Un coup d’État administratif en neuf mois
En février 2025, à peine quelques semaines après son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a décidé que le Kennedy Center avait besoin de son toucher salvateur. Sa stratégie ? Radicale. D’abord, il a purement et simplement limogé des dizaines de membres du conseil d’administration — des gens qui avaient décennies d’expérience, des mécènes de l’art, des professionnels ayant contribué à la grandeur du centre depuis des années. Ensuite, il a fait quelque chose d’encore plus extraordinaire : il s’est nommé lui-même président de l’institution. Oui, vous avez bien lu. Le président des États-Unis s’est arrogé le contrôle personnel d’un centre culturel supposément indépendant et non-partisan. Puis sont venus les changements. Il a nomé Richard Grenell, ancien ambassadeur des États-Unis, comme nouveau directeur exécutif. Grenell, un fidèle Trump, avait une mission clairement énoncée : détoxifier le centre de son idéologie « woke ». Dans les interviews qu’il a données au Washington Reporter, Grenell n’a pas mâché ses mots : « Nous avions dépensé beaucoup trop d’argent dans des programmes qui ne rapportaient rien ». Translation littérale : les performances LGBTQ+, les événements diversifiés, les spectacles inclusifs — tout cela devait disparaître. Trump lui-même a déclaré en juin 2025 : « Nous allons sauver le Kennedy Center. Nous allons le rendre incroyable. Les os sont très bons ». Les « os », paraît-il, nécessitaient une chirurgie à ciel ouvert. Mais personne n’avait mesuré combien le patient en aurait besoin par la suite — combien cette opération le saignerait à mort financièrement et symboliquement.
L’épuration du répertoire et ses conséquences imprévisibles
Sous la nouvelle direction, le Kennedy Center a entrepris ce qu’on pourrait qualifier poliment de « réorientation stratégique » et plus honnêtement de destruction méthodique de sa programmation artistique. Plus de 20 productions ont été annulées en cascade. Les spectacles mettant en avant des artistes LGBTQ+ ont été purement supprimés du calendrier. La place a été faite à une augmentation spectaculaire de la programmation chrétienne — beaucoup de ces nouvelles productions étant offertes gratuitement au public, ce qui explique partiellement le problème financier qui en découle : si vous donnez les billets gratuitement, vous ne vendez rien, ce qui crée un trou béant dans les revenus. Des artistes de renom ont commencé à refuser les invitations de performer au Kennedy Center. Hamilton, le spectacle musical le plus vendu de la décennie, a annulé sa programmation au centre. Des membres éminents du conseil consultatif artistique, comme le musicien Ben Folds, ont démissionné publiquement en signe de protestation. Des collectifs artistiques comme celui de Micaiah Dempsey se sont fragmentés, avec certains membres refusant catégoriquement de se produire au Kennedy Center. L’ironie suprême ? Malgré la promesse de Trump de « bannir les spectacles de drag », la production 2026 de Mrs. Doubtfire — une comédie musicale centrée sur un homme se déguisant en femme — doit quand même s’y produire. Une contradiction si flagrante qu’on ne sait plus si c’est du cynisme ou de l’incompétence.
Les chiffres qui deviennent des hurlements silencieux
Les statistiques sont — et il n’existe pas d’autre mot — dévastatrices. Du 3 septembre au 19 octobre 2025, seulement 57% des billets disponibles ont été vendus pour les spectacles des trois plus grandes salles du Kennedy Center (l’Opéra House, la Concert Hall et le Eisenhower Theater). Comparons cela à la même période en 2024 : 93% de ventes. En 2023 : 80%. Nous parlons d’une chute de 36 points de pourcentage en un an — une désintégration. Cela équivaut à 50 000 sièges vides sur les quelque 143 000 disponibles. Pour mettre cela en perspective, c’est comme si soudain, quatre salles de cinéma IMAX pleines se vidaient complètement chaque semaine. Le Washington Post, en analysant les données de revenus, a découvert que moins de la moitié de l’argent avait été dépensé en billets de septembre à mi-octobre 2025 par rapport à la même période en 2024. C’est la plus faible performance depuis 2018, hormis bien sûr 2020 quand le centre était fermé à cause du COVID. Mais attendez — ça devient encore plus grave. Une ancienne employée du centre (qui a demandé l’anonymat) a confié au Washington Post des paroles qui glacent le sang : « J’anticipais un déclin à cause de la prise de contrôle sans précédent d’une institution non-partisan et de l’inexpérience de la nouvelle direction, mais c’est vraiment choquant de voir que ces actions ont été pires pour le business au Kennedy Center que les conséquences d’une pandémie mondiale ». Plus mauvais que le COVID. Laissez cela pénétrer votre conscience une seconde.
Les artistes qui ont voté avec leurs pieds
Un exode artistique sans précédent
Les artistes sont comme des oiseaux : ils détectent le danger bien avant que ne commence la tempête. Et au Kennedy Center, c’est un véritable exode qui s’est produit. Les musiciens, les danseurs, les acteurs, les metteurs en scène — tous ceux qui font vivre une institution culturelle — ont commencé à rompre leurs engagements ou à refuser catégoriquement de nouvelles propositions. Hamilton représente le cas le plus symbolique. C’est le spectacle qui a redéfini le théâtre musical américain, qui a généré des centaines de millions de dollars en revenus à chaque fois qu’il s’est produit quelque part. Et Hamilton a dit non au Kennedy Center. Cette décision à elle seule équivaut à un jugement : nous ne voulons pas être associés à cela. Des membres du conseil consultatif artistique, ces mécènes et figures de prestige qui apportent crédibilité et visibilité à l’institution, ont démissionné. Ben Folds, le musicien de renom, n’a pas traîné — il a quitté son siège en signe de protestation transparent. D’autres collectifs artistiques se sont fragmentés de l’intérieur. Micaiah Dempsey et un collectif vocal avaient prévu de se produire au Kennedy Center en février 2025, une date qui se trouvait coincée dans cette zone grise juste après la prise de contrôle de Trump. Quatre des cinq membres ont dit non. Quatre sur cinq. C’est une proportion de refus qui devrait alarmer n’importe qui. Seuls B DeVeaux et Micaiah Dempsey ont maintenu leur engagement, décrivant leur décision comme « un acte de défi », refusant de laisser la politique dicter s’ils pouvaient ou non exprimer leur art. Mais cet acte de défi isolé ne peut pas compenser la marée de refus qui monte.
Les raisons de ce rejet : bien au-delà d’une simple politique
Pourquoi les artistes refusent-ils de venir ? La réponse simple est : censure. Une censure perçue comme immédiate et existentielle. Lorsqu’une administration repense activement votre programmation en éliminant les spectacles LGBTQ+, les performances diversifiées, les événements inclusifs, ce n’est pas une simple réorientation commerciale — c’est une déclaration que certains artistes ne sont plus les bienvenus. C’est un message qui résonne clairement : si vous êtes un artiste queer, un artiste of color, un artiste qui célèbre la diversité, le Kennedy Center n’est plus votre maison. Et les artistes le savent. Ils lisent les journaux. Ils voient les annonces. Ils écoutent ce que les nouveaux dirigeants disent — et plus important encore, ce qu’ils ne disent pas. Richard Grenell a affirmé que le centre avait dépensé « beaucoup trop d’argent dans la propagande politique rampante, les initiatives DEI et les spectacles inappropriés ». Pour les artistes, c’est une déclaration de guerre. Vous venez de dire que nos histoires sont « inappropriées ». Vous venez de dire que notre existence est de la « propagande politique ». Pourquoi viendrions-nous volontairement dans un endroit qui nous méprise ? Le comédien noir et animateur de CNN W. Kamau Bell a décrit sa performance au Kennedy Center comme un « acte de défi », précisant : « Si je peux être mon vrai moi Black, si je peux être moi-même dans ces espaces, alors je fais ce que je suis censé faire ». Il fallait que ça soit un acte de défi. Cela ne devrait pas être de la défiance — c’est le Kennedy Center, pas une prison politique. Mais c’est devenu un lieu où exister authentiquement est considéré comme un acte de résistance.
Le paradoxe du refus volontaire et ses conséquences économiques
Ce que les décideurs du Kennedy Center ne semblaient pas comprendre — ou ne voulaient pas comprendre — c’est qu’un centre culturel vit de son attractivité. Ce n’est pas comme une usine où vous pouvez imposer des changements managériaux et espérer augmenter la productivité. C’est un écosystème fragile où chaque élément dépend de la confiance mutuelle. Les artistes font confiance au centre pour leur donner une plateforme digne. Le public fait confiance au centre pour lui offrir une programmation de qualité. Les donateurs font confiance au centre pour préserver son prestige. Une fois que vous brisez la confiance — en violant l’un de ces trois accords silencieux — l’édifice commence à s’effondrer. Et c’est précisément ce qui s’est passé. Les refus d’artistes se sont multipliés. Le public a voté avec ses pieds — plus de 50 000 sièges vides. Et les donateurs potentiels ? Ils observent, attendant de voir si le navire va couler avant d’investir davantage. Michael Kaiser, qui a servi comme président du Kennedy Center de 2001 à 2014 et qui observe la situation actuelle avec horreur, a déclaré quelque chose d’une lucidité glaçante : « Les ventes de billets déprimées ne causent pas seulement un manque à gagner en revenus directs; elles présagent aussi mal pour le financement futur par les donateurs ». Les donateurs, vous voyez, ne sont pas idiots. Ils regardent les sièges vides et ils pensent : « Pourquoi investirais-je dans une institution qui se self-destruisait ? » Et ainsi, le Kennedy Center ne fait pas seulement face à une crise de ventes de billets — il fait face à une hémorragie financière existentielle.
La programmation révélée : incompétence et contradiction
La stratégie du divertissement « grand public » qui repousse les gens
Grenell et son équipe avaient une théorie simple : le Kennedy Center avait trop dépensé en « art woke » et « propagande politique ». La solution ? Se concentrer sur les grands divertissements que les gens veulent voir. Textuellement, Grenell a dit : « Nous faisons les grandes choses que les gens veulent voir ». Mais qu’est-ce que « les gens » veulent voir ? Apparemment, pas ce que le nouveau Kennedy Center offre. Si leur hypothèse était correcte — que le public americana rêvait secrètement d’une programmation exclusivement axée sur le divertissement mainstream et la musique chrétienne gratuite — alors les chiffres de vente de billets devraient s’améliorer. Au lieu de cela, ils se sont effondrés. C’est une réfutation brutale et incontestable de leur stratégie. Le problème profond, c’est que le Kennedy Center n’a jamais été — et ne devrait jamais être — une simple machine à divertissement. C’est une institution de prestige. C’est un symbole. Lorsque vous enlevez les productions audacieuses, les programmations diversifiées, les spectacles qui poussent les limites, vous enlevez exactement ce qui rend le Kennedy Center précieux aux yeux de son public cible. Vous transformez une institution emblématique en un simple multiplex, et quand vous le faites, vous devez rivaliser avec les multiplexes sur leur propre terrain — un terrain où le Kennedy Center, avec ses coûts opérationnels élevés et son besoin de financement public, ne peut jamais gagner. Les gens peuvent voir un spectacle de divertissement grand public à des centaines d’endroits différents, plus proches de chez eux, moins chers, sans la bagarre politique. Mais ils venaient au Kennedy Center pour quelque chose de particulier, de significatif, d’important. Maintenant que c’est parti, ils n’ont aucune raison de venir.
La programmation chrétienne : une prise de risque idéologique plutôt qu’artistique
L’ajout massif de programmation chrétienne au Kennedy Center — beaucoup de ces productions étant gratuites — représente un tournant idéologique fascinant et révélateur. D’abord, c’est un recalibrage radical de ce que le Kennedy Center est censé être. Une institution nationale, un lieu pour tous les Américains, s’est soudainement reconfigurée pour donner une plateforme disproportionnée à un ensemble de valeurs religieuses spécifiques. Deuxièmement, et plus problématiquement pour les finances, offrir gratuitement une grande partie de la nouvelle programmation crée une cannibalisation des revenus. Si le Kennedy Center remplit ses salles avec du contenu gratuit, il ne vend pas de billets. Et sans ventes de billets, il n’y a pas de revenus. Vous avez résolu le problème d’occupation des chaises — elles sont remplies, mais de personnes qui ne paient rien. C’est comme remplir un verre d’eau au lieu de vin quand on espère un revenu de 50 dollars par verre. L’ajout de cette programmation chrétienne s’aligne également avec une vision politique plus large — une tentative de reconquérir le Kennedy Center pour une certaine vision de l’Amérique. Mais voici le problème : le Kennedy Center n’a jamais appartenu à une seule vision. C’était justement son pouvoir. C’était un endroit où des Américains provenant de chaque coin du spectre politique, de chaque milieu socio-économique, de chaque identité religieuse ou sexuelle, pouvaient venir. Cet équilibre fragile n’était possible que parce qu’il appartenait à tout le monde. Maintenant qu’il appartient à quelqu’un, c’est devenu un lieux où tout le monde d’autre se sent exclu.
Le cas Mrs. Doubtfire : la contradiction qui tue toute crédibilité
Et puis il y a Mrs. Doubtfire. Attendez. Comment cela sert-il la vision du Kennedy Center ? Ce spectacle musical de 2026 est centré sur un homme qui se déguise en femme. C’est littéralement une comédie sur la transformation de genre. Et Trump, la même personne qui a promis de « bannir les spectacles de drag » — une promesse qui aurait dû signifier l’interdiction de ce genre de contenu — a apparemment approuvé sa programmation. Ou plutôt, il ne l’a pas bloquée. Ou plutôt… personne ne sait vraiment ce qui se passe. C’est une contradiction si flagrante qu’elle annule la crédibilité de toute la direction en matière de programmation. Si vous dites que le Kennedy Center vire « woke » et que vous interdisez les spectacles de drag, mais que vous laissez une comédie musicale sur un déguisement féminin se produire, qu’est-ce que cela communique ? Cela communique l’incohérence. Cela communique que le processus décisionnel n’est pas fondé sur des principes clairs mais sur quelque chose de plus arbitraire et personnel. Les artistes regardent cela — cette contradiction monumentale — et ils pensent : « Si je ne peux pas comprendre les règles, je ne vais pas jouer ». C’est une déclaration d’intention parfaite. Et bien sûr, en été 2025, Trump lui-même, dans sa rhétorique classique, a dit des choses comme : « Venez voir par vous-même », se désignant presque comme une attraction touristique en disant « TRUMP KENNEDY, oups, je veux dire KENNEDY CENTER ». C’est du narcissisme brut. L’institution n’existe plus en tant que Kennedy Center — c’est le Trump Kennedy Center dans l’esprit du public. Et beaucoup de gens ne veulent rien savoir du Trump Kennedy Center.
L'impact économique et la hémorragie financière
Quand la politique rencontre le bilan comptable réel
Les statistiques financières du Kennedy Center ne racontent pas seulement une histoire — elles crient une prophétie. Entre septembre et octobre 2025, moins de la moitié des revenus de billets ont été générés par rapport à la même période en 2024. C’est une baisse de plus de 50% des revenus. Pendant neuf mois sous la nouvelle direction, le Kennedy Center a perdu approximativement des centaines de millions de dollars en revenus projetés. Considérez cela sur une année fiscale complète : si ce taux de déclin se maintient, nous parlons de déficits budgétaires dépassant les 500 millions. C’est une situation financièrement insoutenable. Un rapport ancien du Washington Post aurait calculé que les revenus de septembre-octobre 2025 étaient les plus bas depuis 2018 (excluant 2020 pour la pandémie). Cela signifie que même après que les vaccins ont ramené le public et que les restrictions ont levé, le Kennedy Center sous Trump fait pire qu’il ne l’a fait au cours des années post-pandémiques. À titre de comparaison, pendant la plupart des années 2021-2024, le Kennedy Center se remettait progressivement du COVID, regagnant les audiences perdues, renforçant les revenus. Maintenant, sous une direction supposément pro-business et fiscalement responsable, le centre saigne de l’argent à un taux plus rapide qu’après un effondrement d’une civilisation mondiale. Le problème fondamental est que le Kennedy Center, comme beaucoup des institutions culturelles majeures, dépend d’un mélange complexe de revenus : les ventes de billets, les donations, les subventions gouvernementales, les revenus d’exploitation. Quand vous écrasez un élément majeur de cette équation — les ventes de billets — cela crée des effets d’entraînement catastrophiques sur les autres sources. Les donateurs, voyant les salles vides et les revenus en chute libre, hésitent à donner. Le gouvernement, voyant une institution manifestement en difficulté d’exploitation, hésite à augmenter les subventions. Les sponsors commerciaux évaluent le risque d’association avec une marque en déclin rapide et se retirent. Et soudain, vous n’avez pas seulement un problème de ventes de billets — vous avez une crise de liquidiité existentielle.
Les emplois perdus : le coût humain du changement idéologique
Au-delà des chiffres abstraits se cachent des réalités humaines brutales. Un centre culturel emploie des centaines de personnes : musiciens, danseurs, techniciens, agents de sécurité, personnel administratif, nettoyeurs, vendeurs de billets, personnel de buffet, ushers. Quand le Kennedy Center commence à perdre des centaines de millions de dollars en revenus, les licenciements deviennent inévitables. Des employés de longue date, des gens qui ont consacré leurs carrières au Kennedy Center, reçoivent des avis de licenciement. Des emplois contractuels et intermittents — déjà précaires — disparaissent simplement parce qu’il n’y a plus assez de spectacles pour justifier l’embauche. Une ancienne employée a déclaré que les impacts étaient « pires que la pandémie de COVID » pour le business. Imaginez cela. Pendant le COVID, bien que les salles aient été fermées, il y avait une certaine compréhension que c’était temporaire, une force majeure. Les gouvernements ont fourni des secours financiers d’urgence. Les gens ont attendu. Mais cette fois ? C’est délibéré. C’est une politique. Et il n’y a pas de secours financier d’urgence pour compenser la perte de revenus causée par les décisions idéologiques de la direction. Les travailleurs ne savent pas s’il s’agit d’une baisse temporaire ou d’une transformation permanente. Ils ne savent pas s’il y aura un retour à la normal. Et dans cette incertitude, les décisions difficiles sont prises : réduire les coûts, réduire les effectifs, réduire les heures. Une femme de ménage qui travaillait au Kennedy Center depuis 15 ans peut soudainement se retrouver avec 30% moins d’heures parce que les visiteurs ne viennent plus. Cela n’apparaît pas dans les headlines de grands journaux. Mais pour cette personne, c’est une catastrophe personnelle.
Le tourisme et l’économie locale de Washington qui en souffre
Le Kennedy Center n’existe pas dans le vide économique. C’est une destination touristique majeure pour Washington D.C. Les touristes viennent à Washington, ils visitent le Lincoln Memorial, les musées du Smithsonian, et le Kennedy Center. Mais avec les salles vides et la réputation endommagée, le nombre de touristes a également commencé à décliner. Le Washington Reporter a noté que le déploiement de la Garde nationale par Trump à Washington — partiellement motivé par des préoccupations de sécurité — a découragé à la fois le tourisme et la vie nocturne de la capitale. Imaginez cela : vous planifiez un voyage à Washington avec votre famille. Vous voyez des soldats dans les rues. Vous entendez parler d’une « urgence de sécurité ». Vous lisez que le Kennedy Center fait face à des « problèmes managériaux ». Vous décidez peut-être de reporter votre voyage. Et ainsi, ce ne sont pas seulement les revenus du Kennedy Center qui souffrent — c’est toute l’économie locale. Les hôtels voient moins de réservations. Les restaurants voient moins de clients. Les entreprises de transport voient moins de demande. C’est un effet domino qui s’étend bien au-delà du bâtiment du Kennedy Center lui-même. Washington D.C. dépend du tourisme comme une part significative de son économie. Une baisse du Kennedy Center de 50% en ventes de billets ne signifie pas juste une perte pour l’institution — cela signifie que les dizaines de milliers de touristes qui auraient dépensé de l’argent au restaurant avant le spectacle ne viennent pas. Le cabaretier qui aurait reçu des clients après le théâtre perd cette affaire. La femme de chambre de l’hôtel fait moins de chambres. C’est une réaction en chaîne, et personne n’aime parler du coût total.
Le message symbolique au-delà des chiffres
Quand une institution devient une déclaration politique
Ce qui s’est vraiment passé au Kennedy Center dépasse les considérations financières. C’est plus profond. C’est un acte de confiscation symbolique. Le Kennedy Center a été construit comme monument à la mémoire d’un président assassiné qui incarnait — au moins dans la mythologie publique — une vision inclusive et optimiste de l’Amérique. C’était censé être un temple de la culture nationale, un endroit où tous les Américains, quel que soit leur bord politique, pouvaient se sentir bienvenu. Une fois que Trump l’a repris et s’est effectivement renommé président de l’institution (en nommant ses fidèles, en supprimant la programmation qu’il jugeait trop « woke »), le Kennedy Center a cessé d’être une institution nationale pour devenir une extension de sa marque politique. C’est devenu — rightly ou wrongly — « le Kennedy Center de Trump ». Et voici le problème viscéral : beaucoup d’Américains ne veulent pas que leurs institutions nationales soient appropriées comme extensions personnelles d’une figure politique. Pour certains, c’est un affront à l’idée même de non-partisanisme institutionnel. Pour d’autres, c’est simplement une question de goût et d’association. Mais pour tous, cela change ce que le Kennedy Center signifie dans le paysage culturel américain. Avant, c’était une institution. Maintenant, c’est une déclaration politique. Et quand une institution devient une déclaration politique plutôt qu’un espace commun, une moitié de la population tend à se retirer. C’est exactement ce qui s’est passé ici.
Le précédent établi et l’avenir des institutions culturelles nationales
Ce qui terrifie les observateurs avisés de la politique culturelle américaine, c’est le précédent établi. Si le Kennedy Center peut être aussi radicalement transformé en neuf mois sous une nouvelle administration, que cela signifie-t-il pour la Bibliothèque du Congrès, la Smithsonian Institution, la National Endowment for the Arts, et d’autres institutions culturelles nationales ? Sommes-nous en train de créer un système où chaque changement d’administration entraîne une transformation idéologique majeure de ces institutions ? C’est terrifiante pour la stabilité et la crédibilité de long terme. Une institution culturelle a besoin de stabilité et de continuité pour fonctionner. Les artistes, les donateurs et les publics font confiance à ces institutions parce qu’elles sont censées être au-dessus de la politique, censées persister indépendamment de qui est au pouvoir. Une fois que vous commencez à utiliser les institutions comme des outils de transformation politique, vous minérez leur crédibilité de manière permanente. Chaque nouvelle administration pensera avoir le droit de les refaçonner selon sa vision. Et progressivement, ces institutions perdent leur raison d’être. Elles deviennent simplement des outils politiques — interchangeables, jetables, sans prestige inhérent. C’est le vrai danger. Ce n’est pas juste que le Kennedy Center soit devenu moins rentable financièrement. C’est qu’il a établi un précédent selon lequel les institutions culturelles nationales peuvent être radicalement transformées pour servir des objectifs politiques. Et une fois que ce précédent est établi, il est très difficile à inverser.
L’appel au boycott et la résistance populaire organisée
En réaction à la prise de contrôle de Trump, plusieurs groupes d’activistes, d’artistes et de citoyens ont lancé des appels au boycott du Kennedy Center. Ces appels sont multiples, organises, et apparemment efficaces — les chiffres de ventes de billets en témoignent. Mais voici une perspective nuancée : le boycott est une arme démocratique légitime. Les citoyens exercent leur droit de ne pas soutenir une institution avec laquelle ils sont en désaccord moral ou politique. C’est leur droit, et c’est puissant. Francesca Zambello, la directrice de l’Opéra National de Washington, a publiquement plaidé pour que les opposants trouvent « des moyens constructifs de désaccord » plutôt que de boycotter, arguant que le boycott « tue l’opéra, la symphonie, [et blesse] tous les gens qui travaillent au Kennedy Center ». C’est un plaidoyer élégant et bien-intentionné, mais il manque le point : si les gens croient réellement que l’institution a été corrompue par une intervention politique indue, alors continuer à la soutenir avec leurs dollars est aussi une décision politique. Le boycott n’est pas la fin de la démocratie — c’est la démocratie en action. Cela dit, le résultat du boycott a été de profonde incongruité. Si votre intention était de punir la direction Trump du Kennedy Center, le boycott fonctionne. Mais les premiers blessés ne sont pas Trump ou Grenell — ce sont les musiciens au chômage, les danseurs sans contrats, le personnel d’accueil travaillant moins d’heures. La direction de Trump, elle, continue. Grenell reste directeur exécutif. Trump reste président (de tout, y compris le Kennedy Center, apparemment). Les travailleurs, eux, souffrent. C’est une tragédie classique des boycotts : les bonnes intentions créent des dommages collatéraux parmi les innocents.
L'ironie ultime : une expérience qui a échoué
Un test politique qui a produit des résultats opposés aux attentes
Si vous revenez à la logique initiale — celle sur laquelle l’administration Trump a fondé sa stratégie pour le Kennedy Center — c’était basiquement un test du marché. L’hypothèse était : « Le Kennedy Center dépensait trop pour de la programmation ‘woke’ que les gens n’aimaient pas. Si nous éliminons cela et nous concentrons sur du divertissement mainstream et de la programmation chrétienne, les gens vont venir. » C’était une hypothèse testable. Et les résultats ? Ils sont disponibles. Ils sont indéniables. Les gens ne viennent pas. En fait, ils viennent beaucoup moins. Cela devrait être un moment de reckoning pour la direction — une opportunité pour reconnaître que leur théorie du marché était incorrecte. Mais jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’autocritique, pas de reconnaissance que la stratégie n’a pas fonctionné. Au lieu de cela, la réaction semble être de doubler — continuer sur le même chemin en espérant que finalement, les chiffres vont s’inverser. C’est une mauvaise stratégie. C’est ce que font les régimes en déclin : ils nient la réalité plutôt que de l’affronter. Quand les preuves empiriques contredisent votre hypothèse, il faut adapter. Sinon, vous descendez juste jusqu’au fond avec votre navire.
Les leçons non-apprises sur ce que les gens veulent réellement
La vraie leçon que le Kennedy Center aurait dû apprendre — mais apparemment ne l’a pas — c’est que ce n’est pas la programmation qui était le problème. Les chiffres de 2023-2024 le montrent clairement. 93% des billets étaient vendus avant la prise de contrôle de Trump. 80% étaient vendus en 2023. Le Kennedy Center ne souffrait pas d’une crise d’audience. Il ne souffrait pas d’une réputation endommagée. Il ne souffrait pas d’une programmation « trop woke ». Les données pré-Trump montrent clairement une institution florissante, admirée, bien-frequentée. Le problème que Trump voulait « résoudre » n’existait pas. C’était un problème inventé. Une solution en attente d’un problème. Ou plus précisément, c’était une solution idéologique en attente d’une justification. Maintenant que cette justification s’est avérée être la création d’un désastre financier réel, nous sommes dans une situation où la « cure » — la refonte idéologique — s’est avérée être bien pire que la « maladie » supposée. C’est une illustration classique du vieux proverbe : « Ne touchez pas à ce qui n’est pas cassé ». Le Kennedy Center n’était pas cassé. Ils l’ont cassé en le « réparant ».
Le coût du leadership par vengeance plutôt que par expertise
Il y a une question qui plane sur toute cette situation : pourquoi Trump a-t-il décidé de prendre le contrôle du Kennedy Center en premier lieu ? Ce n’était pas une institution en crise. Ce n’était pas une institution qui plaidait pour un sauvetage. C’était une institution bien-gérée qui fonctionnait bien. Alors pourquoi ? La réponse la plus probable est idéologique — un désir de nettoyer les institutions de ce qui était perçu comme une influence progressive ou libérale. C’est devenu une pratique récurrente dans le mandat Trump : prendre le contrôle d’institutions « woke » et les transformer selon sa vision. Mais ce qui cette expérience révèle, c’est que le leadership par vengeance idéologique n’est pas un bon substitut au leadership par expertise et compétence. Richard Grenell n’a pas d’expérience dans la gestion d’une institution culturelle. Trump n’a aucune expertise en programmation artistique. Ils ont appliqué une approche idéologique à un écosystème complexe et l’ont brisé. Une institution culturelle nécessite un leadership qui comprend l’art, l’économie culturelle, la gestion des talents, le financement. Trump et Grenell apportaient l’idéologie et un désir de transformation politique. Il n’est pas surprenant que cela n’ait pas fonctionné. C’est une leçon plus large : une expertise est importante. Les institutions fonctionnent parce que les gens qui les dirigent savent comment les diriger. Remplacez ceux-ci par des idéologues sans expertise, et les choses s’effondrent. C’est vrai pour le Kennedy Center. C’est probablement vrai pour beaucoup d’autres institutions qui ont été reprises dans le même mouvement idéologique.
Le contexte plus large : une guerre culturelle qui dégénère
Le Kennedy Center comme microcosme d’une plus grande polarisation
Ce qui s’est passé au Kennedy Center n’est pas un événement isolé. C’est un microcosme d’une polarisation culturelle plus large qui déchire l’Amérique. Pendant la dernière décennie, il y a eu une montée d’une « guerre culturelle » — des combats pour contrôler les institutions, les universités, les musées, les théâtres, pour définir ce qui est acceptable, ce qui ne l’est pas. Le Kennedy Center est devenu un champ de bataille majeur de cette guerre. D’un côté, il y a ceux qui croient que les institutions avaient un biais progressiste, qu’elles promouvaient une certaine vision du monde qu’ils voyaient comme « woke » et trop limité. De l’autre côté, il y a ceux qui croient que les institutions devraient refléter la diversité de la société américaine et que l’inclusion est une valeur fondamentale. Entre ces deux camps, le Kennedy Center s’est transformé en champ de bataille — et comme dans toutes les guerres, les innocents en souffrent le plus. Les artistes sont confus sur ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire. Le public est divisé sur s’il devrait soutenir l’institution. Les employés perdent leurs emplois. Et personne n’a réellement gagné — tout le monde a perdu. C’est une terrible leçon sur ce qui se passe lorsque les institutions deviennent des arènes pour les guerres idéologiques plutôt que des lieux pour l’art et la culture.
La question plus large : qui contrôle la culture ?
Sous-jacent à cette crise est une question existentielle : qui contrôle les institutions culturelles nationales ? Sont-elles censées refléter les valeurs du gouvernement actuel ? Ou sont-elles censées être indépendantes, avec une autonomie artistique ? Traditionnellement, les démocraties libérales ont répondu : autonomie artistique. Les gouvernements ne doivent pas utiliser le contrôle des institutions culturelles pour promouvoir une idéologie particulière. Mais cette convention est de plus en plus défiée. Trump a décidé que le Kennedy Center devrait refléter ses valeurs, sa vision politique. Et maintenant qu’un précédent est établi, les administrateurs suivants pourraient faire de même. Progressivement, les institutions culturelles se transforment de lieux d’expression artistique indépendante en outils de politique de gouvernement. C’est une trajectoire inquiétante. Une fois que ce point de basculement est franchi, il est difficile de revenir.
Les implications pour l’avenir de la culture américaine
Ce qui semble peut-être anodin — une baisse de 50% des ventes de billets dans une institution culturelle — a des implications sérieuses pour l’avenir de la culture américaine. Si les institutions culturelles les plus prestigieuses et bien-financées deviennent des champs de bataille politiques, beaucoup de talent artistique se détournera simplement de ces institutions. Les artistes iront construire des alternatives, des espaces où ils peuvent travailler sans crainte d’une intervention politique. Cela fragmentera la scène culturelle, qui n’est pas nécessairement mauvaise, mais cela signifie que les grandes institutions nationales perdront leur place centrale dans la vie culturelle américaine. Les institutions culturelles prospèrent sur la confiance — la confiance que la direction saura gérer les talents artistiques, la confiance que les politiques seront stables et justes, la confiance que l’institution restera indépendante. Une fois que cette confiance est perdue, il faut des années de dévouement pour la regagner. Et il y a peu de signes que la nouvelle direction du Kennedy Center même cherche à la regagner.
Conclusion
Nous voici donc à la fin de cette triste histoire — ou plutôt, nous nous trouvons au milieu d’une histoire qui continue de se déplier de manière catastrophique. Le Kennedy Center, autrefois temple de la culture américaine, temple de l’inclusivité et du prestige artistique, s’est transformé en un champ de ruines économiques et symboliques. Plus de 50 000 sièges vides au cours du dernier mois et demi. Une baisse de 50% des revenus totaux. Des artistes de renom qui refusent de venir. Des employés qui perdent leurs emplois. Des touristes qui évitent la destination. Tout cela en neuf mois, tout cela en nom d’une refonte idéologique qui a produit exactement le contraire de ce qui avait été promis. Trump avait dit qu’il sauverait le Kennedy Center, qu’il le rendrait « incroyable ». Au lieu de cela, il a transformé une institution florissante en un symbole vivant de l’incompétence en gestion et de l’arrogance idéologique. Et voici le plus troublant : il n’y a aucun signe que la direction reconnaît l’ampleur de ce qui s’est passé, aucun signe d’adaptation stratégique, aucun signe de pivot. Ils continuent, apparemment, sur le même chemin, espérant que finalement, les chiffres vont s’inverser, que quelque chose va changer. Mais cela ne change pas. Les gens refusent simplement. Les artistes refusent. Le public refuse. L’économie refuse de coopérer avec l’idéologie. Et dans ce refus collectif se trouve une leçon : les institutions ne peuvent pas être appropriées à des fins politiques sans conséquences. Les cultures ne peuvent pas être « sauvées » par la censure idéologique — elles peuvent seulement être étouffées. Et une fois étouffées, elles ne reviennent jamais tout à fait à la vie. Le Kennedy Center respire encore, mais c’est un dernier souffle, un râle final avant que ne descende le silence. Et nous, comme spectateurs, nous restons assis dans le noir croissant, écoutant le silence, attendant de voir si quelqu’un aura le courage d’allumer les lumières.