Une chute vertigineuse en neuf mois
En seulement neuf mois, Donald Trump a perdu 8 points d’approbation et gagné 8 points de désapprobation. Cette trajectoire est catastrophique pour n’importe quel président, mais elle l’est encore plus pour un homme qui avait construit toute sa légitimité sur l’idée d’un soutien populaire inébranlable. Nate Silver, analyste politique reconnu, a souligné dans une publication sur Substack le 9 novembre que le taux de « désapprobation forte » de Trump avait atteint un sommet de 45% pour son second mandat. Ce chiffre est révélateur : non seulement les gens désapprouvent Trump, mais ils le font avec une intensité émotionnelle qui traduit un rejet profond, viscéral. Ce n’est pas une simple insatisfaction passagère face à telle ou telle politique, c’est un rejet de la personne elle-même, de sa manière de gouverner, de sa rhétorique divisive et de son autoritarisme assumé. Les électeurs modérés qui lui avaient accordé le bénéfice du doute en janvier se détournent désormais massivement, constatant que rien n’a changé depuis son premier mandat : mêmes promesses non tenues, mêmes provocations, même chaos organisé.
Les causes multiples d’un désamour national
Plusieurs facteurs expliquent cette chute spectaculaire. Le shutdown de 40 jours, qui a paralysé le gouvernement fédéral du 1er octobre au 10 novembre, a cristallisé toutes les frustrations. Des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux n’ont pas été payés pendant plus d’un mois, les allocations SNAP (aide alimentaire pour les plus démunis) n’ont pas été versées en novembre malgré des décisions de justice ordonnant leur versement, et les compagnies aériennes ont été contraintes d’annuler jusqu’à 10% de leurs vols en raison du manque de contrôleurs aériens. Le secrétaire aux Transports Sean Duffy a accusé les démocrates d’être responsables des « retards massifs, annulations de vols et fermetures de l’espace aérien américain », mais cette rhétorique n’a convaincu personne. Les Américains savent très bien qui a déclenché ce shutdown : Trump lui-même, en refusant obstinément tout compromis budgétaire avec les démocrates. Le président a même déclaré dans l’émission 60 Minutes le 2 novembre qu’il ne « serait pas extorqué » par les démocrates et qu’il ne s’entretiendrait plus avec eux avant la réouverture du gouvernement — une posture d’intransigeance qui a fini par se retourner contre lui.
La révolte des électeurs économiques
Mais au-delà du shutdown, c’est la politique économique de Trump qui provoque le plus de mécontentement. Ses tarifs douaniers punitifs, notamment les droits de 50% imposés contre les taxes européennes sur les services numériques, ont déclenché une guerre commerciale qui pèse lourdement sur les exportations américaines. Dans le corridor technologique de Dallas au Texas, les licenciements massifs chez SpaceX et les pannes répétées de Starlink ont créé une colère palpable parmi les 120 000 employés du secteur, traditionnellement républicains. Les candidats démocrates ont qualifié la politique douanière de Trump d’« auto-sabotage économique », et cette critique trouve un écho grandissant. L’inflation persiste malgré les promesses de campagne, le pouvoir d’achat stagne, et les classes moyennes qui avaient voté Trump en espérant une amélioration de leur situation économique constatent amèrement qu’elles ont été trompées. La Maison-Blanche devrait porter davantage d’attention au pouvoir d’achat dans les mois à venir, mais elle ne semble pas décidée à changer ses méthodes, selon Le Monde.
Le shutdown historique ou le prix du chaos
Quarante jours de paralysie sans précédent
Le shutdown qui a débuté le 1er octobre 2025 et s’est terminé le 10 novembre est devenu le plus long de l’histoire américaine, battant les 35 jours records de 2018-2019. Cette paralysie budgétaire a commencé avec un désaccord sur les coûts de santé : les républicains voulaient mettre fin aux subventions accordées à plus de 24 millions d’Américains dans le cadre de l’Obamacare, le système de santé institué par Barack Obama, qu’ils accusent d’être « une usine à gaz déficitaire profitant aux seules compagnies d’assurances ». Les démocrates ont refusé catégoriquement, exigeant une prolongation de ces subventions avant d’approuver tout budget temporaire. Trump, convaincu de pouvoir faire plier l’opposition par la seule force de sa volonté, a refusé toute négociation. Le 21 octobre, il a rencontré les sénateurs républicains à la Maison-Blanche et leur a déclaré qu’il ne les laisserait pas « se faire extorquer par leur plan insensé », refusant explicitement de voir Chuck Schumer et Hakeem Jeffries, les leaders démocrates, avant la fin du shutdown. Cette stratégie s’est révélée désastreuse.
Les conséquences humanitaires catastrophiques
Les conséquences humaines du shutdown ont été dévastatrices. Le 27 octobre, le département de l’Agriculture a annoncé qu’aucune allocation SNAP ne serait reversée en novembre en raison de la paralysie budgétaire, privant des millions de familles pauvres de leur aide alimentaire. Plus d’une vingtaine d’États américains ont porté plainte contre l’administration Trump pour cette suspension. Le 31 octobre, un juge fédéral de Rhode Island a statué que le département devait verser au plus vite les allocations SNAP, suivi par un autre juge fédéral qui a déclaré la suspension illégale. Mais l’administration Trump a fait appel, et la Cour suprême a accepté de suspendre le jugement, laissant des millions de personnes sans ressources. Finalement, au moins neuf États — dont la Californie, le Wisconsin, le Kansas, la Pennsylvanie, New York, le New Jersey et le Vermont — ont décidé de verser eux-mêmes les allocations SNAP, court-circuitant le gouvernement fédéral. La secrétaire à l’Agriculture Brooke Rollins s’est excusée publiquement lors d’une conférence de presse le 31 octobre, déclarant que « votre gouvernement vous a abandonnés… La pauvreté n’est pas bleue (couleur des démocrates) ou rouge (couleur des républicains) ». Peu après sa prise de parole, Mike Johnson, porte-parole de la Chambre, a immédiatement accusé les démocrates d’être responsables de la situation — une contradiction flagrante qui n’a trompé personne.
L’effondrement du transport aérien
Le 4 novembre, le secrétaire aux Transports Sean Duffy a annoncé lors d’une conférence de presse que le nombre de vols dans le pays serait réduit en raison d’un manque de personnel, notamment de contrôleurs aériens non payés qui avaient massivement cessé le travail. Le 7 novembre, la Federal Aviation Administration (FAA) a ordonné aux compagnies aériennes de réduire leur nombre de vols de 4%, avec un objectif d’atteindre 10% de réduction d’ici au 14 novembre. Des milliers de vols ont été annulés à travers le pays, paralysant les déplacements de millions d’Américains en pleine période de rentrée scolaire et de déplacements professionnels. Les aéroports de New York, Chicago, Los Angeles et Atlanta ont été particulièrement touchés, avec des scènes de chaos et de frustration massive. Les médias ont diffusé des images de familles bloquées dans les terminaux, de cadres manquant des réunions cruciales, de voyageurs dormant sur les bancs d’aéroport. Même après la fin du shutdown le 10 novembre, NBC News a rapporté qu’un retour à la normale pourrait prendre du temps et que les déplacements resteraient perturbés pendant plusieurs semaines. Cette crise du transport aérien a fait basculer l’opinion publique : ce qui était perçu comme un bras de fer politique est devenu une catastrophe tangible affectant la vie quotidienne de millions de personnes.
Les protestations « No Kings » ou le réveil citoyen
Deux millions de personnes dans la rue
Le 18 octobre 2025, des manifestations massives baptisées « No Kings » (Pas de rois) ont eu lieu dans plus de 2700 localités à travers les États-Unis, rassemblant des millions de personnes selon les organisateurs. Ces protestations, qui faisaient suite aux manifestations « No Kings » de juin 2025, ont eu lieu simultanément à Washington DC sur le National Mall, à New York, Chicago, Los Angeles, San Francisco, Seattle, Boston, Philadelphie et dans des centaines de villes moyennes et petites. Les manifestants dénonçaient les politiques de Trump sur l’immigration, l’éducation, la sécurité, mais aussi et surtout sa concentration du pouvoir exécutif et son mépris des contre-pouvoirs. Les pancartes affichaient des slogans comme « Pas de dictateur en Amérique », « Le pouvoir au peuple, pas à un roi », « Trump n’est pas au-dessus des lois ». À New York, des dizaines de milliers de personnes ont convergé vers Times Square, bloquant la circulation pendant plusieurs heures. À Chicago, les manifestants ont occupé le Millennium Park, créant une mer humaine visible depuis les gratte-ciels environnants.
Une coalition large contre l’autoritarisme
Ce qui frappe dans ces manifestations, c’est la diversité de la coalition anti-Trump. Des démocrates progressistes aux républicains anti-Trump, des syndicats aux associations de défense des droits civiques, des groupes environnementaux aux organisations féministes, des vétérans aux étudiants — tous se sont retrouvés dans la rue pour dire « non » à ce qu’ils perçoivent comme une dérive autoritaire. Selon la BBC, les motivations des manifestants variaient largement : certains protestaient contre les politiques d’immigration strictes de Trump, d’autres contre ses tarifs douaniers, d’autres encore contre les coupes budgétaires massives ou le déploiement de la Garde nationale dans les villes. Mais tous partageaient une inquiétude commune face à ce que les organisateurs ont décrit comme « un exécutif confrontationnel qui défie à la fois le Congrès et le pouvoir judiciaire, soulevant des préoccupations quant à une potentielle dérive vers l’autoritarisme aux États-Unis ». Un participant à Washington DC a confié à NBC News : « Nous devons affronter cela, et ils ne s’expriment pas. Vous savez, nous devons lancer certaines choses. Malheureusement, les hauts responsables ne le font pas. »
L’impact politique encore incertain
Bien que les républicains aient tenté de minimiser l’importance de ces protestations, la participation massive — couplée aux taux d’approbation négatifs de Trump dans tous les grands sondages — signale une opportunité potentielle pour les démocrates de se remettre de leurs défaites électorales de 2024. Pourtant, le parti fait face à des défis significatifs. Les sondages actuels montrent que seulement environ un tiers des Américains ont une opinion favorable du Parti démocrate, marquant le taux d’approbation le plus bas depuis des décennies. De plus, les démocrates sont divisés sur la manière d’opposer efficacement Trump, étant donné qu’ils ne contrôlent aucune des deux chambres du Congrès. Les manifestations du 18 octobre ont révélé ces tensions internes : certains participants ont exprimé leur frustration envers les leaders démocrates qu’ils jugent trop passifs, tandis que d’autres ont défendu une approche pragmatique axée sur les élections de mi-mandat de novembre 2026. L’ancien vice-président Kamala Harris, lors de sa tournée promotionnelle pour son livre, a été régulièrement interrompue par des manifestants pro-palestiniens exprimant leur mécontentement vis-à-vis des politiques du Moyen-Orient de l’administration Biden-Harris — une illustration des fractures persistantes au sein de la coalition démocrate.
La résistance démocrate au Sénat ou le pouvoir des minorités
L’utilisation stratégique des règles parlementaires
Bien qu’ils soient minoritaires au Sénat, les démocrates ont réussi à bloquer Trump pendant 40 jours grâce aux règles parlementaires qui exigent 60 voix sur 100 pour faire avancer la plupart des projets de loi. Cette règle du filibuster, souvent critiquée comme archaïque, s’est révélée être l’une des dernières barrières institutionnelles face aux ambitions de Trump. Du 1er octobre au 9 novembre, les démocrates ont rejeté quatorze fois les propositions budgétaires républicaines, refusant tout compromis qui ne garantirait pas le maintien des subventions de l’Affordable Care Act (Obamacare). Chuck Schumer, le leader démocrate au Sénat, a orchestré cette résistance avec une discipline remarquable, maintenant l’unité de son groupe malgré les pressions intenses. Le 6 octobre, Trump a déclaré publiquement que des négociations étaient en cours avec les démocrates, ce que Schumer a immédiatement démenti — une humiliation publique pour un président qui se targue d’être un « maître négociateur ».
Le basculement de l’opinion publique
L’opinion publique a progressivement assigné la responsabilité du blocage à Trump et à la majorité républicaine, plutôt qu’aux démocrates. Cette évolution a été cruciale : contrairement au shutdown de 2013 où les républicains avaient subi un revers majeur en termes d’image, les démocrates ont cette fois réussi à cadrer le débat autour des conséquences humaines des politiques de Trump. Lorsque les allocations SNAP ont été suspendues, lorsque les contrôleurs aériens ont cessé de travailler, lorsque les militaires n’ont pas été payés — les démocrates ont systématiquement pointé du doigt l’intransigeance de Trump. La secrétaire à l’Agriculture Brooke Rollins, pourtant membre de l’administration Trump, a elle-même admis que « votre gouvernement vous a abandonnés », avant que Mike Johnson ne tente maladroitement de rejeter la faute sur les démocrates. Cette contradiction interne a renforcé la perception que les républicains étaient responsables du chaos. Le 30 octobre, le sénateur républicain John Thune a déclaré aux journalistes être « optimiste quant à l’évolution des débats bipartisans », reconnaissant implicitement que son camp devait faire des concessions.
La capitulation finale de Trump
Le 31 octobre, Trump a publié un message sur Truth Social appelant les républicains à ne plus bloquer tous les projets de loi nécessitant 60 voix pour être approuvés, afin de mettre fin au shutdown. C’était un aveu de défaite à peine voilé. Le 9 novembre, le Sénat a finalement adopté par 60 voix contre 40 une résolution de continuité permettant de rouvrir le gouvernement, acceptant de maintenir les subventions de l’Affordable Care Act pour un an — exactement ce que les démocrates exigeaient depuis le début. Le 10 novembre, Trump a déclaré que l’accord trouvé entre républicains et démocrates modérés était « très bon », tentant de présenter comme une victoire ce qui était clairement une capitulation. Mais personne n’a été dupe. Les médias ont souligné que Trump avait provoqué 40 jours de souffrance nationale pour finalement accepter ce qui était proposé dès le départ. Cette défaite a marqué un tournant : pour la première fois depuis son retour au pouvoir, Trump a été contraint de reculer face à une opposition déterminée. La lune de miel était définitivement terminée.
Les défections dans le camp républicain
Les sénateurs modérés en rébellion
Le shutdown a révélé des fractures profondes au sein du Parti républicain. Plusieurs sénateurs modérés, inquiets des conséquences électorales du chaos provoqué par Trump, ont commencé à exprimer publiquement leurs doutes. Le 30 octobre, John Thune a déclaré aux journalistes que plusieurs sénateurs avaient émis des craintes quant au non-versement des allocations SNAP et à la paye tardive des militaires. Le 23 octobre, le sénateur républicain Ron Johnson a proposé le « Shutdown Fairness Act », permettant aux militaires et aux « employés exceptés » d’être payés pendant le shutdown — une mesure adoptée par le Sénat mais qui constitue un désaveu implicite de la stratégie de Trump. Le sénateur démocrate Chris Van Hollen a proposé une loi similaire qui aurait permis de payer tous les fonctionnaires, recevant 54 voix favorables, juste en dessous des 60 nécessaires — ce qui signifie que plusieurs républicains ont voté contre la ligne de leur parti. Ces défections, bien que limitées, indiquent que la discipline de fer qui caractérisait le Parti républicain sous Trump commence à se fissurer.
Les gouverneurs républicains prennent leurs distances
Au niveau des États, plusieurs gouverneurs républicains ont également pris leurs distances avec Trump. Face à la suspension des allocations SNAP, des États comme le Kansas et la Pennsylvanie — gouvernés par des républicains — ont décidé de verser eux-mêmes les allocations, défiant de facto la position de l’administration fédérale. Cette décision n’était pas seulement humanitaire, elle était aussi politique : ces gouverneurs ont compris que laisser des millions de leurs électeurs sans aide alimentaire serait politiquement suicidaire en vue des élections de mi-mandat de 2026. Le gouverneur du Kansas a déclaré que « notre responsabilité première est envers nos citoyens, pas envers une stratégie politique partisane ». Cette rhétorique marque une rupture avec la loyauté absolue que Trump exigeait de tous les élus républicains. Elle indique que l’emprise du président sur son parti, bien que toujours forte, n’est plus totale.
Le corridor technologique de Dallas se retourne
Au Texas, bastion républicain traditionnel, le corridor technologique de Dallas a commencé à se détourner du vote trumpiste. Les licenciements massifs chez SpaceX et les pannes répétées de Starlink ont créé un mécontentement palpable parmi les 120 000 employés du secteur, qui qualifient la politique douanière de Trump d’« auto-sabotage économique ». Ces travailleurs hautement qualifiés, souvent jeunes et cosmopolites, avaient voté républicain en 2024 par intérêt économique, espérant des baisses d’impôts et une déréglementation favorable aux entreprises technologiques. Mais les tarifs douaniers de Trump, notamment ceux imposés contre l’Union européenne, ont déclenché des représailles qui pèsent lourdement sur les exportations de technologies américaines. Le corridor de Dallas, qui représente un poids électoral considérable dans les circonscriptions redessinées du Texas, pourrait faire basculer plusieurs sièges lors des élections de mi-mandat. Cette dissidence économique, bien que marginale à l’échelle nationale, symbolise le décrochage progressif des électeurs républicains modérés qui découvrent que le trumpisme nuit à leurs intérêts matériels.
Le Projet 2025 heurte la réalité institutionnelle
Un plan autocratique en phase de mise en œuvre
Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Trump a tenté de mettre en œuvre le Projet 2025, un plan d’action conservateur de 922 pages élaboré par la Heritage Foundation et d’autres think tanks de droite. Ce projet vise à transformer le gouvernement fédéral et à consolider le pouvoir exécutif, selon Wikipedia. Les premiers décrets de Trump sur les politiques de genre, l’embauche fédérale et l’aide étrangère reflètent fidèlement les politiques du Projet 2025, marquant un changement vers une gouvernance plus autocratique. Paul Dans, l’un des architectes du projet, a exprimé sa satisfaction quant aux premiers décrets de Trump, qui s’alignent sur le mandat de leadership prévu. Les critiques qualifient ce projet d’« autoritaire » et de « nationaliste chrétien », affirmant qu’il vise à transformer les États-Unis en autocratie où une seule personne — le président — détiendrait la majorité du pouvoir. De nombreux experts juridiques ont affirmé que cela porterait atteinte à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs, à la séparation de l’Église et de l’État, et aux libertés publiques.
Les contre-pouvoirs résistent
Mais la réalité institutionnelle s’est révélée plus résistante que prévu. Le shutdown de 40 jours a démontré que même un président déterminé ne peut pas simplement imposer sa volonté quand le Congrès refuse de coopérer. Les cours fédérales ont également joué leur rôle : lorsque l’administration Trump a suspendu les allocations SNAP, deux juges fédéraux ont statué que cette suspension était illégale, forçant l’administration à faire appel jusqu’à la Cour suprême. Même si la Cour suprême, dominée par les conservateurs, a finalement suspendu ces jugements, le processus judiciaire a ralenti et compliqué les plans de Trump. De plus, les États fédérés ont exercé leurs prérogatives constitutionnelles en versant eux-mêmes les allocations SNAP, court-circuitant le gouvernement fédéral. Cette résistance multi-niveaux — Congrès, tribunaux, États — illustre que le système américain de « checks and balances » (poids et contrepoids) fonctionne encore, même sous une pression extrême. Trump découvre que gouverner n’est pas tweeter, et que la Constitution américaine a été conçue précisément pour empêcher la concentration du pouvoir qu’il cherche à établir.
La résistance de la société civile
Au-delà des institutions formelles, la société civile américaine s’est mobilisée massivement. Les manifestations « No Kings » d’octobre 2025 ont rassemblé des millions de personnes, créant une pression publique que les élus républicains ne peuvent pas ignorer éternellement. La Fédération américaine des employés gouvernementaux a publié un communiqué le 27 octobre appelant le Congrès à adopter une « résolution de continuité propre », considérant qu’il s’agissait de la seule solution au shutdown. Des organisations de défense des droits civiques ont multiplié les recours judiciaires contre les décrets de Trump, ralentissant leur mise en œuvre. Des médias indépendants ont documenté les violations des règles éthiques, comme la modification des messageries automatiques du département de l’Éducation pour accuser les démocrates d’être responsables du shutdown — une possible violation du Hatch Act qui interdit l’usage partisan des ressources gouvernementales. Cette résistance diffuse, décentralisée, mais tenace, crée un environnement hostile à l’autoritarisme que Trump tente d’imposer. La société américaine, dans toute sa diversité et sa complexité, refuse de se soumettre.
Les perspectives pour les élections de mi-mandat de 2026
Un référendum sur le trumpisme
Les élections du 3 novembre 2026 constitueront le premier véritable référendum national sur la présidence Trump 2.0. Historiquement, les élections de mi-mandat sont défavorables au parti du président en exercice, et les sondages actuels suggèrent que cette tendance pourrait se confirmer. Avec un taux d’approbation de seulement 41% et un taux de désapprobation de 49% selon Emerson College, Trump aborde ces élections dans une position beaucoup plus faible qu’en janvier. Les démocrates chercheront à briser l’emprise républicaine sur la Chambre des représentats et le Sénat pour bloquer le programme intérieur de Trump. Les victoires symboliques de candidats démocrates lors des élections locales de Virginie et du New Jersey en novembre 2025, notamment Abigail Spanberger et Mikie Sherrill, ont alimenté l’espoir d’une « vague bleue ». Le président du Comité national démocrate, Ken Martin, a déclaré que ces résultats signalaient une tendance favorable pour 2026. Mais cette prédiction optimiste ignore la réalité du terrain : avec des circonscriptions redessinées au Texas et potentiellement dans d’autres États, et avec les restrictions sur le vote imposées par le décret « Voter ID », les démocrates devront obtenir des marges de victoire beaucoup plus larges que d’habitude pour compenser les désavantages structurels.
Les enjeux économiques décisifs
L’économie sera probablement le facteur déterminant. Si l’inflation persiste et que les conséquences des guerres commerciales de Trump continuent de peser sur les exportations et l’emploi, les électeurs pourraient sanctionner massivement le parti républicain. Le shutdown de 40 jours a déjà créé une anxiété économique profonde : des centaines de milliers de fonctionnaires n’ont pas été payés pendant plus d’un mois, les allocations SNAP ont été suspendues, les voyages aériens ont été perturbés. Même après la réouverture du gouvernement, les effets résiduels se feront sentir pendant des mois. Les petites entreprises qui dépendent des contrats fédéraux ont subi des pertes massives, les projets d’infrastructure ont été retardés, la confiance des consommateurs s’est effondrée. Si Trump ne parvient pas à redresser la situation économique d’ici novembre 2026, il pourrait perdre non seulement les électeurs indépendants et modérés, mais aussi une partie de sa base ouvrière qui l’avait soutenu en espérant une amélioration de sa situation matérielle.
La mobilisation démocrate face aux obstacles structurels
Les démocrates font face à un défi colossal : mobiliser leurs électeurs dans un système électoral de plus en plus biaisé contre eux. Le décret « Voter ID » de Trump, qui exige une pièce d’identité pour voter, affectera disproportionnellement les populations afro-américaines, hispaniques, étudiantes et âgées — toutes des bases électorales démocrates. Le redécoupage des circonscriptions au Texas garantit cinq sièges républicains supplémentaires, et d’autres États comme l’Indiana, l’Ohio et le Missouri pourraient suivre. Même en Californie, le contre-redécoupage démocrate ne compensera que partiellement ces pertes. Les démocrates devront donc non seulement convaincre les électeurs de voter pour eux, mais aussi les aider concrètement à surmonter les obstacles bureaucratiques érigés pour les empêcher de voter. Cela nécessite une organisation de terrain massive, des campagnes d’inscription électorale ciblées, une assistance juridique pour contester les restrictions de vote, et une mobilisation sans précédent. Si les manifestations « No Kings » sont un indicateur de la motivation de la base démocrate, il y a des raisons d’être optimiste. Mais la motivation seule ne suffira pas face à un système truqué.
Conclusion
La lune de miel de Trump 2.0 est terminée. Après neuf mois d’arrogance, de décrets autoritaires, de provocations diplomatiques et de chaos délibéré, le président américain découvre enfin les limites du pouvoir dans une démocratie constitutionnelle. Les sondages sont implacables : 41% d’approbation, 49% de désapprobation selon Emerson College, et un taux de désapprobation forte de 45% selon Nate Silver — des chiffres catastrophiques pour n’importe quel président. Le shutdown de 40 jours, le plus long de l’histoire américaine, a révélé la brutalité de sa stratégie politique : plutôt que de négocier, il a préféré affamer des millions de familles pauvres, ne pas payer les fonctionnaires fédéraux, et paralyser le transport aérien. Cette intransigeance s’est retournée contre lui : après avoir juré qu’il ne se laisserait pas « extorquer » par les démocrates, il a finalement capitulé le 10 novembre, acceptant exactement ce qui était proposé dès le départ. Les manifestations « No Kings » d’octobre, qui ont rassemblé des millions de personnes dans 2700 localités, ont démontré qu’une large partie du peuple américain rejette l’autoritarisme qu’il tente d’imposer. Les démocrates au Sénat, bien que minoritaires, ont utilisé les règles parlementaires pour bloquer ses ambitions pendant quarante jours, prouvant que les institutions peuvent encore fonctionner face à un exécutif tyrannique. Des sénateurs républicains modérés commencent à prendre leurs distances, des gouverneurs républicains défient l’administration fédérale pour protéger leurs citoyens, et même le corridor technologique de Dallas — bastion républicain traditionnel — se détourne du trumpisme. Le Projet 2025, ce plan autocratique visant à concentrer tous les pouvoirs entre les mains du président, s’est heurté à la résistance tenace des contre-pouvoirs institutionnels, des tribunaux fédéraux, des États fédérés et de la société civile. Trump découvre amèrement qu’on ne gouverne pas les États-Unis comme on dirige une entreprise familiale ou un reality show. Les élections de mi-mandat de novembre 2026 constitueront le véritable test : soit les électeurs sanctionnent massivement le chaos trumpiste et redonnent le contrôle du Congrès aux démocrates, soit ils acceptent la transformation autoritaire en cours. L’économie sera décisive — si l’inflation persiste, si les guerres commerciales continuent de détruire des emplois, si les conséquences du shutdown résonnent encore dans la vie quotidienne des Américains, Trump pourrait subir une défaite historique. Mais les démocrates font face à des obstacles structurels massifs : circonscriptions redessinées, restrictions au vote, désinformation algorithmique. La bataille sera féroce, inégale, brutale. Une chose est certaine : la phase de grâce est révolue. Trump a heurté les barrières de la démocratie constitutionnelle, et cette fois, elles ont tenu. La question est de savoir combien de temps encore elles résisteront à ses assauts répétés.