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Le flag-jacking : une tradition américaine honteuse

Le terme flag-jacking désigne cette pratique où des voyageurs américains affichent délibérément un drapeau canadien sur leurs vêtements ou bagages pour masquer leur véritable nationalité. Cette tactique a des racines profondes. Dès les années 1960, pendant la guerre du Vietnam, certains Américains ont commencé à coudre discrètement la feuille d’érable sur leurs sacs, espérant échapper aux critiques internationales contre la politique étrangère américaine. Le phénomène a resurgi pendant la présidence de George W. Bush, notamment lors de l’invasion de l’Irak en 2003, période où le sentiment anti-américain atteignait des sommets en Europe et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, en 2025, avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et ses menaces répétées d’annexer le Canada comme 51e État américain, combinées à l’imposition d’une tarife douanière de 10% sur les produits canadiens, cette pratique connaît un nouvel essor.

Mais pourquoi cette résurgence maintenant? Les tensions politiques actuelles ont créé un climat d’hostilité palpable envers les touristes américains. Susanna Shankar, une citoyenne possédant la double nationalité américano-canadienne, a vécu cette suspicion directement lors d’un voyage en Espagne à l’été 2025. Un homme britannique a remis en question son identité canadienne avec une telle insistance qu’elle a dû proposer de montrer son passeport. « Il ne me croyait tout simplement pas quand je disais venir du Canada, » raconte-t-elle. Cette méfiance ne naît pas du hasard — elle découle directement de décennies d’Américains tentant de se dissimuler derrière l’identité canadienne. Les guides touristiques européens confirment avoir observé cette pratique depuis des années, créant une atmosphère de scepticisme généralisé envers quiconque prétend venir du Grand Nord.

Les Canadiens furieux : quand l’appropriation devient insultante

Pour comprendre la colère canadienne, il faut saisir ce que représente leur drapeau national. Ce n’est pas un simple morceau de tissu — c’est un symbole de fierté, d’identité collective, de valeurs partagées. Tod Maffin, ancien animateur de radio publique devenu commentateur culturel canadien, a exprimé sa frustration dans une vidéo devenue virale : « À chaque fois que l’Amérique provoque un scandale à l’étranger, on ne peut pas traverser l’Europe sans croiser un sac à dos orné d’un drapeau canadien fraîchement cousu. » Il ajoute, avec un sarcasme mordant, que le drapeau canadien n’est pas un objet magique qui efface le souvenir de qui a inventé les monster trucks ou le beurre frit. Cette comparaison humoristique cache une blessure profonde : les Canadiens travaillent depuis des décennies à construire une réputation positive sur la scène internationale, et voir des Américains s’approprier cette identité sans en assumer les responsabilités est perçu comme une trahison.

Un sondage Yahoo News Canada réalisé en octobre 2025 révèle l’ampleur de ce ressentiment. Plus de la moitié des répondants ont déclaré qu’ils confronteraient directement quelqu’un prétendant faussement être canadien, qualifiant l’acte de « malhonnête » et « irrespectueux ». Certains sont allés jusqu’à comparer le flag-jacking au stolen valour — cette pratique où des individus prétendent avoir servi dans l’armée alors qu’ils ne l’ont jamais fait. Robert Schertzer, professeur à l’Université de Toronto, explique que le nationalisme canadien possède, à sa base, un élément d’anti-américanisme. « Quand un Américain prétend être canadien, il est compréhensible qu’une personne ressentant cette fierté nationale et stimulée par des menaces extérieures réponde émotionnellement, » analyse-t-il. Cette dynamique crée un paradoxe cruel : plus les Américains tentent de se cacher derrière le drapeau canadien, plus ils alimentent le ressentiment même qu’ils cherchent à éviter.

Grace, 22 ans, et l’échec embarrassant en Grèce

L’histoire de Grace, une jeune Républicaine de 22 ans originaire du Michigan, illustre parfaitement pourquoi cette stratégie est vouée à l’échec. Lors d’un voyage en Grèce durant l’été 2025, elle et son amie ont décidé de se faire passer pour Canadiennes après avoir subi trop de mépris anti-américain pendant leur séjour européen. Lorsqu’un serveur leur a demandé d’où elles venaient, son amie a spontanément lancé : « Ontario! » Le serveur, enthousiaste, s’est alors mis à énumérer des lieux spécifiques de la province — des villes, des attractions, des références locales. Les deux jeunes femmes, incapables de soutenir leur mensonge, ont rapidement vu leur imposture s’effondrer. « Après ça, nous avons décidé de ne plus essayer parce que c’était vraiment gênant de ne pas pouvoir appuyer ce mensonge. C’était juste une idée stupide, » confie Grace, qui a demandé à n’être identifiée que par son prénom par crainte de représailles.

Cette anecdote révèle une vérité fondamentale : prétendre être canadien exige plus qu’un simple accessoire vestimentaire. Cela nécessite une connaissance approfondie de la géographie, de la culture, des références locales. Les Canadiens connaissent leurs provinces, leurs villes, leurs célébrités, leurs particularités régionales. Un véritable Canadien de l’Ontario pourra discuter des quartiers de Toronto, de la prononciation correcte du nom de la ville (en omettant le second « t »), de la capitale du pays (Ottawa, pas Toronto comme beaucoup d’Américains le croient). Il saura que la température se mesure en Celsius, pas en Fahrenheit. Ces détails, apparemment insignifiants, deviennent des tests de vérité instantanés pour quiconque prétend appartenir à cette nation nordique.

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