Patrick Penn et l’ordre d’annulation immédiate
Le mémo émis tard samedi soir par Patrick Penn, haut fonctionnaire du Département de l’Agriculture des États-Unis, est un document remarquable par sa froideur bureaucratique face à une catastrophe humanitaire. « Dans la mesure où les États ont envoyé des fichiers de paiement SNAP complets pour novembre 2025, cela n’était pas autorisé« , déclare le document avec une autorité implacable. Pas de nuances. Pas d’explications sur comment les États étaient censés savoir que suivre l’ordre d’un juge fédéral était « non autorisé ». Juste une déclaration brutale transformant rétroactivement des actes de compassion en violations administratives. Le mémo continue : « En conséquence, les États doivent immédiatement défaire toutes les mesures prises pour émettre des prestations SNAP complètes pour novembre 2025 ». Ce mot – « défaire » – résonne avec une absurdité kafkaïenne. Comment « défait-on » de la nourriture déjà achetée et consommée par des familles affamées ?
Le langage du mémo révèle la logique tordue de l’administration Trump. Plutôt que de reconnaître la réalité – que des millions d’Américains ont besoin de manger et que l’argent existe pour les nourrir – le document reformule le problème en termes purement procéduraux. Les États ont violé les protocoles. Ils ont agi sans autorisation fédérale. Ils doivent maintenant faire marche arrière, peu importe les conséquences humaines. Cette approche transforme la bureaucratie en arme, utilisant des règles techniques pour justifier l’infliction de souffrances massives. Et la menace finale est claire comme du cristal : « Le non-respect de ce mémorandum peut entraîner diverses mesures de l’USDA, y compris l’annulation de la part fédérale des coûts administratifs de l’État et la tenue des États pour responsables ». En d’autres termes, si vous nourrissez les affamés, nous vous ruinerons financièrement.
La réduction à 65% et son impact dévastateur
Le mémo précise que les États sont autorisés à distribuer uniquement 65% des prestations prévues pour novembre, un chiffre qui semble arbitraire jusqu’à ce qu’on comprenne d’où il vient. Une ordonnance judiciaire antérieure, émise plus tôt dans la semaine avant d’être annulée, avait établi ce pourcentage comme un compromis temporaire. L’administration Trump s’accroche maintenant à ce chiffre comme si c’était une loi divine, ignorant l’ordonnance plus récente exigeant un financement complet. Pour les 42 millions d’Américains qui dépendent du SNAP, cette réduction de 35% n’est pas une simple inconvénience statistique. C’est la différence entre trois repas par jour et deux. C’est choisir entre nourrir vos enfants ou vous-même. C’est la viande, les fruits frais et les légumes qui disparaissent du panier d’épicerie, remplacés par des calories bon marché qui remplissent mais ne nourrissent pas.
Faisons les calculs pour comprendre l’ampleur. La prestation SNAP moyenne par personne aux États-Unis est d’environ 180 dollars par mois. Une réduction de 35% signifie que chaque bénéficiaire perd environ 63 dollars. Multiplié par 42 millions de personnes, c’est 2,65 milliards de dollars de pouvoir d’achat alimentaire qui disparaît en un mois. Pour une famille de quatre personnes recevant le SNAP, cela représente environ 252 dollars de nourriture en moins pour novembre. Essayez de nourrir une famille pendant un mois entier avec 252 dollars de moins et vous comprendrez le désespoir que ces familles ressentent. Et ce n’est pas juste une question de dollars et de cents. C’est la dignité humaine. C’est des parents qui doivent regarder leurs enfants dans les yeux et expliquer pourquoi il n’y a pas assez à manger. C’est des personnes âgées qui sautent des repas pour faire durer leur maigre allocation. C’est l’humiliation d’être réduit à la mendicité dans le pays le plus riche de l’histoire humaine.
Comment « défaire » ce qui a déjà nourri des familles
L’aspect le plus surréaliste du mémo est son exigence que les États « défassent » les paiements déjà effectués. Plusieurs gouverneurs et administrateurs d’État ont immédiatement souligné l’absurdité pratique de cette demande. Une fois que l’argent est chargé sur les cartes électroniques de transfert de prestations (EBT), il est dépensé presque instantanément par des familles désespérément affamées. Les supermarchés ont été payés. La nourriture a été achetée, cuisinée et consommée. Comment exactement l’administration Trump s’attend-elle à ce que les États « récupèrent » cette aide ? Vont-ils envoyer des agents frapper aux portes pour exiger que les familles remboursent la nourriture qu’elles ont déjà mangée ? Vont-ils saisir les comptes bancaires de personnes vivant déjà dans la pauvreté extrême ? Vont-ils poursuivre en justice des mères célibataires et des personnes âgées pour avoir osé manger ?
La gouverneure du Massachusetts, Maura Healey, a tenté de rassurer ses résidents dans une déclaration dimanche, affirmant que ceux qui avaient déjà reçu l’argent SNAP sur leurs cartes « devraient continuer à le dépenser pour de la nourriture ». Elle a ajouté que ces fonds avaient été légalement émis parce qu’ils étaient conformes à l’ordonnance du tribunal du Rhode Island et avant la décision de la Cour suprême. Mais cette assurance sonne creux face à la menace explicite de l’administration Trump de tenir les États « financièrement responsables » pour tout paiement excédentaire. Les États se retrouvent dans une position impossible : soit ils obéissent à l’administration fédérale et laissent leurs résidents affamés, soit ils continuent à nourrir leurs citoyens et risquent une ruine financière imposée par Washington. C’est du chantage gouvernemental à une échelle rarement vue dans l’histoire américaine moderne, utilisant la menace de sanctions économiques pour forcer la conformité à une politique qui condamne délibérément des millions de personnes à la faim.
La rébellion des gouverneurs face à l'inhumanité fédérale
Tony Evers du Wisconsin et le refus catégorique
Dimanche matin, le gouverneur démocrate du Wisconsin Tony Evers a répondu à la demande de l’administration Trump avec une simplicité désarmante : « Non ». Un seul mot qui résume tout. Pas de justifications bureaucratiques élaborées, pas de rhétorique politique calculée, juste un refus catégorique d’obéir à un ordre qu’il considère comme moralement indéfendable. Dans une déclaration ultérieure plus détaillée, Evers a expliqué sa position avec une clarté dévastatrice : « Conformément à une ordonnance judiciaire active, le Wisconsin a légalement chargé les prestations sur les cartes, garantissant à près de 700 000 Wisconsinites, dont près de 270 000 enfants, l’accès à la nourriture de base et aux épiceries. Après avoir fait cela, l’administration Trump a assuré au Wisconsin et à d’autres États qu’ils travaillaient activement à mettre en œuvre les prestations SNAP complètes pour novembre et qu’ils ‘compléteraient les processus nécessaires pour rendre les fonds disponibles’. Ils n’ont pas réussi à le faire à ce jour ».
Ce qui rend la position d’Evers particulièrement puissante, c’est qu’elle expose la duplicité de l’administration Trump. Le gouvernement fédéral a donné des assurances aux États qu’il travaillait à mettre en œuvre le financement complet, encourageant effectivement les États à distribuer les prestations. Puis, une fois que les États ont agi de bonne foi, l’administration a fait volte-face et a qualifié ces mêmes actions de « non autorisées », menaçant maintenant de sanctions financières. C’est un piège délibéré, une manipulation bureaucratique conçue pour mettre les États dans une position où ils seront punis quoi qu’ils fassent. Mais Evers refuse de jouer à ce jeu. Le Wisconsin fait face à une crise financière imminente – après que le Trésor américain a gelé ses remboursements, l’État prévoit manquer d’argent dès lundi – mais Evers maintient sa position. Nourrir 270 000 enfants affamés est plus important que l’obéissance bureaucratique à un ordre inhumain.
Wes Moore du Maryland dénonce le « chaos intentionnel »
Le gouverneur démocrate du Maryland, Wes Moore, est allé encore plus loin dans sa critique de l’administration Trump lors d’une apparition dimanche sur l’émission « Face the Nation » de CBS. « Il y a un chaos et c’est un chaos intentionnel que nous voyons de cette administration », a déclaré Moore avec une colère à peine contenue. « Ils ont de l’argent pour tout. Ils ont de l’argent pour faire la guerre. Ils ont de l’argent pour des salles de bal. Ils ont de l’argent pour tout sauf quand il s’agit de soutenir le peuple, c’est maintenant qu’ils pleurent, eh bien, nous sommes fauchés, et ce n’est pas ce que la loi nous oblige à faire ». Cette accusation de « chaos intentionnel » est dévastatrice parce qu’elle révèle la stratégie sous-jacente de l’administration Trump : créer délibérément de la confusion, de l’incertitude et de la souffrance pour forcer les démocrates à capituler dans la bataille budgétaire.
La référence de Moore aux « salles de bal » est particulièrement mordante – c’est une allusion directe au projet de salle de bal de 300 millions de dollars que Trump construit à la Maison-Blanche en démolissant l’aile Est. L’administration peut trouver un tiers de milliard de dollars pour le projet de vanité personnel de Trump, financé par des dons corporatifs douteux, mais elle prétend ne pas avoir les 4 milliards de dollars nécessaires pour nourrir 42 millions d’Américains pendant un mois. C’est une question de priorités qui révèle tout ce qu’on a besoin de savoir sur les valeurs de cette administration. Moore pointe également du doigt l’hypocrisie budgétaire : le gouvernement trouve toujours de l’argent pour les dépenses militaires, pour les interventions étrangères, pour les cadeaux fiscaux aux riches. Mais quand il s’agit de la survie de base des citoyens les plus vulnérables, soudainement le trésor est vide. C’est une fiction délibérée, un mensonge politique utilisé pour justifier l’infliction de souffrances à des fins de gain partisan.
La coalition bipartisane improbable qui émerge
Ce qui est remarquable dans cette crise, c’est qu’elle commence à transcender les lignes partisanes habituelles. Bien que les gouverneurs démocrates mènent la charge contre les directives de l’administration Trump, même certains responsables républicains expriment un malaise face à l’utilisation de la faim comme outil de négociation budgétaire. Des procureurs généraux républicains de plusieurs États ont rejoint les démocrates dans les dépôts judiciaires contestant les actions de l’administration. Des législateurs républicains au niveau étatique, particulièrement dans les États ruraux où le SNAP est une bouée de sauvetage essentielle pour leurs électeurs, commencent à questionner la sagesse politique de cette stratégie. Parce que le SNAP n’est pas un programme urbain ou un programme « bleu ». C’est un filet de sécurité américain qui touche tous les types de communautés.
Les statistiques le confirment : selon le Département de l’Agriculture, environ 40% des comtés ayant les taux les plus élevés de participation au SNAP ont voté pour Trump en 2024. De nombreux bénéficiaires du SNAP vivent dans des zones rurales conservatrices, sont des vétérans militaires, travaillent dans des emplois à bas salaire ou sont des personnes âgées vivant avec des revenus fixes. Ce ne sont pas les « profiteurs du bien-être » stéréotypés que la rhétorique politique conservatrice aime diaboliser. Ce sont des Américains qui travaillent dur, paient des impôts quand ils le peuvent et ont simplement besoin d’un coup de main temporaire pour mettre de la nourriture sur la table. L’émergence d’une coalition bipartisane, même hésitante et limitée, suggère que certains responsables républicains réalisent que cette bataille pourrait avoir des coûts politiques dévastateurs quand leurs propres électeurs commencent à aller au lit affamés.
Le shutdown de 40 jours et l'effondrement du programme SNAP
Comment nous en sommes arrivés à cette crise sans précédent
Pour comprendre pleinement cette catastrophe, il faut remonter au 1er octobre 2025, lorsque le gouvernement fédéral américain est entré dans son deuxième shutdown le plus long de l’histoire. Le conflit budgétaire entre Trump et le Congrès contrôlé par les démocrates tournait autour de plusieurs questions contentieuses, mais principalement sur les dépenses d’immigration et de sécurité frontalière. Trump exigeait des milliards pour son mur et pour l’expansion des opérations d’application de l’immigration. Les démocrates refusaient, insistant sur des protections pour les Dreamers et un financement pour d’autres priorités. Aucune des parties ne voulait céder, et le gouvernement s’est arrêté. Initialement, l’administration Trump avait pris des mesures pour s’assurer que les prestations SNAP seraient payées en octobre malgré le shutdown, utilisant des fonds d’urgence et des manœuvres budgétaires pour maintenir le programme à flot.
Mais le 26 octobre, le Département de l’Agriculture a publié un avis sur son site web déclarant sans ambiguïté que l’aide alimentaire fédérale ne serait pas distribuée le 1er novembre. « En fin de compte, le puits s’est tari », disait l’avis avec une finalité brutale. « À ce moment, il n’y aura pas de prestations émises le 1er novembre. Nous approchons d’un point d’inflexion pour les démocrates du Sénat ». Cette dernière phrase révèle le jeu politique en cours – l’administration Trump utilisait délibérément la menace de famine de masse comme levier pour forcer les démocrates à capituler dans les négociations budgétaires. C’est du chantage à l’échelle nationale, utilisant les estomacs vides de 42 millions d’Américains comme munitions dans une guerre politique. Et contrairement aux shutdowns précédents où les deux parties travaillaient rapidement pour protéger les programmes essentiels, cette fois Trump semblait déterminé à laisser les Américains souffrir jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il voulait.
La première interruption en 60 ans d’histoire du programme
Le 1er novembre 2025 restera dans l’histoire comme le jour où, pour la première fois en 60 ans d’existence, le programme SNAP a complètement échoué à fournir des prestations à ses bénéficiaires. Depuis sa création dans les années 1960 sous le président Lyndon Johnson comme pilier de sa « Guerre contre la pauvreté », le programme – connu à l’origine sous le nom de Food Stamp Program avant d’être renommé SNAP en 2008 – avait survécu à des récessions, des crises, des shutdowns gouvernementaux et des changements d’administration. Il était considéré comme sacro-saint, un engagement national envers l’idée qu’aucun Américain ne devrait aller au lit affamé. Même pendant les shutdowns précédents, y compris le shutdown record de 35 jours en 2018-2019 sous la première administration Trump, le programme avait continué à fonctionner grâce à des fonds d’urgence et des manœuvres budgétaires.
Cette interruption n’est pas un accident bureaucratique ou une conséquence inévitable du shutdown. C’est un choix politique délibéré de l’administration Trump. Comme de nombreux experts et critiques l’ont souligné, le Département de l’Agriculture dispose de fonds d’urgence et d’autorité légale pour continuer à financer le SNAP même pendant un shutdown. La Section 32 du Agricultural Adjustment Act de 1935, par exemple, fournit un financement permanent pour soutenir les prix agricoles et encourager la consommation domestique de produits agricoles – ce qui inclut explicitement l’aide alimentaire. De plus, le Congrès avait précédemment autorisé l’utilisation de fonds de contingence pour exactement ce genre de situation d’urgence. L’administration Trump a choisi de ne pas utiliser ces ressources, prétendant qu’elle manquait d’autorité, une affirmation que plusieurs juges fédéraux ont maintenant rejetée comme juridiquement infondée. C’est une rupture délibérée d’une tradition de 60 ans qui considérait l’alimentation des Américains comme une responsabilité gouvernementale non négociable.
Les 42 millions d’otages dans une guerre politique
Qui sont exactement ces 42 millions d’Américains dont Trump a décidé d’utiliser la faim comme arme de négociation ? Les données démographiques du SNAP brisent de nombreux stéréotypes. Environ 44% des bénéficiaires sont des enfants de moins de 18 ans – près de 18,5 millions d’enfants qui dépendent de ce programme pour avoir assez à manger. Environ 11% sont des personnes âgées de 60 ans et plus, souvent des retraités vivant avec des revenus de sécurité sociale insuffisants. Environ 16% sont des personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler. Et parmi les adultes en âge de travailler qui reçoivent le SNAP, la majorité travaillent effectivement – environ 58% des ménages SNAP avec au moins un adulte en âge de travailler ont quelqu’un qui travaille. Ce sont les travailleurs à bas salaire dans les restaurants, les magasins de détail, les entrepôts Amazon, les établissements de soins, tous ces emplois « essentiels » que la pandémie nous a appris à valoriser mais que nous refusons toujours de payer décemment.
La géographie du SNAP est également révélatrice. Bien que les zones urbaines aient des nombres absolus plus élevés de bénéficiaires, les taux de participation les plus élevés se trouvent souvent dans les zones rurales, particulièrement dans le Sud et les Appalaches. Des États comme le Mississippi, la Louisiane, le Nouveau-Mexique et la Virginie-Occidentale ont des taux de participation au SNAP supérieurs à 17% de leur population. Beaucoup de ces États ont voté massivement pour Trump. Leurs résidents – fermiers en difficulté, mineurs de charbon au chômage, vétérans militaires handicapés – ont soutenu Trump en croyant qu’il les protégerait des élites côtières indifférentes. Et maintenant, il utilise leur besoin désespéré de nourriture comme levier dans une bataille budgétaire qui n’a rien à voir avec leur bien-être. C’est une trahison qui pourrait avoir des conséquences politiques massives, mais pour l’instant, ces 42 millions d’Américains sont simplement des pions sacrifiables dans le jeu politique de Trump.
La bataille judiciaire chaotique qui aggrave la souffrance
Le juge du Rhode Island et l’ordonnance de financement complet
Le jeudi 6 novembre, le juge fédéral Jack McConnell du Rhode Island a émis une ordonnance qui, pendant quelques heures glorieuses, semblait mettre fin au cauchemar. Il a ordonné à l’administration Trump de trouver l’argent pour financer intégralement les prestations SNAP pour novembre, rejetant catégoriquement l’argument du gouvernement selon lequel il manquait d’autorité ou de fonds pour le faire. L’ordonnance donnait à l’administration jusqu’à vendredi pour effectuer les paiements, une échéance serrée conçue pour garantir que les 42 millions d’Américains recevraient leur aide avant que la faim ne s’aggrave davantage. Dans sa décision, le juge McConnell a noté que l’administration avait clairement l’autorité légale pour utiliser des fonds d’urgence et que le refus de le faire constituait une violation de la loi fédérale qui exige la prestation continue de l’aide SNAP.
Cette ordonnance n’était pas la première. Le 31 octobre, la juge fédérale Indira Talwani du Massachusetts avait également conclu que la suspension des prestations SNAP par l’USDA était illégale et avait demandé une réponse du gouvernement sur la manière dont il financerait ces paiements. Deux juges fédéraux dans deux juridictions différentes étaient arrivés à la même conclusion : l’administration Trump violait la loi en refusant de financer le SNAP. C’était un rejet juridique cinglant des prétentions de l’administration. Et pendant quelques heures vendredi, après l’ordonnance de McConnell, plusieurs États ont agi rapidement pour distribuer les prestations complètes. Le Wisconsin, New York, l’Oregon, la Pennsylvanie, le Connecticut, le Massachusetts – tous ont commencé à charger les cartes EBT de leurs résidents, croyant qu’ils agissaient en conformité avec une ordonnance judiciaire claire et que le gouvernement fédéral serait obligé de les rembourser.
La Cour suprême intervient pour Trump vendredi soir
Puis, vendredi soir, tout s’est effondré. L’administration Trump avait immédiatement fait appel de l’ordonnance de McConnell, demandant à la Cour suprême de la suspendre temporairement pendant que les appels se déroulaient dans les tribunaux inférieurs. Et la juge Ketanji Brown Jackson, qui gère les questions d’urgence du Massachusetts et du Rhode Island à la Cour suprême, a accordé cette suspension. C’était une décision procédurale plutôt que substantielle – Jackson n’a pas statué sur le fond de l’affaire, elle a simplement donné à la cour d’appel du premier circuit à Boston le temps d’examiner la question plus en profondeur. Mais l’effet pratique était dévastateur. L’ordonnance du juge McConnell était maintenant en suspens, ce qui signifiait que l’administration Trump n’était plus obligée de financer les prestations complètes, du moins temporairement.
La décision de Jackson a déclenché une controverse immédiate. Les critiques ont souligné qu’elle aurait pu refuser la demande de suspension de l’administration, forçant le financement complet à continuer pendant que les appels se poursuivaient. Au lieu de cela, sa décision de suspendre l’ordonnance inférieure a effectivement laissé 42 millions d’Américains dans les limbes, incertains s’ils recevraient leur aide complète ou non. Pour les familles affamées attendant de savoir si elles auraient assez à manger ce mois-ci, ces subtilités procédurales n’importaient pas. Tout ce qui comptait, c’est que l’espoir qui avait brièvement brillé jeudi et vendredi avait été éteint. Et pire encore, l’administration Trump a utilisé cette ouverture pour frapper avec son mémo de samedi soir, non seulement arrêtant les futurs paiements complets mais exigeant que les États « défassent » les paiements déjà effectués. Ce qui aurait dû être une victoire légale pour les Américains affamés s’est transformé en un piège qui a maintenant mis les États en position de vulnérabilité financière pour avoir osé nourrir leurs résidents.
Le ping-pong juridique qui torture les bénéficiaires
Cette bataille judiciaire chaotique illustre l’un des aspects les plus cruels de cette crise : l’incertitude totale qui torture les bénéficiaires du SNAP. Un jour, un juge ordonne le financement complet et l’espoir renaît. Le lendemain, la Cour suprême suspend l’ordonnance et le désespoir revient. Les États commencent à distribuer les prestations, puis reçoivent l’ordre de les annuler. Les familles voient de l’argent apparaître sur leurs cartes, puis sont menacées qu’il pourrait leur être repris. C’est une forme de torture psychologique qui s’ajoute à la souffrance physique de la faim. Les bénéficiaires du SNAP, qui vivent déjà avec l’anxiété constante de ne pas savoir d’où viendra leur prochain repas, sont maintenant plongés dans un chaos juridique et bureaucratique qu’ils ne peuvent pas comprendre et certainement pas contrôler.
Les avocats spécialisés dans les droits sociaux qui combattent cette bataille dans les tribunaux reconnaissent la frustration. David Super, professeur de droit à l’Université de Georgetown et expert en programmes de filet de sécurité, a déclaré : « Nous assistons à un niveau de chaos et de cruauté délibérée qui est sans précédent dans l’histoire moderne du programme SNAP. L’administration utilise délibérément la confusion juridique pour maximiser la souffrance et la pression politique ». Cette observation pointe vers une stratégie troublante : l’administration Trump ne cherche pas simplement à réduire les coûts ou à respecter les procédures budgétaires. Elle utilise activement le chaos, l’incertitude et la souffrance comme des armes politiques. Plus les gens sont confus et désespérés, plus la pression monte sur les démocrates pour qu’ils capitulent dans les négociations budgétaires. C’est du terrorisme bureaucratique, utilisant la faim et la peur comme moyens de coercition politique, et c’est en train de se produire en 2025 dans la nation la plus riche du monde.
Les conséquences humanitaires déjà visibles
Les banques alimentaires submergées et au bord de la rupture
Pendant que les politiciens et les juges se battent, les organisations caritatives de première ligne sont complètement submergées. Les banques alimentaires à travers le pays rapportent des augmentations de 200% à 400% de la demande depuis que les prestations SNAP ont été interrompues début novembre. Feeding America, le plus grand réseau de banques alimentaires du pays, a déclaré que ses 200 banques alimentaires membres sont dans un état de crise, manquant de nourriture et de personnel pour répondre à l’afflux de personnes désespérées. Dans certaines villes, les files d’attente devant les distributions de nourriture s’étendent sur des pâtés de maisons, avec des familles attendant pendant des heures sous le froid de novembre pour obtenir quelques jours de provisions. Et ces files incluent maintenant de nombreuses personnes qui n’avaient jamais eu recours à l’aide caritative auparavant – des familles de classe moyenne qui dépendaient du SNAP pour compléter leurs budgets serrés.
Le problème est que les banques alimentaires ne sont pas conçues pour remplacer le SNAP. Elles sont un complément, une aide d’urgence pour les personnes qui tombent temporairement dans les failles du filet de sécurité. Le SNAP fournit environ 6,8 milliards de dollars d’aide alimentaire par mois à l’échelle nationale. Les banques alimentaires, en revanche, distribuent environ 4 milliards de dollars de nourriture par an – pour toute l’année. Demander aux banques alimentaires de compenser l’interruption du SNAP, c’est comme demander à une ambulance de remplacer un hôpital entier. Ce n’est tout simplement pas possible. Les directeurs de banques alimentaires rapportent qu’ils rationneront la nourriture dans les prochaines semaines, limitant les quantités que chaque famille peut recevoir parce que leurs stocks s’épuisent et que les dons ne peuvent pas suivre le rythme de la demande explosive. Certaines banques alimentaires ont déjà dû fermer des jours entiers ou réduire leurs heures d’ouverture simplement parce qu’elles n’ont plus rien à distribuer.
L’insécurité alimentaire qui explose chez les enfants
Les enfants paient le prix le plus lourd de cette crise. Parmi les 42 millions de bénéficiaires du SNAP, environ 18,5 millions sont des enfants de moins de 18 ans. Pour ces enfants, le SNAP n’est pas juste une aide gouvernementale abstraite, c’est la différence entre manger ou aller à l’école le ventre vide. Les enseignants à travers le pays rapportent une augmentation alarmante d’enfants s’endormant en classe, incapables de se concentrer, devenant irritables et anxieux – tous des signes classiques de faim. Les infirmières scolaires voient plus d’enfants se plaindre de maux de tête, d’étourdissements et de fatigue extrême. Les conseillers scolaires rapportent une augmentation des problèmes de comportement et de l’anxiété, directement liés à l’insécurité alimentaire que ces enfants vivent à la maison.
La recherche scientifique sur les effets de la faim infantile est dévastatrice. Même de courtes périodes d’insécurité alimentaire pendant l’enfance peuvent avoir des impacts à long terme sur le développement cognitif, la santé physique et le bien-être émotionnel. Les enfants qui connaissent la faim ont des taux plus élevés d’hospitalisations, des résultats scolaires plus faibles et des taux plus élevés de problèmes de santé mentale. Et ces effets ne sont pas temporaires – ils peuvent persister jusqu’à l’âge adulte, créant un cycle de pauvreté et de mauvaise santé qui traverse les générations. L’administration Trump, en utilisant la faim comme arme politique, condamne potentiellement une génération entière d’enfants américains à des handicaps de développement évitables. Ce n’est pas de l’hyperbole ou de la rhétorique partisane. C’est la conclusion unanime de décennies de recherche en nutrition, en développement de l’enfant et en santé publique. Nous infligeons délibérément des dommages à nos enfants pour marquer des points politiques.
Les personnes âgées forcées de choisir entre nourriture et médicaments
Les personnes âgées constituent un autre groupe particulièrement vulnérable dans cette crise. Environ 4,6 millions de personnes âgées de 60 ans et plus dépendent du SNAP pour compléter leurs revenus de sécurité sociale souvent maigres. Pour beaucoup de ces personnes âgées, le SNAP représente la différence entre pouvoir se permettre à la fois la nourriture et les médicaments essentiels, ou devoir choisir entre les deux. Avec la réduction des prestations SNAP, les pharmaciens et les médecins rapportent une augmentation alarmante de personnes âgées qui sautent des doses de médicaments, divisent des pilules pour les faire durer plus longtemps ou abandonnent complètement des prescriptions parce qu’ils ne peuvent pas se permettre à la fois de manger et de payer leurs médicaments. C’est une recette pour une catastrophe de santé publique.
Les conditions chroniques comme le diabète, l’hypertension et les maladies cardiaques nécessitent non seulement des médicaments mais aussi une alimentation adéquate pour être gérées efficacement. Quand les personnes âgées doivent choisir entre leurs pilules et leur nourriture, les deux souffrent. Leur santé se détériore rapidement, conduisant à des visites aux urgences plus fréquentes, des hospitalisations et finalement des décès prématurés. Les coûts pour le système de santé de ces conséquences dépassent de loin les quelques milliards de dollars que l’administration Trump « économise » en réduisant le SNAP. Mais ces coûts seront payés plus tard, après le shutdown, sous forme de factures médicales accrues et de vies raccourcies. Les personnes âgées qui meurent prématurément à cause de cette crise ne feront pas les gros titres de la même manière que le combat budgétaire, mais ils seront tout aussi réels, tout aussi évitables et tout aussi moralement condamnables.
La dimension économique désastreuse du sabotage du SNAP
L’effet multiplicateur ignoré par l’administration
L’une des ironies les plus cruelles de cette crise est que réduire le SNAP ne fait pas seulement du mal aux bénéficiaires, cela blesse toute l’économie. Les économistes ont longtemps reconnu que le SNAP a l’un des effets multiplicateurs les plus élevés de tous les programmes gouvernementaux. Pour chaque dollar dépensé en prestations SNAP, environ 1,50 à 1,80 dollars d’activité économique sont générés. Pourquoi ? Parce que les bénéficiaires du SNAP dépensent immédiatement leur allocation dans les supermarchés et les épiceries locales. Ces commerces utilisent ensuite cet argent pour payer leurs employés, leurs fournisseurs et leurs propriétaires. L’argent circule rapidement dans l’économie locale, créant de l’emploi et stimulant la croissance. Couper le SNAP retire environ 4 milliards de dollars par mois de l’économie, avec un impact réel d’environ 6 à 7 milliards de dollars une fois l’effet multiplicateur pris en compte.
Cette contraction économique frappe particulièrement durement les petites entreprises et les zones rurales. Les supermarchés dans les quartiers à faible revenu dépendent fortement des transactions SNAP – dans certains cas, jusqu’à 40% de leurs revenus proviennent des prestations SNAP. Quand ces prestations sont coupées ou réduites, ces commerces voient leurs ventes s’effondrer du jour au lendemain. Certains seront forcés de licencier du personnel. D’autres devront fermer complètement, créant des déserts alimentaires où les résidents n’ont plus d’accès facile à de la nourriture fraîche et saine. Les fermiers et les producteurs agricoles sont également touchés, car la demande réduite dans les supermarchés se répercute tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. C’est une spirale économique descendante qui détruit des emplois et des entreprises pour « économiser » de l’argent qui sera probablement dépensé de toute façon en coûts accrus pour d’autres programmes comme les urgences hospitalières et l’aide d’urgence.
Les coûts cachés qui exploseront dans les mois à venir
L’administration Trump prétend que couper le SNAP est une mesure d’économie fiscale nécessaire pendant le shutdown. Mais cette affirmation ignore complètement les coûts cachés massifs qui découleront inévitablement de cette décision. Quand les gens ne peuvent pas se nourrir adéquatement, leur santé se détériore. Ils finissent aux urgences avec des conditions aggravées qui auraient pu être évitées avec une nutrition adéquate. Ces visites aux urgences coûtent beaucoup plus cher que les prestations SNAP qu’elles auraient prévenues. Une étude du Center on Budget and Policy Priorities a estimé que chaque dollar économisé en réduisant le SNAP coûte environ 1,40 dollars en dépenses de santé accrues, assistance d’urgence et perte de productivité économique.
Il y a aussi les coûts sociaux et humains qui sont plus difficiles à quantifier mais tout aussi réels. La criminalité augmente dans les communautés où l’insécurité alimentaire est élevée – les gens désespérés font des choses désespérées. Les performances scolaires des enfants chutent, compromettant leur potentiel futur et celui de l’économie dans son ensemble. Les familles se désintègrent sous le stress de ne pas pouvoir nourrir leurs enfants. Les taux de dépression, d’anxiété et de suicide augmentent parmi les personnes confrontées à l’insécurité alimentaire chronique. Tous ces coûts – en dollars, en vies et en tissu social – seront payés dans les mois et les années à venir. L’administration Trump peut prétendre qu’elle économise de l’argent maintenant, mais elle accumule en réalité une dette sociale massive qui devra être remboursée avec intérêts par les futures administrations et les contribuables américains.
L’agriculture américaine prise en otage
Il y a une ironie particulière dans le fait que c’est le Département de l’Agriculture qui administre et maintenant sabote le programme SNAP. Le SNAP n’est pas seulement un programme anti-pauvreté, c’est aussi un pilier crucial du soutien à l’agriculture américaine. En garantissant une demande stable pour les produits alimentaires, le SNAP aide à stabiliser les prix agricoles et à soutenir les revenus des fermiers. C’est pourquoi, historiquement, le Farm Bill – la législation qui réautorise et finance les programmes agricoles – inclut toujours le SNAP. C’est une coalition politique entre les intérêts urbains et ruraux, les progressistes qui veulent combattre la faim et les conservateurs qui veulent soutenir l’agriculture. En sabotant le SNAP, l’administration Trump nuit directement aux fermiers américains qui dépendent de la demande stable que le programme génère.
Les organisations agricoles commencent à s’en rendre compte. L’American Farm Bureau Federation, traditionnellement une organisation conservatrice qui soutient généralement les républicains, a exprimé son inquiétude face à l’interruption prolongée du SNAP. Les représentants de l’industrie laitière, de l’élevage et des cultures ont tous averti que la réduction de la demande alimentaire nuira à leurs secteurs. Mais l’administration Trump semble indifférente à ces préoccupations, plus intéressée par le théâtre politique de tenir tête aux démocrates que par les conséquences économiques réelles pour l’agriculture américaine. C’est une autre façon dont cette crise révèle les priorités déformées de l’administration : marquer des points politiques est plus important que soutenir l’économie, protéger les fermiers ou nourrir les affamés.
La résolution possible et ce qu'elle révèle sur l'Amérique
L’accord bipartisan de dimanche soir au Sénat
Tard dimanche soir, alors que j’écrivais cet article, une lueur d’espoir est apparue. Des négociateurs du Sénat ont annoncé qu’ils avaient obtenu le soutien d’un groupe significatif de démocrates pour mettre fin au shutdown, avec un accord qui inclurait le financement complet du SNAP et des dispositions pour le remboursement des dépenses engagées par les États pendant le shutdown. Si cet accord tient – et c’est un grand « si » étant donné l’instabilité des négociations jusqu’à présent – les 42 millions de bénéficiaires du SNAP pourraient enfin recevoir leur aide complète, et les États comme le Wisconsin qui ont avancé des fonds ne seraient pas laissés dans la ruine financière. C’est une victoire potentielle pour le bon sens et l’humanité de base, bien qu’elle arrive après des semaines de souffrance inutile.
Mais même si cet accord aboutit, les dommages sont déjà faits. Des millions de familles ont passé les deux premières semaines de novembre sans savoir d’où viendrait leur prochain repas. Des enfants sont allés à l’école affamés. Des personnes âgées ont sauté des médicaments. Des banques alimentaires ont épuisé leurs stocks. Des États ont dû choisir entre nourrir leurs résidents et risquer la ruine financière. Et tout cela était complètement évitable – c’était le résultat d’un choix politique délibéré de l’administration Trump d’utiliser la faim comme levier de négociation. Même si le financement est restauré maintenant, la confiance brisée ne sera pas facilement réparée. Les bénéficiaires du SNAP savent maintenant que leur aide peut être retirée à tout moment pour des raisons politiques. Les États savent maintenant qu’ils peuvent être punis financièrement pour avoir osé défier Washington. C’est un précédent toxique qui empoisonnera la politique de l’aide sociale pendant des années.
Le précédent cauchemardesque établi pour l’avenir
Même si cette crise spécifique se résout, elle a établi un précédent terrifiant pour les futurs conflits budgétaires. Trump a démontré qu’il est possible d’utiliser les programmes de filet de sécurité les plus essentiels – ceux dont dépendent les Américains les plus vulnérables pour leur survie de base – comme otages dans des négociations budgétaires. Il a montré qu’un président peut délibérément infliger des souffrances massives à des dizaines de millions de citoyens pour obtenir un avantage politique. Et il a prouvé que les protections juridiques et les normes institutionnelles qui étaient censées empêcher ce genre d’abus peuvent être contournées par des manœuvres procédurales et des appels sans fin. Les futures administrations, démocrates ou républicaines, prendront note de ces leçons.
Imaginez les prochains shutdowns, les prochains conflits budgétaires. Maintenant que Trump a établi qu’il est acceptable d’affamer des millions de personnes pour obtenir ce que vous voulez, pourquoi les futurs présidents hésiteraient-ils à utiliser la même tactique ? Pourquoi ne pas menacer de couper Medicare pour forcer un accord sur la réforme fiscale ? Pourquoi ne pas suspendre la sécurité sociale pour obtenir des concessions sur l’immigration ? Une fois que vous avez franchi la ligne de l’utilisation de la souffrance humaine comme monnaie de négociation politique, il n’y a plus de limite morale à ce qui peut être sacrifié. Nous sommes entrés dans un territoire constitutionnel et éthique dangereux où les programmes conçus pour protéger les plus vulnérables sont maintenant les plus à risque pendant les conflits politiques. C’est une inversion complète de ce que la démocratie américaine était censée être.
Ce que cette crise révèle sur les valeurs américaines en 2025
En fin de compte, cette crise SNAP n’est pas vraiment une question de budgets, de procédures légales ou de tactiques de négociation. C’est une question de valeurs. Quel genre de société sommes-nous devenus lorsque nous sommes prêts à affamer délibérément 42 millions de nos citoyens, dont 18,5 millions d’enfants, pour marquer des points politiques ? Quel genre de nation la plus riche de l’histoire humaine prétend ne pas avoir assez d’argent pour nourrir ses affamés tout en trouvant des centaines de millions pour des projets de vanité et des milliards pour des budgets militaires gonflés ? Quelles sont nos priorités en tant que peuple lorsque nous tolérons ce niveau de cruauté de la part de nos dirigeants sans descendre dans les rues par millions pour exiger que cela cesse ?
Michelle Obama avait dit, lors de sa critique de Trump sur la démolition de l’aile Est, qu’elle se sentait « perdue » et qu’elle ne savait plus quelles normes et traditions comptaient encore en Amérique. Cette crise SNAP amplifie ce sentiment de dérive morale mille fois. Nous avons perdu notre boussole éthique en tant que nation. Nous avons normalisé la cruauté, rationalisé l’indifférence et transformé la compassion en faiblesse plutôt qu’en vertu. L’Amérique de 2025 est un pays où un président peut menacer d’affamer des millions de personnes et où une partie significative de la population applaudit cette « fermeté » plutôt que de reculer d’horreur. C’est une dégradation morale qui va bien au-delà de la politique partisane ou des désaccords sur les politiques. C’est une crise de l’âme nationale qui révèle à quel point nous nous sommes éloignés des valeurs qui étaient censées définir l’expérience américaine.
Conclusion
Le mémo de minuit du 9 novembre 2025 ordonnant aux États de « défaire » l’aide alimentaire aux affamés restera dans l’histoire comme l’un des actes les plus cruels et les plus cyniques d’une administration qui a déjà franchi tant de lignes morales. L’administration Trump a transformé le programme SNAP – un filet de sécurité qui existe depuis 60 ans pour garantir qu’aucun Américain ne va au lit affamé – en une arme politique utilisée contre les plus vulnérables de la société. Quarante-deux millions de personnes, dont 18,5 millions d’enfants, sont devenues des otages dans une guerre budgétaire qui n’a rien à voir avec leur bien-être et tout à voir avec l’ego présidentiel et les calculs partisans. Des gouverneurs comme Tony Evers et Wes Moore se sont levés pour défier les ordres fédéraux, choisissant de nourrir leurs résidents plutôt que d’obéir à une directive qu’ils considèrent comme moralement indéfendable. Mais leur courage ne peut pas masquer la réalité brutale : le gouvernement fédéral américain affame délibérément ses citoyens.
Les conséquences de cette crise se feront sentir pendant des années. Les enfants dont le développement a été compromis par la faim porteront ces cicatrices jusqu’à l’âge adulte. Les personnes âgées qui ont dû choisir entre nourriture et médicaments verront leur santé se détériorer prématurément. Les banques alimentaires qui ont épuisé leurs ressources mettront des mois à se reconstruire. L’économie locale dans les communautés à faible revenu souffrira de la contraction soudaine du pouvoir d’achat. Et la confiance – dans le gouvernement, dans les institutions, dans l’idée même que l’Amérique prend soin de ses citoyens – a été brisée de manière peut-être irréparable. Trump a démontré qu’il est possible d’utiliser la souffrance humaine massive comme monnaie de négociation politique, établissant un précédent terrifiant pour les futurs conflits. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où même les besoins humains les plus fondamentaux ne sont plus sacrés, où tout peut être sacrifié sur l’autel de l’avantage partisan.
Si un accord au Sénat met fin au shutdown et restaure le financement du SNAP, nous devons résister à la tentation de simplement tourner la page et passer à autre chose. Ce qui s’est passé ici doit être documenté, mémorisé et utilisé comme mise en garde contre ce qui peut arriver quand nous permettons à des dirigeants sans empathie d’exercer un pouvoir sans contrainte. Les 42 millions d’Américains qui ont vécu cette terreur méritent plus que notre oubli rapide. Ils méritent la justice, des excuses et la garantie que cela ne se reproduira plus jamais. Mais plus important encore, cette crise devrait forcer chaque Américain à se regarder dans le miroir et à poser la question difficile : quel genre de pays voulons-nous être ? Un pays où la richesse et le pouvoir sont plus importants que nourrir les affamés ? Ou un pays qui honore ses obligations morales les plus fondamentales envers tous ses citoyens, particulièrement les plus vulnérables ? La réponse à cette question déterminera si l’Amérique a encore une âme, ou si nous avons définitivement perdu notre chemin dans l’obscurité morale.