Quatre-vingt-dix mille pieds carrés de mégalomanie
Les chiffres donnent le vertige. La salle de bal de Trump s’étendra sur 90 000 pieds carrés — environ 8 300 mètres carrés — ce qui en fait un espace presque deux fois plus grand que la Maison Blanche principale elle-même, sous-sols inclus. Pour mettre cela en perspective, la East Room actuelle, le plus grand espace de réception existant dans la résidence présidentielle, peut accueillir environ 200 personnes assises. Le nouveau monstre architectural trumpiste en accueillera entre 650 selon l’annonce initiale de Karoline Leavitt en juillet, ou jusqu’à 999 selon les déclarations ultérieures de Trump lui-même — un chiffre suspicieusement juste en dessous du millier symbolique. Cette salle de bal sera « substantiellement séparée du bâtiment principal de la Maison Blanche », selon le communiqué officiel, mais son thème et son héritage architectural seront « presque identiques ». Traduction : Trump construit pratiquement une seconde Maison Blanche, un palais personnel gigantesque déguisé en addition fonctionnelle.
La destruction de l’aile Est historique
L’aile Est n’était pas un bâtiment anodin. Construite en 1902 sous la présidence de Theodore Roosevelt, elle avait été rénovée et modifiée à plusieurs reprises au cours de son histoire de 123 ans, avec notamment l’ajout d’un second étage en 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette aile abritait des bureaux essentiels, y compris ceux de la Première Dame et de son personnel. La colonnade Est, élément architectural gracieux reliant l’aile au corps principal de la Maison Blanche, a également été rasée. Des images satellites diffusées par plusieurs médias montrent l’étendue complète de la démolition — là où se trouvait un bâtiment historique ne reste plus qu’un cratère de terre battue. Les employés du Département du Trésor, dont le bâtiment se trouve juste à côté, ont reçu pour consigne explicite de ne pas photographier ni diffuser d’images des travaux. Cette censure quasi militaire n’a évidemment servi à rien — les photos ont circulé sur toutes les chaînes d’information, provoquant un choc visuel dans l’opinion publique américaine.
Deux cent cinquante millions de dollars de sources opaques
Le financement du projet constitue un scandale en soi. Trump affirme que la construction sera « payée à 100 % par moi et des amis à moi, des donateurs », qu’il qualifie également de « très grands patriotes ». Le coût estimé est passé de 200 millions de dollars lors de l’annonce de juillet à 250 millions en septembre, puis certaines sources parlent maintenant de 300 millions — une escalade typique des projets trumpistes qui dépassent systématiquement les budgets initiaux. Mais l’identité de ces « amis donateurs » reste totalement opaque. La Maison Blanche a promis de publier une liste détaillée des individus et corporations finançant la construction, mais à ce jour, aucune information complète n’a été rendue publique. Cette opacité soulève des questions évidentes de corruption potentielle — qui paie pour construire une salle de bal présidentielle, et qu’attendent-ils en retour? Des contrats gouvernementaux? Des faveurs réglementaires? Un accès privilégié au président? L’absence totale de transparence viole l’esprit sinon la lettre des lois sur l’éthique gouvernementale.
Le contournement des procédures de préservation
La Commission de planification ignorée
La National Capital Planning Commission, l’agence fédérale responsable de l’approbation de la construction et de la rénovation des bâtiments fédéraux à Washington, n’a jamais formellement approuvé le projet avant le début des destructions. Cette violation flagrante des procédures normales a été justifiée par une interprétation créative de la juridiction de la commission. Will Scharf, le président de la commission nommé par Trump lui-même, a déclaré lors de la réunion de septembre que l’agence n’avait pas juridiction sur « le travail de démolition et de préparation du site », seulement sur la construction et la « construction verticale ». Autrement dit : nous pouvons détruire ce que nous voulons sans permission, nous ne demandons l’autorisation que pour construire. Cette logique perverse permet à Trump de créer un fait accompli — une fois l’aile Est rasée, il devient politiquement et pratiquement impossible d’arrêter le projet, puisque laisser un cratère béant serait encore pire que de permettre la construction. De plus, la commission est actuellement fermée à cause du shutdown gouvernemental qui entre dans sa quatrième semaine, rendant toute supervision impossible.
Les organisations de préservation sonnent l’alarme
La Society of Architectural Historians a publié le 16 octobre une déclaration cinglante : « Bien que nous reconnaissions que la Maison Blanche est un bâtiment avec des besoins évolutifs, et qu’elle a subi diverses modifications extérieures et intérieures depuis le début de sa construction en 1792, la salle de bal proposée sera le premier changement majeur de son apparence extérieure au cours des 83 dernières années ». L’organisation insiste qu’« un changement aussi significatif à un bâtiment historique de cette importance devrait suivre un processus de conception et d’examen rigoureux et délibéré ». Le National Trust for Historic Preservation et l’American Institute of Architects ont fait écho à ces préoccupations, soulignant que la Maison Blanche n’est pas simplement la résidence privée du président, mais un symbole national appartenant à tous les Américains. Richard Emery, avocat réputé et président d’une organisation de préservation culturelle à Manhattan, résume brutalement la situation : « Trump appartient à une catégorie de promoteurs qui ne demandent ni permission ni pardon ».
L’historique de Trump avec la préservation architecturale
Ce n’est pas la première fois que Trump détruit du patrimoine architectural. Dans les années 1980, lorsqu’il a construit la Trump Tower à Manhattan, il a démoli des sculptures Art déco précieuses qui ornaient l’ancien bâtiment Bonwit Teller, malgré ses promesses de les préserver et de les donner au Metropolitan Museum of Art. Les sculptures ont été pulvérisées pendant la nuit, Trump prétendant plus tard qu’elles « n’avaient aucune valeur artistique ». Cette même attitude caractérise son approche de la Maison Blanche — l’Histoire n’a de valeur que si elle sert ses intérêts personnels, sinon elle peut être effacée sans regret. USA Today note que Trump a « un historique remontant aux années 1980 de contournement des règlements et de rupture d’engagements ». Même si la Maison Blanche est une représentation iconique des États-Unis, Trump possède des décennies d’expérience dans le fait de forcer le passage des obstacles pour réaliser ses ambitions. Il ne cherche ni permission ni pardon — il agit, puis gère les conséquences si elles viennent.
Les autres modifications trumpistes de la Maison Blanche
L’Oval Office doré et le Cabinet Room clinquant
La salle de bal n’est que le projet le plus spectaculaire d’une série de modifications que Trump a imposées à la Maison Blanche depuis son retour au pouvoir en janvier 2025. Il a introduit des accents dorés dans le Bureau ovale et la Cabinet Room — cette obsession pour l’or qui caractérise tous ses bâtiments personnels contamine maintenant la résidence présidentielle. Ces ajouts clinquants transforment des espaces historiquement sobres et dignes en décors qui ressemblent davantage à un casino de Las Vegas qu’au centre du pouvoir exécutif américain. Des critiques ont noté que l’esthétique trumpiste — dorures ostentatoires, décorations tape-à-l’œil, gigantisme gratuit — reflète parfaitement sa personnalité : tout doit crier richesse, puissance, supériorité. La subtilité, l’élégance discrète, le raffinement intellectuel ne l’intéressent pas. Il veut que tout le monde voie immédiatement qu’il est riche et puissant.
L’Arc de Trump et le Walk of Fame présidentiel
Trump a également érigé un nouveau monument baptisé « Arc de Trump » — une structure dont les détails précis restent flous mais dont le nom seul suffit à provoquer des haut-le-cœur chez les défenseurs de la modestie présidentielle. Il a créé un « Walk of Fame » avec des portraits d’anciens présidents, incluant notamment une photo de l’autopen (machine à signature automatique) représentant le mandat de Joe Biden — une insulte à peine voilée suggérant que Biden était si sénile qu’une machine devait signer à sa place. Ces modifications transforment la Maison Blanche en musée à la gloire de Trump, chaque ajout renforçant son culte de la personnalité. Le Rose Garden, jadis espace de verdure paisible, a vu son gazon remplacé par des pavés de pierre, détruisant le caractère naturel qui avait été soigneusement préservé pendant des décennies. Deux mâts de drapeau de 88 pieds de hauteur ont été installés, leur taille démesurée reflétant encore une fois l’obsession trumpiste du gigantisme.
La question du nom de la salle de bal
Des rapports ont circulé affirmant que Trump prévoyait de nommer la nouvelle salle de bal d’après lui-même — « The President Donald J. Trump Ballroom ». ABC News et d’autres médias ont rapporté que des fonctionnaires de la Maison Blanche utilisaient déjà ce nom dans leurs communications internes. Trump a nié publiquement le 25 octobre, qualifiant ces rapports de « fake news » et déclarant : « On l’appellera probablement le Presidential Ballroom ou quelque chose comme ça. Nous n’avons pas vraiment encore réfléchi à un nom ». Cette dénégation ressemble fortement aux nombreux autres mensonges trumpistes où il nie une intention jusqu’à ce qu’elle devienne politiquement coûteuse, puis prétend ne jamais l’avoir eue. Le fait que ses propres fonctionnaires utilisent déjà « Trump Ballroom » suggère que c’était effectivement le plan initial, abandonné seulement face au ridicule public et aux critiques même de certains républicains qui trouvaient cela excessivement narcissique.
L'ultimatum radical de Swalwell
Un test de loyauté idéologique absolu
La déclaration de Swalwell samedi transforme la salle de bal en ligne de démarcation politique infranchissable. « N’envisagez même pas de chercher la nomination démocrate pour la présidence à moins que vous vous engagiez à prendre un boulet de démolition contre la Trump Ballroom dès le PREMIER JOUR ». Cette formulation est délibérément provocatrice — « n’envisagez même pas » signifie que toute candidature qui ne ferait pas cet engagement serait illégitime aux yeux de Swalwell et présumément d’une partie significative de la base démocrate. L’exigence de destruction « dès le premier jour » accentue l’urgence symbolique — détruire l’héritage trumpiste doit être la toute première priorité, avant même les politiques substantielles sur la santé, l’économie ou le climat. Swalwell transforme ainsi un bâtiment en symbole politique total, en incarnation physique du trumpisme qui doit être littéralement démoli pour permettre la guérison nationale.
Le syndrome de dérangement de la salle de bal
Les critiques conservateurs se sont empressés de tourner l’ultimatum de Swalwell en ridicule. Breitbart titre : « Eric Swalwell dit que les candidats doivent s’engager à démolir la Trump Ballroom » et invente sarcastiquement le terme « BDS — Ballroom Derangement Syndrome » (Syndrome de dérangement de la salle de bal), jouant sur l’acronyme « TDS » (Trump Derangement Syndrome) que les trumpistes utilisent pour moquer leurs opposants. Fox News a amplifié la déclaration de Swalwell, la présentant comme une preuve supplémentaire de la radicalisation du Parti démocrate et de son obsession maladive avec tout ce qui touche Trump. Ces attaques conservatrices ratent volontairement le point central : Swalwell ne souffre pas d’une obsession irrationnelle, il identifie correctement que la salle de bal représente quelque chose de plus profond qu’une simple addition architecturale. C’est une manifestation physique du mépris trumpiste pour les institutions, les normes, l’Histoire et la démocratie elle-même.
Swalwell comme porte-parole de la résistance radicale
Eric Swalwell s’est positionné au fil des années comme l’un des opposants les plus vocaux et les plus agressifs de Trump au sein du Congrès. Membre de la Chambre des représentants depuis 2013, représentant la 14e circonscription de Californie, Swalwell a brièvement candidaté à la présidence en 2019 avant de se retirer faute de traction. Il a été l’un des procureurs lors du second procès en destitution de Trump en 2021, argumentant passionnément pour sa condamnation après l’attaque du Capitole du 6 janvier. Swalwell a également été ciblé personnellement par Trump et les républicains concernant une relation passée avec une présumée espionne chinoise, une affaire qu’il a toujours niée et qui n’a jamais été prouvée. Cette histoire personnelle conflictuelle explique en partie l’intensité de son opposition. Mais au-delà du personnel, Swalwell représente une faction du Parti démocrate qui refuse tout compromis avec le trumpisme, qui veut non seulement le vaincre électoralement mais effacer physiquement ses traces de l’Histoire américaine.
Les implications pour l'élection de 2028
Un nouveau test de pureté pour les candidats démocrates
L’ultimatum de Swalwell crée un nouveau test de pureté pour les candidats démocrates de 2028. Traditionnellement, les tests de loyauté idéologique dans les primaires démocrates concernaient l’avortement, l’assurance santé universelle, le changement climatique ou la réforme de l’immigration. Maintenant, Swalwell ajoute un élément purement symbolique : êtes-vous prêt à démolir un bâtiment construit par votre prédécesseur? Cette question forcera les candidats à se positionner explicitement — ceux qui accepteront l’engagement seront perçus comme radicaux et obsédés par Trump par les modérés et les républicains; ceux qui le refuseront seront attaqués comme insuffisamment opposés au trumpisme par l’aile gauche. C’est un piège politique brillamment conçu, car il n’y a pas de bonne réponse. Les candidats devront naviguer entre paraître trop modérés ou trop extrêmes, sachant que Swalwell a déjà établi le standard de ce que signifie être un vrai opposant à Trump.
Le risque de la politique du symbole
Cependant, l’approche de Swalwell comporte des risques substantiels pour les démocrates. En transformant un bâtiment en test de loyauté suprême, il élève la politique symbolique au-dessus des questions substantielles qui affectent réellement la vie des Américains. Un candidat démocrate devrait-il vraiment consacrer son premier jour de présidence à démolir une salle de bal plutôt qu’à s’attaquer au coût de la santé, à la crise du logement ou au changement climatique? Cette focalisation sur les symboles anti-Trump plutôt que sur les politiques pro-citoyens a été l’une des faiblesses du Parti démocrate depuis 2016. Les électeurs veulent savoir comment un président améliorera concrètement leur vie quotidienne, pas comment il effacera symboliquement l’héritage de son prédécesseur. De plus, la promesse de détruire immédiatement un bâtiment neuf coûtant 250 millions de dollars — quel que soit son financement initial — semblera un gaspillage irresponsable d’argent et de ressources à de nombreux électeurs indécis.
Trump en campagne permanente jusqu’en 2028
L’ultimatum de Swalwell donne également à Trump un carburant politique gratuit. Si Trump est encore en vie et mentalement capable en 2028 — il aura 82 ans —, il utilisera cette menace de démolition comme preuve que les démocrates sont des « vandales » qui détruisent tout ce qu’il construit pour l’Amérique. Même si Trump ne se présente pas lui-même (la Constitution lui interdit un troisième mandat, bien que rien ne semble vraiment contraindre Trump), son successeur républicain brandira cette promesse démocrate comme symbole de leur haine pathologique de tout ce qui est associé au mouvement Maga. Les électeurs républicains et même certains indépendants pourraient être scandalisés par l’idée de détruire un bâtiment fonctionnel uniquement parce qu’il porte le sceau trumpiste. Cette controverse détournera l’attention des échecs politiques de Trump vers les excès présumés des démocrates, exactement le terrain sur lequel les républicains veulent mener la bataille de 2028.
La bataille pour l'âme architecturale de l'Amérique
Quand les bâtiments deviennent des champs de bataille idéologiques
L’affrontement autour de la salle de bal dépasse largement l’architecture — il révèle des visions radicalement incompatibles de ce que devrait être l’Amérique. Pour Trump et ses partisans, la salle de bal représente la grandeur restaurée, la capacité de l’Amérique à impressionner les dirigeants étrangers avec un espace de réception digne d’une superpuissance. L’argument officiel de la Maison Blanche est que « la Maison Blanche est actuellement incapable d’accueillir de grandes fonctions honorant les dirigeants mondiaux sans devoir installer une tente grande et inesthétique à environ 100 mètres de l’entrée du bâtiment principal ». Cette justification utilitaire cache mal l’agenda réel : Trump veut un palais, pas une simple résidence présidentielle. Pour Swalwell et les opposants démocrates, cette même salle de bal incarne l’hubris autoritaire, le narcissisme présidentiel déchaîné, la destruction du patrimoine au service de l’ego d’un homme. C’est Versailles versus la simplicité républicaine jeffersonienne.
Le précédent dangereux pour les présidences futures
Si la salle de bal de Trump est construite et reste debout, elle établit un précédent terrifiant : chaque président peut désormais modifier radicalement la Maison Blanche selon ses préférences personnelles, sans véritable supervision indépendante. La prochaine présidente démocrate pourrait décider de transformer la salle de bal en centre communautaire géant. Un futur président républicain pourrait ajouter une chapelle évangélique massive. Un président techno-libertarien pourrait vouloir un datacenter souterrain. Une fois que le principe de l’intangibilité architecturale de la Maison Blanche est brisé, il n’y a plus de limite naturelle. Chaque transition présidentielle pourrait voir des bulldozers démolir ce que le prédécesseur a construit, transformant la résidence en chantier permanent reflétant les caprices changeants des locataires temporaires. La Maison Blanche perdrait ainsi son statut de symbole national stable, devenant simplement la propriété personnelle du président en exercice.
Le shutdown comme couverture pour l’illégalité
Le timing de la construction n’est pas accidentel. Trump a lancé les travaux de démolition alors que le gouvernement fédéral est paralysé par le shutdown le plus long de l’histoire américaine — maintenant dans sa quatrième semaine. Avec la National Capital Planning Commission fermée, aucune supervision réglementaire effective n’existe. Les organisations de préservation ne peuvent pas contester formellement le projet devant les agences appropriées parce que ces agences sont fermées. C’est une fenêtre d’opportunité soigneusement calculée : créer un fait accompli pendant que les institutions de contrôle sont dysfonctionnelles. Une fois l’aile Est détruite, le coût politique et financier d’arrêter le projet devient prohibitif, même après la réouverture du gouvernement. Cette tactique — utiliser le chaos qu’il a lui-même créé pour contourner les règles — est du Trump dans toute sa splendeur manipulatrice. Le shutdown affame les fonctionnaires fédéraux et paralyse les services publics, mais il permet à Trump de remodeler la Maison Blanche sans entraves.
Les réactions internationales et le symbole global
Comment le monde voit le pharaonisme trumpiste
La communauté internationale observe cette controverse avec un mélange de fascination et d’horreur. Pour de nombreux alliés européens déjà traumatisés par les politiques commerciales erratiques de Trump, la construction de cette salle de bal gigantesque pendant que le gouvernement américain est fermé et que des centaines de milliers de fonctionnaires ne sont pas payés envoie un message dévastateur sur les priorités présidentielles. Trump dépense 250 millions de dollars — même si c’est avec des fonds privés — pour un projet architectural vanité pendant que le pays est paralysé. Le contraste avec des dirigeants d’autres démocraties qui habitent des résidences présidentielles modestes et fonctionnelles est saisissant. Emmanuel Macron vit à l’Élysée, un palais certes, mais historique et préservé, pas construit sur mesure pour lui. Les Premiers ministres britanniques occupent le 10 Downing Street, une maison de ville du XVIIIe siècle. Même les autocrates comme Xi Jinping ou Poutine ne détruisent généralement pas le patrimoine national pour construire des monuments à leur propre gloire.
La salle de bal comme métaphore de l’Amérique trumpiste
Pour les observateurs étrangers, cette salle de bal résume parfaitement ce qu’est devenue l’Amérique sous Trump : ostentatoire, mégalomane, indifférente à l’Histoire, obsédée par la taille et l’impression superficielle plutôt que par la substance. Le journaliste français du Monde qui a couvert l’histoire note que « des pelleteuses fracassant une aile de la Maison Blanche » constituent « un symbole plus puissant de ce second mandat de Donald Trump, escorté par des soupçons permanents d’abus de pouvoir ». L’image de bulldozers détruisant un bâtiment vieux de 123 ans pour faire place à un palais des fêtes géant capture visuellement ce que beaucoup ressentent être la trajectoire de l’Amérique — la destruction délibérée des institutions et normes établies au profit de la gratification immédiate de l’ego présidentiel. Cette métaphore architecturale sera utilisée pendant des décennies dans les livres d’histoire pour illustrer le trumpisme.
Le soft power américain en chute libre
Le soft power — la capacité d’un pays à influencer les autres par l’attraction culturelle et morale plutôt que par la coercition militaire ou économique — a toujours été l’une des plus grandes forces de l’Amérique. La Maison Blanche elle-même était un symbole de ce soft power : une résidence présidentielle relativement modeste comparée aux palais royaux européens ou asiatiques, reflétant les valeurs républicaines et démocratiques américaines. Maintenant, Trump transforme cette résidence modeste en complexe pharaonique, envoyant le message que l’Amérique n’est plus différente — juste un empire parmi d’autres, avec un empereur qui veut son palais. Ce déclin symbolique du soft power américain aura des conséquences géopolitiques réelles. Les pays qui admiraient autrefois le modèle américain se tournent de plus en plus vers d’autres modèles, et les images de la Maison Blanche détruite pour satisfaire l’ego présidentiel accélèrent cette réorientation.
Conclusion
L’ultimatum d’Eric Swalwell — exigeant que tous les candidats démocrates de 2028 s’engagent à détruire la salle de bal de Trump dès leur premier jour — transforme un projet architectural controversé en ligne de fracture politique absolue pour la prochaine décennie. Cette exigence radicale force chaque aspirant candidat démocrate à choisir son camp : soit s’aligner sur la résistance symbolique totale au trumpisme incarnée par Swalwell, soit risquer d’être perçu comme insuffisamment opposé à l’héritage de Trump. Il n’y a pas de position modérée possible sur cette question — vous êtes soit pour la démolition immédiate, soit vous êtes complice de la permanence du monument narcissique trumpiste. Cette polarisation binaire reflète parfaitement l’état de la politique américaine en 2025, où chaque question, même architecturale, devient un test de loyauté idéologique ne tolérant aucune nuance. La salle de bal de Trump ne sera jamais simplement un bâtiment — elle est désormais un symbole politique chargé émotionnellement qui hantera les campagnes présidentielles jusqu’à sa destruction ou sa consécration permanente.
Le projet lui-même — 90 000 pieds carrés de grandeur mégalomane coûtant 250 millions de dollars, construit sur les ruines d’une aile historique vieille de 123 ans — incarne tout ce qui caractérise le trumpisme : l’obsession de la taille, le mépris pour l’Histoire, l’opacité financière, le contournement des procédures légales, et surtout le narcissisme monumental qui exige que chaque surface porte son sceau. Trump a nié vouloir nommer la salle d’après lui-même, mais ses propres fonctionnaires utilisent déjà « Trump Ballroom » dans leurs communications, révélant l’intention réelle malgré les dénégations publiques. Cette salle de bal rejoindra la Trump Tower, le Trump Hotel, le Trump Golf Club et les dizaines d’autres monuments à l’ego présidentiel qui parsèment le paysage américain. Mais celle-ci est différente — elle n’est pas construite sur un terrain privé avec de l’argent privé, elle occupe le site le plus symbolique d’Amérique, financée par des donateurs anonymes dont les motivations restent opaques.
Les organisations de préservation historique, les architectes professionnels et même l’ancienne Première Dame Hillary Clinton ont condamné ce projet comme une atteinte irréparable au patrimoine américain. La Society of Architectural Historians a souligné que c’est le « premier changement majeur de l’apparence extérieure de la Maison Blanche au cours des 83 dernières années » et qu’un tel changement « devrait suivre un processus de conception et d’examen rigoureux et délibéré ». Mais Trump a simplement ignoré ces appels, profitant du shutdown gouvernemental qu’il a lui-même orchestré pour démolir l’aile Est sans supervision réglementaire effective. Cette tactique — utiliser le chaos auto-créé comme couverture pour contourner les règles — illustre la stratégie du choc trumpiste appliquée à l’architecture présidentielle. Une fois le bâtiment historique détruit, arrêter le projet devient politiquement et pratiquement impossible, créant ainsi le fait accompli que Trump recherche.
L’ultimatum de Swalwell, aussi radical qu’il puisse paraître, pose néanmoins une question légitime : que devrait faire une future administration démocrate face à un monument construit illégalement en violation des procédures normales de préservation? Si la salle de bal reste debout, elle établit le précédent que chaque président peut remodeler la Maison Blanche selon ses caprices personnels, transformant le symbole national en propriété personnelle du locataire temporaire. Mais si les démocrates la démolissent, ils gaspillent 250 millions de dollars et créent leur propre précédent — que chaque nouvelle administration peut effacer physiquement l’héritage de la précédente, plongeant la Maison Blanche dans un cycle destructeur perpétuel. C’est un piège sans issue, et Trump l’a délibérément construit. Quelle que soit la décision des démocrates en 2029, elle sera politiquement coûteuse et moralement ambiguë. Le simple fait de forcer ce choix représente une victoire pour Trump — même après sa mort éventuelle, il aura empoisonné la politique américaine pendant des décennies. La salle de bal deviendra soit un monument permanent à son hubris, soit un cratère permanent témoignant de l’incapacité des démocrates à dépasser leur obsession avec lui. Dans les deux cas, Trump gagne. Et il le sait parfaitement.