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Le déploiement naval massif dans les Caraïbes

La transformation d’une opération antidrogue en préparatifs de guerre s’est déroulée avec une rapidité déconcertante. Dès la mi-août 2025, la Marine américaine a commencé à déployer des navires de guerre dans les Caraïbes — officiellement pour intercepter le trafic de drogue, mais avec une puissance de feu dépassant largement ce qu’exigerait cette mission. Le 2 septembre, Trump annonçait la première frappe aérienne contre une embarcation au large du Venezuela, tuant les onze personnes à bord. Ce n’était que le début. À ce jour, au moins dix frappes ont été effectuées — huit dans les Caraïbes, deux dans le Pacifique — faisant au minimum 43 morts selon le décompte officiel, peut-être davantage selon certaines sources.

Mais c’est l’arrivée de l’USS Gerald R. Ford qui marque le point de non-retour symbolique. Ce mastodonte de 100 000 tonnes, fleuron de la flotte américaine, arrive accompagné de cinq destroyers, d’un croiseur et d’un sous-marin. Il transporte environ 75 chasseurs et hélicoptères de combat et un équipage de 4 500 personnes. Ce n’est pas un dispositif d’interdiction du trafic de drogue — c’est une force d’invasion, capable de mener des frappes aériennes massives et de soutenir des opérations terrestres à grande échelle. Les analystes du Center for Strategic and International Studies estiment qu’une invasion complète du Venezuela nécessiterait près de 50 000 soldats américains. Le déploiement actuel place déjà environ 10 000 militaires américains dans la région, beaucoup stationnés à Porto Rico et sur des navires de guerre. L’infrastructure est en place. Il ne manque plus que l’ordre d’attaque.

Les frappes « antinarcotics » : exécutions extrajudiciaires en haute mer

Chaque frappe suit le même scénario terrifiant dans sa banalité bureaucratique. Une embarcation est repérée au large des côtes vénézuéliennes ou dans le Pacifique. Aucune tentative d’interception. Aucune sommation. Aucun arraisonnement. Juste un missile qui frappe, et tous ceux à bord meurent instantanément. Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth annonce ensuite la « neutralisation de narcoterroristes » avec des formules standardisées sur les « quantités importantes de stupéfiants » empêchées d’atteindre les États-Unis. Mais aucun nom n’est donné. Aucune preuve des crimes présumés n’est présentée. On ne sait même pas si ces personnes étaient armées, si elles étaient vraiment des trafiquants, ou si parmi elles se trouvaient de simples pêcheurs colombiens au mauvais endroit au mauvais moment.

Le sénateur républicain Rand Paul a osé nommer cette réalité par son véritable nom sur Fox News Sunday : « Ce sont des exécutions extrajudiciaires. C’est semblable à ce que font la Chine et l’Iran avec les trafiquants de drogue. Ils exécutent sommairement des gens sans présenter de preuves au public. Donc c’est mal. » Cette comparaison avec la Chine et l’Iran — pays régulièrement dénoncés par Washington pour leurs violations des droits humains — constitue une accusation dévastatrice venant d’un membre du propre parti de Trump. Paul insiste sur la distinction fondamentale que l’administration efface délibérément : la guerre contre la drogue a toujours été menée par des moyens d’application de la loi, où les suspects sont arrêtés et jugés. En transformant cela en conflit armé, Trump s’octroie le pouvoir de tuer sans procès, sans preuves, sans supervision judiciaire — une transgression constitutionnelle majeure déguisée en politique de sécurité nationale.

L’autorisation de la CIA pour des opérations létales

Le 15 octobre 2025, le New York Times a révélé que Trump avait autorisé la CIA à mener des opérations secrètes au Venezuela, y compris des missions « létales ». Trump lui-même a confirmé cette information lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, dans des termes d’une franchise brutale : « Premièrement, ils ont relâché leurs prisonniers aux États-Unis. Deuxièmement, il y a la drogue. Une quantité significative de drogue arrive du Venezuela, beaucoup par mer, mais nous allons aussi les intercepter par terre. » Lorsqu’on lui a demandé directement si la CIA avait l’autorisation d’éliminer Maduro, Trump a refusé de nier : « Je ne veux pas répondre à une question comme ça… Ce serait ridicule pour moi de répondre. Mais je pense que le Venezuela ressent la pression. »

Cette autorisation de la CIA marque une escalade qualitative majeure. Les frappes navales pouvaient encore être présentées comme des opérations militaires contre des trafiquants en eaux internationales. Des opérations secrètes sur le territoire vénézuélien constituent des actes de guerre contre un État souverain. Historiquement, de telles autorisations ont mené à des assassinats ciblés, des sabotages d’infrastructures, et des soutiens à des groupes d’opposition armés — la boîte à outils classique du changement de régime orchestré par Langley. Maduro a réagi avec fureur, dénonçant les « coups d’État menés par la CIA » et invoquant la mémoire douloureuse du coup contre Salvador Allende au Chili en 1973 et des « disparus » de la dictature militaire argentine. « Combien de temps la CIA va-t-elle continuer ses coups d’État ? L’Amérique latine ne les veut pas, n’en a pas besoin et les répudie », a-t-il déclaré sur la télévision nationale vénézuélienne.

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