On la connaît tous, cette scène frappante : l’enfant qui caracole dans le salon, les yeux pétillants après un anniversaire surchargé de bonbons. De fil en aiguille, la croyance s’enracine : le sucre rend les enfants hyperactifs. Pourtant, si on se penche – vraiment – sur ce que dit la science, le mystère s’épaissit, bien plus que la confiture sur une tartine. Mythe d’hier, préjugé de parent inquiet, illusion collective ou fond de vérité ignoré ? Accrochez-vous, on plonge dans l’univers étonnant des sucreries et des cerveaux juvéniles.
Une croyance bien ancrée, mais sur quelles bases ?

Si aujourd’hui tout le monde ou presque est persuadé que le sucre déchaîne les enfants, ce n’est pas un hasard : le mythe naît dans les années 70, popularisé par un allergologue, Benjamin Feingold, qui prône un régime sans additifs, dont le sucre raffiné, pour calmer l’hyperactivité. La rumeur se répand, relayée par les manuels parentaux, les forums, les médias même. Or, voilà : la science avance – et ses conclusions s’expriment avec l’élégance d’une brique dans une mare de bonbons. Aucune preuve solide ne relie la consommation de sucre à l’hyperactivité infantile.
Des études scientifiques sans appel
Plusieurs analyses rigoureuses, dont des revues de la littérature scientifique analysant une multitude d’essais contrôlés (c’est-à-dire où certains enfants recevaient du sucre, d’autres un placebo sans sucre), ont tranché : pas d’effet direct du sucre sur l’agitation ni sur l’attention des enfants sains. Des chercheurs ont même observé que les parents qui s’attendent à voir leur enfant surexcité l’évaluent effectivement comme plus “hyperactif”, même si aucun gramme de sucre n’a touché la langue de leur descendance.
Pourquoi alors cette impression collective ?
Imaginez un anniversaire : la dose de gâteaux, les litres de boisson, les rires, l’ambiance festive : qui distingue vraiment ce qui vient du sucre, de ce qui découle d’un contexte ultra-stimulant ? Les enfants, déjà sur-excités par l’événement, se voient crédités d’une énergie “sucrée”, là où c’est l’environnement, l’émotion, l’attente même d’une récompense, qui boostent la dopamine et rendent tout le monde un peu fou-fou, parent compris.
Et le TDAH alors ? Le sucre, un facteur aggravant ou un simple figurant ?

Le TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) fait trembler bien des familles ; l’association de ce trouble avec le sucre se propage. Pourtant, la majeure partie des travaux ne montrent aucune preuve que le sucre cause ou aggrave le TDAH. Plusieurs études chez les enfants diagnostiqués indiquent que l’ingestion de sucre ne modifie ni leur niveau d’activité, ni leur capacité de concentration, ni leurs performances cognitives. Il existe bien quelques travaux isolés, mais qui s’intéressent souvent à des effets secondaires, sur des modèles animaux, ou à des sous-populations particulières sensibles à d’autres additifs alimentaires.
Le rôle subtil du cerveau et de la dopamine
Quand on attend une récompense, le cerveau – surtout celui d’un enfant – libère de la dopamine, le neurotransmetteur du plaisir. Or, manger une friandise ou recevoir une permission spéciale déclenche cet afflux, rendant l’enfant momentanément surexité. Ce processus n’est pas propre au sucre, mais à n’importe quel “prix” ou plaisirs partagés. Accuser le sucre, c’est ignorer le pouvoir du contexte et de la psychologie parentale.
Les études sur les rongeurs, nuances et extrapolations risquées
Des expériences avec des souris ayant absorbé de fortes doses de sucre révèlent parfois une hyperactivité locomotrice ou des troubles dans l’apprentissage. Mais attention, extrapoler l’effet constaté dans un cerveau de souris gavée pendant des semaines à un enfant humain dégustant quelques bonbons, c’est un peu comme faire de la météorologie avec une louche dans une casserole.
Les confusions habituelles : sucre, chocolat, additifs, où est la frontière ?

Parfois le raccourci est vite pris : “Chocolat = sucre = excitation !” Faux. Le chocolat contient aussi de la caféine et de la théobromine, deux substances psychoactives, qui – elles – peuvent bousculer l’énergie et le sommeil. Les sodas renferment des bulles, du sucre et souvent de la caféine. Et n’oublions jamais que dans les bonbons industriels, on croise additifs, colorants, arômes, lol, bref un festival de molécules dont certaines, oui, sont suspectées d’influencer comportement ou attention chez des enfants hypersensibles.
La particularité des enfants : perception renforcée et attentes parentales

Si l’adulte ressent un pic d’énergie passager, l’enfant l’exprime en se dépensant bruyamment. Mais c’est aussi l’attente des adultes qui influence la réalité : si on guette le “court-circuit” après le dessert, on observe chaque geste comme révélateur d’agitation, là où, en dehors du contexte festif, un comportement identique passerait inaperçu.
Le piège des biais d’observation
Des études fascinantes montrent que lorsque les parents pensent que leur enfant a consommé du sucre, ils le jugent plus “excité”, même si l’enfant n’a bu qu’un placebo. Le cerveau humain aime ses mythes rassurants.
Et la santé dans tout ça ? Nul besoin du sucre pour s’exciter

S’il y a bien un point de consensus, c’est que l’excès de sucre n’a aucun bénéfice pour la santé : risque de surpoids, maladie métabolique, caries, affaiblissement de la qualité nutritionnelle de l’alimentation… Les organismes de santé insistent : la modération s’impose. L’enfant n’a besoin ni de privation extrême ni de lâcher-prise total, mais bien de découvrir la saveur des choses, la diversité alimentaire et la gestion de ses envies. Ce ne sont pas les privations qui apprennent l’équilibre, mais la curiosité et l’éducation nutritionnelle partagée, sans culpabilité excessive.
L’alimentation comme “moment” plus que comme carburant
Au fond, chaque repas, chaque collation, chaque occasion festive est un événement émotionnel autant que physique. Le sucre s’inscrit dans ces moments comme du plaisir, du réconfort, ou de la transgression – rarement comme un “dopant auto-entretenu”, sauf dans l’imagination collective.
Conclusion : sucrerie, illusion et prompts à l’éducation

La grande leçon ? Le sucre ne rend pas les enfants hyperactifs. Il ne leur nuit pourtant pas : il ruine la santé dentaire, il favorise les déséquilibres nutritionnels quand il est excessif, et parfois il coïncide par hasard avec des situations festives où tout le monde, petits et grands, est naturellement porté à l’euphorie. Accuser le sucre, c’est esquiver la responsabilité sociale de l’accompagnement éducatif, c’est priver les enfants d’une expérience alimentaire riche et de la possibilité de choisir, de goûter, de ressentir, d’apprendre ce qui leur fait du bien.
Alors, à tout prendre, pourquoi ne pas lâcher ce réflexe de diaboliser ou de sanctuariser le sucre, et s’engager dans une démarche plus nuancée ? Arrêter de voir un démon sucré derrière chaque ricanement, reconnaître que ce sont nos attentes, nos contextes, nos projections parentales qui alimentent le mythe. Et si, pour finir, on parlait du sucre autrement : ni poison ni potion magique, mais juste une composante (plutôt anodine, pour l’agitation du moins) de notre univers alimentaire ? Voilà qui, franchement, devrait faire réfléchir – et sourire, même sans excès de glucose.