces nous ramènent à nous, aux peuples autochtones d’Amérique du Nord, » dit-elle. « C’était une famille. »
Elle ajoute que ces empreintes sont « comme une photographie ». « C’est quelque chose qu’ils nous ont laissé, pour dire : ‘Nous étions là.' » On ne peut qu’être touché. Les empreintes de White Sands ne montrent pas seulement la survie ; elles révèlent la connexion humaine. Des adolescents qui jouaient, des enfants qui suivaient, des adultes qui portaient le poids de la famille et de l’avenir. Des moments de vie, tout simplement, figés dans le temps.
L'héritage des premiers pas et l'avenir de la recherche

Au final, ces découvertes offrent bien plus que des dates et des données brutes ; elles nous racontent des histoires. Des histoires humaines, poignantes. Et ça, c’est précieux.
Aujourd’hui, inspirés par cette trouvaille majeure, les archéologues élargissent leurs recherches. Qui sait quelles autres empreintes attendent d’être découvertes, prêtes à nous faire voyager encore plus loin dans le passé de l’humanité ? L’aventure ne fait sans doute que commencer.
Pour ceux que ça intéresse, l’étude complète a été publiée dans la revue Science.
Selon la source : science.org