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Le triomphe médiatique russe

Revenons en arrière. Le 15 août 2025. Anchorage, Alaska. Base militaire conjointe d’Elmendorf-Richardson. Poutine pose le pied sur le sol américain pour la première fois depuis 2015, quand il avait participé à l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Cette fois, c’est différent. Il vient rencontrer Trump. Sur une base militaire américaine. Alors qu’une mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pèse sur lui pour crimes de guerre. La BBC l’a noté avec justesse : Moscou a accueilli ce sommet comme un triomphe diplomatique, le tapis rouge symbolisant la résurgence de la Russie sur la scène mondiale et l’échec de l’isolement de Moscou. Pendant près de trois heures, les deux hommes discutent. À la sortie, Poutine mentionne un « accord » lors de sa conférence de presse. Trump parle de « grands progrès. » Mais aucun cessez-le-feu. Aucun accord concret. Rien de tangible. Steve Witkoff, l’envoyé spécial de Trump, tente de justifier l’absence de résultat en expliquant à CNN : « Nous avons fait tellement de progrès lors de cette réunion concernant tous les autres ingrédients nécessaires à un accord de paix que nous — que le président Trump a pivoté vers cet endroit. » Pivoté. Quel mot magnifique pour dire on n’a rien obtenu.

Mais pour la Russie, peu importe. L’image compte plus que la substance. Poutine reçu en Alaska, traité comme un égal par le président américain alors qu’il est recherché internationalement — c’est déjà une victoire. Le Moscow Times cite des commentateurs russes qui ont caractérisé cette rencontre comme une gifle à Bruxelles, une démonstration que Moscou n’est plus isolé. Et pendant ce temps, sur le terrain en Ukraine, rien ne change. Les bombardements continuent. Les attaques s’intensifient. Le 27 août, quelques jours après le sommet d’Alaska, la Russie lance l’une des plus grandes attaques aériennes de la guerre selon l’Atlantic Council, tuant au moins vingt-trois personnes à Kiev. C’était un embarras pour la Maison-Blanche, qui insistait encore que la Russie était maintenant plus flexible. Flexible. Moscou venait de massacrer des civils ukrainiens par dizaines pour prouver sa « flexibilité. » La vérité brutale que John Herbst, ancien ambassadeur américain en Ukraine, a exprimée à l’Atlantic Council : « Poutine ne veut pas mettre fin à la guerre. Son objectif n’est pas de verrouiller ses gains ou de prendre le reste de l’oblast de Donetsk, mais de prendre le contrôle politique effectif de l’Ukraine. »

Le double jeu permanent de Moscou

Depuis août, c’est le même scénario qui se répète. Moscou fait miroiter des possibilités de négociation, parle de « compréhensions » atteintes, suggère une ouverture — et puis bombarde plus fort. Sergey Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, a eu une conversation téléphonique avec Marco Rubio, le secrétaire d’État américain, le lundi 20 octobre. Le Kremlin a décrit cet appel comme une « discussion constructive » qui abordait « des étapes concrètes possibles pour mettre en œuvre les compréhensions » entre Trump et Poutine. Magnifique. Sauf qu’un jour plus tard, Lavrov dit aux journalistes que la Russie rejette « les signaux venant de Washington » concernant un désir de mettre fin à la guerre le long des lignes de bataille actuelles. Politico a rapporté que Lavrov a précisé à Rubio que les exigences russes en Ukraine n’ont pas changé. Pas changé. C’est-à-dire : contrôle total des quatre oblasts de l’est et du sud, neutralité permanente de l’Ukraine, pas d’adhésion à l’OTAN, pas de troupes étrangères. En gros, capitulation ukrainienne totale.

Andrei Fedorov, ancien ministre adjoint des Affaires étrangères russe, l’a dit franchement à NBC News le 23 octobre : « Cela représente la différence fondamentale existant actuellement entre la Russie et les États-Unis. » Washington veut un cessez-le-feu maintenant, négociations ensuite. Moscou veut des concessions ukrainiennes massives d’abord, peut-être un cessez-le-feu ensuite. C’est incompatible. Totalement. Et pendant que cette comédie diplomatique se joue, les gens meurent. Six personnes dans la nuit du 21 au 22 octobre selon NBC News, tuées par des frappes russes peu après que Trump ait annoncé qu’il ne voulait pas perdre son temps à rencontrer Poutine. Le président ukrainien Zelensky l’a exprimé avec une clarté déchirante : « La Russie fait tout pour éviter la diplomatie. Plus les capacités à longue portée de l’Ukraine seront étendues, plus la Russie sera encline à conclure le conflit. » Plus on frappe fort, plus Moscou négocie. C’est la seule langue que le Kremlin comprend. Et l’Occident continue de croire aux paroles russes plutôt qu’aux actes russes.

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