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Patrick Penn et l’ordre d’annulation immédiate

Le mémo émis tard samedi soir par Patrick Penn, haut fonctionnaire du Département de l’Agriculture des États-Unis, est un document remarquable par sa froideur bureaucratique face à une catastrophe humanitaire. « Dans la mesure où les États ont envoyé des fichiers de paiement SNAP complets pour novembre 2025, cela n’était pas autorisé« , déclare le document avec une autorité implacable. Pas de nuances. Pas d’explications sur comment les États étaient censés savoir que suivre l’ordre d’un juge fédéral était « non autorisé ». Juste une déclaration brutale transformant rétroactivement des actes de compassion en violations administratives. Le mémo continue : « En conséquence, les États doivent immédiatement défaire toutes les mesures prises pour émettre des prestations SNAP complètes pour novembre 2025 ». Ce mot – « défaire » – résonne avec une absurdité kafkaïenne. Comment « défait-on » de la nourriture déjà achetée et consommée par des familles affamées ?

Le langage du mémo révèle la logique tordue de l’administration Trump. Plutôt que de reconnaître la réalité – que des millions d’Américains ont besoin de manger et que l’argent existe pour les nourrir – le document reformule le problème en termes purement procéduraux. Les États ont violé les protocoles. Ils ont agi sans autorisation fédérale. Ils doivent maintenant faire marche arrière, peu importe les conséquences humaines. Cette approche transforme la bureaucratie en arme, utilisant des règles techniques pour justifier l’infliction de souffrances massives. Et la menace finale est claire comme du cristal : « Le non-respect de ce mémorandum peut entraîner diverses mesures de l’USDA, y compris l’annulation de la part fédérale des coûts administratifs de l’État et la tenue des États pour responsables ». En d’autres termes, si vous nourrissez les affamés, nous vous ruinerons financièrement.

La réduction à 65% et son impact dévastateur

Le mémo précise que les États sont autorisés à distribuer uniquement 65% des prestations prévues pour novembre, un chiffre qui semble arbitraire jusqu’à ce qu’on comprenne d’où il vient. Une ordonnance judiciaire antérieure, émise plus tôt dans la semaine avant d’être annulée, avait établi ce pourcentage comme un compromis temporaire. L’administration Trump s’accroche maintenant à ce chiffre comme si c’était une loi divine, ignorant l’ordonnance plus récente exigeant un financement complet. Pour les 42 millions d’Américains qui dépendent du SNAP, cette réduction de 35% n’est pas une simple inconvénience statistique. C’est la différence entre trois repas par jour et deux. C’est choisir entre nourrir vos enfants ou vous-même. C’est la viande, les fruits frais et les légumes qui disparaissent du panier d’épicerie, remplacés par des calories bon marché qui remplissent mais ne nourrissent pas.

Faisons les calculs pour comprendre l’ampleur. La prestation SNAP moyenne par personne aux États-Unis est d’environ 180 dollars par mois. Une réduction de 35% signifie que chaque bénéficiaire perd environ 63 dollars. Multiplié par 42 millions de personnes, c’est 2,65 milliards de dollars de pouvoir d’achat alimentaire qui disparaît en un mois. Pour une famille de quatre personnes recevant le SNAP, cela représente environ 252 dollars de nourriture en moins pour novembre. Essayez de nourrir une famille pendant un mois entier avec 252 dollars de moins et vous comprendrez le désespoir que ces familles ressentent. Et ce n’est pas juste une question de dollars et de cents. C’est la dignité humaine. C’est des parents qui doivent regarder leurs enfants dans les yeux et expliquer pourquoi il n’y a pas assez à manger. C’est des personnes âgées qui sautent des repas pour faire durer leur maigre allocation. C’est l’humiliation d’être réduit à la mendicité dans le pays le plus riche de l’histoire humaine.

Comment « défaire » ce qui a déjà nourri des familles

L’aspect le plus surréaliste du mémo est son exigence que les États « défassent » les paiements déjà effectués. Plusieurs gouverneurs et administrateurs d’État ont immédiatement souligné l’absurdité pratique de cette demande. Une fois que l’argent est chargé sur les cartes électroniques de transfert de prestations (EBT), il est dépensé presque instantanément par des familles désespérément affamées. Les supermarchés ont été payés. La nourriture a été achetée, cuisinée et consommée. Comment exactement l’administration Trump s’attend-elle à ce que les États « récupèrent » cette aide ? Vont-ils envoyer des agents frapper aux portes pour exiger que les familles remboursent la nourriture qu’elles ont déjà mangée ? Vont-ils saisir les comptes bancaires de personnes vivant déjà dans la pauvreté extrême ? Vont-ils poursuivre en justice des mères célibataires et des personnes âgées pour avoir osé manger ?

La gouverneure du Massachusetts, Maura Healey, a tenté de rassurer ses résidents dans une déclaration dimanche, affirmant que ceux qui avaient déjà reçu l’argent SNAP sur leurs cartes « devraient continuer à le dépenser pour de la nourriture ». Elle a ajouté que ces fonds avaient été légalement émis parce qu’ils étaient conformes à l’ordonnance du tribunal du Rhode Island et avant la décision de la Cour suprême. Mais cette assurance sonne creux face à la menace explicite de l’administration Trump de tenir les États « financièrement responsables » pour tout paiement excédentaire. Les États se retrouvent dans une position impossible : soit ils obéissent à l’administration fédérale et laissent leurs résidents affamés, soit ils continuent à nourrir leurs citoyens et risquent une ruine financière imposée par Washington. C’est du chantage gouvernemental à une échelle rarement vue dans l’histoire américaine moderne, utilisant la menace de sanctions économiques pour forcer la conformité à une politique qui condamne délibérément des millions de personnes à la faim.

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