Une forteresse flottante de 13 milliards de dollars
Pour comprendre la magnitude de cette menace, il faut saisir ce qu’est réellement l’USS Gerald R. Ford. Ce n’est pas simplement un porte-avions. C’est une ville flottante de guerre, un symbole vivant de la domination militaire américaine, une démonstration technologique qui n’a aucun équivalent dans le monde. Mis en service en juillet 2017 après plus d’une décennie de développement et un investissement dépassant les 13 milliards de dollars, le Ford représente la pointe de lance de la puissance navale du 21e siècle. Long de 333 mètres — plus de trois terrains de football placés bout à bout — avec un pont d’envol de 78 mètres de large, il déplace 100 000 tonnes à pleine charge. Propulsé par deux réacteurs nucléaires de nouvelle génération A1B qui lui confèrent une autonomie pratiquement illimitée et une vitesse dépassant les 30 nœuds (environ 56 km/h), ce colosse peut atteindre n’importe quel point du globe sans jamais avoir besoin de ravitaillement en carburant pendant ses 50 ans de durée de vie opérationnelle.
Mais c’est son arsenal embarqué qui le rend vraiment terrifiant. Le Ford transporte jusqu’à 90 aéronefs — un mélange mortel de chasseurs-bombardiers F/A-18E/F Super Hornet capables de frapper des cibles à des centaines de kilomètres, de chasseurs furtifs F-35C Lightning II de cinquième génération invisibles aux radars ennemis, d’avions de guerre électronique EA-18G Growler qui peuvent paralyser les systèmes de communication et de défense aérienne adverses, d’avions d’alerte précoce E-2D Hawkeye qui surveillent l’espace aérien sur 550 kilomètres à la ronde, d’hélicoptères anti-sous-marins SH-60 Seahawk, et bientôt de drones de combat autonomes. Cette flotte aérienne embarquée est plus puissante que l’armée de l’air entière de la plupart des nations. Le Ford peut lancer 160 sorties aériennes par jour en opérations soutenues, et monter en puissance jusqu’à 270 sorties quotidiennes en cas de besoin — grâce à son système révolutionnaire de catapultage électromagnétique (EMALS) qui remplace les anciennes catapultes à vapeur et permet de projeter un avion de 20 tonnes de zéro à 250 km/h en deux secondes.
Un équipage de 4 500 marins et une technologie d’avant-garde
Malgré sa taille colossale, le Ford opère avec un équipage remarquablement réduit de 4 500 personnes — environ 500 à 900 de moins qu’un porte-avions de classe Nimitz — grâce à des niveaux d’automatisation sans précédent. Des systèmes robotisés gèrent le réapprovisionnement en munitions et en carburant des avions. Des ascenseurs électromagnétiques ultra-rapides déplacent les aéronefs entre les ponts d’envol et les hangars en quelques secondes. Des radars multifonction de nouvelle génération — le AN/SPY-3 en bande X et le AN/SPY-6 en bande S — offrent une capacité de détection et de poursuite simultanée de centaines de cibles aériennes, navales et missiles à des distances dépassant les 500 kilomètres. Les systèmes de défense rapprochée incluent des missiles surface-air RIM-162 Evolved Sea Sparrow, des lanceurs de missiles Rolling Airframe (RAM) et des canons automatiques Phalanx CIWS capables d’abattre des missiles de croisière et des drones à quelques centaines de mètres du navire.
Mais le véritable génie du Ford réside dans sa capacité de génération électrique. Ses deux réacteurs nucléaires A1B produisent une puissance électrique 25 % supérieure aux réacteurs des porte-avions précédents — environ 700 mégawatts, assez pour alimenter une ville de 100 000 habitants. Cette énergie massive alimente non seulement les systèmes de propulsion et les catapultes électromagnétiques, mais elle permettra également l’intégration future d’armes à énergie dirigée — lasers de haute puissance et canons électromagnétiques (railguns) — qui pourront détruire des missiles, des drones et des petits navires à des coûts dérisoires par rapport aux munitions conventionnelles. Le Ford n’est pas simplement une plateforme militaire actuelle. C’est une plateforme conçue pour dominer les mers pendant un demi-siècle, évoluant constamment avec les technologies émergentes. Et maintenant, ce léviathan technologique se dirige vers le Venezuela. Pas pour défendre la démocratie. Pas pour protéger les droits humains. Pour servir les objectifs politiques domestiques de Donald Trump qui veut montrer qu’il est « dur avec la drogue » avant les prochaines élections.
La véritable mission : renverser Maduro, pas combattre la drogue
Les attaques meurtrières contre les « bateaux de drogue »
Le déploiement du Ford s’inscrit dans une campagne militaire qui a déjà fait au moins 43 morts depuis début septembre 2025. L’administration Trump prétend mener une guerre contre le trafic de drogue dans les Caraïbes, autorisant les forces américaines à attaquer et couler des embarcations présumées transportar de la cocaïne vers les États-Unis. Depuis le début de septembre, les forces américaines ont mené au moins dix frappes contre des bateaux dans les eaux internationales au large du Venezuela et de la Colombie, utilisant des hélicoptères de combat Apache, des drones armés MQ-9 Reaper et des tirs directs depuis des navires de guerre. Le dernier incident — annoncé par Hegseth quelques heures seulement avant l’ordre de déploiement du Ford — a fait six morts supplémentaires, portant le bilan total à au moins 43 personnes tuées. Quarante-trois êtres humains. Exécutés sommairement. Sans procès. Sans arrestation. Sans même tentative d’interception ou d’interrogatoire.
Mais voilà le problème : une proportion significative de ces victimes n’étaient probablement pas des trafiquants de drogue. Selon les familles des personnes tuées et selon plusieurs gouvernements régionaux, beaucoup des embarcations attaquées étaient des bateaux de pêche civils. Des pêcheurs ordinaires essayant simplement de gagner leur vie dans des eaux qu’ils fréquentent depuis des générations. Les États-Unis les ont qualifiés de « narco-terroristes » sans fournir la moindre preuve. Aucune drogue saisie n’a été présentée au public. Aucun survivant n’a été arrêté et jugé. Les bateaux ont simplement été détruits, leurs occupants tués, et le Pentagone a publié des communiqués de presse triomphants célébrant ces « succès » dans la lutte contre les cartels. Des experts en droit international ont soulevé de graves questions sur la légalité de l’usage de force létale en eaux internationales contre des suspects qui n’ont jamais été interceptés, questionnés ou formellement accusés. Mais Trump se moque éperdument du droit international. « Nous allons simplement éliminer les gens qui amènent de la drogue dans notre pays. D’accord ? Nous allons les éliminer », a-t-il déclaré avec une franchise brutale.
L’autorisation des opérations clandestines de la CIA
Le 15 octobre 2025, le New York Times a révélé que l’administration Trump avait secrètement autorisé la CIA à mener des opérations clandestines sur le territoire vénézuélien. Cette autorisation — techniquement appelée une « trouvaille » présidentielle — donne à l’agence de renseignement le feu vert pour entreprendre des missions létales contre le régime de Maduro ou contre ses alliés présumés dans les cartels de la drogue. Interrogé par des journalistes après la publication de l’article du Times, Trump a ouvertement confirmé cette autorisation, déclarant : « Nous examinons certainement les actions terrestres maintenant parce que nous avons très bien maîtrisé la mer. » C’était une admission extraordinaire. Les présidents américains ne confirment généralement jamais publiquement les opérations clandestines de la CIA. Mais Trump, dans son arrogance caractéristique, a jeté toute prudence diplomatique aux ordures et a essentiellement annoncé au monde entier que des agents américains opéraient secrètement au Venezuela avec mission de déstabiliser ou renverser le gouvernement.
Cette autorisation ouvre la porte à un éventail terrifiant de possibilités. La CIA pourrait recruter et armer des groupes d’opposition vénézuéliens pour mener une insurrection armée. Elle pourrait organiser des sabotages contre les infrastructures pétrolières, électriques ou de communication du pays. Elle pourrait tenter d’assassiner Maduro ou ses principaux lieutenants — une pratique que les États-Unis ont officiellement renoncée après les scandales des années 1970, mais que Trump semble prêt à ressusciter. Elle pourrait travailler en coordination avec l’armée américaine pour préparer une invasion terrestre en identifiant des cibles, en cartographiant les défenses vénézuéliennes et en semant le chaos dans les rangs des forces armées de Maduro. Le ministre vénézuélien de la Défense, Vladimir Padrino, a réagi avec défi : « Nous savons que la CIA est présente au Venezuela. Ils peuvent déployer je ne sais combien d’unités affiliées à la CIA dans des opérations clandestines… et toute tentative échouera. » Mais cette bravade masque une anxiété palpable. Le Venezuela se prépare activement à une intervention américaine qu’il considère désormais comme quasi certaine.
Les véritables objectifs : changement de régime et politique domestique
Malgré la rhétorique officielle sur la lutte contre le trafic de drogue, pratiquement personne — ni les analystes militaires, ni les experts en Amérique latine, ni même les propres alliés de Trump — ne croit que c’est le véritable objectif de cette escalade militaire. Comme l’ont confié plusieurs responsables américains au New York Times, le but ultime est de renverser Nicolás Maduro. Trump déteste Maduro avec une intensité viscérale. Il le qualifie de « dictateur », de « chef de cartel », de « communiste », et a déclaré à plusieurs reprises que le régime vénézuélien devait « partir ». L’administration Trump refuse de reconnaître la légitimité de Maduro suite aux élections contestées de juillet 2024 — où le dirigeant de l’opposition Edmundo González prétend avoir remporté la victoire mais a dû fuir en exil en Espagne après que le gouvernement vénézuélien ait rejeté les résultats et réprimé violemment les manifestations de protestation.
Mais il y a aussi un calcul politique domestique cynique derrière cette escalade. Trump est obsédé par l’immigration et le contrôle de la frontière sud — des thèmes centraux de ses campagnes électorales. Des millions de Vénézuéliens ont fui leur pays en ruines économiques au cours de la dernière décennie, beaucoup d’entre eux tentant d’atteindre les États-Unis. Trump accuse Maduro d’avoir délibérément provoqué cette crise migratoire et d’avoir même « vidé ses prisons » en envoyant des criminels vers le nord. En renversant Maduro, Trump espère pouvoir revendiquer le mérite d’avoir « résolu » la crise vénézuélienne et donc réduit les flux migratoires. De plus, en montrant une posture ultra-agressive contre les « narco-terroristes » et les « cartels », il espère renforcer son image d’homme fort protégeant l’Amérique. Peu importe que cette stratégie soit vouée à l’échec. Peu importe qu’une intervention militaire au Venezuela risque de déclencher un conflit régional catastrophique, de déstabiliser encore davantage l’Amérique latine, et de provoquer une crise humanitaire qui ferait pâlir les flux migratoires actuels. Trump pense à court terme. Il pense en termes de manchettes. Et rien ne génère de manchettes comme un porte-avions géant fonçant vers un ennemi diabolisé.
Le déploiement naval massif dans les Caraïbes
Une armada sans précédent depuis des décennies
Le Ford ne sera pas seul dans les Caraïbes. Loin de là. Depuis septembre 2025, l’administration Trump a orchestré le plus grand déploiement militaire américain en Amérique latine depuis l’invasion du Panama en 1989 ou peut-être même depuis la crise des missiles de Cuba en 1962. Avant même l’annonce du déploiement du Ford, huit navires de guerre américains patrouillaient déjà dans la région : trois destroyers lance-missiles, un croiseur lance-missiles, un navire de combat littoral, un navire d’assaut amphibie capable de transporter des Marines et des hélicoptères de combat, et deux navires de transport. À ceux-ci s’ajoutent maintenant le Ford et ses trois destroyers d’escorte, portant le total à au moins douze navires de surface. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
Des sous-marins nucléaires d’attaque — dont les mouvements ne sont jamais officiellement confirmés — opèrent également dans la zone, surveillant les communications vénézuéliennes et se positionnant pour d’éventuelles frappes de missiles de croisière. Des avions de patrouille maritime P-8 Poseidon basés à Porto Rico effectuent des vols de reconnaissance quotidiens au-dessus des Caraïbes et le long des côtes vénézuéliennes, cartographiant les défenses aériennes et navales du pays. Des drones de combat MQ-9 Reaper — les mêmes qui ont été utilisés pour éliminer des cibles terroristes en Afghanistan, en Irak, au Yémen et en Somalie — survolent la région en permanence, prêts à frapper à tout moment. Des chasseurs F-35 Lightning II de cinquième génération ont été déployés dans des bases à Porto Rico, offrant une capacité de frappe furtive qui pourrait pénétrer profondément dans l’espace aérien vénézuélien sans être détectée jusqu’au dernier moment. Des unités de forces spéciales — Navy SEALs, Rangers, Delta Force — se sont discrètement positionnées dans la région, prêtes pour des opérations de reconnaissance, de sabotage ou d’action directe.
La réponse vénézuélienne : exercices militaires et missiles russes
Face à cette démonstration de force écrasante, le Venezuela ne reste pas passif. Le président Maduro a ordonné des exercices militaires massifs le long des côtes du pays, mobilisant l’armée, la marine et l’aviation vénézuéliennes dans une démonstration de préparation défensive. Le ministre de la Défense Padrino a supervisé personnellement ces manœuvres, déclarant que le Venezuela était prêt à repousser toute agression américaine. Lors d’un discours télévisé mercredi dernier, Maduro a fait une révélation stupéfiante : le Venezuela posséderait 5 000 missiles antiaériens de fabrication russe déployés dans des « positions clés de défense aérienne » à travers le pays. Si ce chiffre est exact — et il y a des raisons de penser qu’il est exagéré — cela représenterait une capacité défensive significative capable d’infliger des pertes réelles aux forces aériennes américaines en cas d’invasion.
La Russie et la Chine — les deux principaux alliés internationaux du Venezuela — observent la situation avec une inquiétude croissante. Moscou a investi des milliards de dollars dans le secteur pétrolier vénézuélien et considère le pays comme un partenaire stratégique crucial en Amérique latine. Pékin a prêté des dizaines de milliards au Venezuela en échange de livraisons futures de pétrole. Ni la Russie ni la Chine ne veulent voir Maduro renversé par une intervention militaire américaine qui installerait probablement un gouvernement pro-Washington. Mais que peuvent-ils faire réellement ? La Russie est embourbée dans son conflit avec l’Ukraine et n’a aucune capacité de projection de puissance significative dans les Caraïbes. La Chine est plus prudente encore, peu encline à provoquer une confrontation directe avec les États-Unis pour le Venezuela. Le régime de Maduro est donc largement isolé, comptant principalement sur ses propres forces — considérablement inférieures en nombre et en technologie — et sur l’espoir que Trump recule face aux coûts potentiels d’une invasion.
Les bombardiers stratégiques américains survolent la région
Comme si l’armada navale ne suffisait pas, l’administration Trump a également déployé des bombardiers stratégiques dans le théâtre caribéen. Des données de suivi de vols ont confirmé qu’un bombardier B-1B Lancer — capable de transporter 34 tonnes de munitions guidées de précision — a effectué un vol le long de la côte vénézuélienne jeudi dernier, s’approchant du territoire national avant de faire demi-tour et de disparaître des écrans radar civils. La semaine précédente, des bombardiers B-52 Stratofortress avaient effectué des patrouilles similaires. Ces missions, selon le Pentagone, visent à « dissuader les menaces, améliorer l’entraînement et assurer la préparation ». Mais pour Caracas, ce sont des actes de provocation pure et simple — des démonstrations de force destinées à intimider le régime et à démontrer la capacité américaine de frapper n’importe quelle cible au Venezuela avec une précision dévastatrice.
Trump, interrogé sur le vol du B-1B, a d’abord nié que cela se soit produit, le qualifiant de « faux ». Puis, dans la même phrase, il a ajouté : « Nous ne sommes pas contents du Venezuela pour beaucoup de raisons. » C’est typiquement trumpien — nier et confirmer simultanément, créant une ambiguïté délibérée qui maintient tout le monde — adversaires et alliés — dans l’incertitude sur ses véritables intentions. Mais l’ambiguïté a ses limites. Quand vous déployez le plus grand porte-avions du monde, une douzaine de navires de guerre, des bombardiers stratégiques, des drones armés, des chasseurs furtifs, des sous-marins nucléaires et des forces spéciales dans une région spécifique, tout en autorisant simultanément des opérations clandestines de la CIA et en promettant publiquement des « actions terrestres » imminentes, l’intention devient assez claire. Vous vous préparez à la guerre. Que vous ayez réellement l’intention de la mener ou que vous espériez simplement que la menace suffira à provoquer un effondrement interne du régime, le résultat est le même : vous jouez avec le feu. Et en Amérique latine, le feu a une fâcheuse tendance à se propager de manière incontrôlable.
La légalité douteuse et les précédents dangereux
L’utilisation de force létale sans procédure légale
Les attaques américaines contre les embarcations présumées transporter de la drogue soulèvent des questions juridiques extrêmement troublantes que l’administration Trump refuse catégoriquement d’aborder. Selon le droit international, l’usage de force létale contre des suspects criminels — même des trafiquants de drogue présumés — ne peut être justifié que dans des circonstances très limitées : légitime défense immédiate, protection de vies innocentes en danger imminent, ou après qu’un navire suspect ait refusé de s’arrêter suite à des sommations légitimes et que l’interception par des moyens non létaux se soit avérée impossible. Les États-Unis n’ont fourni aucune preuve que ces conditions étaient remplies dans les dix frappes qu’ils ont menées. Aucune vidéo n’a été publiée montrant les bateaux refusant de s’arrêter. Aucun témoignage n’a été fourni sur les procédures d’interception suivies. Les embarcations ont simplement été détruites et leurs occupants tués.
De plus, ces attaques se sont déroulées en eaux internationales — hors de la juridiction territoriale des États-Unis ou de tout autre pays. Le droit maritime international permet aux États de poursuivre et d’arrêter des navires soupçonnés de trafic de drogue en haute mer, mais il exige que ces navires soient ensuite amenés dans un port pour inspection et que leurs équipages soient arrêtés et traduits en justice selon les procédures légales appropriées. Ce qui s’est passé ici est radicalement différent : des exécutions extrajudiciaires en pleine mer, sans arrestation, sans procès, sans même confirmation que les cibles étaient réellement des trafiquants. Les familles des victimes — principalement des Vénézuéliens et des Colombiens — affirment que beaucoup étaient de simples pêcheurs. Elles exigent des enquêtes indépendantes. Elles exigent de voir les preuves. Mais Washington ignore ces appels, préférant célébrer chaque frappe comme une victoire dans sa « guerre contre les cartels ».
L’invocation de la rhétorique anti-terroriste
Ce qui rend cette escalade encore plus inquiétante est la manière dont l’administration Trump a commencé à fusionner la rhétorique de la « guerre contre la drogue » avec celle de la « guerre contre le terrorisme ». Le Pentagone et la Maison-Blanche parlent désormais systématiquement de « narco-terrorisme » et de la nécessité de « démanteler les organisations criminelles transnationales » en les traitant comme Al-Qaïda ou l’État islamique. Cette fusion linguistique n’est pas accidentelle. Elle prépare le terrain juridique et politique pour justifier des actions militaires qui seraient normalement considérées comme illégales ou disproportionnées contre de simples criminels. Après tout, si les cartels sont des « terroristes », alors on peut leur appliquer le même cadre juridique que celui utilisé depuis 2001 — l’Authorization for Use of Military Force (AUMF) qui a permis vingt ans de guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Yémen, en Somalie et ailleurs.
Lors d’une conférence de presse récente, Trump a déclaré sans ambages : « Je ne pense pas que nous allons nécessairement demander une déclaration de guerre. Je pense que nous allons simplement éliminer les gens qui amènent de la drogue dans notre pays. » Cette phrase devrait glacer le sang de quiconque se soucie du respect du droit constitutionnel et international. Le président affirme ouvertement qu’il n’a pas besoin de l’autorisation du Congrès — requise par la Constitution pour déclarer la guerre — pour mener des opérations militaires létales contre des cibles étrangères. Il invoque implicitement les pouvoirs de guerre contre le terrorisme pour contourner les processus démocratiques normaux. C’est exactement le même mécanisme qui a permis deux décennies de « guerre globale contre le terrorisme » menée avec une surveillance congressionnelle minimale et pratiquement aucune responsabilité publique. Et maintenant, Trump veut l’étendre à l’Amérique latine. Quelles seront les limites ? Si Maduro est un « narco-terroriste », peut-on l’assassiner sans déclaration de guerre ? Si le Venezuela abrite des « organisations terroristes », peut-on envahir le pays sans vote du Congrès ? Selon la logique trumpienne, apparemment oui.
Les risques d'une intervention militaire désastreuse
Le Venezuela n’est pas l’Irak ou l’Afghanistan
Si Trump décide réellement d’ordonner une intervention militaire terrestre au Venezuela, il se lancera dans une aventure qui pourrait faire pâlir les catastrophes de l’Irak et de l’Afghanistan. Le Venezuela est un pays de 28 millions d’habitants avec un terrain extrêmement difficile — des montagnes accidentées, des jungles denses, des zones urbaines surpeuplées — qui rendrait toute occupation extrêmement coûteuse en vies et en ressources. Contrairement à l’Irak sous Saddam Hussein, dont l’armée démoralisée s’est largement effondrée face à l’invasion américaine de 2003, les forces armées vénézuéliennes — bien qu’équipées de matériel vieillissant — sont profondément loyales à Maduro parce qu’elles bénéficient énormément du régime. Les généraux contrôlent de vastes pans de l’économie, y compris le trafic de drogue que Trump prétend vouloir éliminer. Ils ne se rendront pas facilement. Ils se battront pour préserver leurs privilèges.
De plus, une invasion américaine déclencherait probablement une insurrection prolongée. Des millions de Vénézuéliens détestent Maduro et rêvent de son renversement. Mais cela ne signifie pas qu’ils accueilleraient les troupes américaines comme des libérateurs. L’histoire de l’impérialisme américain en Amérique latine — les interventions au Guatemala, au Nicaragua, au Panama, à Grenade, les coups d’État soutenus par la CIA au Chili et en Argentine — a laissé des cicatrices profondes. Une invasion ouverte réactiverait instantanément ces mémoires douloureuses et donnerait naissance à un mouvement de résistance nationaliste qui transcenderait les divisions politiques internes. Des groupes armés — chavistes, nationalistes, simplement anti-américains — émergeraient dans les montagnes et les jungles. Ils mèneraient une guérilla brutale contre les forces d’occupation. Les États-Unis se retrouveraient embourbés dans un conflit asymétrique sans fin, saignant des ressources et des vies sans aucune stratégie de sortie claire. Exactement comme en Irak. Exactement comme en Afghanistan. Sauf que cette fois, ce serait dans notre propre hémisphère.
La déstabilisation régionale et la crise humanitaire
Une intervention militaire au Venezuela ne resterait pas confinée aux frontières vénézuéliennes. Elle déstabiliserait toute l’Amérique latine de manière catastrophique. La Colombie — voisine directe du Venezuela et alliée des États-Unis — serait instantanément submergée par des millions de réfugiés fuyant les combats. Bogotá accueille déjà près de 3 millions de migrants vénézuéliens qui ont fui la crise économique au cours de la dernière décennie. Une guerre doublerait ou triplerait ce nombre pratiquement du jour au lendemain, submergeant complètement les capacités colombiennes d’accueil et créant une crise humanitaire d’une ampleur biblique. Le Brésil, la Guyane, Trinité-et-Tobago, tous les pays frontaliers ou proches feraient face au même déluge. Des millions de personnes déplacées, affamées, désespérées, traversant des frontières poreuses, créant des camps de réfugiés massifs dépourvus de services de base.
Politiquement, l’ensemble du continent se retournerait contre Washington. Même les gouvernements latino-américains qui détestent Maduro et qui ont soutenu l’opposition vénézuélienne hésiteraient à approuver une invasion militaire américaine. Le Brésil — la plus grande puissance régionale — a déjà clairement indiqué qu’il s’opposerait à toute intervention extérieure forcée. Le Mexique, la Colombie, l’Argentine, le Chili, tous ont exprimé leur préférence pour une solution politique négociée. Une invasion unilatérale américaine fracturera l’Organisation des États Américains, détruira des décennies de coopération régionale péniblement construite, et poussera de nombreux pays latino-américains plus près de la Chine et de la Russie comme contrepoids à l’hégémonie américaine perçue comme agressive et néo-impérialiste. Les États-Unis se retrouveraient diplomatiquement isolés dans leur propre arrière-cour, haïs comme jamais auparavant, ayant sacrifié toute influence constructive pour une victoire militaire pyrrhique qui résoudrait absolument aucun des problèmes sous-jacents.
Le coût économique et humain pour les États-Unis
Et puis il y a le coût pour l’Amérique elle-même. Les guerres en Irak et en Afghanistan ont coûté aux contribuables américains plus de 6 000 milliards de dollars au total et ont tué près de 7 000 soldats américains, sans compter les dizaines de milliers blessés physiquement et psychologiquement. Une intervention au Venezuela suivrait probablement une trajectoire similaire — des coûts initiaux sous-estimés qui exploseraient au fil des années, des prévisions optimistes de « mission accomplie » rapidement démenties par la réalité d’une insurrection tenace, et un bilan humain qui s’alourdirait inexorablement mois après mois. Le Pentagone prétendrait pouvoir « gagner » rapidement en renversant Maduro. Mais ensuite quoi ? Qui gouvernerait le Venezuela ? L’opposition fractionnée et largement discréditée ? Un gouvernement fantoche installé par Washington ? Une administration militaire américaine directe ? Aucune de ces options n’est viable à long terme.
De plus, une guerre au Venezuela provoquerait une flambée massive des prix du pétrole sur les marchés mondiaux. Le Venezuela possède les plus grandes réserves pétrolières prouvées de la planète — plus que l’Arabie saoudite. Même si sa production a drastiquement chuté sous Maduro en raison de la mauvaise gestion et des sanctions américaines, le pays produit encore environ un million de barils par jour. Une guerre perturberait totalement cette production. Plus important encore, les marchés pétroliers réagiraient à l’incertitude et à la volatilité en faisant grimper les prix. L’essence à la pompe pourrait facilement atteindre 5 ou 6 dollars le gallon aux États-Unis. Les coûts de transport et de production industrielle exploseraient. L’inflation — que Trump prétend combattre — s’envolerait. L’économie américaine pourrait plonger en récession. Et tout ça pour quoi ? Pour renverser un dictateur de troisième ordre qui ne menace personne en dehors de son propre peuple malchanceux ? C’est de la folie. Une folie absolue. Mais c’est la trajectoire sur laquelle Trump a mis le pays. Et le Ford qui fonce vers les Caraïbes en est le symbole métallique et terrifiant.
Les voix dissidentes et l'opposition à l'escalade
Les experts militaires sonnent l’alarme
Malgré la rhétorique belliqueuse de l’administration Trump, de nombreux experts militaires et analystes stratégiques — y compris des vétérans ayant servi en Irak et en Afghanistan — mettent en garde contre une intervention au Venezuela. Un rapport récent de l’International Crisis Group, une organisation de prévention des conflits basée à Bruxelles, avertit que « l’administration Trump glisse vers un changement de régime au Venezuela » et que « les États-Unis devraient se méfier des retombées potentielles » d’une telle politique. Le rapport souligne que même si Maduro était renversé avec succès — ce qui est loin d’être garanti — le résultat serait probablement le chaos, pas la stabilité. « Il n’y a aucune garantie qu’un Venezuela post-Maduro serait plus stable ou plus démocratique », écrivent les auteurs. « Au contraire, un effondrement soudain du régime pourrait déclencher des luttes de pouvoir violentes entre factions rivales, une fragmentation territoriale, et une explosion de violence criminelle. »
D’anciens commandants militaires américains ayant une expérience en Amérique latine ont également exprimé leur scepticisme. Ils soulignent que les forces armées américaines sont déjà étirées au maximum avec des engagements continus au Moyen-Orient, en Europe de l’Est face à la Russie, et en Asie-Pacifique face à la Chine. Ajouter une intervention majeure en Amérique du Sud nécessiterait soit de réduire drastiquement la présence américaine ailleurs — créant des vides stratégiques que les adversaires pourraient exploiter — soit de mobiliser massivement la Garde nationale et les réserves, perturbant l’économie domestique et la vie de centaines de milliers de familles américaines. De plus, contrairement aux interventions récentes au Moyen-Orient, une opération au Venezuela ne bénéficierait d’aucune infrastructure d’accueil régionale. Les États-Unis n’ont aucune base militaire majeure en Amérique du Sud. La Colombie pourrait éventuellement coopérer, mais même Bogotá hésiterait à autoriser l’utilisation de son territoire comme base de lancement d’une invasion, craignant les répercussions politiques internes et régionales.
L’opposition politique domestique limitée mais croissante
Aux États-Unis même, l’opposition politique à une potentielle intervention reste étonnamment limitée, mais elle commence à se cristalliser. Certains démocrates progressistes au Congrès — notamment des membres de la « Squad » comme Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar — ont dénoncé l’escalade militaire et exigé que toute action militaire majeure soit soumise à un vote congressionnel conformément à la Constitution. Elles soulignent que l’administration Trump n’a présenté aucune stratégie claire, aucun objectif mesurable, aucune estimation de coût, et aucun plan de sortie. « Nous avons vu ce film auparavant », a déclaré la représentante Ocasio-Cortez lors d’une interview. « L’Irak, l’Afghanistan, la Libye — chaque fois, on nous promet une victoire rapide et facile, et chaque fois, cela se transforme en désastre qui dure des décennies. Nous ne pouvons pas répéter ces erreurs au Venezuela. »
Mais la réalité est que l’opposition domestique reste fragmentée et inefficace. Les républicains au Congrès soutiennent majoritairement Trump, séduits par sa posture dure contre le « narco-terrorisme » et le « communisme ». De nombreux démocrates modérés — craignant d’être accusés de faiblesse sur les questions de sécurité nationale ou de complaisance envers les dictateurs — restent silencieux ou offrent un soutien tiède. Les médias grand public, plutôt que de questionner rigoureusement les justifications de l’administration, ont largement repris la rhétorique officielle sur les cartels et Maduro. L’opinion publique américaine, préoccupée par l’inflation, l’immigration et les problèmes domestiques, prête relativement peu d’attention à ce qui se passe dans les Caraïbes. Tant que les cercueils américains ne commencent pas à revenir en nombre significatif, la plupart des Américains ne s’opposeront probablement pas activement à une intervention. Ce qui signifie que Trump aura essentiellement carte blanche pour faire ce qu’il veut. Et ce qu’il veut, apparemment, c’est une guerre.
La question du pétrole et des intérêts économiques
Les plus grandes réserves pétrolières du monde
Bien que Trump et son administration nient catégoriquement que le pétrole joue un rôle dans leur stratégie vénézuélienne, l’éléphant noir et visqueux dans la pièce est impossible à ignorer. Le Venezuela possède les plus grandes réserves pétrolières prouvées de la planète — environ 300 milliards de barils, dépassant même l’Arabie saoudite. C’est une richesse souterraine colossale qui devrait faire du Venezuela l’un des pays les plus prospères du monde. Au lieu de cela, une mauvaise gestion catastrophique, la corruption endémique, et les sanctions américaines paralysantes ont réduit la production pétrolière vénézuélienne de plus de 3 millions de barils par jour à son apogée au début des années 2000 à environ 1 million de barils aujourd’hui. L’infrastructure pétrolière du pays — jadis parmi les plus sophistiquées au monde — s’effondre littéralement, avec des raffineries en panne, des pipelines qui fuient, et des champs pétrolifères mal entretenus.
Un changement de régime au Venezuela — surtout s’il installe un gouvernement pro-américain — ouvrirait potentiellement ces réserves massives aux compagnies pétrolières occidentales. Les sanctions américaines ont effectivement fermé le secteur pétrolier vénézuélien aux entreprises américaines depuis des années. Un nouveau gouvernement pourrait immédiatement lever ces restrictions, permettant à ExxonMobil, Chevron et d’autres géants de revenir et d’investir des dizaines de milliards dans la reconstruction de l’industrie. La production pourrait potentiellement rebondir à 2 ou 3 millions de barils par jour en quelques années avec un investissement massif. Cela inonderait les marchés mondiaux de pétrole supplémentaire, ferait baisser les prix — bénéficiant aux consommateurs américains et affaiblissant les pétro-États adversaires comme la Russie et l’Iran — et génèrerait d’énormes profits pour les compagnies pétrolières. C’est un scénario tentant pour certains dans l’establishment américain.
Les précédents irakiens et libyens
Bien sûr, nous avons déjà vu cette logique à l’œuvre. En 2003, lorsque l’administration Bush envahissait l’Irak, des responsables américains promettaient que la reconstruction du secteur pétrolier irakien se paierait d’elle-même et générerait des revenus qui couvriraient les coûts de la guerre. Le vice-président Dick Cheney — ancien PDG de la compagnie de services pétroliers Halliburton — prédisait que les forces américaines seraient « accueillies comme des libérateurs » et que le pétrole coulerait à flots, finançant la reconstruction démocratique de l’Irak. Rien de tout cela ne s’est produit. L’industrie pétrolière irakienne a été sabotée, pillée et paralysée pendant des années. Les revenus pétroliers ont été massivement inférieurs aux prévisions. Les coûts de la guerre ont explosé à plus de 2 000 milliards de dollars. Les compagnies pétrolières américaines ont obtenu quelques contrats, mais rien qui justifie les sacrifices humains et financiers colossaux.
De même, l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011 — ostensiblement pour protéger les civils contre Mouammar Kadhafi — a eu comme résultat « fortuit » l’ouverture du secteur pétrolier libyen aux entreprises occidentales qui avaient été marginalisées sous Kadhafi. Mais là encore, le résultat a été catastrophique. La Libye s’est effondrée dans le chaos, déchirée entre milices rivales. La production pétrolière s’est effondrée. Le pays est devenu une route majeure pour les migrants et les trafiquants traversant la Méditerranée vers l’Europe. Une décennie plus tard, la Libye reste fragmentée et instable. Les rêves de récupérer facilement le pétrole libyen se sont révélés être des mirages. Pourtant, malgré ces échecs répétés et documentés, la même logique — renverser un régime hostile, installer un gouvernement ami, prendre contrôle des ressources pétrolières — semble motiver au moins partiellement l’approche de Trump envers le Venezuela. Parce que l’attrait du pétrole est irrésistible pour certains décideurs. Et l’amnésie historique est apparemment totale.
Conclusion
Et nous voici donc, en ce vendredi 24 octobre 2025, à regarder le plus grand porte-avions jamais construit mettre le cap vers les Caraïbes, chargé de 75 avions de combat, accompagné d’une armada de navires de guerre, de sous-marins nucléaires, de bombardiers stratégiques et de forces spéciales. Une démonstration de puissance militaire d’une ampleur rarement vue en Amérique latine depuis la Guerre froide. Officiellement, cette escalade massive vise à combattre le trafic de drogue et à démanteler les cartels. En réalité, tout le monde sait que la véritable cible est Nicolás Maduro et que l’objectif ultime est un changement de régime au Venezuela. Trump a autorisé des opérations clandestines de la CIA. Il a promis des « actions terrestres » imminentes. Il a ouvertement déclaré qu’il allait « simplement éliminer » ceux qu’il juge responsables. Les signaux ne pourraient pas être plus clairs. Nous sommes sur une trajectoire de collision qui pourrait facilement dégénérer en intervention militaire ouverte.
Les conséquences d’une telle intervention seraient catastrophiques — non seulement pour le Venezuela, mais pour toute l’Amérique latine et pour les États-Unis eux-mêmes. Des dizaines de milliers de personnes mourraient dans les combats initiaux et l’insurrection qui suivrait inévitablement. Des millions de réfugiés fuiraient vers les pays voisins, créant une crise humanitaire sans précédent dans l’hémisphère. L’économie vénézuélienne — déjà en ruines — s’effondrerait complètement. Les prix du pétrole exploseraient sur les marchés mondiaux, déclenchant potentiellement une récession globale. Les relations diplomatiques américaines avec l’ensemble de l’Amérique latine seraient détruites pour une génération. Et les États-Unis se retrouveraient embourbés dans encore une autre guerre asymétrique coûteuse et interminable, saignant des ressources et des vies sans aucune stratégie de sortie claire. Tout cela pour satisfaire l’ego d’un président obsédé par l’apparence de force et désireux de détourner l’attention des problèmes domestiques en créant un ennemi étranger pratique. Le USS Gerald R. Ford — ce monstre de métal et de technologie qui fonce maintenant vers le sud — n’est pas un instrument de justice ou de libération. C’est un symbole de l’arrogance impériale, du militarisme sans réflexion, de la répétition aveugle des erreurs historiques que nous aurions dû apprendre à éviter. Et pendant que ce colosse flottant trace sa route vers les Caraïbes, le monde retient son souffle et se demande : Trump ira-t-il vraiment jusqu’au bout ? Et si oui, combien de vies innocentes seront sacrifiées avant que cette folie ne prenne fin ?