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Une fermeture gouvernementale instrumentalisée

Contrairement aux fermetures gouvernementales précédentes, celle d’octobre 2025 ne résulte pas simplement d’une impasse budgétaire entre républicains et démocrates. Elle est le produit d’un calcul politique froid où chaque jour de dysfonctionnement sert les intérêts du pouvoir exécutif. Trump refuse catégoriquement de rencontrer les dirigeants démocrates Chuck Schumer et Hakeem Jeffries avant la réouverture du gouvernement, créant ainsi une boucle kafkaïenne où la résolution de la crise nécessite une négociation que le président lui-même rend impossible. Le 21 octobre, il a déclaré sans ambages qu’il ne serait pas « extorqué » par les démocrates, transformant une responsabilité constitutionnelle en affrontement personnel. Cette posture n’est pas de l’incompétence — c’est de la tactique pure.

Pendant que les fonctionnaires fédéraux manquent leurs premières paies complètes le 24 octobre, pendant que les militaires se demandent s’ils recevront leurs salaires le 31, Trump prépare tranquillement un voyage en Asie prévu pour le 25, laissant derrière lui un gouvernement en ruines et un Congrès paralysé. Chaque jour de fermeture affaiblit les institutions qu’il cherche à soumettre, chaque semaine de chaos habitue la population à l’idée qu’un président peut gouverner par décret et par intimidation. Le chaos n’est plus l’exception — il devient la norme, l’outil privilégié d’une administration qui a compris que la destruction institutionnelle peut servir de fondation à un nouveau type de pouvoir.

Le chantage budgétaire comme arme politique

Le 16 octobre, pour la dixième fois consécutive, le Sénat a rejeté le projet de loi de dépenses adopté par la Chambre des représentants. Les votes suivent des lignes partisanes strictes, à l’exception de quelques transfuges : les sénateurs démocrates Fetterman, Cortez Masto et King ont voté avec les républicains, tandis que le républicain Paul a voté contre son propre parti. Ces défections marginales ne changent rien au blocage fondamental. Le 23 octobre, une proposition visant à garantir la paie des troupes militaires et des employés fédéraux essentiels pendant la fermeture a échoué avec cinquante-quatre voix pour contre quarante-cinq, n’atteignant pas le seuil de soixante voix nécessaire au Sénat. Des soldats américains en service actif ne savent pas s’ils recevront leur prochaine paie, non pas à cause d’une crise économique mais d’un choix politique délibéré.

Le président de la Chambre, Johnson, a annoncé dès le 3 octobre qu’il prolongeait la pause de la Chambre d’une semaine supplémentaire, puis encore jusqu’au 19 octobre — une pause qui ne s’est jamais terminée. La Chambre fonctionne désormais avec un préavis de quarante-huit heures pour revenir, selon Johnson, ce qui signifie qu’elle ne fonctionne pas du tout. Cette abdication du pouvoir législatif n’est pas accidentelle : c’est le résultat d’une stratégie où Trump a compris qu’un Congrès dysfonctionnel lui laisse les mains libres pour gouverner par décret, pour imposer sa volonté sans les contraintes habituelles de la séparation des pouvoirs.

Le voyage stratégique en pleine crise

Le timing du départ de Trump pour l’Asie le 25 octobre n’est pas fortuit. En quittant Washington au moment le plus critique de la fermeture gouvernementale, il garantit effectivement que la crise continuera pendant plusieurs jours supplémentaires, puisqu’il est le seul à pouvoir signer une législation pour y mettre fin. Ce n’est pas de la négligence — c’est une démonstration de pouvoir calculée. Le message est clair : le gouvernement américain ne peut fonctionner sans lui, et s’il choisit de partir, tout s’arrête. Cette personnalisation extrême du pouvoir exécutif transforme la présidence en monarchie élective, où les institutions ne sont que des extensions de la volonté présidentielle plutôt que des structures autonomes avec leurs propres légitimités.

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