La mer des Caraïbes n’a jamais semblé aussi périlleuse. Depuis la mi-septembre 2025, les eaux tropicales qui bordent la Colombie sont devenues le théâtre d’une confrontation militaire et diplomatique d’une violence inouïe entre Washington et Bogota. Donald Trump, de retour à la Maison-Blanche depuis janvier 2025, a déclenché une campagne de frappes aériennes et navales sans précédent dans cette région, prétendument pour combattre les narcotrafiquants. Mais voilà : les balles et les missiles ne distinguent pas toujours les coupables des innocents. Le président colombien Gustavo Petro accuse désormais les États-Unis d’avoir assassiné un simple pêcheur, Alejandro Carranza, et d’avoir violé la souveraineté colombienne dans ses propres eaux territoriales. Ce week-end d’octobre, la tension a explosé. Trump a suspendu toute aide financière à la Colombie — plus de 740 millions de dollars annuels —, promis de nouveaux tarifs douaniers punitifs, et qualifié Petro de « baron de la drogue illégal » qui encourage la production massive de stupéfiants. En retour, Bogota a rappelé son ambassadeur à Washington et dénoncé une « menace d’invasion » américaine. Les mots sont devenus des armes, les accusations volent dans tous les sens, et l’alliance historique entre ces deux pays semble avoir volé en éclats.
Des frappes meurtrières qui changent tout
Depuis août 2025, l’armée américaine a déployé sept navires de guerre et des avions de combat furtifs dans la mer des Caraïbes. Officiellement, il s’agit de lutter contre le trafic de drogue qui alimente les États-Unis. Mais dans les faits, cette campagne militaire ressemble davantage à une opération de guerre non déclarée qu’à une simple mission de lutte antidrogue. Entre début septembre et mi-octobre, au moins sept frappes ont été menées contre des embarcations suspectes. Le bilan humain est lourd : au moins 32 personnes tuées, selon les chiffres officiels de l’administration Trump. Mais aucune preuve publique n’a été fournie pour justifier ces attaques. Aucun détail sur l’identité des victimes. Aucune transparence sur les circonstances exactes de chaque frappe. Les familles en Colombie et à Trinidad-et-Tobago ont commencé à dénoncer la mort de proches dans ces opérations, affirmant que certaines victimes étaient de simples pêcheurs ou des migrants, pas des narcotrafiquants armés. Le Pentagone affirme avoir visé des navires affiliés à l’Armée de libération nationale (ELN), une guérilla colombienne de gauche accusée de participer au trafic de drogue. Mais les témoignages recueillis sur le terrain racontent une toute autre histoire.
Alejandro Carranza, pêcheur ou narco ?
Le nom d’Alejandro Carranza est devenu le symbole de cette tragédie. Selon le président Petro, cet homme était un pêcheur de longue date, originaire de Santa Marta, une ville côtière du nord de la Colombie. Le 15 septembre 2025, son bateau était en panne au large, dérivant dans les eaux caribéennes. Il avait activé un signal de détresse parce que son moteur ne fonctionnait plus. Au lieu de recevoir de l’aide, il a été bombardé par l’armée américaine. Audenis Manjarres, un parent de la victime, a identifié le bateau d’Alejandro dans des vidéos publiées par des médias internationaux. « Ce n’est pas juste qu’ils l’aient bombardé de la sorte. C’est une personne innocente qui est sortie pour chercher son pain quotidien », a-t-il déclaré à la télévision publique colombienne RTVC Noticias. La dernière communication avec le pêcheur avait eu lieu la veille de l’attaque, à 5 heures du matin, heure locale. Ensuite, plus rien. Lorsqu’on a demandé à Donald Trump s’il avait la preuve qu’il s’agissait d’un « narco-bateau », il a répondu : « Nous avons des preuves. Tout ce que vous avez à faire, c’est de regarder la cargaison qui était éparpillée dans tout l’océan : de gros sacs de cocaïne et de fentanyl partout. » Mais ces preuves n’ont jamais été rendues publiques. Et les familles des victimes attendent toujours des réponses.
Un déploiement militaire qui interroge
Le déploiement militaire américain dans les Caraïbes a commencé en août 2025, sous l’impulsion de Donald Trump qui a fait de la lutte contre les cartels de drogue une priorité absolue de son second mandat. Sept navires de guerre américains patrouillent désormais dans cette région, accompagnés d’avions de combat furtifs capables de frapper rapidement des cibles en mer. Le ministre de la Défense Pete Hegseth a révélé dimanche 19 octobre la dernière opération en date : la destruction d’un bateau affilié à l’ELN, tuant trois passagers. Selon lui, l’embarcation transportait des quantités importantes de stupéfiants. Il a partagé une courte vidéo montrant un bateau englouti par les flammes après une explosion, survenue vendredi 18 octobre. Mais là encore, aucune preuve indépendante n’a été fournie. Des experts juridiques internationaux s’interrogent sur la légalité de ces opérations. Frapper des bateaux en eaux internationales ou dans les eaux territoriales d’un pays souverain sans autorisation explicite pourrait constituer une violation du droit international. Washington n’a pas demandé l’autorisation formelle de la Colombie pour mener ces frappes, ce qui alimente les accusations de Petro concernant une violation de la souveraineté colombienne.
Trump traite Petro de « baron de la drogue »
Samedi 18 octobre, après que Gustavo Petro ait publiquement accusé les États-Unis d’avoir « commis un assassinat » en tuant Alejandro Carranza, Donald Trump a explosé. Sur son réseau social Truth Social, il a qualifié le président colombien de « dirigeant illégal de la drogue » qui encourage fortement la production massive de stupéfiants dans son pays. « Petro, un dirigeant peu apprécié et très impopulaire… ferait mieux de fermer ces champs de la mort immédiatement, sinon les États-Unis les fermeront pour lui et cela ne se fera pas gentiment », a écrit Trump. Dimanche 19 octobre, à bord d’Air Force One, le président américain a doublé la mise. Il a critiqué la Colombie pour son manque de « lutte sérieuse contre les drogues », décrivant le pays comme une « machine de fabrication de drogue » dirigée par un « fou ». Il a annoncé qu’il dévoilerait de nouveaux tarifs douaniers dès le lundi suivant. Ces mots ont choqué en Colombie, où même les opposants politiques de Petro ont jugé les accusations de Trump excessives et insultantes. La Colombie reste l’un des plus gros producteurs de cocaïne au monde, c’est vrai. Mais le gouvernement de Petro a tenté d’adopter une approche différente de la lutte antidrogue, privilégiant les mesures sociales et économiques plutôt que la répression militaire pure et dure, une stratégie qui n’a pas donné les résultats espérés.
Bogota suspend le traité de libre-échange
En réponse aux menaces de Trump, Gustavo Petro a proclamé lundi 20 octobre que l’accord de libre-échange entre la Colombie et les États-Unis, signé en 2010, était désormais « de facto suspendu ». Il a attribué cette suspension à l’action unilatérale de Trump consistant à imposer des tarifs douaniers de 10 % sur les produits colombiens plus tôt dans l’année. Cet accord commercial était un pilier des relations économiques entre les deux pays depuis plus de quinze ans. Les États-Unis sont le principal partenaire commercial de la Colombie, représentant 30 % de ses exportations. Le pétrole, le café, les fleurs, l’or, les fruits et les produits manufacturés colombiens dépendent massivement de la demande américaine. Si de nouveaux tarifs sont imposés, les conséquences pour l’économie colombienne seront dévastatrices. Ángel Duarte, un chauffeur de taxi de Bogota, a exprimé son inquiétude : « C’est injuste que les innocents subissent les conséquences. Si Trump impose des tarifs plus élevés, d’innombrables emplois vont disparaître, et de nombreuses entreprises vont faire faillite. » Selon l’Association nationale du commerce extérieur de Colombie, les répercussions sur le commerce pourraient être catastrophiques.
La fin de l’aide américaine
Dimanche soir, Donald Trump a annoncé la suspension immédiate de toute aide financière américaine à la Colombie. Il n’a pas précisé quelles aides seraient coupées, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023 — dernière année dont les données complètes sont disponibles —, les États-Unis ont versé plus de 740 millions de dollars à la Colombie, le montant le plus élevé pour un pays d’Amérique du Sud. La moitié de cette somme est consacrée à la lutte contre la drogue. Le reste finance des programmes humanitaires, alimentaires et de développement. Ces fonds ont permis de soutenir des projets de substitution de cultures de coca, d’aide aux victimes du conflit armé interne colombien, et de renforcement des institutions judiciaires et policières. Couper ces aides signifierait abandonner des milliers de Colombiens qui dépendent de ces programmes pour survivre. Cela signifierait aussi affaiblir les capacités de l’État colombien à lutter contre les groupes armés et les cartels. Mais pour Trump, ces considérations ne pèsent pas lourd face à ce qu’il perçoit comme une trahison de Petro. Le président américain estime que la Colombie ne fait pas assez pour arrêter la production de drogue, et qu’elle ne mérite donc plus le soutien financier de Washington.
Les racines du conflit

Une alliance historique en lambeaux
Les relations entre la Colombie et les États-Unis ont longtemps été considérées comme l’une des alliances les plus solides en Amérique latine. Depuis les années 2000, Washington a investi des milliards de dollars dans le Plan Colombia, une initiative de lutte contre le narcotrafic et les groupes armés illégaux. Cette coopération militaire et économique a permis à la Colombie de réduire significativement la violence interne et de démanteler plusieurs cartels puissants. Mais avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2025 et l’élection de Gustavo Petro en 2022 — le premier président de gauche de l’histoire colombienne —, cette alliance a commencé à se fissurer. Trump et Petro incarnent deux visions opposées du monde : le premier privilégie une approche musclée et unilatérale, tandis que le second défend une politique de dialogue et de transformation sociale. En septembre 2025, Washington a révoqué le statut de la Colombie comme l’un de ses 20 partenaires prioritaires dans la lutte antidrogue. Bogota a répliqué en suspendant ses achats d’armes aux États-Unis, son principal fournisseur militaire. Les relations sont désormais au plus bas depuis des décennies.
Le précédent de janvier 2025
Ce n’est pas la première fois que Trump et Petro s’affrontent publiquement. En janvier 2025, une première crise diplomatique avait éclaté autour de la question des vols d’expulsion de migrants colombiens. Le 26 janvier, Petro avait refusé d’autoriser l’atterrissage d’avions américains transportant des migrants colombiens expulsés, affirmant qu’il voulait garantir leur retour « dans la dignité ». Trump avait immédiatement réagi en menaçant d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits colombiens, qui devaient être portés à 50 % une semaine plus tard. Washington avait également suspendu la délivrance de visas dans son ambassade à Bogota et interdit l’entrée aux États-Unis des responsables du gouvernement colombien. Face à cette pression extrême, Petro avait finalement cédé et accepté les conditions de Trump, notamment l’acceptation sans restriction de tous les migrants colombiens renvoyés des États-Unis, y compris à bord d’avions militaires américains. Les sanctions avaient alors été suspendues, mais l’humiliation ressentie par le gouvernement colombien était restée intacte. Cette crise de janvier avait posé les bases de la confrontation actuelle.
Petro, un président controversé
Gustavo Petro n’est pas un président comme les autres. Ancien guérillero du M-19 dans les années 1980, il a ensuite entamé une carrière politique en tant que sénateur, puis maire de Bogota, avant de remporter l’élection présidentielle en 2022. Son discours progressiste et anti-establishment a séduit une partie de la population colombienne, mais il reste profondément controversé. Ses détracteurs l’accusent d’incompétence, de populisme et de sympathie envers les groupes armés de gauche. Ses partisans saluent son courage à défier les élites traditionnelles et les États-Unis. Sur la scène internationale, Petro se distingue par ses positions très tranchées. Il a critiqué la guerre en Ukraine, appelé à la légalisation des drogues au niveau mondial, et dénoncé l’hypocrisie des pays occidentaux sur les questions environnementales. Mais à l’intérieur du pays, les résultats de sa politique restent mitigés. La violence liée aux groupes armés a augmenté dans plusieurs régions, et la production de cocaïne n’a pas diminué. Les négociations de paix avec l’ELN sont au point mort. Et maintenant, la confrontation avec Trump risque d’isoler davantage la Colombie sur la scène internationale.
Les enjeux économiques et stratégiques

Une économie colombienne sous pression
L’économie colombienne traverse déjà une période difficile. L’inflation reste élevée, le chômage touche particulièrement les jeunes, et la croissance économique ralentit. Dans ce contexte fragile, la menace de nouveaux tarifs douaniers américains et la suspension de l’aide financière pourraient avoir des conséquences dévastatrices. Les secteurs les plus vulnérables sont ceux qui dépendent directement des exportations vers les États-Unis : le pétrole, le café, les fleurs, l’or, les fruits et les produits manufacturés. Les fleurs colombiennes, par exemple, représentent une part importante du marché américain, surtout autour de la Saint-Valentin. Si des tarifs supplémentaires sont imposés, les producteurs colombiens perdront leur compétitivité face aux concurrents d’autres pays. Le secteur du café, emblématique de la Colombie, pourrait également être durement touché. Les petits producteurs, qui représentent la majorité des caféiculteurs, n’ont pas les moyens d’absorber une baisse de leurs revenus. Quant au secteur pétrolier, déjà fragilisé par la volatilité des prix mondiaux, il pourrait subir un coup supplémentaire si les États-Unis réduisent leurs importations de brut colombien. Les investisseurs internationaux, inquiets de l’instabilité politique et diplomatique, pourraient retirer leurs capitaux du pays, aggravant encore la situation économique.
La drogue, pomme de discorde éternelle
La Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne. Selon les données de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les cultures de coca en Colombie ont atteint des niveaux record ces dernières années, malgré les efforts de plusieurs gouvernements successifs pour les réduire. La lutte antidrogue en Colombie a toujours été complexe, mêlant répression militaire, éradication forcée des cultures, programmes de substitution et développement rural. Mais aucune de ces stratégies n’a permis d’éliminer durablement le problème. Le gouvernement de Gustavo Petro a tenté d’adopter une approche différente, privilégiant le dialogue avec les communautés paysannes qui cultivent la coca et proposant des alternatives économiques viables. Mais les résultats tardent à venir, et les groupes armés — guérillas, paramilitaires, cartels — continuent de contrôler de vastes zones de production. Pour Donald Trump, cette approche est un échec complet. Il estime que seule une répression militaire massive peut venir à bout des cartels et des cultures de coca. Il accuse Petro de complaisance, voire de complicité, avec les narcotrafiquants. Ces accusations sont violemment rejetées par Bogota, qui rappelle que la Colombie a payé un lourd tribut dans la lutte contre le trafic de drogue : des dizaines de milliers de morts, des milliers de policiers et de militaires tués, des juges assassinés, des hommes politiques abattus.
L’ELN, bouc émissaire ou acteur réel ?
L’Armée de libération nationale (ELN) est une guérilla marxiste fondée dans les années 1960, toujours active en Colombie malgré plusieurs tentatives de négociations de paix. Contrairement aux FARC, qui ont signé un accord de paix avec le gouvernement en 2016, l’ELN continue de mener des opérations armées dans plusieurs régions du pays. Les autorités colombiennes et américaines accusent l’ELN de participer activement au trafic de drogue, utilisant les revenus de ce commerce illégal pour financer ses activités. Les États-Unis ont désigné l’ELN comme une organisation terroriste. Mais la réalité sur le terrain est plus nuancée. Si certains fronts de l’ELN sont effectivement impliqués dans le narcotrafic, d’autres privilégient d’autres sources de financement, comme l’extorsion, le kidnapping ou l’exploitation minière illégale. Le gouvernement de Petro a tenté de relancer les négociations de paix avec l’ELN, dans l’espoir de mettre fin à des décennies de conflit. Mais ces pourparlers sont au point mort, notamment en raison des divisions internes au sein de la guérilla. En accusant l’ELN d’opérer les bateaux frappés dans les Caraïbes, le Pentagone tente de justifier ses opérations militaires. Mais sans preuves concrètes, ces accusations restent contestées.
Les réactions internationales

La communauté internationale observe
La crise entre la Colombie et les États-Unis n’est pas passée inaperçue sur la scène internationale. Plusieurs pays d’Amérique latine ont exprimé leur préoccupation face à l’escalade des tensions. Le Brésil, voisin de la Colombie et puissance régionale, a appelé au dialogue et à la retenue. Le Mexique, qui entretient lui-même des relations tendues avec Washington sur la question de la drogue et de l’immigration, a exprimé sa solidarité avec Bogota. L’Union européenne, partenaire commercial important de la Colombie, surveille de près l’évolution de la situation, craignant une déstabilisation de toute la région. L’Organisation des États américains (OEA), basée à Washington, n’a pas encore pris position officiellement, mais plusieurs diplomates de l’organisation ont exprimé en privé leurs inquiétudes. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a rappelé l’importance du respect de la souveraineté des États et du droit international, sans mentionner explicitement la crise colombo-américaine. Mais le message était clair : les frappes militaires unilatérales sans autorisation du pays concerné sont contraires aux principes de la Charte des Nations unies.
Les experts juridiques s’interrogent
De nombreux experts en droit international ont exprimé leurs doutes sur la légalité des opérations militaires américaines dans les Caraïbes. Frapper des navires en eaux internationales sans mandat clair des Nations unies ou sans autorisation du pays dont les victimes sont ressortissantes pourrait constituer une violation du droit international. Certains juristes vont même jusqu’à parler de crimes de guerre si les victimes sont des civils non armés. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui opère en Colombie depuis des décennies, a appelé à la transparence et à l’établissement des faits. L’organisation a rappelé que toute opération militaire doit respecter les principes de distinction entre combattants et civils, de proportionnalité et de nécessité militaire. Sans preuves publiques que les bateaux visés transportaient effectivement de la drogue ou étaient opérés par des groupes armés, il est impossible de déterminer si ces frappes étaient justifiées. Le fait que l’administration Trump refuse de publier ces preuves alimente les soupçons. Des organisations de défense des droits humains, comme Human Rights Watch et Amnesty International, ont demandé l’ouverture d’enquêtes indépendantes pour établir les responsabilités et identifier les victimes.
La Colombie cherche des alliés
Face à l’isolement diplomatique et économique que pourrait entraîner la rupture avec Washington, le gouvernement de Gustavo Petro cherche activement à diversifier ses alliances. La Colombie a renforcé ses liens avec la Chine ces dernières années, notamment dans le domaine des infrastructures et du commerce. Pékin pourrait profiter de cette crise pour accroître son influence en Amérique latine, une région traditionnellement considérée comme la « chasse gardée » des États-Unis. La Russie, elle aussi, pourrait voir dans cette situation une opportunité de se rapprocher de Bogota, notamment dans le domaine militaire. Mais ces rapprochements comportent des risques pour la Colombie. S’allier trop étroitement avec Pékin ou Moscou pourrait aggraver encore les tensions avec Washington et entraîner de nouvelles sanctions. Par ailleurs, les partenaires européens de la Colombie, notamment l’Espagne et la France, pourraient jouer un rôle de médiation dans cette crise. Bogota a déjà sollicité le soutien de Madrid, avec qui elle entretient des liens historiques et culturels forts. Mais pour l’instant, aucune initiative de médiation concrète n’a été lancée.
Les conséquences humanitaires

Les familles des victimes réclament justice
Au-delà des déclarations politiques et des joutes verbales entre Trump et Petro, il y a des familles brisées. Audenis Manjarres, le parent d’Alejandro Carranza, n’est pas le seul à pleurer un proche tué dans les frappes américaines. À Trinidad-et-Tobago, d’autres familles ont identifié des victimes parmi les 32 morts recensés depuis septembre. Certaines ont témoigné publiquement, affirmant que leurs proches étaient de simples pêcheurs ou des migrants tentant de rejoindre les États-Unis, pas des narcotrafiquants. Ces témoignages contredisent la version officielle de Washington. Mais sans enquête indépendante, il est impossible de connaître la vérité. Les familles réclament justice, réclament des réponses, réclament que les corps de leurs proches soient rapatriés et que les responsables rendent des comptes. Mais pour l’instant, leurs voix sont noyées dans le bruit médiatique et politique. Le gouvernement colombien a promis de soutenir ces familles et de demander des comptes aux États-Unis. Mais concrètement, que peut faire Bogota face à la puissance militaire et diplomatique de Washington ? Les victimes et leurs proches risquent de rester dans l’ombre, oubliés par l’histoire.
La crise migratoire s’aggrave
La Colombie connaît déjà une crise migratoire majeure, accueillant plus de 2,5 millions de réfugiés vénézuéliens qui ont fui la dictature de Nicolás Maduro et l’effondrement économique de leur pays. À cela s’ajoute le déplacement interne de centaines de milliers de Colombiens fuyant la violence des groupes armés dans les zones rurales. La suspension de l’aide américaine pourrait aggraver cette situation humanitaire. Les programmes financés par Washington incluent des projets d’aide alimentaire, de santé, d’éducation et de logement pour les populations vulnérables. Si ces fonds disparaissent, des milliers de personnes se retrouveront sans assistance. Par ailleurs, la crise diplomatique entre Bogota et Washington pourrait compliquer encore la situation des migrants colombiens aux États-Unis. Les quelque 1,2 million de Colombiens vivant aux États-Unis, dont beaucoup en situation irrégulière, risquent d’être ciblés par les politiques d’expulsion de l’administration Trump. Les familles colombiennes, déjà frappées par la pauvreté et la violence, pourraient voir leurs proches expulsés et renvoyés dans un pays en crise.
Les zones rurales abandonnées
Dans les régions rurales de Colombie, où se concentrent les cultures de coca et où opèrent les groupes armés, la situation est désespérée. Les programmes de substitution de cultures, financés en grande partie par l’aide américaine, permettaient aux paysans de cultiver du cacao, du café ou des fruits à la place de la coca. Mais sans ces financements, les paysans n’ont plus d’alternative économique viable. Ils se retrouvent coincés entre les groupes armés qui les forcent à cultiver la coca, et l’État qui les punit pour cette culture illégale. La violence dans ces régions a explosé ces derniers mois. Les affrontements entre l’ELN, les dissidences des FARC, les groupes paramilitaires et l’armée colombienne ont fait des centaines de morts. Les civils sont pris au piège, subissant les exactions de tous les acteurs du conflit. Le Comité international de la Croix-Rouge a qualifié la situation actuelle de « crise sécuritaire la plus grave depuis une décennie ». Les routes sont bloquées, les écoles ferment, les centres de santé manquent de tout. Et maintenant, avec la suspension de l’aide américaine, la situation risque de devenir encore plus catastrophique.
Les scénarios possibles

L’escalade militaire
Le scénario le plus sombre serait une escalade militaire entre les États-Unis et la Colombie. Si Washington décide d’intervenir directement en Colombie pour « fermer les champs de la mort » comme l’a promis Trump, cela pourrait signifier une invasion ou des frappes massives sur le territoire colombien. Une telle action serait sans précédent et déclencherait une crise internationale majeure. Les autres pays d’Amérique latine réagiraient avec force, et la région pourrait basculer dans l’instabilité. Certains analystes estiment que Trump pourrait ordonner des opérations spéciales contre des cibles liées au narcotrafic en Colombie, sans déclarer officiellement la guerre. Ce type d’opérations « grises » a déjà été utilisé par les États-Unis dans d’autres pays, comme le Pakistan ou le Yémen. Mais en Colombie, un pays démocratique avec des institutions solides et une opinion publique très sensible à la souveraineté nationale, de telles actions provoqueraient un tollé et rendraient impossible toute réconciliation future. Le gouvernement colombien, de son côté, pourrait décider de riposter en expulsant les conseillers militaires américains encore présents sur son territoire ou en rompant totalement les relations diplomatiques avec Washington.
La négociation discrète
Un scénario plus optimiste serait celui d’une négociation discrète entre les deux pays pour sortir de l’impasse. Lundi 21 octobre, une rencontre s’est tenue à Bogota entre le président Petro, le chargé d’affaires américain John McNamara et l’ambassadeur colombien Daniel García-Peña, rappelé de Washington. Selon le ministère colombien des Affaires étrangères, cette réunion a été une première étape vers la résolution de la crise. Des discussions « constructives » auraient eu lieu, et les deux parties chercheraient une « solution rapide ». Mais aucun détail concret n’a été révélé. Trump, de son côté, pourrait décider de suspendre temporairement les tarifs et de reprendre une partie de l’aide financière en échange de gestes symboliques de la part de Bogota. Petro, sous pression interne en raison de la détérioration de l’économie et de la sécurité, pourrait accepter un compromis pour éviter l’isolement total. Mais pour que cette négociation aboutisse, il faudrait que les deux dirigeants acceptent de mettre de côté leur ego et leurs déclarations enflammées. Ce qui, compte tenu de leurs personnalités respectives, semble difficile.
Le statu quo destructeur
Le scénario le plus probable, malheureusement, est celui d’un statu quo destructeur. Trump maintiendra probablement ses menaces sans les mettre complètement à exécution, et Petro continuera à défier Washington par des déclarations provocatrices. Les deux pays resteront dans une situation de tension permanente, sans rupture totale mais sans réconciliation non plus. Cette situation sera catastrophique pour la Colombie, dont l’économie et la sécurité dépendent en grande partie de la coopération avec les États-Unis. Les investisseurs resteront méfiants, les exportations seront ralenties, et les programmes sociaux souffriront du manque de financement. Les groupes armés et les cartels, eux, profiteront de cette situation pour renforcer leur emprise sur le territoire. La population colombienne, prise en étau entre un gouvernement incapable de résoudre la crise et un allié historique devenu agresseur, continuera de payer le prix fort. Et les victimes comme Alejandro Carranza resteront oubliées, simples dommages collatéraux d’une guerre sans fin.
Conclusion

La confrontation entre Donald Trump et Gustavo Petro dépasse largement le cadre d’une simple querelle diplomatique. Elle révèle des fractures profondes dans les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine, entre les approches militaristes et les stratégies sociales de lutte contre la drogue, entre les aspirations à la souveraineté et les réalités de la domination géopolitique. La mort d’Alejandro Carranza, ce pêcheur colombien tué par une frappe américaine alors que son bateau était en panne, incarne toute la tragédie de cette crise. Combien d’autres innocents devront mourir avant que les dirigeants ne comprennent que la guerre contre la drogue ne se gagne pas à coups de missiles ? Combien de familles devront pleurer leurs morts avant que la communauté internationale ne réagisse ? La Colombie traverse l’une des périodes les plus difficiles de son histoire récente. Son économie vacille, sa sécurité se détériore, et son principal allié historique est devenu un adversaire. Gustavo Petro, malgré ses défauts et ses erreurs, a le mérite de défendre la souveraineté de son pays face à un géant qui veut lui dicter sa conduite. Mais cette résistance a un prix, et ce sont les Colombiens ordinaires qui le paient. Donald Trump, lui, joue avec le feu. En traitant un président démocratiquement élu de « baron de la drogue », en bombardant des bateaux sans preuves solides, en coupant l’aide à des millions de personnes vulnérables, il détruit des décennies de coopération et alimente le ressentiment anti-américain dans toute la région. Mais pour lui, ces considérations ne comptent pas. Seul compte le spectacle, la démonstration de force, l’image du président qui ne tolère aucune opposition. Entre les deux hommes, entre les deux pays, entre les deux visions du monde, il semble qu’il n’y ait plus de place pour le dialogue, pour la nuance, pour l’humanité. Et c’est là le plus grand drame de cette histoire.