L’IEEPA: conçue pour les crises, utilisée pour la politique
L’International Emergency Economic Powers Act a été adoptée par le Congrès en 1977 dans un contexte très spécifique. Après des décennies où les présidents avaient abusé de leurs pouvoirs économiques d’urgence—notamment Richard Nixon qui avait imposé des contrôles de prix et gelé les salaires sans autorisation claire du Congrès—les législateurs ont voulu créer un cadre strict limitant ces pouvoirs à de véritables urgences nationales. L’IEEPA permet au président de «réguler» le commerce international et les transactions financières lorsqu’il déclare une urgence nationale face à une «menace inhabituelle et extraordinaire» pour la sécurité nationale, la politique étrangère ou l’économie américaine. Mais cette loi a été conçue pour des crises soudaines, imprévues—une invasion militaire, une attaque terroriste, un effondrement économique brutal. Elle n’a jamais été utilisée pour imposer des tarifs douaniers massifs sur la base d’un déficit commercial qui existe depuis des décennies et qui ne constitue en aucun cas une urgence soudaine ou extraordinaire.
Trump déclare deux «urgences» pour justifier ses tarifs
Trump a invoqué l’IEEPA deux fois pour imposer ses tarifs. En février 2025, il a déclaré une urgence nationale liée au fentanyl, affirmant que le Mexique, le Canada et la Chine n’en faisaient pas assez pour arrêter le trafic de cette drogue mortelle vers les États-Unis. Il a utilisé cette déclaration pour imposer des tarifs de 25% sur les produits mexicains et canadiens, et de 10% sur les produits chinois. Puis, en avril, il a déclaré une seconde urgence nationale basée sur le déficit commercial américain, qu’il a qualifié de «large et persistant», affirmant que ce déséquilibre commercial illustrait des «pratiques commerciales déloyales» qui avaient détruit l’industrie manufacturière américaine. Cette seconde déclaration lui a permis d’imposer un tarif de base de 10% sur presque tous les pays du monde, avec des taux allant jusqu’à 50% pour certains pays jugés particulièrement «déloyaux». Ces tarifs ne sont pas temporaires—Trump n’a fixé aucune date d’expiration, suggérant qu’ils pourraient durer indéfiniment.
Des cours inférieures unanimes: c’est illégal
Les entreprises affectées par ces tarifs—des petits importateurs aux grandes corporations—ainsi que douze États à majorité démocrate, ont immédiatement contesté ces mesures en justice. Et tous les tribunaux inférieurs qui ont examiné l’affaire ont statué contre Trump. Un juge fédéral en Californie, un autre à New York, et la Cour d’appel du neuvième circuit ont tous conclu que Trump avait excédé son autorité en utilisant l’IEEPA pour imposer des tarifs massifs basés sur des «urgences» fabriquées. Ces juges ont souligné que le déficit commercial existe depuis des décennies et ne constitue pas une menace «inhabituelle et extraordinaire». Ils ont noté que le Congrès a déjà donné au président des pouvoirs spécifiques pour imposer des tarifs dans certaines circonstances—la Section 232 pour la sécurité nationale, la Section 301 pour les pratiques commerciales déloyales—mais n’a jamais autorisé l’utilisation de l’IEEPA à cette fin. Cependant, ces tribunaux ont permis aux tarifs de rester en vigueur pendant que l’affaire montait vers la Cour suprême, reconnaissant que les annuler immédiatement causerait un chaos économique massif.
Les questions dévastatrices des juges conservateurs
Gorsuch: «Pourquoi ne pas donner le pouvoir de déclarer la guerre?»
Le moment le plus dévastateur de l’audience est venu de Neil Gorsuch, le premier juge nommé par Trump à la Cour suprême. Gorsuch a une réputation de juriste rigoureux qui prend les questions constitutionnelles au sérieux, même quand cela le met en conflit avec ses alliés politiques. Mercredi, il s’est directement attaqué à l’argument central de Sauer: que le président possède des pouvoirs vastes et inhérents en matière de relations internationales. «Si c’était le cas», a demandé Gorsuch avec une pointe de sarcasme, «qu’est-ce qui empêcherait le Congrès de renoncer à toute son autorité pour réguler le commerce international—et même pour déclarer la guerre—au président?» C’était une question rhétorique, bien sûr. Gorsuch savait parfaitement la réponse: rien n’empêcherait cette dérive autoritaire si on acceptait la logique de Trump. En laissant entendre que le président peut invoquer des «urgences» vagues pour s’arroger des pouvoirs que la Constitution attribue explicitement au Congrès, on ouvre la porte à une présidence quasi-dictatoriale. Gorsuch, originellement considéré comme un conservateur textualist attaché à la séparation des pouvoirs, semblait profondément préoccupé par cette perspective.
Roberts: «Les tarifs sont des taxes sur les Américains»
Le juge en chef John Roberts, qui occupe souvent une position centriste sur la Cour, a été tout aussi critique. Il a souligné que les tarifs ne sont pas simplement des outils de politique étrangère—ce sont des taxes qui pèsent directement sur le peuple américain. «Les tarifs sont essentiellement des taxes sur les Américains», a-t-il déclaré, rappelant que la Constitution attribue explicitement au Congrès le pouvoir de lever des impôts et des tarifs. Roberts a également noté que le Congrès a donné au président des autorités spécifiques pour imposer des tarifs dans certaines circonstances—mais n’a jamais mentionné l’IEEPA comme l’un de ces outils. «Pourquoi pensez-vous que le Congrès a donné cette autorité au président dans d’autres lois, mais pas dans celle-ci?» a-t-il demandé à Sauer. La réponse était évidente: parce que le Congrès ne voulait pas que l’IEEPA soit utilisée pour les tarifs. Roberts a égAdobe Stockalement souligné que cette loi de 1977 n’avait jamais été utilisée pour imposer des tarifs—en près de cinquante ans d’existence, aucun président n’avait osé détourner l’IEEPA de cette manière. Trump était le premier. Et Roberts semblait convaincu que c’était pour une bonne raison.
Les juges libéraux encore plus féroces
Si les juges conservateurs étaient sceptiques, les trois juges libéraux—Sonia Sotomayor, Elena Kagan et Ketanji Brown Jackson—étaient carrément féroces. Sotomayor a martelé Sauer sur la notion même d’«urgence», lui demandant comment un déficit commercial qui existe depuis des décennies pouvait soudainement constituer une menace «inhabituelle et extraordinaire». «Si c’est une urgence, pourquoi Trump a-t-il attendu un an après son investiture pour la déclarer?» a-t-elle demandé, mettant en évidence le caractère fabriqué de cette «urgence». Kagan a attaqué l’argument selon lequel les tarifs sont une forme de «régulation» du commerce plutôt qu’une taxe, notant qu’ils génèrent des revenus massifs pour le gouvernement fédéral—exactement comme une taxe. Jackson a souligné que l’interprétation de Trump permettrait au président de contourner complètement le Congrès sur des questions économiques fondamentales, violant ainsi la séparation des pouvoirs. Ensemble, les six juges—trois conservateurs et trois libéraux—ont créé une coalition improbable unie par une préoccupation commune: Trump allait trop loin.
La doctrine des «questions majeures» plane sur l'affaire
Comment la Cour a bloqué Biden, pas Trump
L’une des ironies les plus savoureuses de cette affaire, c’est que les juges conservateurs de la Cour suprême ont récemment développé une doctrine juridique—appelée la doctrine des «questions majeures»—qui pourrait maintenant se retourner contre Trump. Cette doctrine stipule que lorsque l’exécutif prend des mesures ayant une «importance économique et politique vaste», il doit avoir une autorisation explicite et claire du Congrès. La Cour l’a utilisée pour bloquer plusieurs initiatives majeures de Joe Biden: l’annulation de 430 milliards de dollars de dettes étudiantes, l’obligation vaccinale pour les grandes entreprises, le moratoire sur les expulsions locatives pendant la pandémie, et la régulation des émissions de carbone par l’EPA. Dans chaque cas, les juges conservateurs ont affirmé que Biden avait pris des décisions trop importantes sans autorisation congressionnelle suffisamment claire. Maintenant, cette même logique s’applique aux tarifs de Trump—qui pourraient générer des billions de dollars de revenus et affecter toute l’économie mondiale.
L’avocat de Trump pris au piège
John Sauer, le solliciteur général défendant les tarifs, s’est retrouvé coincé dans un piège intellectuel impossible. Les juges lui ont demandé: si les tarifs de Trump ne déclenchent pas la doctrine des questions majeures, qu’est-ce qui le ferait? Comment peut-on dire qu’annuler des dettes étudiantes nécessite une autorisation congressionnelle explicite, mais imposer des tarifs sur toute l’économie mondiale n’en nécessite pas? Sauer a tenté de faire valoir que les tarifs sont différents parce qu’ils relèvent de la politique étrangère, domaine où le président possède traditionnellement plus de latitude. Mais les juges n’ont pas mordu à l’hameçon. Roberts a souligné que les tarifs ont des effets économiques massifs sur le territoire américain—ils augmentent les prix pour les consommateurs, affectent les chaînes d’approvisionnement, modifient les comportements d’achat. Ce ne sont pas de simples outils diplomatiques—ce sont des taxes, pures et simples. Et si le Congrès doit autoriser explicitement l’annulation de dettes étudiantes, alors il doit certainement autoriser explicitement l’imposition de trillions de dollars de tarifs.
Un double standard impossible à justifier
Ce qui rend la position de la Cour suprême si délicate, c’est qu’elle risque d’être accusée d’hypocrisie partisane si elle valide les tarifs de Trump après avoir bloqué les initiatives de Biden. Les démocrates ont déjà commencé à formuler cette critique: la Cour applique-t-elle réellement des principes constitutionnels cohérents, ou adapte-t-elle simplement ses doctrines pour servir les républicains et bloquer les démocrates? Mais mercredi, les questions des juges conservateurs ont suggéré qu’ils sont conscients de ce piège et qu’ils ne veulent pas y tomber. Gorsuch, en particulier, a une réputation de cohérence jurisprudentielle—il a voté contre Trump dans plusieurs affaires importantes, notamment sur les droits LGBTQ et les pouvoirs exécutifs. Si Gorsuch et Roberts votent contre Trump sur les tarifs, ils enverront un message clair: la doctrine des questions majeures s’applique également aux républicains. Ce serait un moment rare de cohérence judiciaire dans une époque de polarisation extrême.
Les enjeux économiques colossaux
Des trillions de dollars de revenus en jeu
Les tarifs de Trump ne sont pas une mesure économique mineure—ils représentent potentiellement des trillions de dollars de revenus pour le gouvernement fédéral sur la prochaine décennie. Selon les estimations du Congressional Budget Office, si les tarifs actuels restent en place, ils généreront environ 3 à 4 trillions de dollars de recettes d’ici 2035. C’est une somme astronomique qui pourrait transformer radicalement le budget fédéral, permettant à Trump de financer ses priorités—coupes d’impôts pour les riches, augmentation des dépenses militaires, construction du mur frontalier—sans avoir à demander l’approbation du Congrès pour de nouvelles taxes. Mais ces revenus ne viennent pas de nulle part: ils proviennent directement des poches des consommateurs américains, qui paient des prix plus élevés pour presque tout ce qu’ils achètent. Des études montrent que les tarifs de Trump ont déjà augmenté les prix de 2 à 3% en moyenne pour les ménages américains, coûtant à une famille moyenne environ 1500 dollars par an. Si la Cour suprême invalide ces tarifs, Trump perdra cette machine à cash massive et devra trouver d’autres moyens de financer son agenda.
Impact sur le commerce mondial et les chaînes d’approvisionnement
Au-delà des revenus, les tarifs de Trump ont bouleversé le commerce mondial. Des entreprises qui avaient construit leurs chaînes d’approvisionnement sur des décennies de libre-échange ont dû réorganiser complètement leurs opérations. Certaines ont délocalisé leur production vers des pays non touchés par les tarifs. D’autres ont absorbé les coûts, réduisant leurs marges bénéficiaires. D’autres encore ont simplement augmenté leurs prix et passé le fardeau aux consommateurs. Les alliés traditionnels des États-Unis—Canada, Mexique, l’Union européenne, le Japon—ont répondu avec leurs propres tarifs de représailles, créant une guerre commerciale qui a ralenti la croissance économique mondiale. Le Fonds monétaire international estime que les tarifs de Trump et les représailles qui ont suivi ont réduit le PIB mondial de 0,5 à 0,8% en 2025. Si la Cour suprême annule ces tarifs, cela pourrait provoquer un soulagement économique mondial—mais aussi un chaos à court terme alors que les entreprises tenteraient de réajuster rapidement leurs opérations.
Remboursements potentiels de centaines de milliards
L’une des questions les plus explosives soulevées lors de l’audience concernait les remboursements. Si la Cour suprême déclare que les tarifs étaient illégaux depuis le début, les entreprises qui les ont payés ont-elles droit à un remboursement? Les juges ont interrogé les avocats sur cette question, et les réponses ont été floues. En principe, si une taxe est déclarée inconstitutionnelle, ceux qui l’ont payée devraient être remboursés. Mais dans ce cas, cela signifierait des centaines de milliards de dollars de remboursements—une somme tellement énorme qu’elle pourrait déstabiliser le budget fédéral. Sauer a tenté de faire valoir que même si les tarifs sont invalidés, ils ne devraient s’appliquer qu’aux tarifs futurs, pas aux tarifs déjà collectés. Mais les juges semblaient sceptiques face à cet argument. Si les tarifs étaient illégaux, comment peut-on justifier de garder l’argent collecté illégalement? C’est une question juridique et morale qui n’a pas de réponse facile, et qui pourrait hanter l’administration Trump pendant des années.
Trump sous pression extrême
«Une question de vie ou de mort pour le pays»
Trump n’a pas caché l’importance qu’il accorde à cette affaire. Dans un tweet publié la veille de l’audience, il a écrit: «C’est une question de VIE OU DE MORT pour notre pays.» L’utilisation des majuscules, typique de son style rhétorique, soulignait son désespoir. Pour Trump, les tarifs ne sont pas simplement une politique économique parmi d’autres—ce sont le coeur de sa vision pour l’Amérique. Il croit sincèrement que le libre-échange a détruit l’industrie manufacturière américaine, que les autres pays ont «volé» des emplois américains, et que seuls des tarifs massifs peuvent inverser cette tendance. Cette croyance, bien qu’économiquement contestable, est centrale à son identité politique. Si la Cour suprême invalide ses tarifs, ce sera une humiliation massive, un rejet de sa philosophie économique fondamentale par l’institution qu’il croyait contrôler. Trump a passé des années à nommer des juges conservateurs précisément pour éviter ce genre de défaite. Et maintenant, ces mêmes juges semblent prêts à le trahir.
Le secrétaire au Trésor Bessent «très optimiste»
Scott Bessent, secrétaire au Trésor de Trump, était présent à l’audience mercredi. Après la session, il a déclaré aux journalistes qu’il se sentait «très, très optimiste» quant à l’issue de l’affaire. Mais son optimisme semblait forcé, presque désespéré. Tous les observateurs présents dans la salle—juristes, journalistes, analystes politiques—avaient la même impression: les tarifs de Trump sont en grand danger. Bessent, ancien gestionnaire de fonds spéculatifs connu pour son pragmatisme, doit savoir que la situation est mauvaise. Mais en tant que membre du cabinet de Trump, il ne peut pas l’admettre publiquement. Il doit maintenir l’illusion que tout va bien, que l’administration a confiance en sa position. Cette dissonance entre la réalité évidente et le discours officiel est caractéristique de l’administration Trump—un refus de reconnaître les défaites même quand elles sont inévitables.
Plans B et stratégies de repli
En coulisses, l’administration Trump prépare déjà des plans de contingence au cas où la Cour invaliderait les tarifs. Selon des sources à la Maison-Blanche, Trump envisage d’utiliser d’autres lois pour imposer des tarifs—notamment la Section 232, qui permet au président d’imposer des tarifs pour des raisons de sécurité nationale, et la Section 301, qui permet des tarifs en réponse à des pratiques commerciales déloyales. Ces lois ont des critères plus stricts et des processus plus longs que l’IEEPA, mais elles pourraient offrir une base juridique plus solide. Trump pourrait également demander au Congrès d’adopter une nouvelle législation lui donnant explicitement le pouvoir d’imposer des tarifs—bien que cette approche soit politiquement difficile, étant donné que même de nombreux républicains sont sceptiques face à sa guerre commerciale. Quelle que soit la stratégie choisie, une chose est claire: Trump ne renoncera pas à ses tarifs sans combat. Même si la Cour suprême les invalide, il trouvera un moyen de continuer sa croisade protectionniste.
Les entreprises et les États contre Trump
Douze États démocrates en première ligne
Les contestataires des tarifs de Trump ne sont pas seulement des entreprises—ce sont aussi douze États américains, tous dirigés par des gouverneurs démocrates: Californie, New York, Illinois, Massachusetts, Washington, Oregon, Colorado, Connecticut, Delaware, Maine, Maryland et Rhode Island. Ces États affirment que les tarifs de Trump leur causent des dommages économiques massifs en augmentant les coûts pour leurs résidents, en perturbant les chaînes d’approvisionnement, et en déclenchant des représailles commerciales qui frappent leurs industries d’exportation. Ils soutiennent également que Trump a violé la Constitution en s’arrogeant un pouvoir—celui de lever des taxes—qui appartient au Congrès. Dans leurs arguments devant la Cour, les États ont souligné l’absurdité de la position de Trump: «Taxer les tomates ne « règle » pas la crise du fentanyl», ont-ils écrit, moquant l’idée que des tarifs sur les produits agricoles mexicains pourraient arrêter le trafic de drogue. Ils ont exhorté la Cour à ne pas laisser Trump «s’arroger ce pouvoir» et à défendre la séparation des pouvoirs inscrite dans la Constitution.
Petites entreprises écrasées par les tarifs
Aux côtés des États, des dizaines de petites entreprises ont rejoint la contestation juridique, témoignant des ravages causés par les tarifs de Trump. Un importateur de jouets en Californie a expliqué que les tarifs ont augmenté ses coûts de 40%, le forçant à licencier un tiers de ses employés. Un fabricant de meubles en Caroline du Nord a décrit comment les tarifs sur le bois et les composants métalliques ont rendu son entreprise non compétitive face à des concurrents étrangers qui ne paient pas ces tarifs. Un grossiste en électronique à New York a raconté qu’il a dû fermer deux de ses trois magasins parce que les consommateurs ne pouvaient plus se permettre d’acheter ses produits à des prix augmentés par les tarifs. Ces témoignages, bien que n’apparaissant pas directement dans les arguments oraux devant la Cour, font partie des dossiers judiciaires et ont été mentionnés par les avocats contestataires. Ils illustrent une réalité que Trump refuse d’admettre: les tarifs ne frappent pas les pays étrangers—ils frappent les Américains.
Grandes corporations divisées
Les grandes corporations américaines sont divisées sur la question des tarifs. Certaines—notamment dans les industries de l’acier, de l’aluminium et d’autres secteurs protégés par les tarifs—soutiennent Trump, affirmant que les tarifs les protègent de la concurrence étrangère déloyale. Mais la majorité des grandes entreprises, en particulier celles qui dépendent de chaînes d’approvisionnement mondiales—technologie, automobile, retail—s’opposent aux tarifs. Des géants comme Apple, Walmart, Target et Tesla ont tous exprimé des préoccupations face aux coûts accrus et à la complexité opérationnelle créée par les tarifs. Cependant, peu de ces entreprises se sont jointes directement à la contestation juridique, craignant des représailles de l’administration Trump sous forme de scrutin réglementaire accru, de contrats gouvernementaux annulés, ou de tweets présidentiels hostiles qui pourraient faire chuter leurs actions. Cette peur est elle-même révélatrice de la nature autoritaire de l’administration Trump: les entreprises se taisent non par accord, mais par peur de punition.
Précédents historiques et limites présidentielles
Nixon et les abus qui ont mené à l’IEEPA
L’histoire de l’IEEPA est elle-même une leçon sur les abus de pouvoir présidentiel. Avant 1977, les présidents américains possédaient des pouvoirs économiques d’urgence quasi-illimités sous la loi de 1917 sur le Trading with the Enemy Act. Richard Nixon avait utilisé cette loi en 1971 pour imposer un contrôle des prix et des salaires, et pour suspendre la convertibilité du dollar en or—des mesures économiques massives prises sans aucune consultation du Congrès. Le Congrès, alarmé par ces abus, a adopté l’IEEPA en 1977 pour limiter strictement les pouvoirs d’urgence présidentiels. La loi exige maintenant une déclaration formelle d’urgence nationale face à une «menace inhabituelle et extraordinaire», et elle donne au Congrès le pouvoir de mettre fin à l’urgence par une résolution conjointe. L’idée était de prévenir exactement le genre d’abus que Trump commet maintenant: utiliser des déclarations d’urgence fabriquées pour contourner le Congrès et s’arroger des pouvoirs économiques massifs.
Aucun président n’avait osé utiliser l’IEEPA pour les tarifs
En près de cinquante ans depuis l’adoption de l’IEEPA, aucun président—démocrate ou républicain—n’avait utilisé cette loi pour imposer des tarifs douaniers. Jimmy Carter l’a utilisée pour geler les actifs iraniens pendant la crise des otages. George H.W. Bush l’a invoquée contre l’Irak après l’invasion du Koweït. Bill Clinton l’a appliquée contre les narco-trafiquants colombiens. George W. Bush l’a utilisée massivement après le 11 septembre pour geler les actifs de groupes terroristes. Barack Obama l’a invoquée contre la Corée du Nord et l’Iran. Mais aucun d’entre eux n’avait jamais pensé à utiliser l’IEEPA pour imposer des tarifs massifs basés sur des déficits commerciaux ou des flux de drogue. Pourquoi? Parce qu’ils comprenaient tous que ce serait un abus flagrant de la loi, une violation de son esprit et de sa lettre. Trump est le premier président assez arrogant—ou assez ignorant—pour franchir cette ligne.
Les cours inférieures unanimes: un signal clair
Le fait que tous les tribunaux inférieurs aient statué contre Trump devrait être un signal d’alarme. Ce n’est pas une question partisane—des juges nommés par des présidents républicains et démocrates ont tous conclu que Trump avait excédé son autorité. En Californie, le juge a écrit que «le président ne peut pas, à lui seul, réécrire le code douanier américain sous prétexte d’urgence et priver ainsi le Congrès de ce pouvoir». À New York, un autre juge a noté que «les tarifs imposés par Trump ne répondent à aucune urgence soudaine, mais plutôt à des préoccupations économiques de longue date qui relèvent de la compétence du Congrès». La Cour d’appel du neuvième circuit a conclu que «l’interprétation de Trump de l’IEEPA diluerait la séparation des pouvoirs au point de rendre cette doctrine méconnaissable». Cette unanimité judiciaire est rare. Elle suggère que la position de Trump n’est pas simplement faible—elle est juridiquement indéfendable.
Conclusion
L’audience du 5 novembre 2025 devant la Cour suprême des États-Unis restera dans l’histoire comme le moment où l’arme économique favorite de Donald Trump—ses tarifs douaniers massifs—a été mise à nu pour ce qu’elle est vraiment: un abus flagrant des pouvoirs d’urgence présidentiels, une violation de la séparation des pouvoirs, une usurpation de l’autorité constitutionnelle du Congrès. Pendant près de trois heures, les juges—conservateurs et libéraux, nommés par Trump et par ses prédécesseurs—ont démoli méthodiquement les arguments du solliciteur général John Sauer, exposant les failles logiques, les contradictions juridiques, et les dangers constitutionnels de la position de l’administration. Neil Gorsuch, nommé par Trump lui-même, a posé la question la plus dévastatrice: si on accepte que le président peut s’arroger des pouvoirs économiques massifs au nom d’urgences fabriquées, qu’est-ce qui l’empêcherait de revendiquer tous les pouvoirs du Congrès, y compris celui de déclarer la guerre? John Roberts, le juge en chef, a souligné que les tarifs sont essentiellement des taxes sur le peuple américain—un pouvoir que la Constitution confie explicitement au Congrès, pas au président. Même les juges conservateurs qui ont généralement soutenu Trump semblaient profondément préoccupés par les implications de sa théorie du pouvoir présidentiel illimité. Si la Cour suprême invalide les tarifs de Trump—et tous les signes pointent dans cette direction—ce sera le premier coup majeur porté à son agenda économique par l’institution même qu’il croyait contrôler. Les conséquences seront massives. Trump perdra des trillions de dollars de revenus potentiels. Les entreprises qui ont payé ces tarifs pourraient exiger des remboursements de centaines de milliards. Le commerce mondial devra se réajuster rapidement à une nouvelle réalité. Et surtout, la conception trumpienne du pouvoir présidentiel—l’idée que le président peut invoquer des «urgences» vagues pour contourner le Congrès et gouverner par décret—sera rejetée par la plus haute instance judiciaire du pays. C’est un moment de vérité pour la démocratie américaine. Pendant quatre ans du premier mandat de Trump, et maintenant presque un an de son second, les institutions américaines ont été testées, poussées, déformées par un président qui ne respecte aucune limite, aucune norme, aucun précédent. Certaines institutions ont tenu—le système électoral a survécu malgré les mensonges sur la fraude, la presse libre a continué à enquêter malgré les attaques constantes. D’autres ont plié—le Parti républicain s’est transformé en un culte de personnalité, le Congrès a abdiqué une grande partie de son autorité. Maintenant, c’est au tour de la Cour suprême d’être testée. Va-t-elle défendre la Constitution, même contre le président qui a nommé trois de ses membres? Va-t-elle appliquer ses propres doctrines juridiques de manière cohérente, même si cela signifie bloquer un président républicain après avoir bloqué un président démocrate? Va-t-elle reconnaître que les tarifs de Trump sont un abus de pouvoir, même si cette reconnaissance causera un chaos économique à court terme? Les signes de l’audience de mercredi suggèrent que oui. Gorsuch, Roberts, et probablement plusieurs autres juges conservateurs semblent prêts à voter contre Trump. Ajoutez les trois juges libéraux, et vous avez une majorité claire pour invalider au moins une partie des tarifs. La décision finale pourrait prendre des semaines, voire des mois—bien que la Cour ait accepté d’accélérer cette affaire, suggérant qu’une décision pourrait venir avant la fin de l’année 2025. Mais quand elle tombera, elle sera historique. Elle définira les limites du pouvoir présidentiel pour les générations à venir. Elle dira si l’Amérique est une république constitutionnelle avec des freins et contrepoids, ou une présidence quasi-monarchique où le chef de l’exécutif peut invoquer des urgences imaginaires pour gouverner à volonté. Trump, qui a déclaré que cette affaire était «une question de vie ou de mort» pour le pays, avait raison—mais pas de la manière qu’il pensait. Ce n’est pas une question de savoir si l’Amérique aura des tarifs ou non. C’est une question de savoir si l’Amérique restera une démocratie gouvernée par la loi, ou deviendra un régime où le président est au-dessus de la loi. Le 5 novembre 2025, la Cour suprême a montré qu’elle comprenait l’enjeu. Maintenant, elle doit avoir le courage de trancher en faveur de la Constitution, même si cela signifie infliger une défaite humiliante au président le plus vindicatif de l’histoire américaine. L’avenir de la république en dépend.