Un porte-avions nucléaire comme message de guerre
L’USS Gerald R. Ford n’est pas un simple bateau de guerre. C’est une forteresse flottante, un symbole de la puissance américaine qui défie toute logique militaire traditionnelle. Long de 337 mètres, capable d’accueillir plus de 4 500 marins et aviateurs, équipé des technologies les plus avancées en matière de catapultage électromagnétique et de systèmes de combat intégrés, ce porte-avions représente à lui seul une force de frappe supérieure à celle de nombreuses nations. Quand il entre dans une zone maritime, ce n’est pas une simple présence militaire — c’est une déclaration de guerre potentielle. Le communiqué du Southcom, le commandement américain pour l’Amérique latine et les Caraïbes, a confirmé le 16 novembre que le groupe aéronaval Ford avait officiellement pénétré dans sa zone de responsabilité, rejoignant ainsi les forces déjà en place, notamment un groupe amphibie et une unité embarquée de Marines. La formulation est froide, bureaucratique, presque anodine. Mais dans les coulisses des ministères de la Défense régionaux, cette annonce a provoqué des sueurs froides.
Le Ford transporte quatre escadrilles complètes d’avions de combat F/A-18E Super Hornet — des chasseurs-bombardiers capables de frapper des cibles terrestres avec une précision chirurgicale, ou d’engager des combats aériens à haute intensité. Il est escorté par trois destroyers lance-missiles de classe Arleigh Burke, chacun armé de systèmes Aegis permettant de traquer simultanément des dizaines de cibles aériennes, navales ou sous-marines. Ce déploiement massif fait suite à l’annonce du 24 octobre par le Pentagone, lorsque le secrétaire à la Défense Pete Hegseth avait ordonné au Ford de quitter la Méditerranée pour se diriger vers l’Amérique du Sud. À l’époque, le porte-avions était tranquillement amarré en Croatie, sur les rives de l’Adriatique. Quelques semaines plus tard, des observateurs maritimes basés à Gibraltar l’ont photographié traversant le détroit pour entrer dans l’Atlantique. Destination : les Caraïbes. Mission officielle : « soutenir l’ordre du président de démanteler les organisations criminelles transnationales et de contrer le narcoterrorisme en défense de la patrie », selon les termes du Southcom. Mission réelle ? Faire plier Maduro, par la menace ou par la force.
Un déploiement sans précédent dans la région
Jamais depuis des décennies les États-Unis n’avaient concentré autant de puissance militaire dans les Caraïbes. Selon l’analyse du USNI News Fleet Tracker, le déploiement actuel représente près de 20% de l’ensemble des navires de guerre américains actuellement en opération à travers le monde. C’est colossal. C’est disproportionné. C’est effrayant. En temps normal, la région ne voit passer que quelques patrouilleurs de la Garde côtière, des frégates légères engagées dans des missions anti-drogue de routine, ou des navires d’entraînement. Mais depuis août 2025, c’est une véritable armada qui s’est installée au large du Venezuela : destroyers, croiseurs, sous-marins d’attaque, navires amphibies transportant des Marines prêts à débarquer, bombardiers stratégiques B-52 stationnés dans les bases aériennes de Porto Rico, et maintenant le joyau de la couronne, le porte-avions Ford lui-même. Ce déploiement dépasse en ampleur ce qui avait été mobilisé lors de la crise des missiles cubains en 1962, ou pendant l’invasion du Panama en 1989.
Les analystes militaires sont unanimes : cette concentration de forces ne sert pas uniquement à intercepter des bateaux de narcotrafiquants. « Le premier objectif, on peut l’accomplir en théorie sans groupe aéronaval », expliquait James Holmes, expert en stratégie navale. « Mais j’ai du mal à imaginer comment la puissance maritime pourrait accomplir le second objectif, avec ou sans porte-avions. » Le « second objectif », c’est évidemment le renversement de Maduro. Et pour cela, il faut bien plus que des frappes en mer. Il faut une capacité de projection de force terrestre, une domination aérienne totale, une logistique capable de soutenir une opération prolongée. Le Ford apporte tout cela. Avec ses 75 aéronefs embarqués, il peut lancer des raids aériens soutenus pendant des semaines, frapper des infrastructures militaires vénézuéliennes, neutraliser les défenses antiaériennes, et préparer le terrain pour une éventuelle invasion. Tout est en place. Il ne manque plus que l’ordre présidentiel.
Les frappes meurtrières se multiplient dans l’indifférence
Pendant que le Ford approche des Caraïbes, les opérations létales continuent dans un silence médiatique troublant. Le 10 novembre, une nouvelle frappe américaine a détruit un bateau soupçonné de transporter de la drogue, tuant les quatre personnes à bord. Aucune preuve n’a été fournie concernant la nature exacte de la cargaison. Aucune enquête indépendante n’a été autorisée. Juste une déclaration laconique du Pentagone confirmant « l’élimination d’une cible liée au trafic de stupéfiants ». Cette frappe porte à au moins 80 le nombre de morts depuis le début de cette campagne militaire non déclarée. Vingt assauts. Vingt et un navires coulés. Pas de prisonniers. Pas de procès. Juste des explosions dans la nuit, des corps engloutis par les vagues, et un communiqué de presse le lendemain. C’est une guerre secrète menée en pleine lumière, une série d’exécutions extrajudiciaires déguisées en opérations anti-drogue.
Washington justifie ces frappes en évoquant la lutte contre le Tren de Aragua, ce gang vénézuélien que l’administration Trump a désigné comme organisation terroriste étrangère. Selon les autorités américaines, ce groupe criminel serait responsable de la violence et du trafic de drogue qui ravagent certaines villes des États-Unis. Quatre des bateaux détruits auraient, selon Washington, des liens avec le Venezuela — bien que là encore, aucune preuve tangible n’ait été rendue publique. Les Nations Unies s’inquiètent. Les organisations de défense des droits humains dénoncent des violations flagrantes du droit international. Mais rien ne ralentit la machine de guerre américaine. Chaque semaine, de nouvelles frappes. Chaque semaine, de nouveaux morts. Et maintenant, avec le Ford en position, les frappes pourraient ne plus se limiter aux embarcations en haute mer. Elles pourraient viser des installations portuaires, des bases militaires, des dépôts de carburant, voire des cibles gouvernementales à Caracas.
Je me souviens d’une époque où les guerres se déclaraient officiellement, où les parlements votaient, où les peuples étaient consultés. Aujourd’hui, on coule des bateaux dans l’indifférence générale, on accumule des cadavres sans rendre de comptes, et on appelle ça « lutte contre le narcoterrorisme ». Quelle époque troublante. Quelle dérive vertigineuse.
Trump et ses déclarations cryptiques
Le président américain joue avec les nerfs du monde
À bord d’Air Force One, alors qu’il se rendait vers sa résidence de Mar-a-Lago en Floride, Donald Trump a lâché cette phrase qui résume toute l’ambiguïté de sa stratégie : « Je suis plus ou moins décidé. » Plus ou moins décidé sur quoi, exactement ? Sur une invasion ? Sur des frappes aériennes massives ? Sur un assassinat ciblé de Maduro via les opérations clandestines de la CIA ? Le président américain s’est empressé d’ajouter : « Je ne peux pas vous dire de quoi il s’agit, mais nous avons fait beaucoup de progrès avec le Venezuela pour empêcher la drogue d’affluer » aux États-Unis. Cette formulation est volontairement floue, calculée pour maintenir la pression psychologique maximale sur Caracas. Trump excelle dans cet art de la menace implicite, de la promesse voilée, du coup annoncé sans jamais révéler précisément où et quand il frappera.
Depuis son retour à la Maison-Blanche, le républicain a multiplié les déclarations contradictoires sur le Venezuela. Par moments, il évoque des « jours comptés » pour Maduro, suggérant un renversement imminent du régime. À d’autres occasions, il écarte l’idée d’une guerre ouverte, affirmant préférer les solutions diplomatiques et économiques. Mais entre ces deux extrêmes, il a autorisé des opérations de la CIA au Venezuela — une décision confirmée par plusieurs responsables américains et révélée par le New York Times en octobre 2025. Ces opérations clandestines, officiellement désignées comme « directive présidentielle » dans les cercles du renseignement, donnent à l’Agence le pouvoir de mener des actions létales en territoire vénézuélien et dans toute la région caribéenne. Cela signifie des assassinats ciblés, des sabotages d’infrastructures, du soutien à des groupes d’opposition armés, et potentiellement des opérations conjointes avec les forces militaires américaines déjà présentes dans la zone.
La CIA reçoit le feu vert pour des opérations létales
L’autorisation accordée à la CIA marque un tournant historique dans la politique américaine envers le Venezuela. Traditionnellement, l’Agence est autorisée à collaborer avec les gouvernements latino-américains sur des questions de sécurité et de partage de renseignements — comme elle le fait avec le Mexique contre les cartels de la drogue. Mais ces autorisations ne s’étendent généralement pas à des opérations létales directes. Avec la nouvelle directive de Trump, la CIA peut désormais agir de manière autonome pour éliminer Maduro ou des membres clés de son administration, soit par des actions indépendantes, soit dans le cadre d’une opération militaire plus large. John Ratcliffe, directeur de la CIA nommé par Trump, a promis lors de son audition de confirmation que l’Agence adopterait une posture « moins réticente au risque » et « plus proactive » dans la conduite d’opérations clandestines.
Cette stratégie a été élaborée principalement par Marco Rubio, secrétaire d’État et fervent opposant au régime de Maduro depuis des années, avec l’appui de Ratcliffe. Leur objectif est limpide : sortir Maduro du pouvoir, par n’importe quel moyen nécessaire. Les responsables américains ont confié anonymement que l’objectif ultime de toutes ces opérations — les frappes navales, le déploiement militaire massif, les sanctions économiques renforcées, et maintenant les opérations de la CIA — est de renverser le président vénézuélien. En réaction, Caracas a dénoncé la rhétorique « belliciste » de Trump et a annoncé son intention de porter l’affaire devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, accusant l’administration américaine de « violation grave de la Charte des Nations Unies ». Mais au Conseil de sécurité, la Russie et la Chine — deux alliés stratégiques du Venezuela — s’opposeront à toute résolution condamnant les États-Unis. Le statu quo diplomatique persistera, pendant que sur le terrain, les préparatifs militaires continuent.
Cinquante millions de dollars pour la tête de Maduro
En août 2025, l’administration Trump a doublé la récompense offerte pour l’arrestation de Nicolás Maduro, la faisant passer de 25 à 50 millions de dollars. C’est la même somme qui avait été promise pour la capture d’Oussama ben Laden après les attentats du 11 septembre 2001. En plaçant Maduro au même niveau que le chef d’Al-Qaïda, Washington envoie un message sans équivoque : le président vénézuélien est considéré comme l’une des menaces les plus graves à la sécurité nationale américaine. La procureure générale Pam Bondi a déclaré dans une vidéo diffusée en août : « Sous la direction du président Trump, Maduro n’échappera pas à la justice et sera tenu responsable de ses crimes abominables. » Elle a ajouté que le ministère de la Justice avait saisi plus de 700 millions de dollars d’actifs liés à Maduro, incluant deux jets privés, et que près de 7 tonnes de cocaïne saisies pouvaient être directement attribuées au dirigeant vénézuélien.
Maduro a été inculpé en 2020 devant un tribunal fédéral de Manhattan, avec plusieurs de ses proches collaborateurs, pour des accusations de narco-trafic et de conspiration visant à importer de la cocaïne aux États-Unis. À l’époque, Washington offrait 15 millions de dollars pour sa capture, somme portée à 25 millions sous l’administration Biden, puis doublée par Trump. Le républicain accuse Maduro d’être à la tête d’un « cartel d’État », collaborant avec les groupes criminels les plus dangereux d’Amérique latine pour inonder les États-Unis de cocaïne mélangée au fentanyl — cette drogue de synthèse mortelle responsable de dizaines de milliers de décès par overdose chaque année outre-Atlantique. Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Yvan Gil, a qualifié cette récompense de « pathétique », accusant Bondi de mener une « campagne de propagande politique éhontée ». Mais la réalité demeure : avec 50 millions de dollars en jeu, la tentation sera grande pour des acteurs régionaux — militaires vénézuéliens mécontents, chefs de gangs rivaux, services de renseignement colombiens ou brésiliens — de tenter leur chance.
Cinquante millions. C’est le prix d’une tête. Le prix d’un basculement géopolitique. Le prix de la « justice » américaine exportée à coups de drones et d’opérations noires. On vit une époque où la diplomatie s’efface devant les primes de chasseur de primes, où les relations internationales ressemblent de plus en plus à un western sordide. Et nous sommes là, spectateurs impuissants de ce théâtre macabre.
Le Venezuela mobilise et crie au complot impérialiste
Deux cent mille soldats déployés en réponse
Face à l’arrivée du porte-avions Ford et à l’escalade militaire américaine, le Venezuela ne reste pas les bras croisés. Le président Maduro a ordonné un déploiement « massif » de l’armée vénézuélienne à travers tout le territoire national. Selon les déclarations officielles de Caracas, l’opération a permis de mobiliser près de 200 000 militaires, incluant l’armée de terre, la marine, l’aviation et les milices populaires. Ces exercices militaires, lancés le 11 novembre à quatre heures du matin, impliquent des opérations terrestres, aériennes, navales, fluviales et de missiles. Le ministre de la Défense Vladimir Padrino López a affirmé à la télévision d’État que ces manœuvres visaient à couvrir « 100% de toutes les côtes du pays en temps réel, avec tout l’équipement et les armes lourdes nécessaires pour défendre l’ensemble des zones maritimes vénézuéliennes ».
Maduro a supervisé ces manœuvres lors d’un événement gouvernemental retransmis à la télévision d’État, affirmant que son pays était « prêt à défendre chaque centimètre de territoire et chaque mètre de côte » contre l’agression impérialiste. Le dirigeant vénézuélien a également ordonné le déploiement de 5 000 missiles Igla-S à travers tout le territoire national — des systèmes anti-aériens portables d’origine russe capables d’abattre des hélicoptères et des avions volant à basse altitude. « Toute force militaire du monde connaît le pouvoir de l’Igla-S », a proclamé Maduro à la télévision, affirmant que ses opérateurs sont déployés « jusqu’à la dernière montagne et la dernière ville ». Des sources anonymes citées par des médias régionaux indiquent que Maduro aurait ordonné aux unités de « se replier ou de se cacher après le premier coup des Gringos », suggérant une stratégie de guérilla prolongée plutôt qu’un affrontement frontal.
Le discours anti-impérialiste résonne en Amérique latine
Le discours officiel de Caracas est sans ambiguïté : les États-Unis utilisent la lutte contre le narcotrafic comme un prétexte pour justifier un « changement de régime » et s’emparer des colossales réserves pétrolières vénézuéliennes — les plus importantes au monde, dépassant même celles de l’Arabie saoudite. « Washington ne cherche pas à arrêter la drogue, il cherche à voler notre pétrole et à imposer un gouvernement fantoche à Caracas », a martelé le ministre de la Défense vénézuélien lors d’une conférence de presse. Ce narratif anti-impérialiste résonne fortement dans une région d’Amérique latine qui garde encore en mémoire les multiples interventions américaines du XXe siècle : au Guatemala en 1954, à Cuba en 1961, en République dominicaine en 1965, au Chili en 1973, à la Grenade en 1983, au Panama en 1989. Pour beaucoup de Latino-Américains, l’histoire se répète — et le Venezuela pourrait être le prochain domino à tomber.
L’Assemblée nationale chaviste a adopté une nouvelle loi sur le Commandement pour la Défense Intégrale de la Nation, destinée à coordonner la réponse civile et militaire en cas d’attaque étrangère. Cette législation permet au gouvernement de mobiliser l’ensemble de la population civile, de réquisitionner des ressources privées, et d’établir un commandement unifié en temps de guerre. Padrino López a déclaré que si des troupes étrangères envahissaient le Venezuela, elles trouveraient « une communauté unie pour défendre cette nation, jusqu’à la mort ». Ces déclarations martiales visent à galvaniser la base chaviste et à envoyer un signal aux États-Unis : une invasion ne sera pas une promenade militaire, mais un bourbier sanglant qui coûtera cher en vies américaines.
Des exercices militaires pour montrer les muscles
Les exercices militaires ordonnés par Maduro sont impressionnants sur le papier, mais les analystes militaires restent sceptiques quant à leur efficacité réelle face à la puissance de frappe américaine. Le Venezuela dispose d’une armée estimée à environ 123 000 soldats actifs, complétée par une milice populaire de plusieurs centaines de milliers de membres — des civils armés et entraînés pour défendre le régime. L’aviation vénézuélienne compte quelques dizaines de chasseurs russes Su-30, des hélicoptères de combat, et des systèmes de défense antiaérienne fournis par Moscou. La marine possède des frégates, des corvettes et des sous-marins de petite taille. Mais tout cela pèse peu face aux 75 aéronefs embarqués du Ford, aux systèmes de missiles de croisière Tomahawk des destroyers américains, et à la capacité de projection de force que représentent les Marines déjà présents dans la région.
Néanmoins, Maduro joue la carte de la résistance asymétrique. Son régime sait qu’il ne peut pas affronter les États-Unis dans une guerre conventionnelle. Mais il peut rendre une invasion extrêmement coûteuse en vies humaines et en ressources, transformer les villes vénézuéliennes en champs de bataille urbains, mobiliser des centaines de milliers de miliciens prêts à mener une guérilla prolongée. C’est la stratégie du « Vietnam tropical » — enliser l’envahisseur dans un conflit sans fin, faire grimper le nombre de cercueils rapatriés aux États-Unis, éroder le soutien politique domestique à l’intervention militaire. Maduro compte également sur ses alliés internationaux : la Russie, qui a fourni des équipements militaires et des conseillers au Venezuela ; la Chine, qui a investi des milliards dans l’économie vénézuélienne et ne souhaite pas voir un régime pro-américain à Caracas ; Cuba, partenaire idéologique historique ; et l’Iran, qui a multiplié les coopérations stratégiques avec le Venezuela ces dernières années. Tous ces acteurs ont intérêt à ce que Maduro reste en place.
Voilà où nous en sommes : des pays entiers qui tremblent en attendant qu’un tweet présidentiel ou une déclaration énigmatique à bord d’Air Force One déclenche ou non une guerre. Une région entière prise en otage par l’ego de deux hommes — Trump et Maduro — qui refusent de reculer, qui jouent à qui clignera des yeux en premier. Et entre les deux, des milliers, peut-être des dizaines de milliers de vies humaines suspendues au-dessus du vide.
Une région déstabilisée et inquiète
Les voisins du Venezuela retiennent leur souffle
L’escalade militaire entre Washington et Caracas ne concerne pas uniquement ces deux pays. Elle déstabilise toute la région caribéenne et latino-américaine. La Colombie, voisine directe du Venezuela, observe avec angoisse cette montée des tensions. Le président colombien Gustavo Petro a même ordonné le 12 novembre à son pays de cesser de partager des renseignements avec les États-Unis, une décision spectaculaire qui restera en vigueur « tant que les attaques aux missiles contre les bateaux dans les Caraïbes se poursuivront ». Petro a déclaré que « la lutte contre la drogue doit être subordonnée aux droits humains des peuples caribéens », critiquant ouvertement les frappes américaines qu’il qualifie d’« illégales » et d’« inefficaces ». Bogota craint qu’un conflit ouvert ne provoque un afflux massif de réfugiés vénézuéliens franchissant la frontière — s’ajoutant aux millions qui ont déjà fui le pays ces dernières années.
Le Brésil, autre voisin stratégique, a exprimé des préoccupations similaires, tout en maintenant une position de neutralité prudente. Les nations caribéennes — Trinité-et-Tobago, la Jamaïque, la Barbade — se retrouvent en première ligne d’une potentielle zone de guerre, leurs eaux territoriales risquant d’être traversées par des navires militaires, des sous-marins en patrouille, et potentiellement des débris de navires coulés dérivant vers leurs côtes. Elizabeth Dickinson, analyste principale pour la région andine au sein de l’International Crisis Group, estime que la présence militaire américaine vise moins à lutter contre la drogue qu’à envoyer un message aux pays de la région pour qu’ils alignent leurs politiques sur les intérêts de Washington. « C’est une démonstration de force destinée à rappeler qui contrôle réellement cette partie du monde », explique-t-elle.
La base de Roosevelt Roads réactivée à Porto Rico
Des images satellites ont révélé que l’armée américaine modernise une base navale abandonnée de la guerre froide, à Porto Rico, dans le cadre des opérations antidrogues qui pourraient inclure des actions au Venezuela. Les travaux de construction sur la base de Roosevelt Roads, fermée en 2004, ont débuté le 17 septembre 2025, et des exercices militaires ont eu lieu avant même l’achèvement des travaux. Cette installation, située à une distance de frappe idéale du Venezuela, permettrait aux forces américaines de disposer d’une base logistique majeure pour soutenir des opérations prolongées dans la région. Le Pentagone n’a fait aucun commentaire officiel sur la réactivation de Roosevelt Roads, mais des responsables militaires cités anonymement ont confirmé que la base servirait de « hub logistique » pour l’opération Lance du Sud.
Les nations latino-américaines se retrouvent prises entre deux feux : d’un côté, la pression américaine pour isoler diplomatiquement et économiquement le Venezuela ; de l’autre, leurs propres intérêts commerciaux et énergétiques avec Caracas, ainsi qu’un attachement aux principes de non-ingérence et de souveraineté nationale. Plusieurs gouvernements régionaux ont discrètement fait savoir qu’ils ne soutiendraient pas une intervention militaire américaine, mais qu’ils ne s’y opposeraient pas non plus activement — une position inconfortable qui reflète la complexité de l’équation géopolitique. Le Mexique, traditionnellement attaché à la doctrine de non-intervention dans les affaires intérieures d’autres nations, a appelé à la retenue et au dialogue, mais sans condamner explicitement les actions de Washington.
Comment en est-on arrivés là ? Comment des nations souveraines peuvent-elles être réduites au silence, contraintes de choisir entre leur conscience et leur survie économique ? La géopolitique moderne est impitoyable, brutale. Elle ne laisse aucune place aux neutres, aucun espace pour ceux qui voudraient simplement rester à l’écart du conflit. Chacun doit choisir son camp, ou se faire écraser.
La guerre contre la drogue, prétexte ou objectif réel
Une rhétorique qui sonne creux
Officiellement, toute cette mobilisation militaire américaine dans les Caraïbes s’inscrit dans le cadre d’une « guerre contre la drogue » et d’une lutte contre le « narcoterrorisme ». Le Southcom a clairement indiqué que le déploiement du Ford visait à « soutenir l’ordre du président de démanteler les organisations criminelles transnationales et de contrer le narcoterrorisme en défense de la patrie ». Cette rhétorique n’est pas nouvelle. Elle rappelle la « War on Drugs » lancée dans les années 1980 sous Reagan, qui avait servi de justification à de nombreuses interventions américaines en Amérique centrale et en Colombie. Mais aujourd’hui, en 2025, cette rhétorique sonne creux pour de nombreux observateurs. Comment expliquer qu’il faille un porte-avions nucléaire, des dizaines de navires de guerre, des bombardiers stratégiques et des milliers de soldats pour lutter contre des trafiquants de drogue ?
Les chiffres officiels montrent effectivement une augmentation des saisies de cocaïne dans les Caraïbes depuis le début de l’opération « Lance du Sud » — le nom de code de cette campagne militaire lancée en janvier 2025 puis intensifiée en août. Des dizaines de tonnes de drogue ont été interceptées, des réseaux de trafiquants démantelés, des routes maritimes perturbées. Mais ces succès ne justifient pas, aux yeux de nombreux experts, le niveau de violence employé. Couler des bateaux sans sommation, tuer plus de 80 personnes sans procès ni enquête indépendante, déployer une force de frappe comparable à celle d’une guerre majeure — tout cela dépasse largement ce qui serait nécessaire pour de simples opérations anti-drogue. « Si l’objectif était vraiment de stopper le trafic de cocaïne, il existe des moyens bien plus efficaces et moins meurtriers », souligne un ancien responsable de la DEA sous couvert d’anonymat. « On pourrait renforcer la coopération avec les pays producteurs, investir dans des programmes de développement alternatif pour les cultivateurs de coca, améliorer les systèmes de détection aux frontières. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Ce qu’on voit, c’est une opération militaire classique déguisée en lutte anti-drogue. »
Le Tren de Aragua, bouc émissaire commode
L’administration Trump a désigné le Tren de Aragua comme organisation terroriste étrangère, en faisant l’ennemi principal de cette campagne militaire. Ce gang vénézuélien, né dans les années 2010 dans la prison de Tocorón au Venezuela, s’est effectivement développé de manière spectaculaire ces dernières années, étendant ses activités criminelles à travers toute l’Amérique latine et jusqu’aux États-Unis. Le Tren de Aragua est impliqué dans le trafic de drogue, l’extorsion, le trafic d’êtres humains, et divers crimes violents. Des villes américaines ont signalé une augmentation de la criminalité attribuée à des membres présumés de ce gang. Mais faire du Tren de Aragua la justification principale d’un déploiement militaire massif dans les Caraïbes relève de la simplification abusive.
Le Tren de Aragua ne dispose pas de navires de guerre, de bases militaires fortifiées, ou de capacités comparables à celles d’une armée conventionnelle. C’est une organisation criminelle transnationale, certes dangereuse, mais qui devrait être combattue par des méthodes policières et judiciaires, pas par des frappes de destroyers lance-missiles. En désignant ce gang comme « terroriste » et en l’associant directement au gouvernement de Maduro — sans preuves irréfutables de liens organiques entre le régime vénézuélien et le Tren de Aragua —, Washington crée un amalgame qui lui permet de justifier n’importe quelle action militaire. Frapper un bateau de pêcheurs que l’on soupçonne vaguement de transporter de la drogue ? C’est de la lutte anti-terroriste. Couler une embarcation sans vérifier sa cargaison ? C’est du narco-terrorisme éliminé. Tuer des civils en mer ? Ce sont des combattants ennemis neutralisés. Ce glissement sémantique et juridique est dangereux, car il efface toute distinction entre opérations de police et actes de guerre.
Les vrais enjeux : le pétrole et la géopolitique
Derrière le rideau de fumée de la guerre contre la drogue se cachent des intérêts bien plus tangibles : le pétrole vénézuélien et le contrôle géopolitique de l’Amérique latine. Le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole prouvées au monde, avec environ 300 milliards de barils — dépassant l’Arabie saoudite et le Canada. Sous sanctions américaines depuis des années, l’industrie pétrolière vénézuélienne s’est largement tournée vers la Chine, la Russie et l’Iran pour écouler sa production et obtenir des investissements. Pour Washington, un Venezuela contrôlé par Maduro signifie un acteur énergétique majeur aligné sur les adversaires stratégiques des États-Unis. Un changement de régime à Caracas pourrait permettre aux compagnies américaines — notamment Chevron, qui possède déjà des concessions au Venezuela — de reprendre le contrôle de cette manne pétrolière colossale.
Selon des informations rapportées par le New York Times, Maduro aurait même tenté d’apaiser Trump en lui proposant d’accorder aux entreprises américaines les concessions pétrolières et minières précédemment octroyées à des entreprises russes et chinoises. Cette offre, si elle est confirmée, révèle à quel point le dirigeant vénézuélien est conscient de la précarité de sa position. Mais l’administration Trump semble avoir rejeté cette proposition, préférant apparemment viser un changement complet de régime plutôt qu’un arrangement avec Maduro. Marco Rubio, le secrétaire d’État, est un partisan acharné du renversement du gouvernement vénézuélien. Son influence sur la politique latino-américaine de Trump est considérable, et son message trouve un écho favorable auprès de l’électorat latino de Floride, hostile au chavisme.
Encore et toujours le pétrole. Cette substance noire et visqueuse qui transforme les nations en proies, qui attire les prédateurs comme le sang attire les requins. Le Venezuela a eu le malheur de posséder trop de richesses souterraines, et maintenant il en paie le prix. C’est une constante de l’histoire moderne : ceux qui possèdent ce que convoitent les puissants finissent toujours par en souffrir.
L'opposition vénézuélienne et le soutien américain
dmundo González, le président en exil
L’élection présidentielle vénézuélienne de juillet 2024 a été largement remportée par Edmundo González, candidat de l’opposition démocratique, mais le scrutin a été volé et violemment réprimé par Maduro. Des preuves documentaires, incluant des procès-verbaux de bureaux de vote collectés par l’opposition, suggèrent que González aurait obtenu une victoire écrasante avec plus de 60% des voix. Mais le Conseil national électoral, contrôlé par le régime, a proclamé la victoire de Maduro sans jamais publier les résultats détaillés bureau par bureau. Cette fraude électorale massive a provoqué des manifestations populaires réprimées dans le sang, faisant des dizaines de morts et des milliers d’arrestations. González a dû fuir le pays et vit désormais en exil, reconnu comme « président élu » par une cinquantaine de nations, dont les États-Unis et la plupart des pays européens et latino-américains.
L’opposition vénézuélienne en exil appuie ouvertement la pression américaine sur Maduro, y compris les menaces d’intervention militaire. González et la leader de l’opposition María Corina Machado ont multiplié les appels à la communauté internationale pour qu’elle ne reconnaisse pas le régime de Maduro et pour qu’elle soutienne la transition démocratique. Mais cette position crée un dilemme moral : peut-on légitimer une intervention militaire étrangère, même lorsqu’elle vise à renverser un dictateur ? L’histoire de l’Amérique latine montre que les interventions américaines, même justifiées par de nobles intentions, ont souvent abouti à des catastrophes humanitaires, à l’instabilité prolongée, et à l’installation de régimes tout aussi répressifs que ceux qu’ils étaient censés remplacer.
La division de l’opinion publique américaine
Les sondages montrent que la plupart des Américains s’opposent à une attaque contre le Venezuela. Selon plusieurs enquêtes d’opinion réalisées en octobre et novembre 2025, environ 65% des citoyens américains estiment que les États-Unis ne devraient pas intervenir militairement au Venezuela, même si le régime de Maduro est accusé de trafic de drogue. Cette opposition reflète la lassitude de l’opinion publique américaine vis-à-vis des guerres « sans fin » menées au Moyen-Orient ces deux dernières décennies. L’Irak, l’Afghanistan, la Syrie — autant de conflits qui ont coûté des milliers de vies américaines et des milliers de milliards de dollars, sans aboutir à des résultats convaincants. Pourquoi le Venezuela serait-il différent ?
Aux élections locales de la semaine du 11 novembre, les candidats soutenus par Trump ont essuyé de lourdes défaites à New York, au New Jersey et en Virginie. Plusieurs analystes politiques attribuent ces revers en partie au rejet par les électeurs de la rhétorique belliciste de l’administration sur le Venezuela. Même au sein du Congrès, des voix s’élèvent pour exiger des limitations à la capacité présidentielle de déclencher une guerre sans autorisation parlementaire. Certains membres démocrates ont tenté de faire passer une législation obligeant Trump à obtenir l’approbation du Congrès avant toute action militaire majeure au Venezuela, mais ces efforts ont été bloqués par la majorité républicaine. La Maison-Blanche a également tenté de rassurer certains législateurs en affirmant qu’« aucune action militaire immédiate n’était prévue » — une formulation qui laisse néanmoins toutes les portes ouvertes.
Le peuple américain est fatigué. Fatigué des guerres, fatigué des promesses de « libération » qui se transforment en bourbiers, fatigué de voir ses fils et ses filles revenir dans des cercueils drapés du drapeau. Mais les peuples fatigués n’arrêtent pas toujours leurs dirigeants déterminés. Et Trump semble très, très déterminé.
Scénarios possibles et conséquences
L’invasion totale : un scénario cauchemardesque
Le pire des scénarios serait une invasion terrestre à grande échelle du Venezuela. Cela impliquerait des dizaines de milliers de soldats américains débarquant sur les côtes vénézuéliennes ou traversant la frontière depuis la Colombie, avec un objectif clair : renverser Maduro et installer un gouvernement provisoire pro-américain. Sur le plan militaire, les États-Unis disposent d’une supériorité écrasante et pourraient théoriquement écraser l’armée vénézuélienne en quelques semaines. Mais la phase de conquête n’est jamais le problème — c’est l’occupation qui suit qui devient un cauchemar. Le Venezuela possède une population de 28 millions d’habitants, des villes densément peuplées, un terrain montagneux propice à la guérilla, et des centaines de milliers de miliciens prêts à résister. Les forces américaines se retrouveraient confrontées à une insurrection prolongée, à des attentats quotidiens, à une guerre d’usure qui pourrait durer des années.
Les conséquences humanitaires seraient catastrophiques. Des dizaines de milliers de civils vénézuéliens pourraient être tués dans les combats. Des millions de réfugiés fuiraient vers la Colombie, le Brésil, et d’autres pays voisins, créant une crise humanitaire régionale d’ampleur comparable à celle provoquée par la guerre en Syrie. L’économie vénézuélienne, déjà effondrée sous les sanctions et la mauvaise gestion chaviste, serait totalement détruite. Les infrastructures pétrolières, déjà vétustes, pourraient être sabotées par les forces loyales à Maduro, privant le monde de millions de barils de pétrole par jour et faisant flamber les prix de l’énergie. Sur le plan géopolitique, une invasion américaine au Venezuela provoquerait une onde de choc à travers toute l’Amérique latine, ravivant les sentiments anti-américains et offrant à la Chine et à la Russie une opportunité en or de se présenter comme les défenseurs de la souveraineté des petites nations.
Les frappes aériennes ciblées : une option intermédiaire
Une option moins extrême consisterait en des frappes aériennes ciblées visant à affaiblir le régime de Maduro sans déployer de troupes terrestres. Les avions du Ford et les missiles Tomahawk des destroyers pourraient frapper des bases militaires vénézuéliennes, des installations de défense aérienne, des dépôts de carburant, des centres de commandement, et potentiellement des bâtiments gouvernementaux à Caracas. L’objectif serait de décapiter le régime, de semer la panique au sein de l’armée vénézuélienne, et d’encourager un coup d’État interne. Cette stratégie a été employée avec un succès mitigé en Libye en 2011, où des frappes aériennes de l’OTAN ont contribué au renversement de Kadhafi, mais ont également plongé le pays dans une guerre civile qui perdure encore aujourd’hui.
Les risques d’une telle approche sont multiples. Des frappes aériennes causeraient inévitablement des victimes civiles, alimentant la propagande anti-américaine et renforçant le soutien à Maduro parmi certains segments de la population vénézuélienne. Elles pourraient également provoquer une escalade avec la Russie et la Chine, qui ont des intérêts stratégiques au Venezuela. Moscou a déployé des conseillers militaires et du matériel de défense aérienne au Venezuela — que se passerait-il si un chasseur américain abattait un avion russe, ou si un missile Tomahawk frappait une installation où se trouvent des techniciens chinois ? Le risque d’un affrontement indirect entre grandes puissances est réel.
L’assassinat ciblé : la solution secrète
La troisième option, probablement la plus probable dans l’immédiat, serait un assassinat ciblé de Maduro orchestré par la CIA. Avec l’autorisation présidentielle accordée pour des opérations létales, l’Agence dispose désormais de la latitude nécessaire pour tenter d’éliminer physiquement le dirigeant vénézuélien. Cela pourrait prendre la forme d’une frappe de drone, d’un empoisonnement, d’un attentat à l’explosif, ou d’un coup monté avec la complicité de membres mécontents de l’entourage de Maduro. L’avantage de cette approche est qu’elle évite une guerre ouverte tout en atteignant l’objectif de changement de régime. L’inconvénient majeur est l’incertitude quant à ce qui se passerait après la mort de Maduro. Qui prendrait le pouvoir ? L’armée vénézuélienne resterait-elle unie ou se fragmenterait-elle en factions rivales ? Le pays sombrerait-il dans la guerre civile ?
L’histoire montre que les assassinats politiques produisent rarement les résultats escomptés. La mort de Saddam Hussein n’a pas pacifié l’Irak. La chute de Kadhafi n’a pas stabilisé la Libye. Éliminer un dictateur crée souvent un vide de pouvoir qui peut être comblé par des acteurs encore plus dangereux. Au Venezuela, la disparition de Maduro pourrait ouvrir la voie à une lutte de pouvoir entre différentes factions militaires, à l’émergence de seigneurs de guerre régionaux, ou à une prise de contrôle par les gangs criminels qui ont prospéré sous le chavisme. Dans tous ces scénarios, la population civile vénézuélienne serait la première victime.
Nous sommes à un carrefour historique. Les décisions prises dans les prochains jours ou les prochaines semaines pourraient façonner l’avenir de toute une région pour les décennies à venir. Et pourtant, ces décisions sont prises dans le secret de salles de réunion de la Maison-Blanche, loin des regards, loin du débat démocratique. C’est ainsi que commencent les guerres modernes — non par des déclarations solennelles, mais par des ordres chuchotés, des frappes nocturnes, des opérations noires dont on ne connaîtra peut-être jamais tous les détails.
Conclusion
L’arrivée du porte-avions USS Gerald R. Ford dans les Caraïbes marque un tournant décisif dans la confrontation entre les États-Unis et le Venezuela. Ce n’est plus seulement une guerre de mots, une escalade de sanctions économiques, ou une campagne de pression diplomatique. C’est désormais une menace militaire tangible, matérialisée par des dizaines de navires de guerre, des milliers de soldats, et une capacité de frappe capable de pulvériser les défenses vénézuéliennes en quelques heures. Donald Trump a déclaré être « plus ou moins décidé » sur la marche à suivre, une formulation volontairement ambiguë qui maintient la pression maximale sur le régime de Nicolás Maduro. Pendant ce temps, le Venezuela a mobilisé 200 000 militaires et miliciens, déployé des systèmes anti-aériens à travers tout son territoire, et juré de résister jusqu’à la mort face à ce qu’il perçoit comme une agression impérialiste.
Derrière le prétexte officiel de la lutte contre le narcotrafic se cachent des enjeux bien plus vastes : le contrôle des plus grandes réserves pétrolières mondiales, l’influence géopolitique sur l’Amérique latine, et la volonté de l’administration Trump d’éliminer un régime hostile aligné sur la Chine, la Russie et l’Iran. Les frappes meurtrières contre des embarcations présumées de narcotrafiquants ont déjà fait plus de 80 morts, sans procès, sans enquête indépendante. La CIA a reçu l’autorisation présidentielle pour mener des opérations létales au Venezuela. Une base militaire abandonnée de la guerre froide à Porto Rico a été réactivée. Tous les éléments d’une intervention majeure sont en place. Il ne manque plus que l’ordre final.
Les conséquences d’une telle intervention seraient dévastatrices, non seulement pour le Venezuela mais pour toute la région. Des dizaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, une crise humanitaire d’ampleur continentale, une instabilité géopolitique qui pourrait durer des décennies. L’opinion publique américaine s’oppose majoritairement à une nouvelle guerre, mais l’histoire montre que cela n’a pas toujours suffi à empêcher les présidents américains d’agir. Nous sommes à un moment charnière où les décisions prises dans les prochains jours détermineront si cette crise se résoudra par la diplomatie ou par le feu. Le monde retient son souffle. Les Caraïbes tremblent. Et quelque part, sur le pont du plus puissant porte-avions jamais construit, des pilotes vérifient leurs systèmes d’armes, prêts à décoller au moindre signal. L’histoire s’écrit en ce moment même, et personne ne peut prédire comment se terminera ce chapitre dangereux.