Aller au contenu

Un refus catégorique de la soumission

Brandon Johnson n’a pas mâché ses mots face aux menaces présidentielles. Le maire de Chicago, ancien enseignant et organisateur syndical, a qualifié les propos de Trump d’absurdes et répréhensibles, dénonçant une tentative d’occupation militaire des villes américaines. « Il est absolument absurde et révoltant que le président des États-Unis décrive la ville de Chicago ou les villes américaines comme des ennemis de l’intérieur. C’est inconcevable. C’est imprudent. C’est dangereux », a-t-il déclaré lors d’une entrevue avec Democracy Now le 1er octobre 2025. Pour Johnson, l’enjeu dépasse largement la simple gestion municipale — il s’agit de défendre la démocratie américaine elle-même contre ce qu’il perçoit comme une dérive autoritaire sans précédent. Le maire a également souligné que la campagne de déportations massives orchestrée par l’administration Trump n’avait rien à voir avec la sécurité publique, mais constituait plutôt une opération à but lucratif destinée à enrichir les sociétés privées de détention qui ont massivement contribué à la campagne présidentielle.

Cette résistance s’inscrit dans un contexte où plusieurs responsables démocrates adoptent des stratégies différentes face à Trump. Tandis que le maire de San Francisco, Daniel Lurie, a choisi une approche plus conciliante — demandant « très gentiment » au président de lui donner une chance de redresser la situation, ce qui a temporairement épargné sa ville d’un déploiement fédéral le 24 octobre 2025 — Johnson a opté pour la confrontation directe. Cette divergence stratégique soulève une question cruciale pour les élus démocrates : faut-il négocier avec une administration qui brandit la menace militaire comme outil de pression politique, ou maintenir une ligne de résistance ferme au risque de provoquer effectivement l’intervention des troupes fédérales ? Pour le maire de Chicago, la réponse est claire — céder aux intimidations reviendrait à abandonner les principes démocratiques fondamentaux qui garantissent l’autonomie des gouvernements locaux face au pouvoir fédéral.

Une bataille juridique et constitutionnelle

La confrontation entre Chicago et Washington s’est rapidement déplacée sur le terrain juridique. Le gouverneur de l’Illinois, JB Pritzker, a intenté une action en justice le 6 octobre 2025 pour obtenir une injonction d’urgence visant à bloquer le déploiement de la Garde nationale dans l’État, avec la ville de Chicago comme coplaignante. Pritzker a dénoncé une intrusion militarisée imprudente et une violation flagrante de la Constitution, affirmant qu’il était « absolument scandaleux et antiaméricain d’exiger qu’un gouverneur envoie des troupes militaires à l’intérieur de nos propres frontières et contre notre volonté ». Le Pentagone aurait notifié le gouverneur tôt le matin du 4 octobre que le président fédéraliserait les unités de la Garde nationale de l’Illinois « dans les heures à venir », malgré le refus explicite de l’État de consentir à cette opération. Cette manœuvre fédérale soulève des questions constitutionnelles majeures concernant l’équilibre des pouvoirs entre le gouvernement central et les États.

Les arguments juridiques déployés par les responsables de l’Illinois s’appuient sur plusieurs principes fondamentaux du droit constitutionnel américain. Premièrement, la clause du fédéralisme garantit aux États une autonomie substantielle dans la gestion de leurs affaires internes, y compris le maintien de l’ordre public. Deuxièmement, le déploiement de forces militaires à l’intérieur des frontières nationales est strictement encadré par le Posse Comitatus Act de 1878, qui interdit généralement l’utilisation des forces armées fédérales pour faire respecter la loi civile, sauf exceptions très limitées. Trump a toutefois évoqué la possibilité d’invoquer l’Insurrection Act de 1807, une loi qui permet aux présidents de mobiliser certaines forces armées dans des contextes exceptionnels d’insurrection ou de troubles civils majeurs. Le 6 octobre 2025, Trump a explicitement menacé de recourir à cette législation d’exception : « Si je devais l’invoquer, je le ferais. Si des gens étaient tués et que les tribunaux nous retenaient ou que des gouverneurs ou des maires nous retenaient, bien sûr que je le ferais », a-t-il affirmé depuis le Bureau ovale.

Des mesures locales pour protéger les droits civiques

Face à l’escalade fédérale, Johnson a pris des mesures administratives audacieuses pour protéger les résidents de Chicago. Le 6 octobre 2025, il a signé deux décrets exécutifs parmi les plus radicaux adoptés par une municipalité américaine. Le premier garantit la protection du Premier Amendement, assurant que les manifestants pacifiques ne seront pas réprimés par les forces de l’ordre locales et que la police de Chicago travaillera en coordination avec les organisateurs de manifestations pour faciliter l’exercice du droit de protestation. Cette mesure vise directement à contrer la stratégie fédérale qui consiste à créer des prétextes pour justifier l’intervention militaire en provoquant ou en exagérant des incidents de troubles publics. Le second décret oblige tous les policiers opérant dans la juridiction de Chicago à porter un uniforme identifiable, avec badges, noms et numéros d’identification clairement visibles — une réponse directe à l’utilisation par les agents fédéraux de tenues anonymes et de masques lors d’opérations d’immigration.

Ces initiatives municipales s’inspirent en partie de législations adoptées ailleurs. La Californie a récemment promulgué le No Secret Police Act, interdisant aux agents masqués d’opérer sur son territoire — une loi que l’administration Trump a déjà déclaré qu’elle ne respecterait pas. Johnson a appelé les agents fédéraux à se conformer aux mêmes standards de transparence qu’il impose à ses propres forces de police. « Les femmes et les hommes courageux qui s’engagent à servir et protéger cette nation, ici et à l’étranger, ne s’inscrivent pas pour venir terroriser leurs voisins », a-t-il souligné. Le maire a également dénoncé l’hypermilitarisation d’un budget de 170 milliards de dollars remis au directeur de l’ICE Tom Homan, qu’il accuse d’avoir accepté un pot-de-vin de 50 000 dollars pour diriger des contrats vers des centres de détention privés ayant financé la campagne de Trump. Pour Johnson, cette « campagne de déportation » n’a rien à voir avec la sécurité — il s’agit d’un système de profit corporatif déguisé en politique d’ordre public.

facebook icon twitter icon linkedin icon
Copié!

Commentaires

0 0 votes
Évaluation de l'article
Subscribe
Notify of
guest
0 Commentaires
Newest
Oldest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments
More Content