La confiance mal placée de la Maison-Blanche
Revenons un moment en arrière. Le 1er octobre 2025, quand le gouvernement a d’abord fermé ses portes, la Maison-Blanche était étonnamment confiante. Les communications étaient claires, le message intérieur fermement établi : les Démocrates capituleront rapidement. Pourquoi cette certitude ? Plusieurs raisons confluaient pour créer une illusion de domination politique. D’abord, Trump pensait que les Démocrates seraient terrorisés à l’idée de fermer le gouvernement — une action qui, traditionnellement, coûte cher politiquement au parti qui la cause ou qui l’accepte. Deuxièmement, la Maison-Blanche avait apparemment misé que la douleur économique immédiate forcerait rapidement les démocrates à accepter ses conditions. Troisièmement — et cela révèle peut-être quelque chose de plus troublant — les conseillers de Trump pensaient que les démocrates ne pourraient simplement pas tenir face à la pression. Ils pensaient à un jeu où Trump avait déjà gagné avant même que n’ait commencé le jeu. Mais voici le problème : les Démocrates, menés par Chuck Schumer au Sénat, avaient leurs propres calculs. Schumer avait décidé que les extensions des crédits d’impôt liés à l’Obamacare — ceux qui aident des dizaines de millions d’Américains à payer leurs primes d’assurance santé — étaient non-négociables. Lui et ses collègues savaient que Trump avait précédemment signé une loi qui terminait le financement de Medicaid et supprimait ces crédits d’impôt. Accepter un compromis maintenant signifierait accepter un défaut immédiat pour ces millions d’Américains. Donc Schumer a dit non. Non dans le calme déterminé de quelqu’un qui comprend l’enjeu. Et quand Schumer a dit non, tout s’est effondré — l’illusion soigneusement cultivée de Trump que ce shutdown serait facile, rapide, déterminé par sa volonté.
Trente-et-un jours de stagnation politique
Le shutdown progresse maintenant, jour après jour, semaine après semaine, dans une monotonie qui ressemble à la torture. Trente-et-un jours. C’est le nombre de jours que les Américains ont vécu sous un gouvernement partiellement paralysé. Comparativement, le shutdown précédent de Trump — celui de 2018-2019 — avait duré 35 jours avant qu’il finisse par capituler face à la pression, notamment après que les contrôleurs aériens aient menacé de ne plus travailler sans salaire. Nous nous rapprochons dangereusement de ce record. Et le pire ? Il n’y a absolument aucun signe que les choses vont s’améliorer rapidement. Le Sénat a rejeté treize fois consécutives les mesures de financement temporaire. Les deux côtés restent inébranlables dans leurs positions. Trump a même essayé de proposer une approche alternative le 31 octobre : il a appelé le Sénat à voter pour des « projets de loi ciblés » qui financerait spécifiquement les militaires, les contrôleurs aériens, et le SNAP. C’était une tentative tactique pour diviser les Démocrates, en théorie. Si certains Démocrates avaient votés avec les Républicains pour rouvrir les militaires, cela aurait créé une fissure. Mais les Démocrates ont tenu bon. Aucune fissure. Aucun vote scindé. Juste un refus collectif. Et Trump, regardant cela, a compris pour la première fois peut-être : ils ne vont pas capituler. Il a vraiment commis une erreur de calcul stratégique.
L’escalade du désespoir : le « nuclear option »
C’est à ce moment que Trump a fait quelque chose que beaucoup considèrent comme désespéré et politiquement suicidaire. Le 31 octobre, depuis l’Air Force One, il a écrit sur Truth Social, en lettres majuscules qui frappent comme des coups de poing : « INITIATE THE NUCLEAR OPTION » — lancez l’option nucléaire. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Il appelait le Sénat à abolir la filibuster — la règle qui exige une majorité de 60 sénateurs pour passer la plupart des législations au Sénat. Si on l’abolissait, seulement une majorité simple de 51 voix serait nécessaire. Avec les Républicains contrôlant 53 sièges, cela aurait théoriquement permis à Trump de forcer la réouverture du gouvernement sans concessions aux Démocrates. C’était une proposition extrême, une option réellement nucléaire en termes politiques, parce que — et c’est crucial — si les Démocrates reprennent le contrôle du Sénat plus tard, ils pourraient utiliser le même outil pour faire passer n’importe quelle législation sans aucune minorité veto. C’est pourquoi les Républicains ont immédiatement fermé la porte. John Thune, le leader républicain au Sénat, a dit simplement : non. Mitch McConnell, bien que sans contrôle direct, a également laissé entendre que c’était une mauvaise idée. Même les alliés de Trump se sont distancés. Un conseiller proche de Trump a même admis à Politico que Trump « comprend que c’est probablement impossible » — ce qui signifie que Trump savait, au moment même où il le proposait, que c’était voué à l’échec. C’était de la politique de théâtre, du pur spectacle, une tentative d’apparaître fort tout en étant réellement en train de céder du terrain.
Le calcul politique qui s'est retourné
Trump pensait que la douleur ferait plier les Démocrates
La stratégie initiale de Trump était basée sur une hypothèse simple et — selon lui — éprouvée : les gens détestent les shutdowns. Une fois que la douleur économique immédiate se ferait sentir, une fois que les chèques de paie des employés fédéraux cesseraient d’arriver, une fois que les petites entreprises commenceraient à faire faillite, le public blâmerait les Démocrates. Ou du moins, c’est ce que Trump pensait. C’était la théorie. Et selon cette théorie, une fois que le blâme se concentrait sur les Démocrates, ceux-ci se précipiteraient pour rouvrir le gouvernement, offrant à Trump une victoire politique sans compromis. Mais quelque chose s’est mal passé avec cette théorie. Premièrement, les sondages ont montré l’inverse. Un sondage de début novembre 2025 montrait clairement que les Américains blâmaient Trump et les Républicains plus que les Démocrates pour le shutdown. Cela s’est produit même si le narratif officiel de la Maison-Blanche tentait constamment de blâmer les Démocrates. Deuxièmement, les médias se sont avérés moins complaisants que le calcul de Trump l’avait imaginé. Au lieu d’un blâme automatique des Démocrates, le récit médiatique s’est plutôt concentré sur l’incompétence de Trump à négocier une sortie du shutdown qu’il avait créé. Les grands titres disaient des choses comme « Trump Dumbfounded That Dems Haven’t Caved On Shutdown » — Trump estomaqué que les Démocrates n’aient pas plié sur le shutdown. C’est un narratif devastateur pour Trump parce qu’il le peint non pas comme un gagnant, mais comme quelqu’un qui pensait avoir le jeu dans le sac mais l’a perdu. Troisièmement, et peut-être le plus important, Trump avait simplement mal évalué la résolution des Démocrates. Schumer et ses collègues avaient décidé que cette bataille était existentielle — que capituler maintenant enverrait un message politique dévastateur pour leur groupe. Et ils ont tenu bon. Jour après jour. Semaine après semaine. Avec une résolution qui a clairement frustré Trump au-delà de ce qu’il pouvait supporter.
Les sondages : le cauchemar politique de Trump
Les sondages, ces réalités numériques qui ne peuvent pas être ignorées ou niées, ont révélé une vérité que Trump ne voulait clairement pas entendre : le public ne blâmait pas les Démocrates, il les blâmait, lui. Une majorité d’Américains pensait que Trump et les Républicains étaient responsables de la crise du shutdown, plutôt que les Démocrates. C’était exactement l’inverse de ce qu’il avait calculé. Et cela signifiait que plus le shutdown durait, plus le blâme politique tombait sur ses épaules. Chaque jour de gouvernement fermé était un jour où Trump perdait du capital politique. Cela crée un problème de temps absolu pour Trump : il ne peut pas simplement attendre — chaque jour qui passe rend sa position plus faible, pas plus forte. C’est pourquoi son appel à l’option nucléaire, même s’il savait que c’était impossible, était politiquement rationnel. Il fallait faire quelque chose, n’importe quoi, pour paraître en contrôle, pour paraître offensif plutôt que défensif. Mais ces sondages ont aussi créé une fissure potentielle du côté républicain. Si les sondages continuent à montrer que les Républicains sont blâmés pour le shutdown, certains sénateurs républicains représentant des districts démocrates ou mixtes commenceront à s’inquiéter pour leurs propres élections. Un sénateur républicain qui perd son siège parce que ses électeurs l’ont blâmé pour le shutdown est un problème pour la majorité républicaine au Sénat. Jusqu’à présent, cette fissure ne s’est pas matérialisée de manière visible, mais elle plane, menaçante, sur les négociations. Trump le sait. C’est pour cela qu’il essaie si désespérément de changer le narratif, de blâmer les Démocrates, de les dépeindre comme des « lunatiques ». Il essaie de créer une réalité alternative dans laquelle il gagne l’argument politique même s’il est en train de perdre sur le terrain.
La journée du 1er novembre : le moment de la panique
Le 1er novembre approchait comme une date de rendez-vous avec le destin. C’était le jour où les prestations SNAP — le programme d’aide alimentaire fédéral qui soutient 42 millions d’Américains — était supposé cesser à cause du shutdown. Trump avait essentiellement permis au SNAP de cesser comme une arme politique, un moyen de montrer la « douleur » du shutdown aux Démocrates. Mais deux choses se sont produites. D’abord, deux juges fédéraux ont ordonné à l’administration Trump d’utiliser les fonds d’urgence disponibles pour maintenir les paiements SNAP. Trump ne pouvait donc pas laisser 42 millions de personnes avoir faim — c’était politiquement intolérable, même pour lui. Deuxièmement, le moment même du 1er novembre, le premier jour de novembre, a coïncidé avec le commencement du cycle d’inscription à l’assurance santé — l’Affordable Care Act open enrollment. C’est précisément le moment où les Américains découvrent que leurs primes d’assurance santé vont exploser parce que Trump a supprimé les crédits d’impôt. C’était le calcul que les Démocrates avaient fait : laisser le shutdown durer jusqu’à ce que les gens découvrent leurs primes explosives, et à ce moment-là, le public réaliserait que c’est Trump qui a créé ce désastre, pas Schumer. Et c’est exactement ce qui s’est déroulé. Le 1er novembre est arrivé, les plates-formes d’inscription à l’assurance santé se sont ouvertes, et des millions d’Américains ont commencé à voir leurs primes augmenter de façons drastiques. Et soudainement, le shutdown n’était plus une bataille abstraite — c’était devenu une réalité personnelle pour chaque Américain regardant son compte de santé.
La frustration qui suinte par tous les pores
Les déclarations de Trump : de la confiance à la rage
En écoutant les déclarations de Trump au fil des dernières semaines, on peut observer une progression claire : de la confiance initiale à la frustration croissante à la rage pratiquement incontrôlée. Début octobre, Trump parlait avec une certitude tranquille : les Démocrates capituleront rapidement. Puis vint la première semaine sans changement. Trump a commencé à montrer des signes d’irritation — des déclarations plus agressives, un ton plus mordant. Ensuite, la deuxième semaine. Pas de changement. La frustration a augmenté. Par la troisième et quatrième semaine, Trump s’exprimait franchement enragé. Et maintenant, au-delà du premier mois, ses déclarations sont devenues presque frénétiques. Le 31 octobre, revenant d’Asie où il s’attendait à être accueilli comme un héros, Trump a été confronté à des questions sur le shutdown persistent. Son échange avec les journalistes révèle tout : « Les Démocrates ne savent tout simplement pas ce qu’ils font… Je ne sais pas ce qui ne va pas chez eux… Ils sont devenus des lunatiques enragés ». Notez le langage : ce ne sont pas juste des adversaires politiques, ce sont des gens qui sont quelque chose d’anormal, de pathologiquement différent. Trump essaie de délégitimiser les Démocrates en les retirant simplement du domaine de la raison politique normale. Puis il a ajouté : « C’est leur faute. Tout est leur faute. C’est tellement facile à résoudre ». L’itération de ce message — « c’est tellement facile » — révèle quelque chose de fondamental. Pour Trump, l’idée qu’il ne puisse pas simplement forcer les autres à accepter ce qu’il veut est littéralement incompréhensible. Dans son mental, tout devrait être simple. Il ordonne, on obéit. Quand ce n’est pas le cas, la réalité elle-même devient l’ennemi.
L’isolement croissant même de ses propres alliés
Ce qui rend la situation encore plus frustrante pour Trump est que même ses propres alliés n’achètent pas son narrative. Quand il a appelé à abolir la filibuster, ses propres sénateurs ont dit non. John Thune a déjà été clair sur son engagement envers la filibuster — c’est un outil qu’il veut conserver. Mitch McConnell, l’ancien dictateur de facto du Sénat républicain, a également signalé son désaccord. Même certains des plus fidèles alliés de Trump au Sénat — des gens qui le soutiennent généralement sans condition — ont hésité ou refusé de le soutenir sur cette proposition extrême. Cela crée une situation où Trump se trouve isolé même au sein de son propre parti. Il n’a pas le pouvoir de forcer ses propres sénateurs à faire ce qu’il demande. C’est une révélation profonde sur les limites réelles du pouvoir présidentiel. Trump a le pouvoir de veto, le pouvoir d’embaucher et de limoger dans l’exécutif, le pouvoir d’influencer via les médias sociaux. Mais le Sénat ? Le Sénat a ses propres dynamiques. Et dans ces dynamiques, Trump n’est qu’un acteur parmi d’autres, pas le magicien tout-puissant qu’il s’imagine être. Des sources proches de Trump ont admis à Politico qu’il « comprend que c’est probablement impossible » — ce qui signifie que Trump sait qu’il ne peut pas forcer les choses. Mais le savoir et l’accepter sont deux choses différentes. Trump continue à agir comme s’il avait du pouvoir alors qu’il devient de plus en plus clair qu’il ne l’a pas.
La condition de negóciation impossible : un refus de rencontrer les Démocrates
Trump a également dit quelque chose de politiquement désastreux : il refusera de rencontrer les dirigeants démocrates jusqu’à ce que le gouvernement soit rouvert. Ecoutez cela. Le président des États-Unis dit essentiellement qu’il n’aura pas de négociations directs jusqu’à ce que la crise soit résolue. Mais comment peut-on résoudre la crise sans négociations ? C’est un impasse logique. C’est quelqu’un qui dit : « Je résoudrai ce problème, mais je refuserai de faire la seule chose qui pourrait le résoudre. » C’est presque théâtral dans son absurdité. Mais c’est aussi révélateur. Trump dit cela parce qu’il ne veut pas de négociations directes — il ne veut pas que les Démocrates le fassent face à face et voient sa faiblesse relative. Il ne veut pas être dans une pièce avec Schumer où Schumer pourrait pointer du doigt et dire : « Regardez, Trump cède sur ce point. » Trump préfère laisser les choses traîner, espérant que la douleur économique forcerait finalement les Démocrates à lui donner tout ce qu’il veut sans vraiment donner quoi que ce soit. Mais ce moment n’arrive pas. Et à mesure que Trump attend, les jours passent, les sondages deviennent pires, et sa position s’affaiblit.
Les retombées cachées du shutdown prolongé
Les employés fédéraux : oubliés mais souffrants
Au-delà des jeux politiques et de la frustration de Trump se cachent les 1,4 million d’employés fédéraux qui vivent une réalité bien plus sombre. Ces gens ne sont pas payés. Certains travaillent sans salaire, d’autres sont simplement mis en congé forcé. Immaginez cela : vous avez une hypothèque. Vous avez une famille à nourrir. Vos enfants ont besoin d’école. Et soudainement, votre salaire s’arrête. C’est une réalité quotidienne pour des millions de fonctionnaires fédéraux. Après un mois, les factures s’accumulent. Les gens commencent à manquer de paiements. Certains vendent leurs actions pour survivre, d’autres accumulent des dettes de cartes de crédit. C’est une crise humanitaire douce mais réelle, invisible aux gros titres mais ressentie profondément par ceux qui la vivent. Pire encore, Trump a tenté — avant d’être bloqué par un juge fédéral — de licencier 4 000 employés fédéraux durant le shutdown lui-même. C’était une tentative de réduire le gouvernement par la force brute pendant la crise. Mais cela a aussi créé un climat de peur supplémentaire. Les employés fédéraux ne seulement manquaient de revenus, mais ils craignaient aussi de ne pas être rappelés une fois le shutdown terminé.
L’économie réelle qui ralentit
Puis il y a l’économie nationale plus large. Les entreprises qui dépendent des contrats gouvernementaux se trouvent suspendues, incapables d’être payées parce que le gouvernement n’y peut rien. Les petites entreprises locales qui vendent aux employés fédéraux perdent des clients. Les restaurants, les boutiques, les services — tous perdent du revenu quand les employés fédéraux n’ont pas de salaire à dépenser. C’est un effet domino qui s’étend bien au-delà du gouvernement fédéral direct. Les économistes ont commencé à estimer le coût économique du shutdown en centaines de millions, sinon en milliards de dollars. Et pire, ces coûts sont concentrés dans les régions où le gouvernement fédéral a une présence importante — des zones telles que Washington D.C., le Maryland, la Virginie, et autres régions historiquement riches en emplois fédéraux. C’est un impact économique qui ne disparaît pas quand le shutdown se termine. Il laisse des cicatrices, des crédits impayés, des emplois perdus.
Les services d’urgence qui s’effrondrent
Au-delà des considérations économiques se trouve une réalité plus sinistre : les services d’urgence deviennent moins fiables. Les contrôleurs aériens — qui ne reçoivent pas de salaire — travaillent sans motivation, épuisés par la situation. Les agents des douanes et de la protection frontalière font la même chose. Les chercheurs scientifiques au CDC et aux NIH ne travaillent pas sur les maladies émergentes. Les inspections de sécurité alimentaire ralentissent. L’agence de protection de l’environnement ne peut pas répondre aux incidents de pollution. Ce n’est pas dramatique d’une manière instantanée et visible — rien ne s’effondre immédiatement. Mais progressivement, imperceptiblement, les capacités de l’État à répondre aux crises diminuent. Si une maladie émerge, si un incident environnemental catastrophique se produit, si une menace de sécurité se matérialise, le gouvernement sera moins bien préparé qu’il ne l’aurait été durant des périodes normales. C’est le coût caché d’un shutdown prolongé.
Le précédent catastrophique qui s'établit
L’outil du shutdown devient une arme de choix
Ce qui terrifie les observateurs avisés de la politique américaine, c’est que cette situation établit un précédent profondément troublant. Les shutdowns ont été autrefois considérés comme des catastrophes politiques à éviter à tout prix. Maintenant, sous Trump, ils deviennent des outils normaux de négociation politique. Pire, ils deviennent des outils acceptables pour forcer des changements idéologiques ou des recoupements budgétaires. Si ce shutdown se prolonge et que Trump finit par l’utiliser pour implanter ses coupes budgétaires par la force brute, cela établit le précédent que les présidents futurs peuvent faire de même. Un président démocrate dans le futur pourrait-il faire un shutdown pour forcer l’augmentation du financement du climat ? Ou pour forcer l’expansion de l’assurance santé universelle ? Si Trump établit le précédent que les shutdowns sont acceptables comme outils politiques, les démocrates pourraient utiliser le même jeu. C’est une arme à double tranchant, et les Républicains devraient vraiment en être conscients. Mais apparemment, dans l’ivresse du pouvoir politique immédiat, personne n’y pense.
La norme démocratique qui se désagrège
Au-delà du précédent du shutdown en tant qu’outil politique se trouve une question plus fondamentale : la norme démocratique de la civilité politique qui se désagrège lentement. Lorsqu’un président appelle des adversaires politiques des « lunatiques enragés » et refuse même de les rencontrer, il crée un environnement où la négociation normale devient impossible. La politique démocratique repose sur l’idée que même si on est en fort désaccord, on reconnaît quand même l’autre partie comme des acteurs légitimes avec lesquels on peut négocier. Trump rejette cette prémisse. Il peint les Démocrates non comme des adversaires légitimes mais comme quelque chose de pathologiquement mauvais. Cela rend la résolution politique normale impossible. Une fois que vous dites que l’autre part est constituée de « lunatiques », comment pouvez-vous négocier avec eux ? Vous ne pouvez pas. Vous pouvez seulement espérer qu’ils disparaissent ou capitulent. C’est une dérive autocratique qui devrait alarmer tous ceux qui croient à la démocratie libérale.
La faillite de la « grande négociation »
Il y a aussi une ironie profonde dans tout cela. Trump s’est présenté à la présidence en se vantant d’être le meilleur négociateur au monde. « L’art du deal » — c’était son livre, son marque. Et pourtant, ici, à 31 jours du shutdown, avec un record menaçant juste en avant, Trump ne peut pas négocier sa sortie. Il n’a pas négocié — il a ordonné aux Démocrates de capituler. Et quand ils n’ont pas, il a été paralysé. C’est un échec complet de ce qui était censé être sa compétence principale. Et pire encore pour Trump, les gens le savent. Les médias le reportent. Les Démocrates le pointent du doigt. Même les Républicains commencent à murmurer entre eux que Trump ne sait pas comment sortir de cette situation. C’est un coup direct au cœur du mythe que Trump s’est construit autour de lui-même.
Les pistes de sortie qui restent bloquées
L’impasse sans fin du Sénat
Que faut-il pour sortir de cette situation ? Techniquement, c’est simple : le Sénat doit voter pour rouvrir le gouvernement. Mais le Sénat, du moins tant que Schumer commande les Démocrates et que les Démocrates refusent de voter sans extensions à l’assurance santé, ne bougera pas. Et Trump refuse de négocier. Alors nous sommes dans un point mort. Physiquement, mathématiquement, logiquement. Pour sortir, l’une des parties doit plier. Soit Trump accepte l’extension de l’assurance santé et rouvre le gouvernement, soit les Démocrates capitulent sur l’assurance santé et permettent une réouverture « propre ». Jusqu’à présent, ni l’un ni l’autre ne se produit. Et à chaque jour qui passe, les deux parties deviennent plus ancrées dans leurs positions. Trump parce que capituler équivaudrait à reconnaître que sa stratégie du shutdown était idiote. Les Démocrates parce que capituler équivaudrait à perdre le seul levier qu’ils ont. Donc nous avons une situation où deux acteurs rationnels, comprenant les conséquences de leurs actions, continuent quand même, simplement parce que le coût politique personnel de la capitulation est insoutenable.
Les contours d’une sortie possible mais improbable
Il existe des voies théoriques pour sortir de cela. Une approche serait que Trump accepte l’extension de l’assurance santé mais insiste pour que les Démocrates acceptent certaines de ses coupes budgétaires ailleurs. C’est du vrai compromis — chaque côté donne un peu, chaque côté reçoit un peu. Mais Trump a montré peu de propension à ce type de réel compromis. Il veux tout. Ou il ne veut rien. Il n’y a pas d’entre-deux. Une autre approche serait une intervention directe du président de la Chambre ou du leader du Sénat républicain pour forcer Trump à changer de cap. Mais cela impliquerait d’affronter Trump directement, ce que peu de Républicains sont disposés à faire. Une troisième approche serait simplement que le temps fasse son œuvre — que le shutdown dure si longtemps que même Trump n’a pas le choix que de capituler. Cela a fonctionné en 2019, quand après 35 jours, Trump a finalement accepté la défaite. Mais cela impliquerait un mois ou plus de douleur continue pour le pays. Et pire, chaque jour qui passe rend plus probable que quelque chose d’autre se produise — une crise économique plus large, une escalade internationale, un événement de sécurité qui expose la faiblesse du gouvernement paralysé.
L’horloge tourne et personne ne bouge
Nous nous approchons maintenant du record du shutdown de 35 jours établi en 2019. Avant la fin de novembre, nous l’aurons dépassé. Et puis ? Tout le monde répète que le shutdown « ne peut pas durer indéfiniment ». Mais évidemment, il peut durer plus longtemps. Il y a pas de limite physique ou mécanique. Le gouvernement peut rester partiellement fermé pendant des mois si les deux côtés insistent. Le seul vrai limite est la limite du douleur politique acceptable. Et clairement, pour Trump et pour Schumer, cette limite n’a pas encore été atteinte. Donc nous attendons, et attendons, et attendons. Et tandis que nous attendons, les 42 millions de bénéficiaires du SNAP se demandent s’ils mangeront la semaine prochaine. Les 1,4 million d’employés fédéraux se demandent quand ils recevront leur prochain chèque de paie. Et les petites économies locales se demandent combien de temps elles peuvent tenir avec 30 % de moins de dépenses de base.
Le coût émotionnel et politique immédiat
Trump face à une frustration qui sape son mythe
Ce qui est probablement le plus difficile pour Trump dans cette situation, c’est que cela invalide tout son mythe personnel. Trump s’est toujours vu comme un winner, quelqu’un qui négocie des deals, qui sort des situations impossibles. Et maintenant il est confronté à une situation que sa approche typique ne peut pas résoudre. Il ne peut pas twitter une sortie de cette situation. Il ne peut pas intimider les Démocrates dans la soumission. Il ne peut pas appeler un deal qui laisse tout le monde stupéfait de son génie. Il y a juste une impasse dure, froide, irrésolue. Et cela doit le rendre fou. Même ses tentatives de bravade — appeler à l’option nucléaire, traiter les Démocrates de lunatiques — ne changent rien. Les choses restent exactement comme elles étaient. Et cette impuissance, cette incapacité à contrôler la situation, crée une frustration qui suinte de tout ce qu’il dit et fait. On peut le voir dans ses déclarations, dans son ton, dans sa rhétorique de plus en plus agressive et désespérée. Trump n’est pas juste frustré. Il est humilié. Et il ne peut pas supporter l’humiliation.
L’illusion du pouvoir que l’on ne possède pas
Ce que cette situation révèle, plus que toute autre chose, c’est quelque chose de fondamental sur le pouvoir. Trump pense qu’il a un pouvoir presque illimité. Mais la réalité constitutionnelle américaine est plus complexe. Le président a le pouvoir, mais il est constamment bridé par le Congrès, les juges, et même les bureaucrates. Trump peut ordonner, mais les ordres ne s’exécutent pas toujours. Il peut menacer, mais les menaces ne fonctionnent pas toujours. Il peut séduire son parti, mais son parti a ses propres intérêts. Et quand le système constitutionnel fonctionne correctement — quand le Congrès fait son travail en tant que contrepoids au président — les limites du pouvoir présidentiel deviennent brutalement évidentes. Trump, ayant jamais vraiment compris ou accepté ces limites, est confronté à une réalité qu’il ne peut pas refuser : il n’a pas les outils pour forcer la résolution. Et cela le rend fou.
Les lambeaux du contrôle narratif s’effilochent
Enfin, ce qui se passe ici c’est l’effilochement de la capacité de Trump à contrôler le narratif. Pour la plupart de son mandat, Trump a pu se vanter d’une chose ou d’une autre, créer une histoire de réussite, blâmer les Démocrates, et une grande partie de ses supporters l’ont cru. Mais un shutdown de 31 jours qui approche d’un record n’est pas quelque chose que l’on peut facilement mettre un spin positif. Vous pouvez prétendre que c’est la faute des Démocrates, et certains l’accepteront. Mais les sondages montrent que beaucoup ne le croient pas. Vous pouvez prétendre que vous gagnez, mais les chaises vides du Kennedy Center et les employés fédéraux sans paie racontent une histoire différente. Vous pouvez ordonner à votre parti d’abolir la filibuster, mais ils refusent. Chaque tentative de spin, chaque tentative de narratif, se heurte à une réalité qui refuse d’être narrativisée. Et Trump, habituellement si habile dans l’art du spin, se trouve de plus en plus impuissant à l’arrêter.
Conclusion
Nous nous trouvons à 31 jours d’un shutdown qui s’approche d’un record absolu, avec un président dont la frustration devient presque palpable et un Congrès qui reste paralysé par l’impasse politique. Trump se voit montrer les limites de son pouvoir — ou plutôt, il les refuse d’accepter, ce qui le rend de plus en plus désespéré. Son appel à abolir la filibuster a été rejeté par ses propres sénateurs. Son appel à ce que les Démocrates capitulent a été ignoré. Son essai de créer une douleur économique pour forcer une solution a backfired, avec les sondages blâmant maintenant Trump plutôt que les Démocrates. Et maintenant le 1er novembre — le début de l’Affordable Care Act open enrollment — a créé une nouvelle couche de crise, avec des millions d’Américains découvrant que leurs primes d’assurance santé explosent précisément parce que Trump a signé une loi pour terminer les crédits d’impôt. C’est une convergence de crises, et Trump se trouve complètement impuissant à l’arrêter. Il peut tempêter, il peut faire du bruit, il peut appeler des noms. Mais le shutdown persiste. Les Démocrates ne capitulent pas. Et chaque jour qui passe est un jour où Trump perd du capital politique et où le mythe du plus grand négociateur du monde s’effiloche un peu plus. Peut-être que finalement, sous le poids de cette réalité, quelque chose aura à donner. Peut-être que Trump trouvera une voie de sortie. Ou peut-être que nous nous préparerons simplement au shutdown le plus long de l’histoire américaine, réfléchissant en chemin à comment nous en sommes arrivés à ce point — où le gouvernement peut être fermé pour des mois à cause du calcul politique de deux hommes incapables de négocier. Ce qui est sûr, c’est que la frustration de Trump n’est que le début. La vraie douleur, pour des millions d’Américains ordinaires, ne fait que commencer.