Le troisième en moins d’un an, et le pire
Ce shutdown de septembre-octobre 2025 — maintenant dans sa septième semaine et ne montrant aucun signe de résolution — est le troisième depuis que Trump a repris la présidence en janvier. Le premier, en mars, avait duré cinq jours. Le deuxième, en juin, dix jours. Celui-ci a maintenant dépassé les six semaines et continue de s’étendre sans fin visible. Chaque jour, environ 850 000 employés fédéraux sont soit en congé forcé sans salaire, soit contraints de travailler comme « personnel essentiel » — également sans salaire, avec seulement la promesse d’un paiement rétroactif une fois le shutdown terminé. Mais quand sera-ce? Personne ne le sait. Les familles vivent sur les cartes de crédit, puisent dans leurs économies de retraite, se tournent vers les banques alimentaires. Les services gouvernementaux essentiels sont perturbés: les demandes de sécurité sociale s’accumulent sans traitement, les inspections de sécurité alimentaire sont suspendues, les parcs nationaux sont fermés ou fonctionnent avec un personnel squelettique. Le coût économique se chiffre en milliards de dollars — perte de productivité, retards dans les projets, impact sur la confiance des consommateurs et des investisseurs.
Trump exige la soumission totale mais refuse de négocier
Le mécanisme du shutdown est simple: le Congrès doit adopter un budget ou une résolution de financement temporaire pour maintenir le gouvernement en fonctionnement. La Chambre des représentants républicaine a adopté une résolution de financement « propre » le 19 septembre — le dernier jour où elle a tenu un vote avant que Mike Johnson ne ferme boutique pour huit semaines consécutives. Cette résolution finance le gouvernement mais ne contient aucune des extensions de programmes sociaux que les démocrates exigent, notamment les crédits d’impôt de l’Affordable Care Act qui expirent fin 2025. Au Sénat, les républicains ont une majorité de 53-47, mais pas suffisante pour briser le filibuster qui exige 60 votes pour la plupart des législations. Donc, pour faire adopter la résolution de financement, ils ont besoin d’au moins sept démocrates. Mais les démocrates refusent catégoriquement de voter pour une résolution qui condamne des millions d’Américains à perdre leur couverture santé ou à voir leurs primes exploser. Trump, au lieu de négocier un compromis, a ordonné aux républicains de ne faire aucune concession. Il préfère le shutdown, qu’il utilise comme arme politique pour forcer les démocrates à capituler. Sauf que ça ne fonctionne pas.
Les employés fédéraux pris en otage dans un jeu politique
Pendant que se joue cette bataille idéologique, des centaines de milliers de familles souffrent concrètement. Des témoignages circulent d’employés fédéraux contraints de vendre leurs possessions pour payer le loyer. De familles qui sautent des repas. De médicaments essentiels non achetés faute d’argent. Des agents du FBI, des contrôleurs aériens, des gardiens de prison — tous ces « personnels essentiels » qui doivent continuer à travailler sans salaire, avec pour seule consolation la promesse qu’ils seront payés rétroactivement… éventuellement. Les banques alimentaires à Washington et dans d’autres villes organisent des distributions spéciales pour les employés fédéraux. C’est surréaliste: des serviteurs publics qui protègent notre sécurité nationale, qui inspectent notre nourriture, qui gèrent nos infrastructures critiques — réduits à dépendre de la charité parce que leurs employeurs politiques les utilisent comme pions dans un jeu de pouvoir. Trump avait promis durant sa campagne de 2024 qu’il résoudrait les dysfonctionnements de Washington. Au lieu de ça, il les a multipliés, les a amplifiés, les a transformés en méthode de gouvernance. Le shutdown n’est plus un échec accidentel — c’est une tactique délibérée.
La proposition démocrate rejetée avec mépris
Un compromis raisonnable refusé instantanément
Vendredi, Chuck Schumer monte à la tribune du Sénat et présente ce qui semble être un compromis raisonnable: les démocrates voteront pour mettre fin au shutdown en échange d’une extension d’un an des crédits d’impôt de l’Affordable Care Act et de la création d’un comité bipartisan chargé de trouver une solution permanente pour ces crédits avant la prochaine période d’inscription ouverte. C’est une offre qui donne aux deux camps quelque chose. Les républicains obtiennent la réouverture du gouvernement et peuvent prétendre avoir mis fin au chaos. Les démocrates obtiennent l’extension temporaire des crédits qui empêchera des millions d’Américains de perdre leur couverture santé immédiatement. Et la question à long terme est renvoyée aux électeurs lors des midterms de 2026 — laissant le peuple américain décider quelle approche il préfère. C’est exactement le type de compromis qui, dans une époque politique plus saine, aurait été discuté sérieusement. Peut-être pas accepté tel quel, mais au moins utilisé comme base de négociation. Mais nous ne vivons plus dans une telle époque.
Le terrorisme politique selon Lindsey Graham
La réaction républicaine est immédiate et brutale. Le leader de la majorité au Sénat John Thune qualifie la proposition de « non-négociable » qui « ne s’approche même pas » d’être acceptable. Lindsey Graham, toujours prêt à pousser la rhétorique à l’extrême pour plaire à Trump, va encore plus loin et appelle ça du « terrorisme politique ». Réfléchissez à cette formulation un instant. Les démocrates proposent d’empêcher des millions d’Américains de perdre leur couverture santé, et ça, c’est du terrorisme. Le terrorisme — ce mot qu’on utilise normalement pour décrire des actes de violence visant à intimider des populations civiles — est maintenant appliqué à une proposition législative visant à préserver l’accès aux soins de santé. Le langage politique américain a atteint un niveau de distorsion où les mots ne signifient plus rien. Où tout est maximisé en rhétorique de guerre existentielle. Graham ne dit pas « nous pensons que cette proposition est fiscalement irresponsable » ou « nous avons des préoccupations sur les coûts à long terme ». Non. C’est du terrorisme. Parce que dans l’univers trumpiste, toute opposition aux désirs du leader est par définition une attaque traîtresse contre l’Amérique elle-même.
Trump exige l’abolition du filibuster pour ne plus jamais perdre
Ce qui rend cette intransigeance encore plus inquiétante, c’est la demande que Trump a réitérée vendredi lors d’une réunion à la Maison-Blanche avec Viktor Orbán, le premier ministre hongrois célèbre pour avoir transformé son pays en démocratie illibérale. Trump a exigé que les républicains abolissent le filibuster au Sénat — cette règle qui exige 60 votes pour la plupart des législations et qui force donc une certaine collaboration bipartisane. Trump veut que les républicains puissent adopter n’importe quelle loi avec une simple majorité de 51 votes. Et pour rassurer les républicains inquiets que cette règle pourrait ensuite être utilisée contre eux par une future majorité démocrate, Trump a offert une assurance glaçante: pas besoin de s’inquiéter des démocrates au pouvoir, parce qu’en abolissant le filibuster, les républicains pourront adopter des lois qui « garantiront que nous ne perdrons jamais les midterms et nous ne perdrons jamais une élection générale » à nouveau. Laissez cette déclaration s’installer. Le président des États-Unis, parlant devant le dirigeant autoritaire de la Hongrie, dit explicitement qu’il veut adopter des lois pour s’assurer que son parti ne perde jamais une élection future. Ce n’est plus de la politique normale. C’est la fin programmée de la démocratie compétitive.
Les fractures internes républicaines exposées
Kennedy avoue que rien ne sera accompli
Revenons à cette réunion à huis clos qui a inspiré la déclaration de Kennedy sur le « spectacle de monstres intergalactique ». Que s’est-il passé derrière ces portes fermées pour produire un tel désespoir chez un sénateur républicain chevronné? Les détails précis restent confidentiels — c’est le propre des réunions à huis clos — mais les contours sont clairs. Les républicains sont profondément divisés sur la stratégie à adopter. Certains, particulièrement ceux représentant des États où le shutdown cause des dégâts politiques visibles, veulent négocier avec les démocrates et trouver un compromis pour rouvrir le gouvernement. D’autres, les trumpistes purs et durs, refusent toute concession par principe, considérant que céder aux démocrates serait une trahison. Un troisième groupe, probablement le plus nombreux, est simplement paralysé — trop effrayé de défier Trump, trop conscient que l’intransigeance est politiquement dangereuse, incapable de choisir une direction. Kennedy, en sortant de cette cacophonie, ne voit aucune issue. « Rien » ne sera accompli ce week-end. « Nous allons être ici pour longtemps. » C’est la capitulation résignée de quelqu’un qui sait que son propre parti est dysfonctionnel mais ne voit aucun moyen de le réparer.
Thune coincé entre Trump et la réalité
John Thune, le leader de la majorité au Sénat, est dans une position particulièrement impossible. Élu à ce poste en janvier 2025, il avait promis d’être un leader pragmatique capable de faire adopter l’agenda républicain tout en maintenant des relations fonctionnelles avec les démocrates quand nécessaire. Mais Trump ne tolère aucune indépendance. Le président exige une loyauté absolue et une obéissance immédiate. Thune se retrouve donc coincé: s’il négocie avec Schumer pour trouver un compromis qui mettrait fin au shutdown, Trump l’attaquera publiquement et mobilisera sa base pour le faire virer du leadership. Mais s’il maintient la ligne dure trumpiste et refuse toute négociation, le shutdown continue indéfiniment, causant des dégâts politiques croissants aux républicains. Les sondages montrent que l’opinion publique blâme majoritairement les républicains et Trump pour le shutdown — pas les démocrates. Chaque semaine supplémentaire renforce ce narratif. Thune le sait. Mais il est piégé dans une situation sans issue où toute décision qu’il prend sera la mauvaise. C’est exactement le type d’impasse qui produit des déclarations comme celle de Kennedy: frustration, cynisme, reconnaissance que le système est cassé et que personne ne sait comment le réparer.
Les sénateurs qui murmurent leurs peurs en privé
Ce qui rend la situation encore plus pathétique, c’est le nombre de sénateurs républicains qui, en privé, admettent leur désaccord avec la stratégie trumpiste mais refusent de le dire publiquement. Des conversations rapportées par plusieurs journalistes politiques décrivent des sénateurs confiant à des collègues ou à des journalistes — toujours anonymement, jamais pour attribution — qu’ils pensent que Trump se trompe, que le shutdown est destructeur, que refuser de négocier est suicidaire politiquement. La sénatrice Lisa Murkowski d’Alaska a admis publiquement en octobre que ses collègues républicains lui confient régulièrement leurs propres craintes de s’exprimer contre Trump. Mais ces conversations restent privées parce que personne n’ose franchir le pas de l’aveu public. La peur de la vengeance trumpiste — être exclu des réunions importantes, perdre le soutien du parti pour la réélection, faire face à un challenger trumpiste lors des primaires — paralyse tout le caucus républicain. Ils savent que ce qu’ils font est destructeur. Ils le disent en murmurant dans les couloirs. Mais publiquement, ils s’alignent docilement. Le courage politique est mort, remplacé par le calcul cynique de survie personnelle.
Mike Johnson et la stratégie de l'évitement
Huit semaines consécutives sans vote à la Chambre
Pendant que le Sénat s’enlise dans son « spectacle de monstres intergalactique », la Chambre des représentants sous Mike Johnson a adopté une stratégie encore plus cynique: ne rien faire du tout. Johnson a maintenu la Chambre fermée — pas de session, pas de votes, pas de débats — pour la huitième semaine consécutive. Le dernier vote tenu à la Chambre remonte au 19 septembre, quand ils ont adopté la résolution de financement « propre » qui a déclenché le shutdown actuel. Depuis? Rien. Johnson justifie cette paralysie en disant qu’il n’y a pas de raison de tenir des votes quand le Sénat ne peut pas adopter la législation de toute façon. Mais la vraie raison est beaucoup plus cynique: Johnson sait que son caucus est profondément divisé, et que tenir des votes révélerait publiquement l’ampleur de ces divisions. Si il mettait au vote une résolution de financement avec des concessions aux démocrates, une partie substantielle de son caucus voterait contre, l’humiliant publiquement. Si il mettait au vote la résolution « propre » qui a déjà été adoptée en septembre, ça ne changerait rien puisque le Sénat l’a déjà rejetée. Donc Johnson a choisi la troisième option: fermer boutique et éviter tout vote qui pourrait causer des problèmes politiques.
Les élus républicains fuient leurs propres électeurs
Cette stratégie d’évitement s’étend au-delà de Washington. Des documents révélés en mars 2025 montrent que le Comité national républicain du Congrès a conseillé à ses membres d’éviter les réunions publiques en présentiel avec leurs électeurs. Pourquoi? Parce que des représentants républicains en Géorgie, en Oregon et au Texas avaient fait face à une colère explosive lors de réunions publiques où les citoyens dénonçaient les coupes budgétaires drastiques et les licenciements massifs opérés par le DOGE d’Elon Musk — plus de 100 000 fonctionnaires fédéraux licenciés depuis janvier. Mike Johnson avait déclaré qu’il serait « sage » d’éviter ces confrontations avec ce que Trump appelle des « fauteurs de trouble payés ». La solution recommandée? Les réunions virtuelles, où les élus peuvent plus facilement contrôler qui participe et filtrer les questions embarrassantes. C’est une abdication totale de la responsabilité démocratique fondamentale: écouter ses électeurs, même — surtout — quand ils sont en colère. Les représentants républicains ont si peur de la réaction publique à leurs propres politiques qu’ils refusent littéralement d’affronter les citoyens qu’ils sont censés représenter.
La fuite de Trump pendant que Rome brûle
Et pendant tout ce temps, pendant que Thune ordonne aux sénateurs de rester à Washington pour négocier, pendant que Kennedy décrit sa propre conférence de parti comme un cirque cosmique, pendant que des centaines de milliers d’employés fédéraux ne savent pas quand ils recevront leur prochain chèque de paie — Donald Trump s’envole pour la Floride pour passer le week-end à Mar-a-Lago. Le président qui a ordonné aux législateurs de rester en ville pour résoudre la crise qu’il a créée ne se soumet pas lui-même à cette discipline. Il part jouer au golf pendant que Washington brûle. C’est tellement emblématique de son style de leadership: créer le chaos, exiger que d’autres le nettoient, puis s’en aller pendant qu’ils se débattent avec les conséquences. Le sénateur démocrate Chris Murphy du Connecticut l’a formulé avec exaspération: « C’est insensé que le président Trump et les leaders républicains du Congrès refusent de parler aux démocrates pour négocier un accord. Ils refusent de s’engager. Ça détruit le pays. » Mais Trump s’en fiche. Le chaos n’est pas un bug de son système — c’est une fonctionnalité. Il prospère dans le désordre, y trouve des opportunités, l’utilise comme arme contre ses adversaires et même contre ses propres alliés.
Les conséquences croissantes du blocage
Les crédits d’impôt ACA et l’explosion des primes santé
Au cœur de ce bras de fer politique se trouvent les crédits d’impôt de l’Affordable Care Act qui expirent à la fin de 2025. Ces crédits permettent à des millions d’Américains d’acheter une assurance santé abordable sur les marchés ACA. Sans eux, les primes d’assurance santé pour environ 20 millions de personnes exploseraient — certaines estimations parlent d’augmentations de 75% ou plus. Pour des familles de classe moyenne et ouvrière qui comptent sur ces crédits pour rendre leur assurance abordable, l’expiration signifierait soit des primes mensuelles écrasantes, soit l’abandon pur et simple de la couverture santé. Environ trois quarts des Américains soutiennent l’extension de ces crédits selon les sondages. Mais les républicains, idéologiquement opposés à l’ACA depuis son adoption, refusent de les prolonger. Ils voient l’expiration comme une opportunité de démanteler progressivement l’ACA en la rendant inabordable pour des millions de gens. Le fait que cela condamnerait des dizaines de milliers de personnes à des maladies non traitées ou à des faillites médicales ne semble pas peser lourd dans leur calcul politique.
Les services gouvernementaux qui s’effondrent
Au-delà de la question spécifique de l’ACA, le shutdown prolongé cause des dégâts croissants à travers toute la gamme des services gouvernementaux. Les demandes de sécurité sociale s’accumulent par dizaines de milliers, laissant des retraités dans l’incertitude sur leurs prestations. Les inspections de sécurité alimentaire sont réduites au minimum, augmentant les risques de contamination. Les parcs nationaux, symboles de l’héritage naturel américain, sont soit fermés soit fonctionnent avec un personnel si réduit que les déchets s’accumulent et les infrastructures se détériorent. Les agences de régulation financière opèrent avec un personnel squelettique, réduisant la surveillance des marchés. Les programmes de recherche scientifique — notamment dans les domaines de la santé, du climat, de l’énergie — sont interrompus, perdant des mois de travail et des données irremplaçables. Chaque jour de shutdown supplémentaire enfonce le couteau un peu plus profondément dans le fonctionnement de l’État fédéral. Et les républicains, plutôt que de chercher une résolution, préfèrent rejeter les offres de compromis en les qualifiant de terrorisme politique.
L’impact économique qui se chiffre en milliards
Les économistes estiment que ce shutdown coûte à l’économie américaine plusieurs milliards de dollars par semaine. La perte de productivité des employés fédéraux non rémunérés. Les retards dans les projets d’infrastructure qui dépendent de permis et d’approbations fédérales. La réduction des dépenses de consommation alors que des centaines de milliers de familles d’employés fédéraux coupent dans leurs budgets. L’impact sur la confiance des entreprises et des investisseurs, qui voient un gouvernement américain incapable de fonctionner normalement. Les agences de notation de crédit ont déjà émis des avertissements sur la possibilité d’une dégradation de la note de crédit américaine si le dysfonctionnement politique continue. Les marchés financiers, pour l’instant relativement stables, pourraient devenir volatils si le shutdown s’étend encore de plusieurs semaines. Et tout ça pour quoi? Pour un bras de fer idéologique où aucun des deux camps ne veut être vu comme ayant cédé. Les véritables perdants dans cette bataille ne sont ni les démocrates ni les républicains — ce sont les millions d’Américains ordinaires qui paient le prix du dysfonctionnement de leur gouvernement.
Les démocrates face au dilemme stratégique
Tenir bon sur les principes ou céder pour rouvrir
Les démocrates sont confrontés à un dilemme stratégique classique. D’un côté, ils ont une position de principe solide: refuser de voter pour une résolution de financement qui condamnerait des millions d’Américains à perdre leur couverture santé ou à voir leurs primes exploser. Environ 75% des Américains soutiennent l’extension des crédits d’impôt ACA. Les démocrates sont du bon côté de l’opinion publique sur cette question spécifique. Et céder maintenant établirait un précédent dangereux: que Trump peut simplement fermer le gouvernement jusqu’à ce que les démocrates capitulent sur n’importe quelle demande. Mais de l’autre côté, chaque jour supplémentaire de shutdown cause une souffrance réelle à des centaines de milliers de personnes — dont beaucoup d’électeurs démocrates. Les employés fédéraux qui ne reçoivent pas leurs salaires, les citoyens qui ne peuvent pas accéder aux services gouvernementaux, l’impact économique croissant — tout ça pèse sur la conscience des leaders démocrates. Et il y a toujours le risque que l’opinion publique finisse par se retourner contre eux si le shutdown s’éternise, même s’ils ne sont pas objectivement responsables du blocage.
L’offre de Schumer comme piège stratégique
L’offre de compromis de Schumer vendredi était brillamment conçue d’un point de vue stratégique. Si les républicains l’acceptaient, les démocrates pouvaient prétendre avoir négocié une fin au shutdown tout en obtenant une extension temporaire des crédits ACA — une victoire substantielle. Et en renvoyant la question à long terme à un comité bipartisan et ultimement aux électeurs lors des midterms de 2026, ils transformaient le débat en référendum électoral. Mais si les républicains rejetaient l’offre — comme ils l’ont fait — les démocrates se retrouvaient dans une position encore meilleure politiquement: ils pouvaient dire qu’ils avaient proposé un compromis raisonnable que les républicains avaient refusé par pure idéologie ou par loyauté aveugle à Trump. Cela renforçait le narratif que les républicains sont les vrais obstructionnistes, les vrais responsables du shutdown. Schumer a essentiellement créé une situation où les démocrates gagnaient politiquement quel que soit le choix républicain. Mais bien sûr, gagner politiquement ne met pas fin au shutdown ni ne soulage la souffrance des employés fédéraux. C’est le cynisme inhérent à la politique moderne: tout est calculé pour l’avantage électoral, même les crises humanitaires.
Murphy et l’appel désespéré au dialogue
Le sénateur Chris Murphy du Connecticut a exprimé une frustration que beaucoup de démocrates partagent mais que peu articulent aussi directement: « C’est insensé que le président Trump et les leaders républicains du Congrès refusent de parler aux démocrates pour négocier un accord. Ils refusent de s’engager. Ça détruit le pays. » Ce refus absolu de négociation est effectivement historiquement inhabituel. Même durant les shutdowns précédents — et il y en a eu beaucoup dans l’histoire américaine récente — les deux camps maintenaient au moins des canaux de communication ouverts. Des discussions informelles, des propositions échangées, des négociations exploratoires. Mais sous Trump, cette norme a été jetée par la fenêtre. Trump a ordonné aux républicains de ne pas négocier avec les démocrates, point final. Il voit toute négociation comme une faiblesse, tout compromis comme une capitulation. Et les républicains, terrifiés de sa colère, obéissent. Murphy appelle à un retour à une gouvernance normale où les deux camps au moins se parlent. Mais son appel tombe dans le vide. Parce que dans l’univers trumpiste, parler à l’ennemi politique est une trahison.
Le précédent dangereux pour l'avenir
Le shutdown comme arme politique normalisée
Ce qui est peut-être le plus inquiétant dans cette crise, c’est la normalisation du shutdown comme tactique politique standard. Historiquement, les shutdowns étaient rares et généralement courts — des accidents causés par des impasses budgétaires légitimes qui étaient rapidement résolues une fois que les deux camps réalisaient les dégâts politiques. Mais sous Trump, nous avons maintenant eu trois shutdowns en moins d’un an, dont un qui dure maintenant sept semaines sans fin visible. Trump a explicitement dit qu’il était prêt à laisser le gouvernement fermé indéfiniment jusqu’à ce que les démocrates cèdent. Un responsable de la Maison-Blanche avait déclaré en septembre qu’ils allaient « infliger une douleur maximale » et que « les démocrates paieront un prix énorme pour ça ». Le shutdown n’est plus un dysfonctionnement regrettable — c’est une arme stratégique délibérée. Et si cette tactique devient normalisée, si les deux partis commencent à considérer le shutdown comme un outil de négociation légitime, le gouvernement américain deviendra ingouvernable. Imaginez un futur où chaque confrontation budgétaire — et il y en a plusieurs par an — dégénère en shutdown prolongé parce qu’aucun des deux camps ne veut être vu comme ayant cédé.
La destruction du compromis comme valeur politique
Plus profondément encore, cette crise révèle la mort du compromis comme valeur politique en Amérique. Le compromis — l’idée que dans une démocratie pluraliste, différents groupes avec des intérêts et des valeurs divergents doivent négocier des solutions mutuellement acceptables même si personne n’obtient exactement ce qu’il veut — était autrefois considéré comme une vertu politique fondamentale. Les grands législateurs américains étaient célébrés pour leur capacité à forger des compromis bipartisans sur des questions difficiles. Mais dans la politique trumpiste, le compromis est une trahison. Céder sur quoi que ce soit à l’autre camp est une faiblesse. La seule approche acceptable est la domination totale ou l’obstruction complète. Cette mentalité rend la gouvernance démocratique pratiquement impossible. Parce qu’aucun parti n’a jamais le pouvoir absolu suffisant pour imposer unilatéralement son agenda sans aucune négociation. Le système américain, avec ses multiples veto points — les deux chambres du Congrès, la présidence, les tribunaux, le filibuster sénatorial — est structuré pour forcer le compromis. Si les acteurs politiques refusent fondamentalement de compromettre, le système se bloque. Ce qui est exactement ce que nous voyons maintenant.
Trump promettant des élections truquées pour ne plus jamais perdre
Et puis il y a cette déclaration extraordinaire de Trump vendredi, parlant devant Viktor Orbán: en abolissant le filibuster, les républicains pourront adopter des lois garantissant qu’ils « ne perdront jamais les midterms et ne perdront jamais une élection générale » à nouveau. Relisez cette phrase. Le président des États-Unis dit ouvertement qu’il veut utiliser le pouvoir législatif pour truquer le système électoral de manière à garantir la victoire perpétuelle de son parti. Ce n’est plus de la politique partisane agressive — c’est la fin programmée de la démocratie compétitive. C’est exactement ce qu’Orbán a fait en Hongrie: utiliser des majorités législatives pour réécrire les règles électorales, redécouper les circonscriptions, contrôler les médias, intimider l’opposition — créant un système où les élections continuent d’exister formellement mais où le résultat est prédéterminé. Trump ne cache même plus son admiration pour ce modèle. Il le dit explicitement. Et une partie substantielle du Parti républicain — pas tous, mais assez — est prête à le suivre sur cette voie. C’est ça, le précédent vraiment terrifiant établi par cette crise: pas juste les shutdowns ou le refus de compromis, mais la transformation ouverte d’un parti politique majeur en mouvement ouvertement anti-démocratique.
Conclusion
Voilà donc où nous en sommes ce samedi 8 novembre 2025. Un sénateur républicain — John Kennedy de Louisiane — sort d’une réunion à huis clos avec ses propres collègues et la décrit comme un « spectacle de monstres intergalactique ». Quand on lui demande ce que le week-end de négociations ordonnées par Trump va produire, il répond avec un cynisme résigné: « Rien. » Le shutdown gouvernemental entre dans sa septième semaine, paralysant des services essentiels et privant de salaire 850 000 employés fédéraux. Les démocrates ont proposé vendredi un compromis raisonnable pour mettre fin à la crise — extension d’un an des crédits d’impôt ACA en échange d’un vote pour rouvrir le gouvernement. Les républicains l’ont rejeté instantanément, Lindsey Graham allant jusqu’à qualifier la proposition de « terrorisme politique ». Trump, qui a ordonné aux sénateurs de rester à Washington pour négocier, s’est lui-même envolé vers la Floride pour le week-end. Mike Johnson maintient la Chambre des représentants fermée pour la huitième semaine consécutive, évitant tout vote qui révélerait les fractures de son caucus. Et Trump a explicitement dit devant le premier ministre autoritaire hongrois qu’il veut abolir le filibuster pour adopter des lois garantissant que les républicains ne perdent plus jamais d’élections.
Le « spectacle de monstres intergalactique » de Kennedy n’est pas qu’une formule colorée — c’est un diagnostic précis. Le Parti républicain est devenu une collection de factions incompatibles maintenues ensemble uniquement par la terreur de déplaire à Trump. Ils ne peuvent pas gouverner parce qu’ils ne peuvent même pas se mettre d’accord entre eux sur ce qu’ils veulent. Ils ne peuvent pas négocier avec les démocrates parce que Trump l’a interdit. Ils ne peuvent pas mettre fin au shutdown parce que céder serait perçu comme une faiblesse. Donc ils restent paralysés, incapables d’avancer, incapables de reculer, prisonniers de leur propre dysfonctionnement. Pendant ce temps, le pays souffre. Les employés fédéraux vivent de cartes de crédit et de banques alimentaires. Les services gouvernementaux s’effondrent. L’économie perd des milliards. Les alliés internationaux observent avec inquiétude cette superpuissance nucléaire incapable de financer son propre gouvernement. Et au cœur de tout ça, un président qui a abandonné toute prétention de gouverner pour tout le pays et qui voit la présidence comme un véhicule pour punir ses ennemis et récompenser ses loyalistes. Kennedy avait raison: c’est un spectacle de monstres. Intergalactique dans son absurdité. Mais terriblement terrestre dans ses conséquences. Et nous sommes tous forcés d’y assister, jour après jour, semaine après semaine, sans savoir quand — ou si — le rideau tombera enfin.