La rétribution comme stratégie de gouvernance
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Donald Trump ne gouverne pas. Il venge. Chaque décision, chaque déclaration, chaque ordre exécutif semble conçu pour cibler, punir, humilier. Plus de cent menaces de poursuites contre des adversaires perçus. L’IRS politisé. Le Département de la Justice transformé en arme personnelle. Des agences fédérales entières — Défense, Sécurité intérieure, Éducation, Santé — mobilisées pour harceler et traquer ceux qui osent s’opposer à lui. Une analyse de NPR révèle que dans ses cent premiers jours, Trump a utilisé au moins onze agences gouvernementales pour cibler ses ennemis politiques. Ce n’est pas du chaos. Ce n’est pas de l’incompétence. C’est une stratégie délibérée. Un piège mortel. Trump provoque ses adversaires — les démocrates, les médias, les procureurs, les juges — jusqu’à ce qu’ils réagissent. Et quand ils réagissent, il les écrase. Le 25 septembre 2025, il a fait inculper James Comey, ancien directeur du FBI, cinq jours avant l’expiration du délai de prescription. Une inculpation que les procureurs de carrière avaient refusée par manque de preuves. Mais Trump a insisté publiquement sur Truth Social. Et Pam Bondi, sa procureure générale, a obéi.
Un shutdown transformé en arme politique
Depuis le 1er octobre 2025, le gouvernement américain est fermé. Pas par accident. Par calcul. Trump a transformé ce shutdown en une opportunité de détruire des programmes démocrates, de punir les États bleus, de licencier des fonctionnaires fédéraux en masse. Le 9 octobre, lors d’une réunion du Cabinet, il a déclaré sans ambages : « Nous ne coupons que les programmes démocrates ». Russell Vought, directeur du Bureau de la gestion et du budget, a gelé dix-huit milliards de dollars de financement pour des projets d’infrastructure à New York et annulé huit milliards pour le climat dans les États démocrates. Trump a même diffusé des vidéos dans les aéroports blâmant les démocrates pour le shutdown — une campagne de propagande financée par l’argent public. Les démocrates, piégés, ont refusé de voter pour rouvrir le gouvernement tant qu’il n’y aurait pas de négociations sur les soins de santé. Exactement ce que Trump voulait. Parce que maintenant, il peut les accuser de fermer le gouvernement, de priver les militaires de leur salaire, de bloquer le pays… alors que c’est lui qui a orchestré tout ça.
Portland, les manifestants et l’excuse militaire
Le 30 septembre 2025, Trump a annoncé son intention de déployer deux cents membres de la Garde nationale de l’Oregon à Portland pour « protéger les installations ICE » contre des manifestants. Il a décrit la ville comme « ravagée par la guerre », « contrôlée par des terroristes ». Les habitants de Portland ont réagi avec incrédulité — la ville est calme, les manifestations sont pacifiques et limitées. Mais Trump s’en fiche. Il a besoin d’images de chaos. D’affrontements. De violence. Parce que ça justifie l’escalade. Le procureur général de l’Oregon, Dan Rayfield, a poursuivi Trump. Un juge fédéral a bloqué le déploiement, citant un tweet de Trump lui-même comme preuve de sa mauvaise foi. Mais Trump a recommencé. Il a tenté de fédéraliser la Garde nationale de Californie pour l’envoyer à Portland. Encore une fois bloqué. Mais le mal est fait. Les médias parlent de Portland. De manifestants. De violence. De chaos. Et Trump peut se présenter comme l’homme fort qui ramènera l’ordre. Tout en transformant ses adversaires en ennemis de l’intérieur.
Le piège de la provocation permanente

Flooding the zone with shit
Steve Bannon, ancien stratège en chef de Trump, a théorisé cette approche : « Flooding the zone with shit ». Inonder la zone de merde. L’idée ? Submerger le public, les médias, les adversaires politiques avec un déluge d’actions, de déclarations, de scandales. Tellement d’informations, tellement de provocations, tellement de chaos que personne ne peut suivre. Que l’analyse devient impossible. Que l’indignation s’épuise. Que les opposants ne savent plus où donner de la tête. Depuis janvier 2025, Trump a signé des centaines d’ordres exécutifs. Il a quitté l’Organisation mondiale de la santé. Déployé l’armée à la frontière mexicaine. Révoqué les protections contre la discrimination raciale et transgenre. Gracié les émeutiers du 6 janvier. Imposé des tarifs commerciaux massifs. Refusé de dépenser des sommes approuvées par le Congrès. Quitté l’accord de Paris sur le climat. Certaines de ces actions sont illégales. Inconstitutionnelles. Mais qu’importe. Les tribunaux mettront des mois à statuer. Et d’ici là, Trump aura déjà inondé la zone avec dix autres provocations. Les démocrates ont ajusté leur stratégie en conséquence — ils ont décidé de ne pas réagir à chaque provocation, pour ne pas s’épuiser.
La fatigue de l’indignation comme arme
Trump compte sur ça. Sur la fatigue. Sur l’épuisement. Sur le fait qu’après six mois, neuf mois, un an de scandales quotidiens, les gens arrêtent de s’indigner. Ils s’habituent. Ils normalisent. Ce qui aurait provoqué une démission sous Nixon — un président qui ordonne publiquement au Département de la Justice de poursuivre des adversaires politiques spécifiques — ne suscite maintenant qu’un haussement d’épaules. Les médias en parlent pendant quarante-huit heures. Puis passent à autre chose. Parce qu’il y a toujours un nouveau scandale. Une nouvelle provocation. Un nouveau tweet incendiaire. Trump a déclaré que les critiques des juges qui statueront en sa faveur « devraient être punies par des amendes très sérieuses et au-delà ». Il a menacé de révoquer les licences des entreprises de presse qui le couvrent défavorablement. Il a promis d’emprisonner les journalistes qui refusent de nommer leurs sources. Et personne ne bronche. Parce qu’on a déjà entendu ça cent fois. Parce qu’on est fatigués. Et c’est exactement ce qu’il veut.
Transformer chaque réaction en victoire
Le génie pervers de cette stratégie, c’est qu’elle transforme chaque réaction de l’opposition en victoire pour Trump. Les démocrates protestent contre ses nominations ? Il les traite d’obstructionnistes. Les médias enquêtent sur ses conflits d’intérêts ? Il crie à la « chasse aux sorcières ». Les procureurs le poursuivent pour des crimes réels ? Il se présente comme une victime persécutée. Et sa base le croit. Parce que Trump a construit toute sa rhétorique autour de cette idée : lui contre le système. Lui contre l’État profond. Lui contre les élites corrompues. Chaque attaque contre lui devient une preuve de son récit. Chaque poursuite, chaque enquête, chaque article critique renforce l’image qu’il a cultivée pendant des années : celle d’un homme seul contre tous, qui se bat pour les oubliés. Le procureur général de l’Oregon, Dan Rayfield, l’a dit clairement en parlant du déploiement militaire à Portland : « C’est de la distraction. De la prestidigitation. Il veut qu’on parle de Portland au lieu de parler des dossiers Epstein, des soins de santé qu’il essaie de détruire, des prestations alimentaires qu’il coupe ». Et ça marche.
Le Département de la Justice comme arme personnelle

L’inculpation de James Comey : le test ultime
Le 25 septembre 2025, James Comey, ancien directeur du FBI, a été inculpé de deux chefs d’accusation : fausses déclarations au Congrès et obstruction d’une procédure parlementaire. Les accusations concernent son témoignage de septembre 2020 devant le Comité judiciaire du Sénat, où il aurait nié avoir autorisé des fuites au FBI vers les médias. Mais voilà le problème : les procureurs de carrière du Bureau du procureur de l’Est de la Virginie avaient rédigé un mémo de refus, expliquant pourquoi les accusations ne devaient pas être portées — preuves insuffisantes, cause probable inexistante. Trump s’en fichait. Il a posté sur Truth Social le 21 septembre, exigeant que Pam Bondi poursuive Comey. Cinq jours avant l’expiration du délai de prescription, Lindsey Halligan — ancienne assistante personnelle de Trump sans expérience en poursuites criminelles, avocate en assurance — a obtenu l’inculpation. Le grand jury a même refusé un troisième chef d’accusation, un rejet rare. Plus de mille anciens employés du Département de la Justice, républicains et démocrates confondus, ont signé une lettre condamnant cette poursuite comme « une attaque sans précédent contre l’État de droit ».
La liste des cibles s’allonge
Comey n’est que le début. Trump a publiquement demandé des poursuites contre Letitia James, procureure générale de New York qui l’a poursuivi pour fraude fiscale. Contre Adam Schiff, sénateur démocrate de Californie qui a dirigé l’enquête sur sa destitution. Contre John Bolton, son ancien conseiller à la sécurité nationale qui a écrit un livre critique sur lui. Contre Beyoncé, Oprah Winfrey, Bruce Springsteen, Chris Krebs — tous coupables d’avoir exprimé des opinions politiques contraires aux siennes. Erik Siebert, un responsable du Département de la Justice, a déclaré qu’il n’y avait pas assez de preuves pour poursuivre Letitia James. Trump l’a publiquement attaqué sur Truth Social et a promis de promouvoir Halligan pour prendre l’affaire en main. Le pare-feu entre la Maison-Blanche et le Département de la Justice — une norme post-Watergate respectée par tous les présidents modernes — a totalement disparu. Trump ordonne. Bondi obéit. Et le Département de la Justice, autrefois gardien de la loi, devient un instrument de vengeance personnelle.
Nommer et humilier sans preuve suffisante
Ed Martin, procureur général par intérim de DC et responsable du Groupe de travail sur l’armement, a déclaré que le Département de la Justice nommerait publiquement des individus qu’il n’avait pas suffisamment de preuves pour poursuivre. Lisez bien ça. Ils vont accuser des gens publiquement — détruire leur réputation, leur carrière, leur vie — sans jamais les inculper. Sans jamais prouver quoi que ce soit devant un tribunal. Les experts juridiques qualifient cette approche de violation flagrante du code éthique et procédural du Département. Mais Trump s’en fiche. Parce que le processus est la punition. Même si Comey est acquitté — ce qui est probable, étant donné le manque de preuves et les attaques publiques de Trump qui pourraient justifier un rejet pour poursuite vindicative ou sélective —, il aura dépensé des centaines de milliers de dollars en frais juridiques. Sa réputation aura été salie. Sa vie aura été bouleversée. Et ça, c’est suffisant pour Trump. Parce que ça envoie un message à tous les autres : opposez-vous à moi, et je vous détruirai.
Le shutdown comme laboratoire d'autoritarisme

Couper exclusivement les programmes démocrates
Le 9 octobre 2025, dans la salle du Cabinet, Trump a lâché une phrase qui résume toute sa stratégie : « Nous ne coupons que les programmes démocrates ». Pas de faux-semblants. Pas de justification budgétaire neutre. Juste une déclaration ouverte que le shutdown est une arme contre ses adversaires politiques. Russell Vought a immédiatement agi : dix-huit milliards gelés pour New York, huit milliards annulés pour le climat dans les États bleus. Trump a posté sur Truth Social que le shutdown lui offrait une « opportunité sans précédent » de détruire les « agences démocrates ». Il ne s’agit plus de gouverner. Il s’agit de punir. Les républicains au Congrès, à l’exception de Rand Paul, ont tous voté pour rouvrir le gouvernement — ce qui leur permet de rejeter le blâme sur les démocrates. Les démocrates, eux, refusent de voter tant qu’il n’y aura pas de négociations sur les soins de santé — notamment sur l’interdiction de fournir une couverture gratuite aux immigrants sans papiers, une ligne rouge pour eux.
Licenciements permanents et pressions sur les militaires
Le 11 octobre, Trump a ordonné des licenciements permanents de fonctionnaires fédéraux pendant le shutdown. Pas des mises en disponibilité temporaires. Des licenciements définitifs. Une tactique de pression extrême pour forcer les démocrates à céder. Il a aussi menacé de ne pas payer les militaires le 15 octobre — avant de se raviser et d’annoncer qu’il avait « identifié des fonds » pour les payer. Mais le message est passé : Trump est prêt à sacrifier les salaires des troupes pour gagner sa bataille politique. Des vidéos ont été diffusées dans les aéroports américains — financées par l’argent public — blâmant les démocrates pour le shutdown. Une campagne de propagande digne d’un régime autoritaire, diffusée sur des écrans gouvernementaux. Bloomberg et le New York Times rapportent que ces tactiques ont « durci » la position des démocrates, qui ne font plus confiance aux républicains pour respecter leurs engagements. Le shutdown entre maintenant dans sa troisième semaine. Et Trump affirme publiquement qu’il est prêt à le prolonger indéfiniment.
Les républicains eux-mêmes inquiets de sa stratégie
Même certains sénateurs républicains commencent à s’inquiéter. Trois d’entre eux, sous couvert d’anonymat, ont déclaré à The Hill que Trump avait saboté leur stratégie en disant publiquement qu’il était prêt à conclure « le bon accord » avec les démocrates sur les soins de santé. « Ça a été une ouverture pour les démocrates », a déclaré l’un d’eux. « Ça a probablement prolongé le shutdown ». Un autre a ajouté que Trump avait miné les efforts du chef de la majorité John Thune et du président de la Chambre Mike Johnson pour rejeter les demandes démocrates de négociation. La porte-parole de la Maison-Blanche, Abigail Jackson, a démenti : « Le président Trump, le président Johnson, le chef Thune et les républicains du Congrès sont tous parfaitement alignés ». Mais les fuites républicaines racontent une autre histoire : Trump improvise. Il change de position. Il affaiblit sa propre équipe. Non par incompétence. Mais parce que le chaos est l’objectif.
Portland et la fabrication d'une crise

Une ville calme décrite comme une zone de guerre
Le 30 septembre 2025, Trump a tweeté que Portland était « ravagée par la guerre », « contrôlée par des terroristes », « en anarchie ». Il a annoncé le déploiement de deux cents membres de la Garde nationale de l’Oregon pour « protéger les installations ICE » contre des manifestants violents. Le problème ? Portland est calme. Les manifestations sont pacifiques, limitées en nombre, sans violence majeure. Les résidents de Portland ont réagi avec incrédulité. « Nous parlons de notre ville et… c’est complètement faux », a déclaré un habitant à CNN. Mais Trump s’en fiche. Il a besoin d’une crise. Il a besoin d’images de chaos, d’affrontements, de violence. Parce que ça justifie l’escalade. Parce que ça lui permet de se présenter comme l’homme fort qui ramène l’ordre. Le procureur général de l’Oregon, Dan Rayfield, a poursuivi Trump. Un juge fédéral, Karen Immergut, a émis une injonction temporaire bloquant le déploiement. Elle a cité le propre tweet de Trump comme preuve de mauvaise foi — il a inventé une crise pour justifier une action militaire inconstitutionnelle.
Le propre tweet de Trump utilisé contre lui
C’est presque comique. Trump a tellement besoin de dramatiser, de jouer l’homme fort sur les réseaux sociaux, qu’il a fourni lui-même la preuve de sa mauvaise foi. La juge Immergut a conclu que le président n’a pas l’autorité absolue d’inventer des « faits sur le terrain » pour justifier n’importe quel déploiement militaire. C’est un précédent important. Parce que Trump a passé neuf mois à déclarer des « urgences » partout — à la frontière, dans les villes démocrates, contre les manifestants, contre l’immigration. Le Washington Post rapporte qu’il a utilisé les pouvoirs d’urgence comme outil central de gouvernance. Mais les tribunaux commencent à réagir. Ils commencent à dire : « Non, vous ne pouvez pas juste inventer une crise pour étendre votre pouvoir ». Trump a ensuite tenté de fédéraliser la Garde nationale de Californie pour l’envoyer à Portland. Encore une fois bloqué par les tribunaux. Mais le mal est fait. Les médias ont parlé de Portland pendant des semaines. De chaos. De violence. D’anarchie. Exactement ce que Trump voulait.
Provoquer la violence pour justifier la répression
Un article d’In These Times explique la mécanique en détail : Trump veut de la violence. Il veut que les manifestants brûlent des voitures, lancent des pierres, attaquent la police. Il veut des images de chaos. Parce que ça lui donne l’excuse pour déployer l’armée, pour réprimer, pour étendre ses pouvoirs. C’est une stratégie classique des régimes autoritaires : envoyer des provocateurs pour infiltrer les mouvements, inciter à la violence, puis utiliser cette violence comme justification pour la répression. Trump l’a fait à Los Angeles avec les raids ICE — des opérations de petite échelle, historiquement moins importantes que sous Obama, mais mises en scène pour terroriser et provoquer. Puis il a déployé deux mille membres de la Garde nationale — sans le consentement de la ville ou de l’État — pour transformer une situation calme en occupation militaire. Pourquoi ? Parce qu’il a besoin de distraction. L’alliance entre Trump, Elon Musk et l’aile technocratique du GOP se fracture. Leur projet de loi sur les soins de santé est un désastre politique. Les scandales s’accumulent. Alors Trump crée une crise. Et pendant qu’on parle de Portland, on ne parle plus d’Epstein.
L'ennemi de l'intérieur : la rhétorique de la guerre civile

Transformer les opposants politiques en terroristes
Le 24 septembre 2025, Trump a signé un mémorandum de sécurité nationale établissant une « stratégie globale pour enquêter, perturber et démanteler » ce qu’il appelle le terrorisme domestique. Mais qui cible-t-il ? Pas les suprémacistes blancs. Pas les milices d’extrême droite. Non. Il cible « Antifa », qu’il a désigné comme « organisation terroriste domestique » — malgré le fait qu’Antifa n’est pas une organisation, mais un mouvement décentralisé sans structure, sans leadership, sans hiérarchie. Trump cible aussi les « individus riches » qui financent des « anarchistes et agitateurs professionnels » — une référence à peine voilée à George Soros et Reid Hoffman. Il cible les groupes de justice sociale, les organisations de défense des droits civiques, les cabinets d’avocats progressistes. Le Brennan Center for Justice rapporte que cet ordre vise à criminaliser l’opposition. Que Trump crée une conspiration gauchiste imaginaire pour justifier des punitions contre quiconque a des liens, même ténus, avec des discours que l’administration n’aime pas.
L’utilisation du langage militaire contre les Américains
Le 30 septembre, lors d’un discours devant des membres des forces armées, Trump a déclaré : « J’ai un moucheron sur mon épaule » — une référence aux démocrates qui prétendument « laissent entrer les illégaux ». Il l’a dit directement aux militaires. Il leur a dit que l’ennemi, c’est l’autre parti politique. Pas un pays étranger. Pas une menace extérieure. Non. Les démocrates. Les progressistes. Les militants pour les droits des immigrants. Ce sont eux, les ennemis. Trump a aussi déclaré qu’il utiliserait l’armée contre « l’ennemi de l’intérieur » — un terme chargé, utilisé historiquement par les dictateurs pour justifier la répression de leurs propres citoyens. Il a menacé de limoger les généraux qui ne lui plaisent pas. Il a promis d’écraser les « troubles civils » avec la force militaire. Le sénateur démocrate Chris Murphy a déclaré que les États-Unis vivent « l’un de leurs moments les plus dangereux », que Trump utilise le pouvoir présidentiel pour punir ses adversaires politiques. Mais les médias en parlent pendant quarante-huit heures. Puis passent à autre chose.
Le précédent historique et la pente glissante
Politico a publié un article comparant l’inculpation de Comey à une affaire qui a diminué les pouvoirs de la présidence : Thomas Jefferson qui a tenté de poursuivre un adversaire politique. Ça s’est retourné contre lui. Ça a établi des limites claires sur ce qu’un président peut faire. Mais Trump ne semble pas s’en soucier. Parce qu’il parie que cette fois, ce sera différent. Que la Cour suprême — avec sa majorité conservatrice de six contre trois, dont trois juges nommés par lui — statuera en sa faveur. Que la décision sur l’immunité présidentielle qu’elle a rendue en juillet 2025 lui donne une marge de manœuvre presque illimitée. The Globe and Mail rapporte que la liste des « ennemis politiques » de Trump s’élargit de manière alarmante. Qu’il trace une ligne stricte entre les « vrais Américains » et ceux qui, selon lui, cherchent à détruire la société américaine. Et chaque jour, cette ligne devient plus claire. Plus rigide. Plus dangereuse.
Project 2025 : le plan qu'il prétendait ne pas connaître

Deux tiers de ses ordres viennent du document de Heritage Foundation
Pendant la campagne présidentielle de 2024, Trump a répété à maintes reprises : « Je n’ai rien à voir avec Project 2025 ». Lors du débat contre Kamala Harris en septembre 2024, il a dit : « Je n’ai rien à voir avec Project 2025 ». Mais une analyse de CNN publiée le 31 janvier 2025 — après une semaine au pouvoir — a révélé que deux tiers de ses ordres exécutifs étaient directement alignés avec les plans de Project 2025. Ce document de neuf cent vingt-deux pages, publié par la Heritage Foundation en avril 2023, détaille une stratégie conservatrice pour « sauver le pays de l’emprise de la gauche radicale ». Il propose de placer toute la bureaucratie fédérale — y compris les agences indépendantes comme le Département de la Justice — sous le contrôle présidentiel direct. C’est la théorie de l’exécutif unitaire. Il propose d’éliminer les protections d’emploi pour des milliers de fonctionnaires fédéraux, qui seraient remplacés par des loyalistes politiques. Il appelle à des réformes radicales du FBI, qualifié d’« organisation enflée, arrogante et de plus en plus sans loi ». Il propose l’élimination complète du Département de l’Éducation.
Éliminer les protections des fonctionnaires pour installer des loyalistes
Peu après son investiture, Trump a révoqué les protections d’emploi des fonctionnaires de carrière et gelé les dépenses fédérales. Par l’intermédiaire d’Elon Musk et du « Département de l’efficacité gouvernementale » — qui n’est pas un département officiel, mais une équipe extérieure conseillant Trump avec une autorité large —, la Maison-Blanche a entrepris de couper des milliards de dépenses fédérales. Les détails et le statut juridique de ces coupes sont flous au mieux. Mais l’intention est claire : détruire le gouvernement fédéral tel qu’il existe. Remplacer les fonctionnaires de carrière — ceux qui connaissent les règles, qui respectent les normes, qui refusent les ordres illégaux — par des loyalistes qui obéissent sans questionner. C’est exactement ce que Project 2025 recommandait. Et c’est exactement ce que Trump fait. Il ne gouverne pas. Il reconstruit l’État à son image. Un État où le président contrôle tout. Où il n’y a plus de contre-pouvoirs. Où les agences fédérales sont des instruments de sa volonté personnelle.
Turning Point USA et l’écosystème conservateur mobilisé
Project 2025 n’est pas juste Heritage Foundation. C’est une coalition de dizaines d’organisations conservatrices — Moms for Liberty, Turning Point USA, et bien d’autres. Turning Point, fondée par feu Charlie Kirk, est devenue une machine de propagande pro-Trump sur les campus universitaires. Après l’assassinat de Kirk le 10 septembre 2025, sa veuve Erika a pris la direction de l’organisation et a immédiatement radicalisé son message. Maintenant, Turning Point organise un spectacle rival au Super Bowl pour contrer Bad Bunny — un artiste portoricain perçu comme trop progressiste, trop latino, trop « non-américain ». C’est le même écosystème. Les mêmes tactiques. Mobiliser la base conservatrice autour de la rage culturelle. Transformer chaque événement — même le Super Bowl — en bataille politique. Et pendant ce temps, Trump avance. Il met en œuvre Project 2025. Ligne par ligne. Page par page. Sans que personne ne semble capable de l’arrêter.
Conclusion

Un piège qui fonctionne parce qu’on y tombe
Trump a construit une machine parfaite. Il provoque. Ses adversaires réagissent. Et chaque réaction renforce son récit : lui contre le système, lui contre les élites, lui contre l’État profond. Les démocrates refusent de rouvrir le gouvernement tant qu’il n’y aura pas de négociations sur les soins de santé ? Il les accuse de fermer le gouvernement et de priver les militaires de leur salaire. Les médias enquêtent sur ses conflits d’intérêts ? Il crie à la chasse aux sorcières et mobilise sa base. Les procureurs le poursuivent pour des crimes réels ? Il se présente comme une victime persécutée et ses supporters le croient. Le piège est mortel parce qu’il n’y a pas d’issue. Si vous réagissez, vous tombez dedans. Si vous ne réagissez pas, il avance sans opposition. Les démocrates ont ajusté leur stratégie en essayant de ne pas réagir à chaque provocation. Mais ça signifie qu’ils laissent passer des actions illégales, inconstitutionnelles, autoritaires sans résistance visible. Et pendant ce temps, Trump normalise l’inacceptable.
L’érosion des normes démocratiques en temps réel
Ce qui se passe n’est pas un coup d’État violent. C’est une érosion. Lente. Méthodique. Calculée. Trump teste les limites chaque jour. Il ordonne au Département de la Justice de poursuivre ses adversaires politiques. Il invente des crises pour déployer l’armée dans les villes américaines. Il licencie des fonctionnaires fédéraux en masse. Il gèle des fonds exclusivement dans les États démocrates. Il diffuse de la propagande dans les aéroports. Il appelle les démocrates « l’ennemi de l’intérieur » devant les militaires. Chaque action repousse un peu plus la ligne. Chaque action normalise un peu plus l’autoritarisme. Et les garde-fous — les tribunaux, le Congrès, les médias, l’opinion publique — réagissent trop lentement. Les tribunaux mettent des mois à statuer. Le Congrès est paralysé. Les médias sont épuisés. Et l’opinion publique est fatiguée. On a dépassé le stade de l’indignation. On est maintenant dans la résignation.
Ce qu’il faut faire avant qu’il ne soit trop tard
Je ne prétends pas avoir toutes les réponses. Mais je sais qu’on ne peut pas continuer comme ça. On ne peut pas juste regarder Trump détruire les institutions démocratiques américaines en temps réel sans réagir. Les démocrates doivent arrêter de tomber dans ses pièges. Ils doivent arrêter de réagir à chaque provocation et commencer à construire un récit alternatif — pas basé sur l’indignation, mais sur une vision claire de ce que devrait être l’Amérique. Les médias doivent arrêter d’amplifier chaque tweet incendiaire et commencer à se concentrer sur les actions réelles, les conséquences réelles, les abus de pouvoir réels. Les tribunaux doivent accélérer leurs décisions et établir des limites claires sur ce qu’un président peut et ne peut pas faire. Et l’opinion publique — nous — devons arrêter de nous épuiser sur des batailles symboliques et nous concentrer sur les élections de mi-mandat de 2026. Parce que c’est la seule chose qui peut vraiment arrêter Trump : lui retirer le pouvoir. Tout le reste n’est que résistance temporaire.