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Le 14e amendement détourné : l’égale protection comme bélier

La stratégie juridique des Républicains repose sur un argument qui, en surface, paraît presque respectable. Ils invoquent le 14e amendement de la Constitution, en particulier sa clause d’égale protection des droits. Leur thèse : les nouveaux districts de Californie sont inconstitutionnels parce qu’ils considèrent explicitement la race—spécifiquement, ils avantagent les électeurs hispaniques et latinos—et ce faisant, ils violent le droit à l’égale protection pour les autres groupes raciaux.

Mike Columbo, l’avocat représentant les plaignants, l’a formulé ainsi lors de sa conférence de presse du mercredi : « La carte est construite pour favoriser un groupe racial de électeurs californiens sur les autres. Cela viole le 14e amendement qui garantit l’égale protection sous la loi, ainsi que les droits garantis par le 15e amendement. » Le 15e amendement, pour rappel, interdit d’abréger le droit de vote sur la base de la race.

L’ironie, c’est que c’est précisément le même argument constitutionnel qui pourrait être utilisé contre le redécoupage du Texas ou du Missouri, où les Républicains ont dessiné des districts pour désavantager les électeurs noirs ou latino-américains. Mais remarquez la direction de l’attaque : elle ne vise pas à défendre une neutralité parfaite en matière de race et de redécoupage. Elle cible les cartes qui avantagent les minorités, pas celles qui les désavantagent. La rhétorique de l’égale protection devient ainsi une arme pour maintenir le statu quo ou l’avantage républicain.

Le droit de vote et les questions de race : un terrain constitutionnel glissant

C’est ici que les jurisprudences se compliquent. La Cour suprême des États-Unis a généralement freiné les redécoupages explicitement racialisés, même ceux censés aider les minorités historiquement discriminées. Des arrêts comme Shelby County v. Holder (2013) ont affaibli les protections de la Voting Rights Act de 1965. D’autres, comme Rucho v. Common Cause (2019), ont limité la capacité des tribunaux à intervenir dans les questions de gerrymandering partisan.

Mais la jurisprudence demeure fragile et changeante. Ce qui était acceptable sous une majorité de justices peut être invalidé quand la composition change. Et avec une Cour suprême actuellement penché à droite, les plaintes contre un redécoupage pro-démocrate pourraient trouver une oreille réceptive. Ce que les Républicains savent, c’est qu’ils n’ont peut-être pas besoin de convaincre tous les juges. Ils n’ont besoin que d’en convaincre trois sur le panel qui sera assigné à cette affaire à la Cour de district—et idéalement un ou deux de plus à l’appel.

La question du calendrier : la vraie arme dans la manche

Voici l’élément crucial que beaucoup de commentateurs ont raté : ce n’est pas juste le fond du procès qui importe. C’est le calendrier. Les plaignants républicains demandent une ordonnance de restriction temporaire (temporary restraining order) pour bloquer l’implémentation des nouvelles cartes avant la date cruciale du 19 décembre 2025. Pourquoi décembre ? Parce que c’est la date limite pour que les candidats commencent à collecter des signatures pour les élections 2026.

Si les nouveaux districts restent bloqués jusqu’en décembre, puis que le procès traîne pendant des mois (comme le stratège Trump Steve Bannon l’a explicitement suggéré dans une interview pour Politico), les élections 2026 pourraient se faire sous les anciennes cartes, favorables aux Républicains. Même si la Cour finit par trancher en faveur des Démocrates, les dégâts électoraux à court terme seraient énormes. C’est du sabotage procédural. C’est du délai utilisé comme arme stratégique. Et c’est probablement l’objectif réel du procès.

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