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951 : la réponse à Roosevelt

Le 22e amendement à la Constitution américaine, ratifié en 1951, prévoit formellement que personne ne peut être élu plus de deux fois au poste de président. Cette limitation résulte directement des quatre mandats de Franklin D. Roosevelt entre 1933 et 1945 — une concentration de pouvoir qui inquiétait profondément les fondateurs de la République après la Seconde Guerre mondiale. Avant Roosevelt, la tradition établie par George Washington d’un maximum de deux mandats suffisait à réguler la durée présidentielle. Mais FDR, confronté à la Grande Dépression puis à la guerre mondiale, avait brisé cette norme informelle pour se faire réélire trois puis quatre fois consécutivement. À sa mort en avril 1945, le Congrès républicain nouvellement élu décida de graver cette limitation dans la Constitution pour empêcher toute concentration monarchique du pouvoir exécutif. Cette barrière constitutionnelle incarne le refus américain de la présidence à vie — distinction fondamentale entre démocratie et dictature.

Le texte précis stipule : « Aucune personne ne peut être élue au poste de président plus de deux fois, et aucune personne ayant occupé le poste de président, ou agi en tant que président, pendant plus de deux ans d’un mandat pour lequel une autre personne a été élue président ne peut être élue au poste de président plus d’une fois. » Cette formulation vise explicitement à empêcher les contournements constitutionnels par succession dynastique ou stratégies de vice-présidence. Les rédacteurs de 1951 avaient anticipé les tentations autoritaires et construit des garde-fous juridiques contre les ambitions présidentielles illimitées. Trump — qui a déjà été président de 2017 à 2021 puis réélu en 2024 — termine théoriquement son dernier mandat constitutionnellement autorisé en janvier 2029. Sauf que lui ne semble pas accepter cette limitation comme définitive. Depuis sa réélection, il multiplie les allusions, les provocations, les ambiguïtés calculées sur un possible troisième mandat.

Andy Ogles : l’amendement pour Trump

Le 23 janvier 2025, soit trois jours après l’investiture de Trump pour son deuxième mandat, le représentant républicain Andy Ogles du Tennessee a présenté une résolution visant à amender le 22e amendement pour permettre explicitement à Trump de briguer un troisième mandat. Une proposition tellement outrancière qu’elle révèle l’ampleur de la soumission trumpiste au sein du Parti républicain. Le libellé proposé stipule : « Nul ne peut être élu au poste de président plus de trois fois, ni être élu pour un mandat supplémentaire après avoir été élu pour deux mandats consécutifs. » Autrement dit, Trump — et Trump seul, puisque c’est le seul président actuel concerné — pourrait se représenter en 2028. Cette personnalisation constitutionnelle rappelle les pires dérives autoritaires où les parlements dociles modifient les lois fondamentales pour satisfaire un chef.

Évidemment, cette proposition n’a aucune chance d’aboutir. Amender la Constitution américaine requiert l’approbation des deux tiers des deux chambres du Congrès puis la ratification par les trois quarts (38 États sur 50) des législatures étatiques. Un processus délibérément difficile pour éviter les caprices autoritaires ponctuels. Mais ce qui compte ici n’est pas la faisabilité technique — c’est la normalisation de l’idée même qu’un président pourrait ouvertement chercher à contourner la limitation constitutionnelle. Ogles, en déposant cette résolution, transforme le fantasme trumpien en proposition législative officielle. Il donne une forme institutionnelle à l’ambition autoritaire. Et ça, c’est déjà une victoire pour Trump : l’Overton window du débat politique américain s’est déplacée au point qu’on discute sérieusement d’autoriser un troisième mandat présidentiel. Ce qui aurait été impensable en 2015 devient « controversé » en 2025. Dans dix ans, ce sera peut-être « raisonnable ».

« Je ne blague pas » — mars 2025

Le 30 mars 2025, Trump avait déjà créé la controverse en déclarant à NBC : « Je ne blague pas » quand il évoque un troisième mandat. « Il existe des méthodes pour faire ça », avait-il assuré, affirmant que « beaucoup de gens veulent que je le fasse ». Cette déclaration révélait déjà la dimension préméditée de ses provocations constitutionnelles. Trump ne lance pas des ballons d’essai au hasard — il teste systématiquement les limites du tolérable, observe les réactions, ajuste son discours. Quand il dit « je ne blague pas », il informe réellement son audience que cette ambition est authentique. Interrogé sur le scénario où JD Vance se présenterait à la présidence puis démissionnerait pour lui céder la place, Trump avait répondu que c’était « une méthode », ajoutant qu’il « en existait d’autres ».

Cette pluralité de « méthodes » révèle l’approche trumpienne du droit constitutionnel : la loi comme obstacle à contourner plutôt que comme cadre à respecter. Pour Trump, la Constitution n’est pas un texte sacré limitant son pouvoir — c’est un puzzle juridique dont il faut trouver les failles exploitables. Certains de ses conseillers ont évoqué l’idée qu’il pourrait « suspendre » temporairement sa présidence, laisser Vance gouverner brièvement, puis revenir comme si le compteur s’était remis à zéro. D’autres imaginent une interprétation créative du 22e amendement selon laquelle la limitation concerne seulement les mandats « consécutifs », permettant théoriquement un retour après une interruption. Ces scénarios, aussi absurdes juridiquement soient-ils, circulent sérieusement dans les cercles trumpistes. Ils révèlent une mentalité profondément antidémocratique où l’ingéniosité juridique remplace le respect institutionnel.

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