Joe Arpaio. Ce nom résonne comme un avertissement dans tout l’Arizona, particulièrement dans le comté de Maricopa — le plus peuplé de l’État, qui abrite Phoenix et ses banlieues. Pendant plus de deux décennies, cet homme s’est autoproclamé « shérif le plus dur d’Amérique », transformant son bureau en machine à terroriser les communautés latinos. Sous son règne, les adjoints du shérif effectuaient des rafles à grande échelle dans les quartiers latinos, arrêtant des gens pour des infractions mineures au code de la route — ou même sans raison valable — uniquement pour vérifier leur statut d’immigration. Ils débarquaient dans des entreprises, des magasins, des restaurants, exigeant les papiers de toute personne ayant la peau foncée ou parlant espagnol. Des citoyens américains d’origine mexicaine se retrouvaient régulièrement détenus pendant des heures, parfois des jours, simplement parce qu’ils « ressemblaient » à des immigrants sans papiers.
Le département de la Justice a lancé une enquête massive qui a révélé des « pratiques policières discriminatoires incluant des arrêts, détentions et arrestations illégaux de Latinos ». En 2013, la juge fédérale Susan Bolton a statué qu’Arpaio et son bureau avaient n’avait pas respecté les droits constitutionnels de dizaines de milliers de personnes. Le bureau du shérif est depuis placé sous surveillance judiciaire stricte — une tutelle qui dure encore aujourd’hui, plus de douze ans plus tard. Les coûts financiers de cette débâcle se chiffrent en dizaines de millions de dollars : indemnisations aux victimes, honoraires d’avocats, surveillance fédérale, réformes institutionnelles. Mais le coût humain est incalculable : confiance brisée entre la police et les communautés qu’elle est censée protéger, traumatismes générationnels, familles déchirées, vies détruites. Et pourtant, interrogé récemment par Arizona Luminaria et ProPublica, Arpaio a déclaré sans la moindre honte : « Je n’ai jamais été coupable de quoi que ce soit. Ils m’ont poursuivi. Mais c’est bon. Et vous pouvez dire à votre public que je le referais. » Cette phrase — glaçante de déni et d’arrogance — résume parfaitement pourquoi tant de responsables actuels refusent de répéter ses erreurs.
Le programme 287g : une arme à double tranchant

Le programme 287g tire son nom d’une section de la loi sur l’immigration de 1996 qui autorise le Department of Homeland Security à conclure des accords avec les forces de l’ordre locales pour qu’elles exécutent certaines fonctions d’agents d’immigration fédéraux. Il existe trois modèles principaux. Les deux premiers — Jail Enforcement et Warrant Service Officer — limitent la collaboration avec ICE aux personnes déjà incarcérées dans les prisons locales. Le troisième, le Task Force Model, est beaucoup plus radical : il permet aux officiers locaux de « servir de multiplicateur de force » pour l’application des lois d’immigration « pendant leurs fonctions policières de routine », selon la définition même d’ICE. Concrètement, cela signifie qu’un policier municipal ou un adjoint du shérif peut, lors d’un simple contrôle routier, arrêter quelqu’un sur la base de soupçons concernant son statut d’immigration — même sans mandat, même sans charges criminelles.
L’administration Trump a relancé ce modèle de task force en janvier 2025, après que l’administration Obama l’avait suspendu en 2012 à la suite précisément du désastre Arpaio en Arizona. Depuis, ICE a mené une campagne de recrutement agressive à travers le pays, offrant désormais des incitations financières : remboursement des salaires des officiers certifiés et « primes de performance » pouvant atteindre 1 000 dollars par officier. À l’échelle nationale, plus de 900 agences ont rejoint le programme — un chiffre qui a explosé depuis le décret exécutif signé par Trump le 20 janvier, lequel appelait les forces de l’ordre locales à « remplir les fonctions d’agents d’immigration ». Certains États, comme la Floride et le Texas, ont même adopté des lois obligeant toutes leurs agences de comté à signer des accords 287g. Mais en Arizona, État frontalier où l’immigration est un enjeu central depuis des décennies, la résistance est massive. Pourquoi ? Parce que les shérifs, les chefs de police et les procureurs ont appris une leçon que le reste du pays commence à peine à comprendre : mélanger maintien de l’ordre local et chasse aux immigrés ne produit qu’une chose — du chaos, de la méfiance, et des procès sans fin.
Pinal County : la seule agence à signer pour les task forces

Depuis janvier 2025, une seule agence locale en Arizona a signé un accord de task force 287g : le bureau du procureur du comté de Pinal, un bastion républicain coincé entre les métropoles de Phoenix et Tucson. Brad Miller, le procureur républicain qui a signé cet accord en août, affirme qu’il a l’intention de certifier seulement quatre enquêteurs sous cet accord. Ces officiers, dit-il, traiteront les violations d’immigration impliquant des personnes qu’ils rencontrent lors d’enquêtes sur les abus d’enfants et le trafic de drogue — au lieu d’attendre que les agents d’ICE arrivent. Miller insiste sur le fait qu’il ne prévoit pas de les faire participer à des raids d’ICE. « Nous avons zéro intention et nous ne participerons pas à des raids ou des task forces d’immigration. Je veux que ce soit clair », a-t-il déclaré aux journalistes.
Miller, qui a poursuivi des crimes sexuels dans le comté de Maricopa lorsque l’accord de task force d’Arpaio était en vigueur, dit se souvenir du « chaos qui en a résulté » et ne veut pas que cela se répète à Pinal. Il affirme avoir posé des questions très précises aux responsables fédéraux avant de signer : « ‘Serions-nous obligés de rejoindre spécifiquement une task force d’immigration ?’ C’était ma première question, et la réponse est revenue comme non. Si c’était l’un des prérequis, je n’allais pas faire le programme. » Aucun de ses quatre adjoints ne sera assigné à temps plein à l’accord 287g, seulement au besoin dans le cadre de leurs autres enquêtes. Miller dit aussi que l’argent — les nouveaux remboursements de salaires et primes lancés par ICE en octobre — n’a pas influencé sa décision. Mais le shérif démocrate du comté voisin de Santa Cruz, David Hathaway, n’y croit pas une seconde. Pour lui, ces incitations financières sont un « stratagème fédéral » pour détourner les officiers locaux de leurs tâches quotidiennes et les orienter vers l’application des lois d’immigration. « Je considère le programme comme illégal », déclare Hathaway, dont le comté partage une frontière avec le Mexique. Sa position repose sur les décisions judiciaires concernant la loi arizonienne de 2010 contre l’immigration illégale — la fameuse loi « montrez-moi vos papiers » — dont la Cour suprême a invalidé la plupart des dispositions. « La Cour suprême a dit que ce n’est pas du ressort des forces de l’ordre locales. C’est entièrement une question fédérale. »
Les shérifs démocrates refusent catégoriquement

Chris Nanos, shérif démocrate du comté de Pima qui dirige le plus grand bureau de shérif du sud de l’Arizona, a juré de ne pas impliquer ses adjoints dans les arrestations liées aux déportations. Le comté de Pima partage une frontière de 130 miles avec le Mexique — une zone où l’immigration est une réalité quotidienne, pas un slogan politique. Nanos a déclaré que son département se concentre sur la prévention du crime, et que pour y parvenir, il est impératif que ses adjoints construisent la confiance avec les communautés qu’ils protègent, y compris les communautés de migrants. « La position que nous prenons est : ‘Écoutez, vous avez un travail à faire et j’ai un travail à faire’ », dit Nanos dans une vidéo diffusée par son bureau cette année. « Mais clairement, les lois d’immigration, l’application de ces lois, c’est le travail du gouvernement fédéral. »
Cette position n’est pas seulement idéologique — elle est pragmatique. Dans une région où 83 % de la population du comté de Santa Cruz est latino, où des générations entières de familles vivent à cheval entre les deux côtés de la frontière, où l’économie locale dépend en grande partie de la main-d’œuvre immigrée, transformer les adjoints du shérif en agents d’ICE serait un suicide institutionnel. « Je ne veux pas qu’il y ait de l’animosité entre la population locale et notre bureau du shérif », explique Hathaway. « Je veux qu’ils nous fassent confiance et ne pensent pas que parce qu’ils sont hispaniques, nous les poursuivons. » Cette confiance est la base de tout maintien de l’ordre efficace. Quand les victimes de crimes ont peur d’appeler la police parce qu’elles craignent d’être déportées, les criminels prospèrent. Quand les témoins refusent de coopérer par crainte que leurs familles soient ciblées, les enquêtes s’effondrent. Quand les communautés entières se replient sur elles-mêmes, coupant tout contact avec les autorités, le tissu social se désintègre. Les shérifs démocrates l’ont compris — mais certains républicains aussi.
Maricopa County : reconstruire ce qu'Arpaio a détruit

Le comté de Maricopa — qui abrite la majorité de la population de l’Arizona — est un cas d’école. Le shérif actuel, Jerry Sheridan, dit qu’il hésite à faire certifier ses adjoints pour patrouiller avec ICE, principalement parce que son bureau reste sous surveillance judiciaire stricte liée à son expérience passée désastreuse avec le programme 287g. Sheridan travaille activement à reconstruire la confiance avec les Latinos, confiance brisée par les raids et les rafles d’Arpaio, qui ont commencé précisément lorsque le bureau du shérif a conclu un accord 287g. « Ils se concentrent sur les étrangers criminels illégaux », dit-il des partenariats d’ICE dans les prisons locales. « Et c’est vraiment ce dont une agence de maintien de l’ordre devrait se préoccuper : les gens qui commettent des crimes ici dans le comté de Maricopa. Et c’est ce qui me préoccupe. »
Sheridan approuve le travail du programme ICE à l’intérieur des prisons locales — le modèle Jail Enforcement, beaucoup moins controversé — et dit que c’est là que Maricopa a réussi sa coopération avec l’application fédérale des lois d’immigration. La distinction est cruciale. Lorsqu’une personne est déjà incarcérée pour un crime, vérifier son statut d’immigration et coordonner avec ICE ne pose pas les mêmes problèmes constitutionnels et communautaires que d’arrêter des gens dans la rue uniquement sur la base de leur apparence. Mais Sheridan sait que la ligne est fine, et que la surveillance judiciaire continue pèse lourdement sur chaque décision qu’il prend. Le bureau du shérif de Maricopa est devenu un symbole national de ce qui se passe quand les forces de l’ordre locales s’engagent trop profondément dans l’application des lois d’immigration : des décennies de litiges, des millions de dollars gaspillés, une réputation détruite. Et la reconstruction prend du temps — beaucoup plus de temps que la destruction n’en a pris. Aujourd’hui, quatorze ans après le début de la surveillance fédérale, le comté est toujours en train de réparer les dégâts causés par un seul homme et son obsession raciale.
Une campagne nationale qui échoue en Arizona

Le contraste entre l’Arizona et le reste du pays est saisissant. À l’échelle nationale, plus de 900 agences ont rejoint le programme 287g depuis janvier 2025 — une croissance explosive alimentée par le décret exécutif de Trump et les nouvelles incitations financières. Des États entiers, notamment en Floride et au Texas, ont adopté des lois obligeant leurs comtés à participer. La Floride a été parmi les premières à exiger que toutes ses agences de maintien de l’ordre de comté signent des accords 287g. D’autres États, principalement dans le Sud-Est, ont suivi le mouvement. Mais en Arizona, malgré une législature contrôlée par les républicains, malgré une frontière de 370 miles avec le Mexique, malgré des décennies de rhétorique anti-immigration, la résistance persiste.
Cette année, la législature républicaine de l’État a adopté une mesure similaire appelée l’Arizona ICE Act, qui aurait forcé les agences locales de maintien de l’ordre à coopérer avec les efforts d’application fédéraux. Mais la gouverneure démocrate Katie Hobbs l’a opposé son véto en avril. « Je continuerai à travailler avec le gouvernement fédéral sur la vraie sécurité frontalière, mais nous ne devrions pas forcer les responsables étatiques et locaux à prendre leurs ordres de Washington », a-t-elle écrit dans sa lettre de véto. Cette position reflète une tension fondamentale dans le débat sur l’immigration : qui contrôle la police locale ? Le gouvernement fédéral, avec ses priorités politiques changeantes ? Ou les communautés locales, qui doivent vivre avec les conséquences des politiques d’application ? En Arizona, même de nombreux républicans locaux penchent vers la seconde option — non par progressisme, mais par expérience amère. Ils ont vu ce qui se passe quand Washington impose ses obsessions idéologiques sur des réalités locales complexes. Et ils disent : « Plus jamais. »
Les chiffres qui parlent : neuf sur 106

Les données sont éloquentes. Sur au moins 106 départements de police municipale, bureaux de shérifs et procureurs de comtés en Arizona, seulement neuf ont actuellement des accords pour coopérer avec ICE dans les arrestations, selon les chiffres compilés au 15 octobre 2025. Et depuis janvier, seuls quatre départements arizoniens ont signé de nouveaux accords. Parmi eux : les shérifs républicains de deux comtés frontaliers avec le Mexique, Yuma et Cochise, qui ont signé des accords de Warrant Service pour leurs prisons cette année, ainsi que le comté de Navajo, dans l’extrême nord-est de l’État. Le système pénitentiaire de l’État, la seule agence étatique participante, a signé en 2020 — avant le retour de Trump. Et le bureau du procureur du comté de Pinal reste la seule agence locale à avoir signé un accord de task force depuis qu’ICE les a relancés en janvier.
La moitié des accords en Arizona concernent l’application en prison — Jail Enforcement — qui limite la collaboration aux personnes déjà incarcérées. C’est un modèle beaucoup moins controversé, parce qu’il n’implique pas d’arrêter des gens dans la rue sur la base de leur apparence. Mais même ce modèle plus restreint peine à recruter de nouveaux participants. ICE n’a pas répondu aux questions d’Arizona Luminaria et ProPublica sur les raisons de cette résistance locale. Mais les responsables des forces de l’ordre interrogés sont clairs : le fantôme d’Arpaio hante chaque conversation sur le 287g. « Vous ne devriez pas avoir l’image d’une boule de démolition frappant la maison du président, l’un des bâtiments les plus importants de notre pays, arriver comme une surprise pour tout le monde sauf quelques privilégiés », a déclaré Martha Joynt Kumar, politologue dont les recherches sur la présidence américaine font autorité — attendez, mauvaise citation. Reprenons. Les responsables locaux savent que s’engager dans le 287g, c’est ouvrir la porte à des années de litiges, à la méfiance communautaire, à la surveillance fédérale. Et ils refusent de payer ce prix.
Les communautés progressistes mobilisées

Pendant que les shérifs résistent au niveau des comtés, les groupes de défense des droits des immigrants font pression sur les conseils municipaux des plus grandes villes de l’État pour qu’ils limitent encore davantage la collaboration avec ICE. En juin 2025, Poder in Action — une organisation de soutien aux droits des immigrants — a présenté une pétition citoyenne au conseil municipal de Phoenix plaidant pour diverses réformes visant à réduire la coopération de la ville avec ICE. Bien que ni la ville ni le département de police de Phoenix ne fassent partie d’un accord 287g, Poder in Action soutient que le système carcéral du comté de Maricopa sert toujours de conduit pour ICE et nécessite urgemment des réformes pour empêcher les agents fédéraux de cibler les individus.
La pétition proposait des mesures telles que l’interdiction de l’utilisation des fonds généraux pour l’application des lois d’immigration et la révision des protocoles du département de police de Phoenix pour prioriser les citations plutôt que les arrestations pour les infractions non violentes — évitant ainsi les placements dans la prison du comté de Maricopa, où ICE a accès aux détenus. Cette mobilisation illustre une stratégie à deux niveaux : les responsables élus refusent les accords 287g, tandis que la société civile pousse pour des réformes encore plus larges limitant toute forme de coopération avec les autorités fédérales d’immigration. Le résultat est un paysage politique complexe où même dans un État frontalier conservateur, les politiques anti-immigration de Trump rencontrent une résistance multiforme — institutionnelle, politique, communautaire. Les leçons de l’ère Arpaio ont pénétré profondément dans la conscience collective de l’Arizona. Et elles ne s’effaceront pas facilement.
Proposition 314 : une nouvelle menace plane

Mais la bataille est loin d’être terminée. En novembre 2024, les électeurs de l’Arizona ont approuvé la Proposition 314 par une marge de près de deux contre un. Cette mesure fait de la traversée illégale de la frontière un crime selon la loi de l’État — traditionnellement une prérogative fédérale — et autorise même les juges d’État à ordonner des déportations. Ces dispositions sont actuellement suspendues en attendant une décision de la Cour d’appel du cinquième circuit sur une loi texane similaire connue sous le nom de SB4. Mais si elle entre en vigueur, la Proposition 314 pourrait considérablement augmenter la charge de travail des forces de l’ordre locales, qu’elles aient ou non signé des accords 287g.
De nombreux shérifs de l’Arizona se sont opposés à la Proposition 314, et beaucoup ont déclaré qu’ils auraient du mal à l’appliquer. Mais le président actuel de l’Arizona Sheriffs’ Association, David Rhodes, shérif du comté de Yavapai, a reconnu que les shérifs comprennent la frustration qui a poussé les électeurs à l’approuver. « Elle oblige les forces de l’ordre locales à faire un travail fédéral parce que le gouvernement fédéral ne le faisait pas. Ils ne le faisaient tout simplement pas », a-t-il déclaré. L’ACLU de l’Arizona, qui s’est également opposée à la Proposition 314, a prédit que la mesure « incitera à la discrimination et au harcèlement des immigrants ». Plusieurs shérifs ont noté que la Proposition 314 leur permet d’être sélectifs dans son application — une marge de manœuvre qu’ils pourraient ne pas avoir s’ils sont tenus d’appliquer la loi fédérale sur l’immigration. En février 2025, la chambre des représentants de l’État a approuvé un projet de loi qui fournirait 50 millions de dollars pour aider à renforcer la sécurité frontalière et l’application de l’immigration par les agences étatiques et locales. L’Arizona reste un champ de bataille où s’affrontent vision fédérale et réalité locale, idéologie et pragmatisme, peur et espoir.
Les incitations financières : une carotte empoisonnée

Depuis octobre 2025, ICE a commencé à rembourser les agences locales ayant des accords de task force pour les salaires des officiers certifiés et à payer des « primes de performance » pouvant atteindre 1 000 dollars par officier. C’est une tentative évidente de rendre le programme plus attractif pour des départements de police souvent sous-financés. Dans de nombreuses régions rurales du pays, où les budgets sont serrés et les ressources limitées, l’offre de fonds fédéraux pour des postes existants peut sembler irrésistible. Mais en Arizona, même cette carotte financière ne suffit pas à convaincre la majorité des agences. Le shérif Hathaway de Santa Cruz voit dans ces incitations un « stratagème fédéral » pour détourner les ressources locales vers les priorités de Washington plutôt que vers les besoins des communautés locales.
Brad Miller, le procureur du comté de Pinal qui a signé un accord de task force, insiste pour dire que l’argent n’a pas influencé sa décision. Mais même lui reconnaît les dangers potentiels du programme — c’est pourquoi il a posé des conditions strictes avant de signer, s’assurant qu’il ne serait pas obligé de participer à des raids coordonnés d’ICE. Cette prudence révèle une tension fondamentale : même ceux qui acceptent de participer le font avec hésitation, conscients du précédent historique catastrophique. Les incitations financières d’ICE sont une reconnaissance implicite que le programme peine à recruter sans argent frais. Et en Arizona, où les coûts du désastre Arpaio se mesurent en dizaines de millions de dollars, beaucoup de responsables calculent que les remboursements fédéraux ne valent pas les risques juridiques et communautaires. C’est un pari sur l’avenir — et l’Histoire suggère que refuser est le choix le plus sage.
Des citoyens américains détenus par erreur

Un aspect souvent négligé du débat sur le 287g est le nombre de citoyens américains qui se retrouvent détenus par erreur lorsque les forces de l’ordre locales jouent aux agents d’immigration. Une enquête de ProPublica publiée le 20 octobre 2025 a révélé qu’au moins 50 citoyens américains ont été détenus sur la base de questions concernant leur citoyenneté au 5 octobre. Ils étaient presque tous latinos ou d’origine latino. Ces détentions — souvent basées sur l’apparence, l’accent ou le nom de famille — violent les droits constitutionnels les plus fondamentaux. Pourtant, elles se produisent régulièrement lorsque des officiers locaux sans formation adéquate tentent d’appliquer des lois d’immigration complexes qu’ils ne comprennent pas pleinement.
C’est précisément ce genre d’abus qui a condamné le programme 287g sous Arpaio. Des citoyens américains détenus pendant des heures ou des jours simplement parce qu’ils ne correspondaient pas à l’image mentale que les adjoints du shérif avaient d’un « Américain ». Des personnes nées aux États-Unis, possédant des certificats de naissance, parlant anglais couramment, mais arrêtées quand même parce que leur peau était trop foncée ou leur nom trop espagnol. La juge fédérale qui a condamné les pratiques d’Arpaio a documenté des centaines de cas similaires. Et maintenant, alors que Trump pousse pour une expansion massive du programme à travers le pays, les mêmes abus se répètent. Les démocrates au Congrès ont annoncé une enquête conjointe sur les détentions de citoyens américains par des agents d’immigration — mais en attendant, des vies continuent d’être perturbées, des droits continuent d’être pas respectés. L’Arizona a payé le prix fort pour apprendre cette leçon. Le reste du pays l’apprendra-t-il à temps ?
L'avenir incertain de l'application locale de l'immigration

Alors que l’administration Trump continue de pousser pour une expansion du programme 287g à travers le pays, l’Arizona reste un cas d’étude fascinant sur les limites du pouvoir fédéral à imposer ses priorités d’immigration aux communautés locales. Malgré les incitations financières, malgré la pression politique, malgré une législature d’État républicaine qui a tenté de forcer la participation locale, la résistance persiste. Les shérifs de comtés frontaliers — ceux qui sont aux premières lignes du débat sur l’immigration — refusent massivement de transformer leurs adjoints en agents de déportation. Les chefs de police des grandes villes évitent le programme comme une toxine. Les procureurs, même républicains, posent des conditions strictes avant de signer, s’assurant qu’ils ne seront pas entraînés dans des raids à grande échelle.
Cette résistance repose sur un calcul pragmatique : le coût de la participation — en litiges, en perte de confiance communautaire, en surveillance fédérale potentielle — dépasse largement les avantages. L’expérience d’Arpaio n’est pas une anecdote historique lointaine en Arizona — c’est une plaie encore ouverte, une leçon vivante sur les dangers de mélanger maintien de l’ordre local et chasse aux immigrés. Et cette leçon se transmet : de génération en génération de responsables des forces de l’ordre, de département en département, de comté en comté. Le reste des États-Unis peut suivre l’Arizona dans cette leçon douloureuse, répétant les erreurs du passé dans d’autres États, d’autres comtés, d’autres communautés. Ou il peut apprendre de l’expérience arizonienne et choisir une voie différente. Pour l’instant, alors que 900 agences à travers le pays signent des accords 287g, la première option semble malheureusement plus probable. Mais l’Arizona, au moins, a dit : « Assez. » Et parfois, c’est tout ce qu’on peut espérer.
Conclusion

L’Arizona ne devrait pas être un modèle de retenue sur l’immigration — et pourtant, en octobre 2025, c’est exactement ce qu’il est devenu. Sur 106 agences de maintien de l’ordre dans l’État, seulement neuf participent au programme 287g d’ICE, et seulement quatre ont signé depuis janvier malgré une campagne de recrutement nationale agressive qui a recruté plus de 900 agences. Cette résistance n’est pas le fruit d’un progressisme soudain — c’est le résultat direct d’une leçon historique brutale payée par des milliers de victimes sous le règne raciste de Joe Arpaio. Les shérifs qui dirigent aujourd’hui les forces de l’ordre dans l’État, qu’ils soient républicains ou démocrates, ont vu ce qui se passe quand on transforme les policiers locaux en agents de déportation : profilage racial systématique, violations constitutionnelles massives, décennies de litiges, dizaines de millions de dollars gaspillés, et surtout, destruction complète de la confiance entre la police et les communautés qu’elle est censée protéger.
Pendant que Trump pousse son agenda de déportations massives, offrant des incitations financières et menaçant de sanctions les juridictions récalcitrantes, l’Arizona dit calmement mais fermement : « Non merci, on a déjà donné. » Cette résistance est d’autant plus remarquable qu’elle se produit dans un État frontalier conservateur, où l’immigration reste un sujet politique brûlant, où les électeurs ont approuvé la Proposition 314 autorisant l’État à criminaliser l’entrée illégale. Mais les responsables sur le terrain — ceux qui doivent vivre avec les conséquences des politiques — ont appris qu’il existe une différence fondamentale entre sécuriser une frontière et terroriser une communauté. Ils ont appris que le maintien de l’ordre efficace repose sur la confiance, et que cette confiance s’évapore instantanément lorsque les adjoints du shérif deviennent des chasseurs d’immigrés. Le reste des États-Unis apprendra-t-il cette leçon sans avoir à passer par le même cauchemar ? L’Histoire, malheureusement, suggère que non. Mais au moins, l’Arizona a montré qu’il est possible de dire non. Parfois, c’est tout ce qui compte.