Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2024, un parfum de rupture flotte sur Washington. Le serment qui lie l’armée américaine à la Constitution, et non à l’homme qui occupe le Bureau ovale, semble vaciller. Pourtant, ceux que l’on appelle les Joint Chiefs of Staff – le comité suprême des chefs militaires – restent muets. Pas une déclaration de désaveu, pas un geste de contestation publique, malgré des décisions présidentielles qui grattent violemment la frontière fragile entre légalité et autorité personnelle. Ce silence étouffe. Il résonne comme une trahison possible… ou comme une stratégie de survie.
Pour comprendre ce qui se joue, il faut décortiquer la mécanique institutionnelle, les intérêts personnels, la peur des représailles et, surtout, la lente normalisation de l’exception. Quand le pouvoir civil se confond avec l’homme fort qui l’incarne, quand la Constitution devient un texte que l’on plie à volonté, c’est l’armée qui se retrouve dans l’œil du cyclone. Or, dans cette tempête, les généraux choisis pour défendre l’État de droit se murent dans un mutisme glacé. Est-ce prudence ou lâcheté ? Le doute dévore tout, chaque jour davantage.
À qui jurent-ils vraiment fidélité ?

Une tradition théorique, un serment immuable
Les militaires américains prononcent un serment sans équivoque : protéger et défendre la Constitution des États-Unis contre tous ses ennemis, étrangers ou domestiques. Pas un mot ne mentionne le président. Voilà la pierre angulaire de la démocratie militaire américaine. Pourtant, depuis 2024, le rapport de force se déforme. Trump, par sa rhétorique brutale, a instauré la logique d’un chef unique qui exige non la loyauté envers une institution, mais une allégeance personnelle. Le contraste entre l’idéal juridique et la réalité politique n’a jamais été aussi choquant, aussi corrosif.
La Constitution est censée encadrer précisément ce genre de dérives. Mais lorsqu’un président affirme publiquement que ses ordres ne peuvent souffrir d’aucun contrepoids, que la “loyauté absolue” est la seule valeur acceptable, l’institution militaire se retrouve piégée. Accepter de servir sans broncher équivaut à contredire son propre serment… et pourtant, le Joint Chiefs of Staff demeure stoïque. Une stoïcité inquiétante, synonyme de compromission.
L’ombre des purges internes
Ce silence militaire n’est pas un mystère total. Depuis son arrivée en 2024, Trump a méthodiquement écarté les officiers perçus comme hostiles ou critiques. Des remaniements discrets mais efficaces ont nettoyé l’appareil militaire de plusieurs voix indépendantes. Résultat : ceux qui occupent désormais les postes clés doivent leur carrière directement à cette nouvelle ère de loyauté imposée. Peut-on encore espérer d’eux une résistance ? Ou bien le mécanisme institutionnel est-il déjà cruellement neutralisé ?
L’histoire américaine regorge d’exemples où les généraux se sont dressés pour préserver la Constitution… mais face au poids écrasant d’un président encore adulé par des millions d’électeurs, les résistants se trouvent laminés, isolés. La peur du déclassement, la peur d’être accusés de “trahison” publique, crée une chape de plomb impénétrable.
Quand l’institution se fragilise de l’intérieur
L’armée américaine n’est pas un bloc monolithique. Elle vit de nuances, de tensions, de rivalités. Dans ce contexte électrique, le silence peut s’entendre comme une stratégie de préservation : ne pas ajouter de fractures supplémentaires à un corps déjà affaibli par la polarisation extrême du pays. Car s’opposer frontalement à Trump, c’est risquer l’implosion interne. Mieux vaut, pensent certains, se taire et limiter les dégâts. Mais ce calcul cynique nourrit l’incertitude : jusqu’où peut durer le mutisme avant qu’il ne devienne une abdication pure et simple ?
Cette fragilité s’infiltre partout. Les chefs militaires joueront le rôle de gardiens… jusqu’au jour où ils deviendront, malgré eux, complices d’une Constitution vidée de son sens. Le paradoxe est insoutenable : défendre la stabilité en renonçant à sa mission première.
Trump impose son récit, les généraux acquiescent

La rhétorique de l’homme providentiel
Trump ne cesse de se présenter comme l’unique voix capable de “sauver” l’Amérique. Ce récit hypnotique transforme toute contestation en trahison et façonne un climat où l’obéissance devient la règle tacite. Les généraux, figés dans une posture passive, se retrouvent happés par ce récit. Leur silence, loin d’être neutre, amplifie le message présidentiel : “regardez, même l’armée ne dit rien.” Le danger n’est pas seulement constitutionnel, il est psychologique, collectif. Un peuple finit par croire ce que ses institutions ne contestent pas.
La rhétorique martiale de Trump n’est pas une figure de style. Elle fait partie de sa stratégie. En se plaçant au-dessus de la Constitution dans l’imaginaire collectif, il désarme ceux qui voudraient le rappeler aux règles. Les chefs militaires deviennent alors, malgré eux, les figurants d’une pièce dont ils ne contrôlent plus rien.
L’effet d’avalanches silencieuses
L’absence de réaction aujourd’hui construit une normalité dangereuse pour demain. Chaque violation non contestée devient un précédent. Chaque abus toléré transforme la Constitution en chiffon symbolique. L’armée n’est plus le garde-fou, mais le spectateur consentant d’une lente dérive. L’effet est celui d’une avalanche : partie d’une simple coulée de neige, elle finit par tout détruire. Et l’aveuglement volontaire des généraux est la pierre qui déclenche l’effondrement.
Il est désormais clair : sous Trump, le silence militaire équivaut à une forme de consentement, voire à une légalisation indirecte des abus. En ne posant aucun cadre, aucun frein, les Joint Chiefs of Staff glissent progressivement d’alliés de la Constitution… à complices passifs d’un président qui se rêve souverain absolu.
Le paradoxe de la loyauté militaire
L’armée existe pour défendre les États-Unis, non un homme. Mais Trump a inversé le contrat tacite, en faisant de sa personne la mesure de tout. Les généraux n’osent plus contredire publiquement, car ce serait risquer un affrontement ouvert. Résultat : leur loyauté, supposée sacrée, est redirigée. Le paradoxe est cruel, presque kafkaïen : plus ils se taisent pour “préserver la stabilité”, plus ils s’éloignent de leur mandat premier. C’est une spirale où chaque tentative de maintenir l’équilibre ne fait que creuser l’écart entre le devoir et la réalité politique.
Dans cette logique d’inversion, l’armée devient l’ombre docile d’un pouvoir personnalisé. La loyauté envers la Constitution se transforme insidieusement en loyauté envers Trump – là est le cœur du drame institutionnel du moment.
Le calcul glacial des Joint Chiefs of Staff

Éviter le chaos, quitte à plier l’échine
Les militaires ne saisissent pas toujours la parole publique par lâcheté. Certains en sont convaincus : parler, ce serait embraser la patrie. Contester Trump équivaudrait à jeter de l’huile sur un incendie déjà incontrôlable. Alors, ils se taisent. Dans leur esprit, c’est une tactique : contenir les flammes de l’intérieur. Mais ce calcul, froid comme la glace, oublie que le feu qu’on ne combat pas finit toujours par tout dévorer. Ce refus d’agir aujourd’hui est une fuite en avant dangereuse, une capitulation feutrée.
Les Joint Chiefs s’abritent derrière l’argument pragmatique de la gestion du risque. Mais cette prudence est, en réalité, une abdication masquée. Car toute neutralité dans un contexte d’abus systématique devient complice. Il n’y a pas de neutralité possible lorsque la loi est volontairement déformée jusqu’à la rupture.
Un pouvoir militaire sous haute surveillance
Trump ne laisse pas ses généraux respirer. Tout geste, toute parole, tout silence même, est évalué, noté, scruté. L’omniprésence politique érige une cage invisible : les chefs militaires savent qu’un pas de travers peut leur coûter leur poste… voire leur réputation publique, détruite instantanément sur les réseaux ou dans les médias alignés. Ce contrôle permanent nourrit une peur diffuse, paralysante, qui fige tout élan de résistance.
Le silence, dans ce contexte, est parfois dicté par la peur de l’opprobre immédiate. Une peur, certes humaine, mais indigne de ceux qui sont censés défendre les institutions à tout prix. Car si même l’armée plie devant l’intimidation politique, qui reste-t-il pour défendre le texte fondateur ?
Le choix de l’attente périlleuse
Et si le calcul des Joint Chiefs était d’attendre ? D’endurer quatre ans de tempête en espérant que la Constitution survivra d’elle-même à la tornade Trump ? Si tel est le scénario, il est d’une naïveté coupable. L’attente n’est pas une solution, c’est un poison lent. Chaque jour de silence abîme davantage l’autorité du texte sacré, légitime les abus, cristallise l’idée qu’un président peut être au-dessus des lois.
Ce n’est donc pas du pragmatisme, c’est une forme de pari aveugle. Comme si l’histoire offrait des secondes chances… mais elle n’en donne jamais. Les démocraties qui plient trop longtemps finissent toujours par casser net, sans avertissement.
La démocratie face au glaive muet

Des citoyens désarmés par la passivité militaire
Le silence des généraux produit un effet pervers sur la société. Les citoyens, privés de repères forts, s’habituent aux abus. Le corps qui devait être l’ultime rempart devient un mur translucide, poreux, incapable de résister. La passivité militaire transforme la démocratie en prison de verre : tout semble intact, mais tout menace de s’effondrer au moindre choc. Le citoyen, lui, perd confiance, doute de ses propres institutions, et ce doute est le véritable poison lent qui ronge la République.
Sans armée debout face au président, les Américains n’ont plus de barrière visible pour défendre leur Constitution. Ils se sentent orphelins. Trump le sait et en profite. L’homme fort triomphe toujours dans le vide sécuritaire laissé par l’absence de résistance institutionnelle. C’est une vérité universelle, dont l’Amérique fait aujourd’hui l’amère expérience.
Une fracture générationnelle en germe
Les jeunes militaires, témoins désillusionnés de ce jeu d’ombres, observent leurs supérieurs sans comprendre. Ils ont juré fidélité à un texte sacré, mais voient leurs chefs fermer les yeux. Ce décalage sème une graine de rupture, un conflit générationnel qui risque d’éclater tôt ou tard. La crédibilité morale des Chiefs est déjà écornée. Dans quelques années, ce choc pourrait ressurgir comme une explosion imprévisible. Et cette fracture-là sera presque impossible à réparer.
La démocratie américaine se délite à bas bruit. Les cicatrices qu’elle accumule sont invisibles aujourd’hui. Mais elles formeront demain les lignes de fracture les plus dangereuses. Quand le glaive refuse de défendre la loi, la société entière devient vulnérable à tous les assauts.
L’ultimatum invisible du peuple
Il existe un seuil à ne pas franchir. Un seuil invisible, mais bien réel : celui où le peuple cesse de croire à la Constitution. Chaque silence du JCS se rapproche de ce point de rupture. L’ultimatum n’a pas été formulé, mais il plane partout, comme une épée suspendue. Si la protection institutionnelle s’évapore totalement, la rue se lèvera, avec ses colères brutes, son désordre incontrôlable. Le silence militaire, en croyant préserver la stabilité, pourrait bien être en train de préparer le chaos le plus brutal.
Car dans l’histoire, les peuples n’attendent jamais éternellement. Le mutisme finit toujours par se payer, et jamais à rabais.
La tentation de l’homme fort et la fin possible du modèle américain

Un scénario que l’histoire connaît déjà
L’Amérique se pense unique, mais les dérives actuelles rappellent de nombreux précédents internationaux. D’autres pays, un jour, ont vu leurs armées se taire pendant qu’un chef concentrait le pouvoir. Le résultat est connu : coulée progressive des libertés, puis effondrement brutal. Ceux qui croient que “cela ne peut pas arriver ici” devraient relire l’Histoire. Les tyrannies naissent toujours dans les plis du déni, de la passivité, de l’espoir que les institutions se suffisent à elles-mêmes – alors qu’elles ne tiennent debout que par ceux qui les défendent réellement.
Le silence des Joint Chiefs of Staff s’inscrit dans ce schéma classique. Rien d’inédit, rien d’exceptionnel. Seulement les mêmes mécanismes : peur, calcul, confort du présent. Et inévitablement, la chute. Comme toujours.
L’exportation perverse du modèle américain
Paradoxalement, cette faiblesse suscite des regards avides à l’étranger. Les adversaires stratégiques se frottent les mains : voir la vitrine démocratique américaine se fissurer de l’intérieur nourrit d’autres autoritarismes. Le silence militaire devient, nolens volens, une arme géopolitique livrée aux ennemis de Washington. Chaque absence de réaction n’est pas seulement une défaite intérieure, c’est aussi une propagande offerte aux rivaux.
L’Amérique, jadis source de références constitutionnelles, montre désormais l’image grotesque d’une démocratie vulnérable parce que ses propres gardiens se taisent. Une exportation inquiétante : non plus celle des droits, mais celle de la fragilité.
Quand la peur devient doctrine
Le plus monstrueux dans cette équation, c’est l’officialisation tacite de la peur comme mode de gouvernance. Si l’armée, censée incarner la force ultime, cède au silence par peur du pouvoir, que dire du reste des institutions ? Ce mécanisme se diffuse, devient doctrine, contamine jusqu’aux citoyens qui adoptent eux aussi le réflexe de se taire. La peur devient loi. La Constitution n’est plus le texte suprême. La peur l’a remplacée.
Et ce glissement, lui, est irréversible. Quand la peur devient système, le retour en arrière devient presque impossible. Le modèle américain risque de mourir non pas sous les coups d’un ennemi extérieur, mais sous son propre vide intérieur.
Conclusion : l’armée peut-elle encore sauver la Constitution ?

Nous sommes arrivés à un moment critique. Le silence ne peut plus être interprété comme une neutralité. Il est un choix, une posture politique déguisée. Les Joint Chiefs of Staff, en taisant leurs doutes, en enterrant leur serment, jouent une partition fatale : celle où la Constitution devient l’otage d’un président qui l’instrumentalise sans vergogne. L’Amérique est en train de découvrir son point le plus fragile, celui qu’elle avait pourtant sanctuarisé depuis sa fondation.
Reste une question brutale : l’armée choisira-t-elle un jour de briser ce silence glaçant ? De redevenir le rempart constitutionnel qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être ? Ou sommes-nous déjà entrés dans la zone crépusculaire où le serment militaire n’est plus qu’un rituel vide, un écho ancien que personne n’entend plus ? Le futur des États-Unis pourrait se décider non pas dans une élection, non pas dans un discours, mais dans ce moment précis où un général décidera – ou non – de parler.