Aller au contenu

Le déploiement par étapes : construction d’une justification

Le plan était méthodique. En septembre, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth a signé l’ordre de fédéraliser 200 membres de la Garde nationale de l’Orégon. Puis, en octobre, le Texas s’est vu ordonner d’envoyer des troupes. Puis la Californie. Des centaines de soldats, armés, sous commandement fédéral direct, censés être déployés à Portland pour « protéger » une installation de l’ICE qui, ostensiblement, était assiégée par des manifestants « violents ». L’administration Trump a affirmé que les protestations contre cette installation d’immigration avaient « dégénéré » en violence. Que les manifestants « piégeaient » les agents fédéraux dans leurs véhicules. Que la situation avait atteint le niveau d’une « rébellion » justifiant l’invocation de l’un des trois critères du Titre 10 du code fédéral, qui permet au président de reprendre le contrôle de la Garde nationale. Titre 10 permet la fédéralisation en cas « d’invasion, d’insurrection, ou quand l’autorité constitutionnelle de l’État s’avère incompétente à faire appliquer les lois fédérales ». Mais voici le problème : les faits n’étaient pas du tout ce que l’administration affirmait. Les protestations en question—qui se déroulaient depuis juin—étaient largement pacifiques. Les incidents « violents » consistaient en quelques lancers de bouteilles, quelques vitres brisées. Rien qui justifie le déploiement d’une armée.

Des exagérations systématiques comme fondement juridique

Ce qui rend ce cas particulièrement troublant, c’est le caractère délibéré de la désinformation. Selon la juge Immergut, dans son ordonnance du 2 novembre, le gouvernement Trump a systématiquement exagéré la portée et la gravité des protestations. L’administration a affirmé que Portland était en proie au chaos. En réalité, les protestations s’étaient concentrées dans une zone spécifique autour de l’installation de l’ICE. Elles avaient été largement contenues par les forces de police fédérales et locales déjà présentes. Il n’y avait pas de « débordement hors de contrôle ». Il n’y avait pas de situation se dégradant jour après jour. Il y avait juste… des protestataires. Pacifiques. Exercant leurs droits du Premier Amendement. Et l’administration, plutôt que d’accepter cette réalité, a inventé une narration de crise. Elle a déclaré que les agents de l’ICE étaient « piégés » dans leurs véhicules. Que leurs vies étaient en danger. Que Portland était devenue une « zone de guerre ». Et elle a utilisé ces mensonges pour justifier le déploiement militaire. C’est l’utilisation cynique de l’appareil fédéral pour réprimer la dissidence politique—un acte qui, dans les pays démocratiques, constitue un crime.

L’invocation d’un pouvoir d’urgence inexistente

Ce qui est révélateur est comment l’administration a tenté de contourner la loi. Le Titre 10, section 12406 stipule clairement quand un président peut fédéraliser la Garde nationale d’un État. En cas d’invasion. En cas d’insurrection. Ou en cas où « l’autorité constitutionnelle du gouvernement de cet État s’avère ou devient incompétente à faire exécuter les lois fédérales ». Aucun de ces critères n’a été rempli. Il n’y a pas eu d’invasion. Il n’y a pas eu d’insurrection organisée. Et surtout, l’État de l’Orégon—gouverné par la gouverneure démocrate Tina Kotek—était activement engagé à faire appliquer les lois, à arrêter les individus impliqués dans des comportements criminels, à maintenir l’ordre. La loi exige que le gouverneur de l’État soit incapable ou non disposé à agir. L’Orégon faisait son travail. Mais Trump a décidé que cela ne suffisait pas. Il voulait des soldats fédéraux pour montrer du pouvoir, pour intimider, pour envoyer un message. Et il a fallu une juge fédérale pour dire : arrête. Tu n’as pas ce pouvoir. La Constitution te l’interdit.

facebook icon twitter icon linkedin icon
Copié!

Commentaires

0 0 votes
Évaluation de l'article
Subscribe
Notify of
guest
0 Commentaires
Newest
Oldest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments
More Content