Une publicité qui utilise Reagan
Tout commence avec une publicité diffusée par le gouvernement de l’Ontario. Dans cette annonce, on voit Ronald Reagan prononcer un discours de 1987 où il critique les tarifs douaniers. L’objectif était clair : rappeler aux Américains que leur propre héros républicain s’opposait aux barrières commerciales. Mais pour Trump, cette utilisation de Reagan constituait une insulte personnelle. Il a qualifié la publicité de « fausse » et a immédiatement annoncé la fin des négociations commerciales avec le Canada. La fondation Reagan est intervenue, affirmant que le contexte du discours était incomplet, ce qui a alimenté davantage la controverse. Trump a déclaré que les tarifs sont « très importants pour la sécurité nationale et l’économie des États-Unis », rejetant totalement l’argument canadien. Cette réaction explosive a pris tout le monde de court, y compris les négociateurs canadiens qui pensaient être sur le point de conclure un accord commercial.
Les négociations étaient sur le point d’aboutir
Selon Carney, les discussions avec les États-Unis étaient « très détaillées, très spécifiques, très complètes » jusqu’au moment où la publicité a été diffusée. Les négociations portaient sur l’acier, l’aluminium et l’énergie, trois secteurs cruciaux pour l’économie canadienne. Le premier ministre a affirmé que des progrès significatifs avaient été réalisés et que le Canada était prêt à reprendre les discussions dès que possible. Mais Trump n’a montré aucune intention de revenir à la table de négociation. Au contraire, il a insisté sur le fait qu’il était « très heureux de l’accord actuel avec le Canada », ce qui signifie qu’il n’a aucun intérêt à améliorer les termes commerciaux pour les Canadiens. Cette position intransigeante met le Canada dans une situation précaire, car il dépend énormément du marché américain pour ses exportations.
Trump annonce une hausse des tarifs de 10 pour cent
La menace de Trump n’est pas restée théorique. Il a annoncé une augmentation de 10 pour cent des tarifs douaniers sur les produits canadiens, bien qu’il n’ait pas précisé quand cette hausse entrerait en vigueur. Cette décision pourrait avoir des répercussions dévastatrices pour l’économie canadienne, car les États-Unis représentent environ 75 pour cent des exportations canadiennes. Les secteurs les plus touchés seraient l’automobile, l’agriculture, l’énergie et les matériaux de construction. Trump a justifié sa décision en affirmant que le Canada « arnaqu les États-Unis depuis longtemps », une accusation qui ignore le fait que les deux pays ont des échanges commerciaux massifs et mutuellement bénéfiques. Cette rhétorique agressive fait partie de la stratégie trumpiste de renégociation permanente des accords commerciaux, mais cette fois, le Canada en paie le prix fort.
Carney refuse de rencontrer Trump lors du sommet
Trump dit qu’il ne verra pas Carney
Alors que les deux dirigeants se trouvaient en Asie cette semaine pour assister au sommet de l’ASEAN à Kuala Lumpur, Trump a clairement indiqué qu’il n’avait « aucune intention » de rencontrer Carney. Cette déclaration publique constitue une humiliation diplomatique pour le Canada, car elle montre que le président américain considère les relations avec Ottawa comme une priorité mineure. Trump a réitéré sa position lundi, en route vers le Japon, affirmant qu’il ne voulait pas voir Carney « pour un certain temps ». Cette attitude de rejet total contraste avec le traitement réservé à d’autres dirigeants lors du sommet, où Trump a multiplié les poignées de main et les discussions bilatérales. Le message est clair : le Canada est mis au ban par son principal partenaire commercial.
Les deux leaders seront en Corée du Sud
Malgré le refus de Trump, les deux dirigeants seront présents cette semaine au sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en Corée du Sud. Cette proximité géographique offre théoriquement une opportunité pour une rencontre impromptue, mais Trump a déjà fermé cette porte. Carney a adopté une approche diplomatique, affirmant qu’il fallait « garder son calme » face aux « rebondissements inattendus » dans les négociations de haut niveau. Il a insisté sur le fait que les émotions ne mènent nulle part et que le Canada reste prêt à reprendre les discussions dès que possible. Mais cette posture conciliante semble tomber dans l’oreille d’un sourd, car Trump a montré à maintes reprises qu’il n’hésite pas à utiliser les tarifs comme arme politique.
Alberta critique l’approche ontarienne
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a exprimé ses regrets face à l’effondrement des négociations commerciales. Elle a souligné que le problème s’est aggravé lorsque la fondation Reagan est intervenue pour critiquer le contexte incomplet de la publicité ontarienne. Smith a déclaré qu’elle était « triste de voir que nous sommes de retour à la case zéro » et a appelé à privilégier la diplomatie plutôt que les campagnes publicitaires provocatrices. Elle a également reconnu que l’administration américaine est « imprévisible », ce qui complique encore davantage les efforts de reconstruction des relations commerciales. Cette critique interne montre que le Canada est divisé sur la meilleure approche à adopter face à Trump, certaines provinces privilégiant la confrontation tandis que d’autres prônent l’apaisement.
Le virage asiatique du Canada prend forme
Doubler les exportations hors États-Unis
Face à cette crise avec les États-Unis, Carney a annoncé une mission ambitieuse : doubler les exportations canadiennes vers des destinations autres que les États-Unis au cours de la prochaine décennie. Cette stratégie vise à réduire la dépendance économique du Canada envers son voisin du sud, qui représente actuellement environ 75 pour cent des exportations canadiennes. L’objectif est de diversifier les marchés pour rendre l’économie canadienne plus résiliente face aux chocs commerciaux. Carney a souligné que « l’échelle et la vitesse des changements commerciaux récents et des développements technologiques signifient que la stratégie économique du Canada doit changer radicalement ». Cette déclaration marque un tournant majeur dans la politique commerciale canadienne, qui a longtemps privilégié les relations nord-américaines au détriment des autres régions du monde.
Un accord de libre-échange avec l’ASEAN
Le Canada et l’ASEAN accélèrent les négociations pour un accord de libre-échange qui pourrait ajouter plus de 1,5 milliard de dollars à l’économie canadienne. Carney a annoncé un investissement de 25 millions de dollars en assistance technique aux nations de l’ASEAN pour accélérer les négociations et assurer une mise en œuvre efficace de l’accord. Cette région représente près de 700 millions de consommateurs et un marché d’une valeur de plus de 5 billions de dollars. L’ASEAN est déjà le deuxième partenaire commercial du Canada avec plus de 260 milliards de dollars d’échanges commerciaux bilatéraux, mais cela ne représente encore que 10 pour cent des exportations canadiennes. L’objectif est de multiplier ce chiffre en profitant de la croissance économique rapide de la région.
Accord bilatéral avec les Philippines
Lors de sa visite en Malaisie, Carney a rencontré le président des Philippines et a annoncé l’intention de lancer « imminement » des négociations pour un nouvel accord de libre-échange bilatéral. L’objectif est de conclure cet accord en 2026, ce qui témoigne de l’urgence avec laquelle le Canada cherche à diversifier ses partenaires commerciaux. Les Philippines représentent un marché de plus de 110 millions de consommateurs et une économie en pleine expansion. Cet accord pourrait ouvrir de nouvelles opportunités pour les secteurs canadiens de l’agriculture, de la technologie et des ressources naturelles. Carney a également tenu des rencontres bilatérales avec les dirigeants du Laos, de la Malaisie et du Vietnam pour faire avancer les discussions commerciales.
Les défis de la stratégie indo-pacifique
Une réputation d’ami peu fiable
Selon Patricia Yeoh, professeure de relations internationales à l’Université de Nottingham en Malaisie, le Canada a la réputation en Asie d’être un « ami des beaux jours », une nation qui s’engage avec la région principalement quand cela sert ses propres intérêts. Cette perception complique les efforts de Carney pour se présenter comme un partenaire commercial fiable et prévisible. Les pays asiatiques ont appris à se méfier des puissances occidentales qui promettent engagement et coopération, puis disparaissent dès que leurs priorités changent. Le Canada devra prouver qu’il est sérieux cette fois, qu’il ne s’agit pas simplement d’une réaction temporaire à la colère de Trump, mais d’un engagement à long terme envers la région indo-pacifique.
Les accords existants limitent l’impact
Le Canada possède déjà une mosaïque d’accords commerciaux en Asie, ce qui signifie que l’ajout de nouveaux accords ne devrait pas augmenter significativement les échanges commerciaux, selon la professeure Yeoh. Le pays a signé des accords avec l’Équateur, l’Indonésie, les Émirats arabes unis en intelligence artificielle, l’Union européenne en défense et commerce, et l’Allemagne en minéraux critiques. Cependant, ces accords n’ont pas encore produit les résultats escomptés en termes de diversification des exportations. Le problème fondamental reste que l’économie canadienne est structurellement intégrée à celle des États-Unis, et il faudra des années, voire des décennies, pour modifier cette réalité.
L’opportunité créée par Trump
Paradoxalement, la politique commerciale erratique de Trump pourrait offrir au Canada une ouverture en Asie. Selon la professeure Yeoh, le Canada peut efficacement argumenter qu’il est un partenaire commercial plus fiable que les États-Unis. « Contrairement aux États-Unis, nous n’imposerons pas de tarifs; nous sommes l’option la plus amicale, et les nations devraient choisir de négocier avec nous », explique-t-elle. Cette approche pourrait séduire des pays asiatiques fatigués de l’imprévisibilité américaine et cherchant des alternatives pour leurs échanges commerciaux. Le Canada peut se positionner comme un pays respectueux des règles, prévisible et engagé dans le multilatéralisme, contrairement à l’unilatéralisme agressif de Trump.
Les secteurs prometteurs pour l'expansion
Les ressources naturelles et l’énergie
Le Canada cherche à exploiter ses vastes ressources naturelles pour pénétrer les marchés asiatiques. Lors de sa visite en Malaisie, Carney a discuté d’une lettre d’intention signée entre le Canada et la Malaisie pour approfondir les investissements dans le gaz naturel liquéfié, le pétrole, l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Ces secteurs représentent des opportunités massives pour les entreprises canadiennes, car la demande énergétique en Asie devrait exploser au cours des prochaines décennies. Le Canada possède d’immenses réserves de gaz naturel et de pétrole, ainsi qu’une expertise reconnue en technologie nucléaire et en énergies propres. Ces atouts pourraient permettre au pays de se tailler une place significative dans les marchés énergétiques asiatiques.
L’agriculture et l’agroalimentaire
Le secteur agroalimentaire canadien représente un autre domaine prometteur pour l’expansion en Asie. Le Canada est un producteur majeur de céréales, de légumineuses, de viande et de produits transformés, et la demande pour ces produits augmente rapidement dans les pays asiatiques à mesure que leurs classes moyennes s’élargissent. Les accords commerciaux en cours de négociation cherchent à réduire ou éliminer les tarifs sur la majorité des exportations canadiennes dans ce secteur. Carney a rencontré des investisseurs institutionnels et des chefs d’entreprise basés dans l’ASEAN pour discuter des opportunités que le Canada présente dans ce domaine. L’objectif est de positionner le pays comme un fournisseur fiable de produits alimentaires de haute qualité.
Les technologies et l’innovation
Le Canada tente également de se positionner comme un leader en technologies propres, en intelligence artificielle et en minéraux critiques. Ces secteurs sont cruciaux pour l’économie mondiale du futur, et l’Asie représente un marché énorme pour ces technologies. Le Canada a signé des accords avec les Émirats arabes unis en intelligence artificielle et avec l’Allemagne en minéraux critiques, montrant sa volonté de devenir un acteur majeur dans ces domaines. Les investissements stratégiques dans l’agroalimentaire et les technologies propres sont au cœur de la stratégie de diversification commerciale du gouvernement Carney. L’objectif est de créer de nouvelles chaînes de valeur qui ne dépendent pas exclusivement du marché américain.
Les obstacles à la diversification
L’intégration profonde avec les États-Unis
La principale difficulté pour le Canada réside dans le fait que son économie est profondément intégrée à celle des États-Unis. Les chaînes d’approvisionnement nord-américaines sont si entrelacées qu’il est presque impossible de les démêler rapidement. Par exemple, une pièce automobile peut traverser la frontière canado-américaine plusieurs fois avant d’être incorporée dans un véhicule final. Cette intégration signifie que même si le Canada réussit à diversifier ses exportations, il restera dépendant des États-Unis pour une grande partie de son activité économique. Changer cette réalité nécessiterait une restructuration massive de l’économie canadienne, avec des coûts énormes et des perturbations considérables.
La distance géographique avec l’Asie
Un autre obstacle majeur est la distance géographique entre le Canada et l’Asie. Même si le Canada possède une côte pacifique, expédier des marchandises vers l’Asie coûte plus cher et prend plus de temps que de les envoyer aux États-Unis. Cette réalité économique fondamentale signifie que de nombreux produits canadiens auront du mal à être compétitifs sur les marchés asiatiques, à moins qu’ils ne bénéficient d’avantages tarifaires significatifs ou qu’ils offrent une qualité nettement supérieure. Les coûts de transport et de logistique peuvent facilement annuler les bénéfices des nouveaux accords commerciaux, ce qui limite l’impact potentiel de la stratégie de diversification.
Le scepticisme au Canada
À l’intérieur du Canada, beaucoup expriment du scepticisme face aux objectifs commerciaux ambitieux de Carney. Doubler les exportations hors États-Unis en une décennie semble irréaliste à de nombreux économistes, surtout compte tenu des échecs passés en matière de diversification commerciale. Les gouvernements canadiens ont parlé de réduire la dépendance envers les États-Unis pendant des décennies, mais les résultats concrets se sont fait attendre. Cette fois-ci sera-t-elle différente? Ou s’agit-il simplement d’une autre série de promesses qui ne seront jamais tenues? Les Canadiens ordinaires s’inquiètent également des coûts potentiels de cette transition, notamment si elle entraîne des pertes d’emplois dans les industries orientées vers le marché américain.
La réaction des provinces canadiennes
L’Ontario assume sa responsabilité
Le gouvernement de l’Ontario, dirigé par Doug Ford, se retrouve au cœur de cette controverse puisque c’est sa publicité anti-tarifs qui a déclenché la colère de Trump. Ford a déclaré qu’il avait montré la publicité à Carney avant sa diffusion, ce qui soulève des questions sur la responsabilité du premier ministre dans cet échec diplomatique. Cependant, Ford a finalement suspendu la campagne publicitaire face à la réaction violente de Trump. Cette décision tardive n’a pas suffi à apaiser le président américain, qui a maintenu sa position de refus de négocier avec le Canada. L’Ontario, en tant que province la plus peuplée et la plus industrialisée du pays, a le plus à perdre d’une guerre commerciale avec les États-Unis.
L’Alberta privilégie la diplomatie
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a adopté une approche plus conciliante envers les États-Unis. Elle a critiqué la publicité ontarienne et a appelé à privilégier la diplomatie plutôt que les campagnes publicitaires provocatrices. Smith a souligné que l’administration Trump est « imprévisible » et que le Canada doit faire preuve de prudence dans ses interactions avec Washington. L’Alberta est particulièrement vulnérable à une guerre commerciale car son économie dépend fortement des exportations de pétrole et de gaz naturel vers les États-Unis. Smith a exprimé son soutien aux efforts de Carney pour reconstruire les relations commerciales, tout en regrettant que les négociations soient « de retour à la case zéro ».
Le Québec observe en silence
Le Québec, deuxième province la plus peuplée du Canada, a adopté une position plus discrète dans cette crise. Le gouvernement québécois n’a pas publiquement critiqué l’approche ontarienne ni celle du gouvernement fédéral, préférant observer l’évolution de la situation avant de prendre position. Le Québec entretient des relations commerciales importantes avec les États-Unis, notamment dans les secteurs de l’aérospatiale, de l’aluminium et des produits forestiers. La province pourrait être gravement affectée par une augmentation des tarifs américains, mais elle semble attendre de voir comment la situation évoluera avant de s’engager dans une direction particulière. Cette prudence reflète peut-être une sagesse politique, ou simplement une incapacité à influencer les événements.
Conclusion
Le Canada se trouve aujourd’hui à un tournant historique de son existence économique. Réprimandé par Trump, exclu des négociations commerciales avec son principal partenaire, le pays doit maintenant prouver qu’il peut survivre et prospérer sans dépendre exclusivement des États-Unis. La tournée asiatique de Carney représente une tentative désespérée mais nécessaire de diversifier les relations commerciales du pays, de construire de nouveaux partenariats et de réduire la vulnérabilité économique face aux caprices d’un président américain imprévisible. Les accords annoncés avec l’ASEAN, les Philippines et d’autres nations asiatiques sont des pas dans la bonne direction, mais ils arrivent tardivement et leur impact réel reste incertain.
La réalité brutale est que le Canada ne pourra pas se libérer rapidement de sa dépendance envers les États-Unis. L’intégration économique entre les deux pays est trop profonde, les chaînes d’approvisionnement trop entrelacées, les liens géographiques trop forts. Mais cela ne signifie pas que l’effort de diversification est inutile. Au contraire, il est plus nécessaire que jamais. Le Canada doit accepter qu’il vivra pendant des années, voire des décennies, avec l’incertitude et l’hostilité potentielle de son voisin américain. Dans ce contexte, construire des relations solides avec l’Asie, l’Europe et d’autres régions du monde n’est pas un luxe, c’est une question de survie économique.
L’histoire jugera si Carney a réussi à transformer cette humiliation en opportunité, si sa vision d’un Canada moins dépendant des États-Unis était réaliste ou simplement un rêve impossible. Pour l’instant, le premier ministre canadien continue sa tournée asiatique, multipliant les poignées de main et les annonces d’accords commerciaux, espérant convaincre les nations de l’ASEAN que le Canada est un partenaire fiable et engagé. Pendant ce temps, Trump poursuit sa propre tournée, ignorant ostensiblement les Canadiens et rappelant au monde entier que dans son univers, le Canada n’est qu’un partenaire de second ordre. Cette collision entre deux visions du monde, entre la diplomatie multilatérale canadienne et l’unilatéralisme agressif américain, définira l’avenir économique du Canada pour les décennies à venir. Et nous ne savons pas encore qui émergera vainqueur de cette confrontation silencieuse mais déterminante.