Ils pensaient l’avoir éliminé définitivement. Ils ont échoué, mais le mal est fait. Jimmy Kimmel revient sur ABC ce mardi 23 septembre, mais son retour ne ressemble en rien à un triomphe. C’est plutôt un pansement sur une hémorragie. Car derrière les sourires de façade de Disney et les déclarations lénifiantes, une réalité brutale s’impose : des millions d’Américains ne pourront plus jamais voir l’humoriste qui avait osé défier Trump.
La suspension de « Jimmy Kimmel Live! » n’était qu’un avant-goût. Une répétition générale avant la vraie offensive. Celle qui se déploie aujourd’hui sous nos yeux, méthodique, implacable. Une offensive qui révèle comment l’administration Trump a transformé la liberté d’expression en champ de bataille, et comment les géants des médias plient l’échine face aux pressions politiques et financières.
Le piège s’est refermé
L’affaire Charlie Kirk n’était qu’un prétexte. Le véritable enjeu se cache dans les tours de verre des groupes de télévision locaux, dans les bureaux feutrés de la Federal Communications Commission, dans les calculs financiers de Disney. Kimmel avait commis l’erreur de croire qu’il pouvait encore parler librement. Il découvre aujourd’hui que le terrain de jeu a changé.
Le 15 septembre, lors de son monologue, l’animateur avait accusé le « gang MAGA » d’avoir « désespérément essayé » de présenter l’auteur du meurtre de Kirk « comme autre chose que l’un d’entre eux ». Des propos qui auraient pu passer inaperçus il y a encore quelques années. Mais nous ne sommes plus dans l’Amérique d’avant.
La machine s’emballe
Quelques heures après la diffusion, Brendan Carr entre en scène. Le président de la FCC, ce « guerrier de la liberté d’expression » selon Trump, dénonce un « comportement scandaleux ». Les mots sont pesés, la menace à peine voilée. Les stations locales qui continueront à diffuser l’émission de Kimmel pourraient « faire face aux conséquences ».
La suite se déroule avec la précision d’une horlogerie suisse. Nexstar Media Group, propriétaire de 32 stations affiliées ABC, annonce qu’elle retire l’émission « pour l’avenir prévisible ». Sinclair Broadcast Group, avec ses 38 stations ABC, emboîte le pas. En quelques heures, 29% du réseau ABC échappe à Kimmel.
Disney capitule
Face à cette rébellion orchestrée, Disney n’a pas tenu vingt-quatre heures. Le mercredi soir, la suspension « pour une durée indéterminée » est annoncée. Une capitulation en bonne et due forme, habillée dans le langage corporate habituel. L’empire du divertissement, celui qui avait résisté aux pressions de tous les gouvernements précédents, plie sous Trump.
Bob Iger, le PDG de Disney, reçoit des appels d’annonceurs inquiets. Les actions du groupe flottent. Dans les couloirs de Burbank, on murmure que « certains commentaires étaient inopportuns et donc insensés ». La machine à broyer fonctionne à plein régime.
L'architecture de la censure

Brendan Carr, l’architecte
Il fallait un homme pour orchestrer cette symphonie de la peur. Brendan Carr est cet homme. Nommé président de la FCC par Trump en novembre dernier, il a transformé l’agence de régulation en bras armé de la vengeance présidentielle. En huit mois, il a lancé des enquêtes formelles contre tous les grands réseaux de télévision américains. Tous, sauf Fox News.
Sa méthode est redoutablement efficace : utiliser l’autorité de la FCC pour examiner les transactions d’entreprise et en extorquer des concessions. CBS a déjà cédé, acceptant de nommer un ombudsman conservateur et de retirer « The Late Show with Stephen Colbert » en 2026. Les dominos tombent un à un.
Le chantage aux licences
Trump l’avait promis durant sa campagne : « Ils donnent seulement de mauvaises critiques sur moi. Ce sont des licences — je pense que leurs licences devraient être révoquées. » Une menace qui semblait creuse à l’époque. Elle ne l’est plus. Carr a donné corps aux fantasmes présidentiels, transformant les intimidations en réalité.
Le système est diabolique dans sa simplicité. Les licences de diffusion appartiennent aux stations locales, pas aux réseaux nationaux. Mais ces stations dépendent des programmes fournis par les grands réseaux. En pressant les groupes locaux, l’administration Trump peut étrangler les réseaux sans jamais porter atteinte directement à leurs licences.
L’effet domino
L’affaire Kimmel révèle l’ampleur de cette stratégie. Nexstar et Sinclair contrôlent à elles seules 63 des 205 stations affiliées ABC. Près d’un tiers du réseau. Leur décision de boycotter Kimmel équivaut à une décapitation partielle d’ABC. Disney ne peut pas se permettre de perdre un tel pourcentage d’audience.
Mais il y a pire. Nexstar négocie actuellement le rachat de Tegna pour 6,2 milliards de dollars. Une fusion qui nécessite l’approbation de la FCC. En prenant position contre Kimmel, le groupe envoie un signal clair à Brendan Carr : nous sommes dans votre camp. Le chantage économique se mêle à l’opportunisme politique.
Le retour en trompe-l'œil

La négociation secrète
Le retour de Kimmel n’est pas une victoire. C’est le résultat d’une négociation sous contrainte. Pendant six jours, Bob Iger et Dana Walden, co-présidente de Disney Entertainment, ont mené des « conversations réfléchies » avec l’animateur. Des euphémismes qui cachent probablement des heures de marchandage âpre.
Kimmel gagne 15 millions de dollars par an. Un investissement considérable pour Disney. Mais l’animateur a dû accepter certaines conditions. Il devra s’exprimer sur ses précédents commentaires lors de son retour à l’antenne, sans pour autant présenter d’excuses formelles. Un équilibre précaire entre sauver la face et éviter une nouvelle crise.
Le territoire perdu
Mais le mal est fait. Sinclair a maintenu sa position : ses 38 stations ABC diffuseront des programmes d’information à la place de Kimmel. Les téléspectateurs de Washington D.C., de Baltimore, de Nashville, de Birmingham ne verront plus jamais l’humoriste. Une amputation définitive qui prive Kimmel de millions de spectateurs.
Nexstar reste plus flou sur ses intentions. Le groupe monitore la situation, évalue ses options. Mais le message est clair : le retour de Kimmel ne signifie pas le retour à la normale. Les rapports de force ont définitivement changé. L’animateur revient sur un territoire diminué, sous surveillance, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
L’audience fragmentée
Les conséquences sont mesurables. Sinclair et Nexstar représentent ensemble près de 25% de l’audience ABC. Dans certains marchés conservateurs comme Lubbock au Texas ou Chattanooga dans le Tennessee, Kimmel a purement et simplement disparu des écrans. Une balkanisation qui révèle l’état de fragmentation de l’Amérique médiatique.
Cette situation est sans précédent dans l’histoire de la télévision américaine. Jamais un animateur de late-night n’avait été ainsi censuré par territoires. Stephen Colbert, pourtant critique acerbe de Trump, a ironisé sur cette « bonne nouvelle » du retour de Kimmel, tout en se déclarant « le seul martyr de late night ». Il ignore encore que son propre avenir est scellé.
Les précédents inquiétants

CBS paie le prix
L’affaire Kimmel s’inscrit dans une offensive plus large. CBS a déjà capitulé face à Trump, acceptant de payer 16 millions de dollars pour solder un contentieux sur l’édition d’une interview de Kamala Harris dans « 60 Minutes ». Une somme dérisoire pour le réseau, mais un précédent dangereux. Disney a suivi le mouvement, déboursant 15 millions pour clore une action en diffamation concernant George Stephanopoulos.
Ces règlements à l’amiable ne relèvent pas de la simple prudence juridique. Ils constituent des actes d’allégeance. Trump a compris qu’il pouvait saigner financièrement les médias par une succession de procès, même fantaisistes. Le coût de la défense et l’incertitude judiciaire poussent les groupes à négocier. Une stratégie d’usure redoutablement efficace.
L’élimination de Colbert
Stephen Colbert sera la prochaine victime. Son émission sur CBS s’arrêtera en 2026, officiellement pour des « raisons purement financières ». Une explication qui ne trompe personne. Colbert était le plus féroce des critiques télévisuels de Trump. Son élimination était programmée depuis longtemps.
La nouvelle propriétaire de CBS, Skydance Media, a nommé un ombudsman pour évaluer la couverture d’information de la chaîne. Un ancien responsable de think tank conservateur, précédemment nommé ambassadeur au Japon par Trump. Le noyautage progresse, méthodique.
NPR et PBS dans le viseur
Carr ne s’arrête pas aux chaînes commerciales. Il a lancé une enquête contre NPR et PBS, accusant les médias publics de diffuser des publicités en violation du droit fédéral. Une accusation juridiquement fragile, mais qui sert de prétexte à une campagne plus large. Trump veut tarir les financements publics de ces médias, accusés de biais libéral.
Le Congrès a déjà suspendu tous les crédits fédéraux pour les deux prochaines années. Une strangulation financière qui pourrait être fatale à de nombreuses stations locales de radio et télévision publiques. L’écosystème médiatique américain se reconfigure sous la pression politique.
L'économie de la peur

Le nerf de la guerre
L’arme principale de Trump n’est pas la censure directe. C’est l’économie. Les groupes médiatiques sont des entreprises cotées, soumises aux actionnaires, dépendantes de la publicité. Ils ne peuvent pas se permettre des baisses d’audience prolongées ou des contentieux juridiques à répétition. Trump l’a compris et exploite cette vulnérabilité avec maestria.
Disney a vu ses actions fluctuer pendant la crise Kimmel. Les annonceurs s’inquiètent des controverses, préfèrent les programmes consensuels. Dans une économie où l’audience est roi, la polarisation devient un handicap commercial. Les humoristes critiques de Trump représentent désormais un risque financier que peu de groupes acceptent d’assumer.
Le chantage aux fusions
Carr utilise habilement son pouvoir de régulation. Chaque fusion dans le secteur des médias nécessite l’approbation de la FCC. Une arme de chantage extraordinaire entre ses mains. Nexstar l’a compris en prenant position contre Kimmel. Sinclair joue le même jeu, espérant faciliter ses propres projets d’acquisition.
Cette instrumentalisation de la régulation transforme le paysage médiatique. Les groupes qui espèrent grandir doivent désormais montrer patte blanche à l’administration Trump. Une vassalisation progressive qui restructure l’industrie selon les désirs présidentiels.
Les investisseurs paniquent
Mark Ruffalo, l’acteur devenu activiste, a prévenu que les actions Disney pourraient « significativement chuter » si ABC annulait définitivement Kimmel. « Ils ne veulent pas être ceux qui ont cassé l’Amérique », a-t-il déclaré. Une analyse qui révèle l’ampleur des enjeux financiers. Les investisseurs craignent les conséquences d’un conflit ouvert avec l’administration.
Cette peur du marché constitue un puissant régulateur. Les dirigeants des groupes médiatiques doivent arbitrer entre leurs convictions éditoriales et leurs obligations fiduciaires. Dans cette équation, la liberté d’expression pèse souvent moins lourd que la stabilité des cours de bourse.
La résistance s'organise

Hollywood se mobilise
Plus de 400 célébrités hollywoodiennes ont signé une lettre de soutien à Jimmy Kimmel. Un front uni qui témoigne de l’inquiétude du milieu du divertissement face à la dérive autoritaire. Mais cette solidarité a ses limites. Les stars peuvent signer des pétitions, elles ne peuvent pas remplacer les annonceurs ou rassurer les actionnaires.
Bill Maher, autre humoriste critique de Trump, a pris la défense de son collègue : « ABC signifie ‘Always Be Caving' » (Toujours céder). Une formule cinglante qui résume l’état d’esprit d’une industrie accusée de lâcheté face aux pressions politiques.
Les limites juridiques
Plusieurs constitutionnalistes dénoncent l’instrumentalisation de la FCC par l’administration Trump. Conor Fitzpatrick, avocat senior à la Foundation for Rights and Expression, qualifie la situation de Kimmel de « temps sombres pour la liberté d’expression aux États-Unis ». Mais les recours juridiques sont limités. Les actions de Carr restent dans le cadre légal, même si elles violent l’esprit du Premier Amendement.
Le démocrate Hakeem Jeffries a appelé Carr à démissionner, dénonçant son instrumentalisation de la FCC. Mais les minorités parlementaires n’ont aucun pouvoir de contrainte. La résistance reste symbolique face à un pouvoir déterminé à museler ses critiques.
La presse internationale réagit
L’affaire Kimmel fait les gros titres de la presse mondiale. BBC, CBC, RFI dénoncent unanimement la dérive autoritaire américaine. Cette couverture internationale embarrasse Washington, mais Trump s’en moque. Il gouverne pour son électorat domestique, peu soucieux de l’image de l’Amérique à l’étranger.
Cette indifférence à l’opinion mondiale marque une rupture. Les précédents présidents, même les plus controversés, restaient sensibles au prestige américain. Trump assume la transformation de l’Amérique en « démocratie illibérale », sur le modèle hongrois ou polonais.
L'avenir incertain

La nouvelle donne
Le retour de Kimmel ce mardi soir sera scruté à la loupe. L’audience sera probablement exceptionnelle, mélange de curiosité et de solidarité. Mais cette performance ponctuelle ne changera rien à la nouvelle donne. L’animateur évolue désormais dans un environnement hostile, sous surveillance permanente.
Chaque blague, chaque commentaire politique sera pesé, analysé, décortiqué par les partisans de Trump. Une épée de Damoclès permanente qui ne peut que modifier le ton et le contenu de l’émission. L’autocensure deviendra probablement la règle, même inconsciente.
L’effet Trump
Cette affaire marque un tournant dans l’histoire des médias américains. Trump a réussi à discipliner une industrie réputée rebelle, à imposer sa loi sans modifier la législation. Une démonstration de force qui fera école et dissuadera les futurs critiques.
Les autres animateurs de late-night ajusteront leur tir. Seth Meyers, Trevor Noah (s’il était encore en poste), John Oliver modéreront probablement leurs attaques. La normalisation de la censure s’opère par petites touches, imperceptiblement mais inexorablement.
Le modèle exportable
La méthode Trump intéresse d’autres dirigeants autoritaires. Utiliser la régulation économique pour museler les médias sans recourir à la censure directe constitue un modèle exportable. Viktor Orban en Hongrie, Jarosław Kaczyński en Pologne ont ouvert la voie. Trump la perfectionne.
Cette technique présente l’avantage de préserver les apparences démocratiques. Aucune loi liberticide, aucune fermeture administrative de journaux. Juste des pressions économiques, des régulations tatillonnes, des contentieux juridiques. La liberté d’expression meurt à petit feu, sans que personne puisse pointer du doigt un acte précis de censure.
Conclusion

La victoire amère
Jimmy Kimmel revient donc sur nos écrans, mais cette victoire a le goût amer de la défaite. Car son retour ne marque pas la fin de la censure, mais son institutionnalisation. Désormais, chaque humoriste, chaque journaliste sait que critiquer Trump a un prix. Et ce prix, peu sont encore prêts à le payer.
L’Amérique entre dans une ère nouvelle, celle de la liberté surveillée. Les apparences démocratiques sont préservées, les institutions fonctionnent, mais l’esprit qui les animait s’étiole. Trump aura réussi son pari : transformer la première puissance mondiale en démocratie de façade, où seuls les courtisans ont droit de parole.
L’avertissement au monde
Cette affaire dépasse le cas américain. Elle révèle la fragilité de nos démocraties face à des dirigeants qui comprennent les ressorts du pouvoir moderne. Plus besoin de chars dans les rues ou de lois martiales. Il suffit de quelques hommes bien placés, de quelques pressions économiques, de beaucoup de cynisme.
Le retour impossible de Jimmy Kimmel préfigure peut-être notre avenir à tous. Un monde où la contestation existe encore, mais dans des territoires de plus en plus réduits, sous surveillance de plus en plus étroite. Un monde où la liberté devient un luxe que peu peuvent se permettre.
Et pendant que nous débattons encore de savoir si cette dérive est temporaire ou définitive, Trump continue méthodiquement son œuvre de démolition. Kimmel reviendra mardi soir, mais l’Amérique de la liberté d’expression ne reviendra jamais. Elle est morte dans l’indifférence générale, un mardi soir de septembre, sous les applaudissements d’un public qui ne comprenait pas qu’il assistait à ses propres funérailles.