Le 18 octobre 2025, une vague sans précédent a submergé les États-Unis — sept millions de voix se sont levées dans plus de 2700 rassemblements à travers le pays. Les républicains, tremblants, avaient promis le chaos, l’anarchie, des flammes et du sang. Ils avaient prédit des hordes d’antifas masqués, des terroristes du Hamas, des marxistes enragés. Le secrétaire au Trésor Scott Bessent avait même parlé de «manifestants complètement dérangés». Le président de la Chambre Mike Johnson avait baptisé ces événements de «rassemblements de haine de l’Amérique». Mais quand les rues de Washington, Chicago, New York et Austin se sont remplies, la réalité a frappé comme un coup de poing dans l’estomac de l’establishment conservateur — ce n’était pas une révolution marxiste, mais quelque chose de bien plus dangereux pour eux : des citoyens ordinaires, des enseignants retraités, des vétérans militaires, des fonctionnaires licenciés, et oui, même des républicains inquiets qui refusent l’autoritarisme.
Cette seconde vague de protestation «No Kings» surpasse en ampleur celle de juin qui avait déjà mobilisé cinq millions de personnes. Les organisateurs parlent désormais de près de 2% de toute la population américaine descendue dans les rues le même jour. Dans cet océan de manifestants vêtus de jaune — couleur symbolique des mouvements pro-démocratie à travers le monde — se trouvaient des profils que le Parti républicain ne peut plus ignorer ni diaboliser sans se mentir à lui-même. Ces gens ne brûlaient pas de drapeaux, ils les portaient fièrement. Ils ne réclamaient pas la destruction de l’Amérique, ils en exigeaient la préservation.
La panique républicaine face à un monstre qu’ils ont créé
Pendant des semaines, les leaders républicains ont saturé les médias avec leurs prophéties apocalyptiques. Le sénateur Roger Marshall du Kansas a qualifié les manifestations de «protestations payées par Soros avec des manifestants professionnels». Tom Emmer, le whip majoritaire de la Chambre, a même parlé de «l’aile terroriste» du Parti démocrate. Ces accusations sonnaient comme une musique familière pour ceux qui se souviennent de la rhétorique utilisée contre Black Lives Matter ou les manifestations anti-guerre. Mais cette fois, la stratégie s’est retournée contre eux avec une violence inattendue. Quand les 200 000 personnes estimées à Washington seulement se sont rassemblées — parmi les sept millions à travers le pays — l’atmosphère ressemblait davantage à un marché fermier dominical qu’à une insurrection.
Des familles entières déambulaient lentement, des enfants sur les épaules, des costumes gonflables géants inspirés de la grenouille de Portland flottant au-dessus de la foule comme des symboles absurdes et joyeux de résistance. Bill Nye, Mehdi Hasan, les sénateurs Bernie Sanders et Chris Murphy prenaient la parole devant des foules enthousiastes mais disciplinées. Aucune vitrine brisée. Aucun incendie. Aucune violence. Juste des citoyens exerçant leur droit constitutionnel à manifester pacifiquement — ce droit que les républicains prétendent défendre mais semblent redouter quand il est utilisé contre eux.
Quand les vétérans militaires deviennent «antifas»

Darla, 67 ans — presque 68, précise-t-elle avec fierté — est une vétérane militaire et une Philadelphienne de troisième génération. Quand on l’interroge sur les accusations d’antifascisme lancées par le GOP, elle ne recule pas d’un centimètre. Au contraire, elle embrasse l’étiquette avec une férocité tranquille. «C’est de l’antifascisme, effectivement», déclare-t-elle sans hésiter. «Ma mère a servi pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle était antifasciste. Elle s’est battue contre un gouvernement fasciste en Allemagne et en Italie. Alors oui, c’est de l’antifascisme. Arrêtez vos bêtises.» Pour Darla, le mouvement No Kings représente la défense des trois pouvoirs constitutionnels — judiciaire, législatif, exécutif — qui doivent s’équilibrer mutuellement. «En ce moment, il n’y a aucun équilibre», martèle-t-elle. «Une seule personne, entourée de ses petits sycophantes et de ses marionnettistes, prend des décisions sans contrepoids. La Maison-Blanche joue au roi.»
Les mots de Darla résonnent avec une clarté brutale à travers les témoignages recueillis lors de ces manifestations. Il ne s’agit pas d’un rejet partisan de Trump en tant que républicain, mais d’un refus viscéral de la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme. Quand une femme de 49 ans, déguisée en aigle chauve géant portant un costume d’Oncle Sam, affirme que «la chose la plus américaine qu’on puisse faire après voter, c’est manifester pacifiquement», elle capture l’essence même de ce qui terrifie les républicains. Ces manifestants ne rejettent pas l’Amérique — ils la réclament.
Les fonctionnaires licenciés : les visages oubliés de la purge DOGE
Chantel, une femme afro-américaine de la quarantaine, a travaillé 20 ans pour l’Air Force en tant que civile avant d’accepter un départ volontaire après avoir reçu l’email infâme «fork in the road» de DOGE — ce programme de réduction drastique du gouvernement fédéral mené par Elon Musk. Elle est venue à la manifestation avec sa mère Janet Winn, brandissant une pancarte qui proclame «Combattez la droite radicale». «Je ne pouvais pas manifester tant que j’étais employée du gouvernement», explique-t-elle, la voix chargée d’une émotion contenue. «Alors depuis le 1er octobre, je peux protester. C’est ma première fois. Je suis heureuse d’être ici.»
Le démantèlement des programmes de diversité, équité et inclusion (DEI) a joué un rôle central dans sa décision de partir. «Ils essaient d’éliminer et de démanteler tout ce pour quoi nous avons travaillé — l’équité dans les promotions, dans l’embauche», raconte-t-elle avec amertume. «Ils ont supprimé toutes les célébrations de l’histoire noire que nous organisions… C’était décevant après 20 ans avec eux, parce que l’armée était toujours, je pensais, l’organisation la moins biaisée. Nous avons fait marche arrière sur tous les progrès que nous avions accomplis.» À ses côtés se trouvaient des dizaines, des centaines d’autres anciens fonctionnaires fédéraux dans la même situation — licenciés, forcés à la retraite anticipée, ou ayant accepté des rachats pour éviter un environnement de travail devenu toxique.
Les enseignants et journalistes retraités refusent le silence
Lee, un résident de Fairfax en Virginie, a été licencié de son poste de contractant fédéral pour le Centre de contrôle et de prévention des maladies. «Ça a été rayé de la carte, aucune conversation, rien», déclare-t-il avec une stupéfaction encore palpable. Il était accompagné de sa femme Laura, enseignante dans le système scolaire public. Tous deux rejettent catégoriquement les accusations d’être des antifas ou d’être sur la liste de paie de George Soros. «Non, et je peux vous assurer que j’aurais bien besoin de l’argent. J’aimerais que quelqu’un me paie pour être ici!», répond Lee avec un rire amer. «Je suis ici de ma propre volonté, je crois à 100% en cela. Je refuse de céder face à cette folie qui s’abat sur nous.»
Chuck Epps, 76 ans, journaliste local et enseignant retraité de Richmond, apporte une perspective historique précieuse. Vétéran des manifestations anti-guerre du Vietnam dans les années 1960, il a connu les gaz lacrymogènes et la violence dans les rues. «Je ne suis pas partisan de la violence. Je ne l’ai jamais été», affirme-t-il avec gravité. «Quand ce genre de violence de rue se produit, je fuis. Je ne suis pas pour la violence d’aucune sorte.» Il estime que 99,999% des manifestants présents sont là par conviction profonde, pas par idéologie extrémiste. «Il y a clairement une frange d’extrême gauche qui commet des actes violents, comme je dirais qu’il y a une frange de droite plus prédominante qui commet beaucoup plus de violence et la prône. Mais ce n’est pas ce qu’est l’antifascisme. Ils essaient de diaboliser tous ceux qui s’opposent aux objectifs de cette administration. C’est du gaslighting.»
La présence républicaine discrète mais réelle
Ce qui échappe à la plupart des analyses médiatiques — et ce que les dirigeants républicains espèrent désespérément cacher — c’est la présence d’électeurs conservateurs et de républicains modérés au sein de ces manifestations. Si les organisateurs principaux proviennent d’une coalition de plus de 200 organisations progressistes incluant l’ACLU, Planned Parenthood, les syndicats d’enseignants et MoveOn, les foules elles-mêmes dépassent largement ces affiliations partisanes. Des témoignages recueillis à Philadelphie, Boston et Denver révèlent des participants qui ont voté républicain pendant des décennies mais qui voient dans l’administration Trump une dérive autoritaire inacceptable.
Ces républicains dissidents — souvent des professionnels, des chefs d’entreprise, des militaires retraités — ne portent pas de pancartes proclamant leur allégeance au GOP. Ils se fondent dans la masse, discrets mais déterminés. Leur présence n’est pas organisée, elle est spontanée et viscérale. Un homme d’affaires de 62 ans interrogé à Chicago, qui refuse de donner son nom, confie : «J’ai voté républicain toute ma vie. Mais ça? Ce n’est pas le républicanisme que je connais. C’est autre chose, quelque chose de dangereux.» Ces voix restent marginales dans la couverture médiatique, éclipsées par la majorité démocrate et progressiste, mais leur existence même constitue un avertissement pour le Parti républicain.
La Garde nationale et la militarisation de la dissidence
Dans un geste révélateur de la nervosité républicaine, plusieurs gouverneurs GOP ont activé la Garde nationale avant les manifestations. Le gouverneur du Texas Greg Abbott a ordonné le déploiement de troupes à Austin, qualifiant l’événement de «manifestation liée à Antifa». Le sénateur du Kansas Roger Marshall a déclaré avant les événements : «Nous devrons déployer la Garde nationale. J’espère que ça restera pacifique, mais j’en doute.» En Virginie, le gouverneur a également mis les troupes en état d’alerte, une décision que les leaders démocrates ont immédiatement dénoncée.
Gene Wu, le principal démocrate de l’État du Texas, a riposté avec une déclaration cinglante : «Déployer des forces armées pour étouffer des protestations pacifiques est une action typique des rois et des dictateurs — et Greg Abbott vient de démontrer qu’il en est un.» L’ironie n’a échappé à personne : un mouvement appelé «No Kings» — pas de rois — était accueilli par une réponse digne d’un régime autoritaire. Les manifestants, loin d’être intimidés, ont transformé cette militarisation en symbole supplémentaire de la dérive qu’ils dénoncent. À Austin, des centaines de personnes ont défilé pacifiquement devant des soldats en uniforme, certains tenant des pancartes proclamant «Nous sommes vos voisins, pas vos ennemis».
Le profil sociologique des manifestants brise tous les clichés

Des familles entières mobilisées contre l’autoritarisme
L’image d’une mère tenant son enfant de cinq ans sur ses épaules, celui-ci brandissant une pancarte dessinée à la main proclamant «Pas de rois dans mon futur», a fait le tour des réseaux sociaux. Ces scènes familiales, répétées des milliers de fois à travers le pays, contredisent frontalement la narration républicaine. Les organisateurs ont insisté sur le caractère familial et non-violent des rassemblements, organisant même des formations virtuelles à la sécurité en partenariat avec l’ACLU. À Denver, des zones dédiées aux enfants proposaient des activités éducatives sur l’histoire démocratique américaine. À San Francisco, des food trucks servaient des repas gratuits aux familles manifestantes.
Cette atmosphère de «fête de rue» — comme l’ont décrite plusieurs médias internationaux — détonnait radicalement avec les avertissements apocalyptiques du GOP. À Washington, l’événement ressemblait davantage à un festival de musique qu’à une insurrection. Des groupes jouaient du bluegrass, du folk et du rock. Des artistes peignaient des portraits en direct. Des libraires distribuaient des copies gratuites de la Constitution américaine. L’un des moments les plus surréalistes : un groupe de manifestants déguisés en pères fondateurs — Washington, Jefferson, Franklin — défilant avec une bannière géante citant la Déclaration d’indépendance : «Les gouvernements tirent leurs justes pouvoirs du consentement des gouvernés.»
Les travailleurs syndiqués font leur retour politique
La présence massive de syndicats — American Federation of Teachers, Communications Workers of America, American Federation of Government Employees — a marqué un tournant dans la mobilisation anti-Trump. Ces organisations, qui représentent des millions de travailleurs à travers le pays, ont fourni une infrastructure logistique cruciale. Des bus affrétés ont transporté des milliers de membres depuis des États ruraux vers les grandes villes. À Chicago, le rassemblement près du US Bank Stadium a réuni une coalition inhabituelle d’enseignants, de travailleurs municipaux, d’infirmières et d’ouvriers de l’automobile.
Cette convergence ouvrière-progressiste rappelle les grandes mobilisations des années 1930 et 1960, mais avec une différence majeure : l’intégration numérique. Les organisateurs ont utilisé des applications de coordination en temps réel, permettant aux manifestants de se déplacer rapidement en réponse aux blocages policiers ou aux contre-manifestations. À plusieurs endroits, des drones filmaient les foules depuis le ciel, fournissant des estimations précises qui contredisaient les chiffres minimisés diffusés par les médias pro-Trump. Selon le Crowd Counting Consortium de l’université Harvard, les manifestations d’octobre ont potentiellement surpassé la Women’s March de 2017, établissant un nouveau record historique.
La jeunesse estudiantine entre pragmatisme et radicalité
Les campus universitaires ont vidé leurs dortoirs pour les rues. Des milliers d’étudiants, organisés via TikTok et Instagram, ont participé aux manifestations avec une énergie brute et impatiente. Mais contrairement aux clichés de la jeunesse radicale, beaucoup de ces étudiants affichaient un pragmatisme surprenant. À Boston, des étudiants du MIT et de Harvard distribuaient des pamphlets expliquant les mécanismes constitutionnels de checks and balances. À Berkeley, un groupe d’étudiants en droit avait monté un stand offrant des consultations juridiques gratuites sur les droits des manifestants.
Cependant, une frange plus radicale était également visible. Youth Demand D.C. et des sections locales des Democratic Socialists of America (DSA) ont organisé des die-ins pour attirer l’attention sur le génocide à Gaza et d’autres causes internationales. Sam Nelson, 33 ans, membre du DSA depuis dix ans, explique la stratégie : «Être simplement dans une marche ne suffit pas, et c’est pourquoi il est très important que nous, en tant que DSA, nous présentions comme organisation.» Il reconnaît recevoir des «regards étranges» de certains manifestants plus modérés, mais y voit une opportunité de construction de ponts plutôt qu’un moment de test de pureté idéologique.
Les minorités raciales refusent la marche arrière sur les droits civils
Pour de nombreux manifestants afro-américains, latinos et asiatiques, les manifestations No Kings représentent bien plus qu’une opposition à un président. Elles incarnent un refus catégorique de voir les acquis des droits civils démantelés. Le témoignage de Chantel, l’ancienne employée de l’Air Force, résonne avec des milliers d’autres histoires similaires. Les compressions budgétaires, le démantèlement des programmes DEI, la suppression des commémorations de l’histoire noire — tout cela constitue une offensive coordonnée qui ramène le pays des décennies en arrière.
À Atlanta, berceau du mouvement des droits civiques, les manifestants ont marché sur les mêmes routes empruntées par Martin Luther King Jr. dans les années 1960. Des leaders communautaires noirs ont établi des parallèles explicites entre la résistance actuelle et les luttes historiques. «Nous avons déjà vu ce film», déclare une pasteure de 54 ans depuis les marches du capitole de Géorgie. «Ils essaient de nous faire croire que nous sommes fous, que nous exagérons, que tout va bien. Mais nos grands-parents ont entendu les mêmes mensonges. Et ils se sont battus. Alors nous aussi, on se bat.» Cette mémoire collective de la résistance offre une résilience que les républicains semblent incapables de comprendre ou de briser.
La stratégie républicaine du mensonge systématique

«Hate America rallies» : quand le langage trahit la panique
L’expression «Hate America rallies» — rassemblements de haine de l’Amérique — utilisée par Mike Johnson et d’autres leaders républicains, révèle une stratégie de délégitimation aussi grossière qu’inefficace. En qualifiant systématiquement tout opposant de traître, d’anti-américain ou de terroriste, le GOP espère fracturer la coalition protestataire et effrayer les modérés. Mais cette tactique s’est retournée de manière spectaculaire. Des milliers de manifestants ont répondu en arborant des drapeaux américains, en chantant l’hymne national et en citant la Constitution — retournant les symboles patriotiques contre ceux qui prétendent en avoir le monopole.
Le secrétaire au Trésor Scott Bessent a tenté une autre approche, liant les manifestations au shutdown gouvernemental en cours. «Ce rassemblement dingue No Kings ce week-end, qui va être le plus à gauche, le plus hardcore, le plus dérangé du Parti démocrate», a-t-il déclaré, suggérant que les démocrates attendaient délibérément les manifestations avant de négocier. Cette rhétorique, transparente dans sa manipulation, a été immédiatement décodée par les commentateurs politiques. Le shutdown, entré dans sa troisième semaine, affecte des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux — dont beaucoup marchaient justement dans les rues. Accuser les manifestants de prolonger leur propre souffrance relève d’une gymnastique mentale que même les partisans de Trump ont eu du mal à suivre.
L’épouvantail Antifa et la mythologie pro-Hamas
Mike Johnson n’a pas hésité à jouer la carte du terrorisme : «Je parie que vous verrez des supporters pro-Hamas. Je parie que vous verrez des types antifa. Je parie que vous verrez des marxistes en pleine démonstration.» Cette énumération, répétée ad nauseam par d’autres républicains, visait à créer une association mentale entre protestation légitime et terrorisme. Le problème? Johnson n’a fourni aucune preuve pour étayer ces affirmations. Les organisateurs ont explicitement déclaré ne pas pouvoir contrôler qui se présente aux manifestations, mais ont insisté sur le maintien d’un caractère respectueux et non-violent.
Cette invocation d’Antifa — ce groupe largement décentralisé et informel que les républicains traitent comme une organisation terroriste structurée — est devenue un réflexe pavlovien. Tom Emmer a poussé encore plus loin en parlant de «l’aile terroriste» du Parti démocrate. Ces accusations, aussi absurdes soient-elles, ont des conséquences réelles. Elles justifient la militarisation, elles alimentent la violence de la part de contre-manifestants d’extrême droite, et elles normalisent un discours où dissidence équivaut à trahison. C’est précisément ce glissement sémantique que les manifestants No Kings dénoncent comme un marqueur de fascisme naissant.
Trump entre déni et contre-attaque obscène
Le président Trump lui-même a adopté une posture étrange face aux manifestations. Dans une interview avec Fox Business diffusée le vendredi précédant les rassemblements, il a déclaré : «Ils me qualifient de roi. Je ne suis pas un roi.» Cette dénégation, aussi faible soit-elle, contrastait avec son comportement habituel de contre-attaque agressive. Mais Trump étant Trump, il n’a pas pu résister longtemps. Le samedi, alors que des millions de personnes défilaient, il a posté sur Truth Social une vidéo AI obscène se moquant des manifestants, les représentant comme des personnages grotesques et délirants.
Cette réponse juvénile — trolling numérique plutôt que réponse politique — illustre le malaise de l’administration face à une mobilisation d’une telle ampleur. Trump excelle dans la confrontation directe, dans l’insulte personnalisée, dans la transformation d’adversaires en cibles. Mais comment insulter sept millions de personnes? Comment diaboliser 2% de la population américaine sans admettre implicitement l’échec de votre propre leadership? Cette impuissance présidentielle face à la protestation de masse révèle une fissure dans l’armure de l’homme qui se présente comme un leader fort.
Les gouverneurs républicains activent la répression préventive
Au niveau des États, la réponse républicaine a été plus cohérente et plus inquiétante. Greg Abbott au Texas, Glenn Youngkin en Virginie et plusieurs autres gouverneurs GOP ont activé la Garde nationale en prévision des manifestations. Abbott a été particulièrement explicite dans sa rhétorique : «Le Texas ne tolérera pas le chaos. Quiconque détruit des propriétés ou commet des actes de violence sera rapidement arrêté. La loi et l’ordre seront appliqués.» Cette déclaration préventive, avant même qu’aucun incident ne se produise, établit un cadre répressif qui anticipe la violence plutôt que de la prévenir.
L’activation de troupes militaires pour des manifestations pacifiques constitue une escalade sans précédent dans l’histoire récente américaine. Les manifestants de juin n’avaient provoqué aucun incident majeur de violence, rendant cette militarisation d’octobre d’autant plus inexplicable — sauf si on l’interprète comme une tentative d’intimidation. Des analystes juridiques ont soulevé des questions sur la constitutionnalité de ces déploiements, arguant qu’ils violent le Posse Comitatus Act qui limite l’usage des forces armées dans l’application de la loi domestique. Mais dans le climat politique actuel, ces considérations légales semblent de plus en plus théoriques.
La composition réelle du mouvement No Kings

Plus de 200 organisations dans une coalition sans précédent
La structure organisationnelle derrière No Kings représente une coalition massive de plus de 200 organisations englobant des syndicats, des groupes de droits civiques, des organisations environnementales et des mouvements progressistes. Indivisible et 50501 forment le noyau organisateur, mais la liste comprend également l’ACLU, l’American Federation of Teachers, le Human Rights Campaign, Planned Parenthood, l’Autistic Self Advocacy Network, la League of Conservation Voters, MoveOn, Public Citizen, United We Dream et le Working Families Power. Cette diversité organisationnelle reflète l’ampleur des préoccupations — ce n’est pas un mouvement à thème unique, mais une convergence de multiples fronts de résistance.
Ezra Levin, co-fondateur d’Indivisible, a capturé l’esprit du mouvement : «Il n’y a pas de plus grande menace pour un régime autoritaire que le pouvoir patriotique du peuple.» Cette formulation — «patriotique» — n’est pas accidentelle. Elle répond directement aux accusations républicaines en réclamant le patriotisme comme arme de résistance plutôt que de soumission. Les organisateurs ont insisté sur le caractère pacifique et légal des rassemblements, organisant des formations virtuelles à la sécurité avec l’aide de l’ACLU. Cette préparation méticuleuse visait précisément à désamorcer les prédictions républicaines de chaos.
Les démocrates institutionnels entre soutien et distance prudente
L’attitude du Parti démocrate officiel face aux manifestations No Kings révèle les tensions internes de l’opposition à Trump. D’un côté, des figures comme Hillary Clinton et Kamala Harris ont publiquement soutenu les manifestations, leur conférant une légitimité institutionnelle. Des sénateurs comme Bernie Sanders et Chris Murphy ont participé physiquement aux rassemblements, prenant la parole devant des foules enthousiastes. Mais d’autres démocrates modérés, particulièrement ceux représentant des districts compétitifs, ont adopté une distance prudente, craignant d’être associés aux éléments les plus radicaux du mouvement.
Cette ambivalence démocrate frustre de nombreux organisateurs qui voient dans l’hésitation du parti un manque de courage face à une menace existentielle. «Les démocrates veulent que nous fassions le travail difficile dans les rues pendant qu’ils restent propres pour les élections de mi-mandat», confie un organisateur sous couvert d’anonymat. Le sénateur républicain John Thune a exploité cette tension, déclarant : «La vérité, c’est que ce que les démocrates veulent vraiment, c’est quelque chose que les républicains ne peuvent pas leur donner. Et c’est l’approbation de leur base d’extrême gauche.» Cette accusation, bien que partisane, touche un nerf sensible dans la politique démocrate actuelle.
Les républicains silencieux : combien sont-ils vraiment?
La question la plus brûlante — et la plus difficile à quantifier — concerne la présence effective de républicains et de conservateurs dans les manifestations No Kings. Les organisateurs n’ont pas de données précises sur l’affiliation partisane des participants, et pour cause : personne ne distribue de questionnaires d’enregistrement des électeurs dans une manifestation de masse. Mais les témoignages anecdotiques, les interviews sur le terrain et les observations de journalistes suggèrent une présence minoritaire mais significative de personnes qui se définissent comme conservatrices ou qui ont historiquement voté républicain.
Ces républicains dissidents ne forment pas un bloc organisé. Ils ne brandissent pas de pancartes proclamant «Républicains contre Trump». Au contraire, ils se fondent dans la foule, leurs motivations étant constitutionnelles plutôt que partisanes. Un professeur de sciences politiques interrogé à Denver estime que «peut-être 5 à 10% des manifestants pourraient être des électeurs républicains désillusionnés ou des indépendants conservateurs». Si ce chiffre est exact, cela représenterait entre 350 000 et 700 000 personnes sur les sept millions de manifestants totaux — un nombre non négligeable et potentiellement décisif pour les élections futures.
Les vétérans militaires : une fracture générationnelle et idéologique
Parmi les sous-groupes les plus intéressants figurent les vétérans militaires comme Darla. Traditionnellement, les anciens combattants votent massivement républicain, attirés par la rhétorique de «loi et ordre» et le nationalisme du parti. Mais Trump a aliéné une partie significative de cette population à travers ses commentaires méprisants sur les prisonniers de guerre, ses conflits avec des familles de militaires tombés au combat, et son utilisation de l’armée à des fins politiques domestiques. Des organisations de vétérans comme Common Defense — qui fait partie de la coalition No Kings — ont canalisé cette frustration en mobilisant spécifiquement les anciens combattants contre ce qu’ils perçoivent comme une trahison des valeurs militaires.
Cette fracture se manifeste particulièrement chez les vétérans plus âgés qui ont servi pendant la Guerre froide ou la Seconde Guerre mondiale. Pour eux, la rhétorique pro-Russie de Trump et sa tolérance envers les régimes autoritaires constituent une violation sacrilège de tout ce pour quoi ils ont combattu. «J’ai passé 30 ans à défendre ce pays contre le communisme soviétique», déclare un vétéran de 72 ans à Washington. «Et maintenant je dois regarder un président américain faire ami-ami avec Poutine? C’est inacceptable.» Cette génération de vétérans, même lorsqu’elle vote traditionnellement républicain, possède des lignes rouges que Trump a franchies.
Les implications pour l'avenir politique américain

Un mouvement qui s’auto-organise sans leadership centralisé
L’une des caractéristiques les plus remarquables du mouvement No Kings est sa structure décentralisée. Contrairement aux manifestations du passé organisées autour d’une marche centrale à Washington, les rassemblements d’octobre se sont dispersés à travers 2700 localités, des métropoles aux petites villes rurales. Cette distribution géographique rend le mouvement pratiquement impossible à décapiter ou à supprimer. Il n’y a pas de leader unique à arrêter, pas de quartier général à fermer, pas de canal de communication unique à censurer.
Cette structure rappelle les mouvements de protestation modernes comme les Gilets jaunes en France, Occupy Wall Street, ou les manifestations de Hong Kong — tous caractérisés par une organisation horizontale facilitée par les réseaux sociaux et les applications de messagerie cryptée. Les organisateurs principaux fournissent des ressources, des formations et une coordination lâche, mais chaque localité adapte ses manifestations à ses propres préoccupations et son propre contexte. À Austin, l’accent était mis sur l’immigration; à New York, sur la réduction des budgets de la santé; à Seattle, sur les politiques environnementales. Cette flexibilité locale au sein d’un cadre national unifié crée une résilience systémique que les républicains ne savent pas comment combattre.
La symbolique du jaune et la connexion aux mouvements démocratiques mondiaux
Le choix du jaune comme couleur symbolique du mouvement No Kings n’est pas anodin. Cette couleur a été adoptée en référence explicite aux mouvements pro-démocratie à travers le monde — les manifestations Euromaïdan en Ukraine en 2014, le mouvement des parapluies à Hong Kong en 2019, et même les mouvements anti-corruption en Corée du Sud. En adoptant cette couleur, les organisateurs signalent leur inscription dans une lutte globale contre l’autoritarisme, transcendant les frontières nationales et les particularités locales.
Cette internationalisation du mouvement se manifeste également dans les manifestations de solidarité organisées par Americans Abroad dans des villes européennes comme Londres, Berlin, Paris et Madrid. Des centaines d’Américains expatriés, souvent accompagnés de citoyens locaux solidaires, ont manifesté devant les ambassades américaines. Cette dimension transnationale complique la narration républicaine qui tente de présenter les manifestants comme anti-américains. Comment qualifier d’anti-américain un mouvement qui attire la sympathie et le soutien de démocrates à travers le monde entier? Cette contradiction expose la faiblesse intellectuelle de la propagande républicaine.
Les conséquences électorales potentielles pour 2026 et 2028
Les analystes politiques scrutent les manifestations No Kings pour y déceler des indices sur les prochaines élections de mi-mandat en 2026 et la présidentielle de 2028. Sept millions de manifestants représentent une base électorale mobilisée d’une ampleur rare. Si même une fraction de ces personnes transforme leur énergie protestataire en participation électorale — inscription des électeurs, bénévolat pour les campagnes, donations financières — l’impact pourrait être dévastateur pour les républicains, particulièrement dans les États pivots.
Cependant, l’histoire des mouvements protestataires américains est parsemée d’exemples de mobilisations massives qui n’ont pas réussi à se traduire en victoires électorales. Les manifestations contre la guerre en Irak en 2003 n’ont pas empêché la réélection de Bush en 2004. Les manifestations de Black Lives Matter en 2020 ont coïncidé avec la défaite de Trump, mais la relation causale reste débattue. Le défi pour les organisateurs de No Kings sera de maintenir cette énergie sur les 12 à 36 mois à venir, de la transformer en infrastructure politique durable plutôt qu’en simple explosion de colère cathar tique.
Le risque d’escalade violente et d’invocation de l’Insurrection Act
La menace la plus sombre plane au-dessus de ces manifestations : et si les républicains décidaient de réprimer violemment les prochaines itérations du mouvement? Trump a déjà exprimé publiquement son désir d’utiliser la force contre les manifestants de Black Lives Matter en 2020, retenu alors par des conseillers modérés qui ne sont plus à ses côtés. L’Insurrection Act de 1807 lui donne théoriquement le pouvoir de déployer l’armée fédérale pour «réprimer les rébellions», un pouvoir aux contours juridiques flous et à l’histoire troublante.
Certains stratèges républicains ont ouvertement discuté de l’invocation de cette loi, suggérant que les manifestations fournissent la justification nécessaire. Cette logique perverse — provoquer la protestation puis l’utiliser comme prétexte à la répression — rappelle les tactiques employées par des régimes autoritaires du Chili de Pinochet à la Biélorussie de Loukachenko. Si Trump franchit cette ligne, les États-Unis entreraient en territoire véritablement inconnu. La possibilité d’une confrontation armée entre l’armée fédérale et des citoyens manifestant pacifiquement constituerait une rupture constitutionnelle dont le pays pourrait ne jamais se remettre complètement.
Conclusion

Les manifestations No Kings du 18 octobre 2025 ont pulvérisé les mythes républicains et exposé la fragilité de leur emprise narrative. Ce n’étaient pas des terroristes, des agitateurs payés ou des extrémistes marxistes qui ont rempli les rues de 2700 localités américaines — c’étaient des citoyens ordinaires défendant des principes constitutionnels. Parmi eux se trouvaient des démocrates convaincus, des progressistes engagés, mais aussi des républicains discrets, des indépendants inquiets, des vétérans militaires et des fonctionnaires licenciés qui refusent de voir leur pays glisser vers l’autoritarisme sans résister.
La question de savoir combien de républicains participent activement au mouvement reste difficile à quantifier précisément. Les estimations varient entre 5 et 10% des manifestants totaux, ce qui représenterait entre 350 000 et 700 000 personnes — un nombre suffisant pour influencer les élections futures dans les États pivots. Mais plus important que les chiffres est la diversité sociologique du mouvement qui transcende les clivages partisans traditionnels. Quand des vétérans militaires, des enseignants retraités et des mères de famille deviennent «antifas» dans la rhétorique républicaine, c’est le signe que cette rhétorique a perdu tout contact avec la réalité.
Les républicains devraient effectivement avoir peur — non pas des manifestants eux-mêmes, mais de ce qu’ils représentent. Sept millions de personnes dans les rues ne sont pas une anomalie statistique, c’est un avertissement existentiel. Soit le Parti républicain recalibrera sa trajectoire et retrouvera un semblant de principes constitutionnels, soit il continuera sa descente autoritaire et découvrira que la démocratie américaine, aussi abîmée soit-elle, possède encore des anticorps capables de rejeter la tyrannie. L’avenir du pays se joue dans cette tension entre la normalisation de l’autoritarisme et la résistance obstinée de citoyens qui refusent d’accepter qu’un homme puisse se comporter en roi. Pas ici. Pas maintenant. Pas sans combattre.