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L’Amérique est entrée dans un territoire constitutionnel inexploré et profondément dangereux. Alors que le président Donald Trump intensifie ses déploiements de troupes de la Garde nationale dans des villes démocrates à travers le pays — Los Angeles, Washington DC, Memphis, Portland, et maintenant Chicago —, des experts juridiques et constitutionnels sonnent l’alarme sur une faille légale que l’administration exploite pour contourner des protections vieilles de 147 ans contre la militarisation de la police domestique. Cette faille, connue sous le nom de Titre 32 du Code américain, permet au président d’ordonner à des unités de la Garde nationale d’effectuer des missions qu’il définit tout en maintenant techniquement ces forces sous contrôle étatique — créant ce qu’Elizabeth Goitein du Brennan Center for Justice appelle un « statut hybride » qui échappe aux contraintes de la loi Posse Comitatus de 1878.

La loi Posse Comitatus a été adoptée précisément pour empêcher ce que nous observons maintenant : l’utilisation des forces armées américaines pour faire respecter les lois domestiques contre la volonté des autorités locales et étatiques. Mais Trump, avec l’aide de gouverneurs républicains complaisants comme Greg Abbott du Texas et Jeff Landry de Louisiane, a découvert comment déployer des milliers de soldats dans des villes américaines sans techniquement violer cette loi fondamentale. Le mécanisme ? Demander à des gouverneurs amis d’activer leurs gardes nationales sous Titre 32, puis les envoyer dans d’autres États pour « assister » les opérations fédérales d’immigration, le contrôle des foules lors de manifestations, et ce que Trump appelle le rétablissement de « l’ordre et de la loi ». Les documents militaires internes révélés lors de procès montrent que même les commandants de l’armée considèrent ces déploiements comme présentant un « risque extrêmement élevé » de blessures civiles, de « fratricide » (tirs amis), et de dommages durables à la réputation de l’institution militaire.

Le Titre 32 : une zone grise constitutionnelle

Le Titre 32 du Code américain n’était pas conçu pour ce que Trump en fait. Historiquement, cette section de la loi permettait à la Garde nationale d’effectuer des missions fédérales — comme la formation, les déploiements à l’étranger, ou l’assistance lors de catastrophes naturelles — tout en restant sous l’autorité nominale des gouverneurs d’État plutôt que d’être complètement fédéralisée sous Titre 10. Cette distinction était importante pour des raisons budgétaires et administratives, mais elle créait également une zone grise juridique que les présidents précédents avaient évitée d’exploiter pour des raisons éthiques et constitutionnelles.

Trump a testé cette approche pour la première fois en 2020, lorsqu’il a demandé aux gouverneurs de déployer des unités de la Garde nationale à Washington DC pour réprimer les manifestations de justice raciale suite au meurtre de George Floyd. Certains gouverneurs démocrates — notamment ceux de New York, Virginie et Delaware — ont refusé. Mais les gouverneurs républicains du Tennessee, de l’Utah et de Caroline du Sud ont envoyé des troupes, démontrant à Trump qu’il pouvait contourner l’opposition des États démocrates simplement en faisant appel à ses alliés républicains. Maintenant, en 2025, il a perfectionné cette tactique à une échelle beaucoup plus vaste et plus inquiétante. Des centaines de gardes nationaux du Texas patrouillent les rues de Chicago malgré l’opposition véhémente du gouverneur de l’Illinois J.B. Pritzker, qui qualifie ces déploiements d’« illégaux et inconstitutionnels ». Des troupes de Virginie-Occidentale et d’autres États rouges opèrent à Washington DC contre la volonté du conseil municipal élu démocratiquement de la capitale.

La menace de l’Insurrection Act

Mais Trump ne s’arrête pas là. Face aux décisions judiciaires qui commencent à bloquer certains de ses déploiements militaires — notamment celle du juge fédéral Charles Breyer en Californie qui a déclaré que les déploiements à Los Angeles violaient la loi Posse Comitatus —, le président a menacé à plusieurs reprises d’invoquer l’Insurrection Act de 1807. Cette loi ancienne, utilisée pour la dernière fois par le président George H.W. Bush lors des émeutes de Los Angeles en 1992, accorde au président le pouvoir de déployer les forces armées pour réprimer des insurrections ou des troubles civils. Son invocation permettrait à Trump de contourner complètement toutes les objections judiciaires, gouverneuriales ou municipales et de déployer l’armée américaine dans les villes américaines comme bon lui semble.

« Nous avons un Insurrection Act pour une raison », a déclaré Trump aux journalistes début octobre. « Si les tribunaux nous bloquent ou si les gouverneurs et les maires nous bloquent, je n’hésiterais pas à l’invoquer. » Cette déclaration a glacé le sang des experts constitutionnels. L’Insurrection Act n’a historiquement été utilisée que dans des situations d’urgence extrême — rébellions armées, émeutes massives dépassant les capacités locales, défense des droits civiques contre la résistance violente des États sécessionnistes. L’utiliser pour contourner des décisions judiciaires légitimes ou pour imposer la volonté présidentielle sur des villes simplement parce qu’elles sont gouvernées par des démocrates représenterait un abus de pouvoir sans précédent dans l’histoire moderne américaine.

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