Danielle Smith et son pari risqué
Danielle Smith n’est pas du genre à se laisser intimider. Depuis qu’elle a pris les rênes de l’Alberta, elle a fait du développement énergétique sa priorité absolue, quitte à se mettre à dos Ottawa, la Colombie-Britannique et les groupes environnementaux. Son projet de pipeline est audacieux, certains diraient même téméraire. Elle propose de créer une société d’État albertaine pour piloter le projet, en partenariat avec des géants privés comme Enbridge, South Bow et Trans Mountain. L’objectif? Trouver un consortium privé prêt à financer et construire ce pipeline d’un million de barils par jour. Mais voilà le problème : aucun investisseur privé ne veut toucher à ce projet tant qu’Ottawa n’a pas garanti un processus d’approbation accéléré. Et c’est précisément ce que Smith réclame de Carney.
Le tracé exact du pipeline n’a pas encore été déterminé, et l’Alberta prévoit de soumettre sa demande officielle au printemps 2026. Mais cette incertitude alimente les critiques. Naheed Nenshi, chef de l’opposition officielle albertaine, a déclaré qu’il n’était pas surpris de voir l’Alberta exclue de la liste de Carney, parce qu’il n’y a tout simplement aucun projet concret. Selon lui, Smith a annoncé quelque chose sans investisseur privé, sans financement, et sans avoir consulté les communautés le long du tracé. C’est une annonce politique, pas un véritable projet. Et c’est pour ça qu’Ottawa ne la prend pas au sérieux.
L’isolement géographique comme malédiction économique
Grant Fagerheim insiste sur un point crucial : l’Alberta et la Saskatchewan sont les seules provinces canadiennes sans accès direct à un océan. Cette réalité géographique les rend entièrement dépendantes des infrastructures interprovinciales pour exporter leurs ressources. Et c’est là que le bât blesse. Parce que ces infrastructures traversent d’autres provinces, elles nécessitent l’approbation du gouvernement fédéral. Et Ottawa, influencé par les pressions environnementales et politiques, traîne les pieds depuis des années. Résultat? Le pétrole albertain ne peut pas atteindre les marchés internationaux, et il se vend à rabais aux raffineries américaines. Les Américains, eux, n’ont aucun scrupule à revendre ce pétrole à prix fort aux acheteurs mondiaux, empochant au passage des profits qui auraient dû revenir au Canada.
Cette situation est non seulement injuste, mais elle est économiquement catastrophique pour l’Ouest. Chaque année, des milliards de dollars de revenus potentiels s’envolent à cause de cette décote artificielle imposée par le manque de capacité de transport. Et ce n’est pas seulement une question d’argent. C’est une question de souveraineté économique, de dignité nationale. Comment peut-on prétendre être une superpuissance énergétique quand on est incapable de vendre ses propres ressources à leur juste valeur? Comment peut-on demander à l’Alberta de continuer à alimenter les finances fédérales quand Ottawa refuse de lui donner les outils nécessaires pour prospérer?
Le spectre de la péréquation et du ressentiment régional
Et puis il y a la question de la péréquation, ce système fédéral qui redistribue les revenus des provinces riches vers les provinces plus pauvres. L’Alberta, avec son industrie pétrolière florissante, contribue des milliards de dollars chaque année à ce système, souvent sans recevoir quoi que ce soit en retour. En 2024 seulement, l’Alberta a versé environ 25 milliards de dollars de plus au fédéral qu’elle n’en a reçu en services et transferts. Pendant ce temps, le Québec, l’Ontario et les provinces de l’Atlantique bénéficient généreusement de ces paiements de péréquation. Et voilà que Carney annonce des projets de plusieurs milliards au Québec et en Ontario, tout en ignorant complètement l’Alberta. Pour beaucoup d’Albertains, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Ils ont l’impression de financer le développement du reste du pays tout en étant relégués au rang de citoyens de seconde zone.
Scott Moe, premier ministre de la Saskatchewan, partage cette frustration. Il a qualifié le pipeline proposé par Smith de « projet d’infrastructure le plus important de notre génération », un projet qui pourrait transformer l’économie canadienne et créer des milliers d’emplois à travers le pays. Pour lui, ce n’est pas qu’une question albertaine. C’est une question nationale. Et le fait qu’Ottawa refuse de le reconnaître est incompréhensible. Moe a même proposé une vision encore plus ambitieuse : un corridor énergétique de port en port, reliant Prince Rupert sur la côte britanno-colombienne à Churchill au Manitoba, sur les rives de la baie d’Hudson. Un réseau qui transporterait non seulement du pétrole, mais aussi du gaz naturel, de l’électricité, et d’autres marchandises. Un projet qui pourrait véritablement unir le pays au lieu de le diviser.
Et là, je me demande : pourquoi est-ce si difficile? Pourquoi est-ce qu’on n’arrive pas à construire des infrastructures qui profitent à tout le monde? Parce qu’au fond, ce pipeline, ce corridor énergétique, c’est pas juste bon pour l’Alberta ou la Saskatchewan. C’est bon pour tout le Canada. Mais non, on préfère se tirer dans les pieds, se diviser, s’accuser mutuellement. Et pendant qu’on se chicane, d’autres pays avancent, construisent, prospèrent. Nous, on stagne.
La Colombie-Britannique comme rempart infranchissable
David Eby et son refus catégorique
Si Danielle Smith est la force irrésistible, David Eby est l’objet immobile. Le premier ministre britanno-colombique a été on ne peut plus clair : il ne soutiendra jamais un nouveau pipeline traversant sa province. Pour Eby, le projet de Smith n’est qu’une chimère politique, une annonce spectaculaire dépourvue de substance. Il a même été jusqu’à dire que le Canada n’est pas le « Danielle Smith show », une pique acerbe qui illustre à quel point les relations entre les deux provinces se sont détériorées. Eby accuse Smith de mettre en péril des projets prioritaires pour la Colombie-Britannique, comme la phase 2 de LNG Canada, l’expansion du port de Prince Rupert et le projet Ksi Lisims LNG. Selon lui, en poussant pour un pipeline impopulaire, Smith risque d’aliéner les Premières Nations dont le soutien est essentiel pour ces autres projets.
Adrian Dix, ministre britanno-colombique de l’Énergie, a qualifié la proposition de Smith de « purement politique », une initiative conçue pour marquer des points auprès de l’électorat albertain plutôt que pour répondre à un besoin économique réel. Il souligne que Smith n’a même pas consulté les communautés autochtones le long du tracé proposé avant de faire son annonce, ce qui, selon lui, démontre un manque flagrant de respect et de préparation. Et il n’a pas tort. Les Premières Nations côtières de la Colombie-Britannique ont une longue histoire d’opposition aux projets pétroliers. Elles ont joué un rôle déterminant dans le blocage de Northern Gateway dans les années 2010, et elles sont tout aussi déterminées à empêcher ce nouveau pipeline de voir le jour.
Les Premières Nations en première ligne de la résistance
Marilyn Slett, présidente de Coastal First Nations et chef de la nation Heiltsuk, ne mâche pas ses mots. Elle affirme que ses communautés ont travaillé pendant des décennies pour protéger la côte britanno-colombienne du pétrole brut, et qu’elles ne laisseront pas un nouveau pipeline détruire ces efforts. Pour elle, ce projet est une « fantaisie fossile » qui éloigne le Canada de la véritable réconciliation avec les peuples autochtones. Slett rappelle que personne n’est venu consulter sa communauté avant que Smith ne fasse son annonce, et que cette absence de dialogue respectueux est inacceptable. Les Premières Nations côtières ont imposé une interdiction aux pétroliers le long de la côte, et elles comptent bien la faire respecter, peu importe ce que disent les politiciens d’Alberta.
Janelle Lapointe, conseillère principale à la Fondation David Suzuki, va encore plus loin. Elle qualifie le projet de Smith de menace directe à la réconciliation, un retour en arrière vers une époque où les projets énergétiques étaient imposés aux communautés autochtones sans leur consentement. Lapointe et son organisation ont intensifié leurs efforts de lobbying auprès du gouvernement fédéral, déposant des mémoires, organisant des campagnes publiques, mobilisant l’opinion. Ils veulent s’assurer que le nouveau cadre des projets d’importance nationale ne devienne pas une porte dérobée pour l’expansion pétrolière et gazière. Et ils ont des alliés puissants : des groupes environnementaux partout au pays, des scientifiques, des militants… une coalition redoutable déterminée à bloquer ce pipeline coûte que coûte.
Un conflit interprovincial qui menace l’unité nationale
Ce qui se joue ici, c’est bien plus qu’un simple désaccord sur un projet d’infrastructure. C’est un affrontement entre deux visions radicalement différentes de l’avenir du Canada. D’un côté, l’Alberta et la Saskatchewan défendent une vision économique pragmatique : exploiter les ressources naturelles pour générer de la richesse, créer des emplois, renforcer la position du Canada sur la scène mondiale. De l’autre, la Colombie-Britannique et les groupes environnementaux prônent une transition rapide vers les énergies renouvelables, la protection des écosystèmes fragiles, et le respect des droits autochtones. Ces deux visions sont-elles irréconciliables? Peut-être pas. Mais le ton du débat, les accusations mutuelles, les insultes à peine voilées… tout ça suggère qu’on est loin, très loin d’un compromis.
John Rustad, chef du Parti conservateur de la Colombie-Britannique, a pris position pour l’Alberta, accusant Eby d’être « moralement en faillite » dans son opposition au pipeline. Rustad estime que la Colombie-Britannique bénéficie déjà énormément de l’industrie pétrolière albertaine et qu’il serait hypocrite de bloquer ce projet. Mais Eby ne bronche pas. Il sait que son électorat, particulièrement sur la côte, est farouchement opposé à tout nouveau pipeline. Et dans un contexte politique fragile, où chaque vote compte, il ne peut pas se permettre de fléchir. Alors le bras de fer continue, avec Ottawa pris au milieu, incapable ou peu désireux de trancher dans un sens ou dans l’autre. Et pendant ce temps, l’Ouest bout, la Colombie-Britannique résiste, et le Canada se fracture un peu plus chaque jour.
C’est fascinant, d’une certaine manière, de voir à quel point on est incapables de nous mettre d’accord. On parle tous de bâtir un Canada fort, uni, prospère… mais dès qu’on descend dans les détails, dès qu’on parle de vrais projets, de vraies décisions, tout s’effondre. On se regarde en chiens de faïence, on se lance des accusations, et au final, personne ne gagne. C’est épuisant, franchement.
Le secteur énergétique albertain : diabolisé ou incompris?
La perception d’une industrie « sale »
Grant Fagerheim, PDG de Whitecap Resources, ne cache pas sa frustration face à l’image du secteur énergétique albertain dans le reste du Canada. Il affirme que l’industrie a été « diabolisée », victime d’une campagne de désinformation qui la présente comme polluante, irresponsable, et incompatible avec les objectifs climatiques du pays. Pourtant, la réalité est bien différente. Les producteurs de pétrole et de gaz de l’Ouest canadien investissent massivement dans les technologies de réduction des émissions, dans la capture et le stockage du carbone, dans l’innovation. Le projet de séquestration du carbone de Weyburn, en Saskatchewan, est le plus grand au monde. Mais cette information ne résonne pas ici, au Canada. Fagerheim raconte qu’il reçoit plus de reconnaissance et d’applaudissements en Europe et en Asie qu’au Canada lorsqu’il parle de ces initiatives. C’est un paradoxe cruel : le reste du monde reconnaît les efforts de l’industrie albertaine, mais les Canadiens, eux, restent sceptiques, voire hostiles.
Cette perception erronée a des conséquences concrètes. Elle alimente l’opposition politique aux pipelines, elle justifie les réglementations fédérales qui étouffent l’industrie, elle crée un climat de méfiance et de division. Et surtout, elle ignore une vérité fondamentale : le pétrole albertain est parmi les plus propres au monde en termes d’émissions par baril. Oui, l’extraction des sables bitumineux est intensive en énergie. Mais les entreprises ont considérablement réduit leur empreinte carbone au fil des ans, grâce à l’innovation technologique et aux investissements massifs. Comparer le pétrole albertain au pétrole vénézuélien ou saoudien, c’est comme comparer une Tesla à une voiture des années 70. Ce n’est tout simplement pas la même chose. Mais cette nuance se perd dans le débat public, étouffée par des slogans simplistes et des campagnes émotionnelles.
La réalité des émissions et de l’innovation
Fagerheim insiste : les producteurs albertains passent énormément de temps, d’argent et d’énergie à réduire leurs émissions. Whitecap, par exemple, a mis en œuvre des programmes agressifs de réduction du méthane, d’optimisation des opérations, et d’intégration des énergies renouvelables dans ses activités. L’objectif? Atteindre la carboneutralité d’ici 2050, voire avant. Mais pour y arriver, l’industrie a besoin de soutien, pas d’obstruction. Elle a besoin que le gouvernement fédéral reconnaisse ses efforts, qu’il investisse dans les infrastructures nécessaires, qu’il facilite l’accès aux marchés internationaux. Au lieu de ça, Ottawa multiplie les obstacles, les réglementations, les retards. C’est comme demander à un coureur de gagner une course avec des poids attachés aux chevilles. Ça n’a aucun sens.
Et puis il y a la question de la demande mondiale. Qu’on le veuille ou non, le pétrole et le gaz naturel vont continuer à jouer un rôle crucial dans l’économie mondiale pendant encore des décennies. Les pays en développement, en particulier, ont besoin de ces ressources pour alimenter leur croissance, pour sortir des millions de personnes de la pauvreté. Le Canada a le choix : soit il fournit ce pétrole et ce gaz, produits de manière responsable avec des normes environnementales strictes, soit il laisse ce marché aux Saoudiens, aux Russes, aux Vénézuéliens, dont les standards sont bien inférieurs. D’un point de vue climatique, il est préférable que le monde s’approvisionne en pétrole canadien plutôt qu’en pétrole de pays aux pratiques douteuses. Mais ce raisonnement, aussi logique soit-il, peine à percer dans le débat public canadien, dominé par une rhétorique anti-pétrole souvent déconnectée des réalités économiques et géopolitiques.
Si ces ressources étaient ailleurs…
Fagerheim pose une question provocante mais pertinente : si ces ressources pétrolières et gazières se trouvaient en Ontario ou au Québec, est-ce que la conversation serait différente? La réponse, selon lui, est un oui retentissant. Si le pétrole albertain se trouvait dans l’Est du pays, il y aurait depuis longtemps des pipelines vers l’Atlantique, des investissements fédéraux massifs, un soutien politique inconditionnel. Mais parce que ces ressources sont dans l’Ouest, dans des provinces perçues comme conservatrices, pro-industrie, éloignées des centres de pouvoir, elles sont traitées avec suspicion, voire mépris. C’est une injustice régionale qui alimente le ressentiment, qui nourrit les mouvements séparatistes, qui menace l’unité même du Canada.
Cette perception d’un double standard est largement partagée en Alberta et en Saskatchewan. Les gens de l’Ouest ont l’impression que leurs contributions économiques sont prises pour acquises, que leur expertise est ignorée, que leurs préoccupations sont balayées du revers de la main. Et ils n’ont pas complètement tort. Quand le Québec demande de l’argent fédéral pour un projet d’infrastructure, Ottawa ouvre généralement les vannes sans trop de questions. Quand l’Alberta demande un soutien pour un pipeline, c’est une bataille interminable, une avalanche de consultations, d’évaluations environnementales, de contestations juridiques. Deux poids, deux mesures. Et cette inégalité de traitement, réelle ou perçue, est en train de creuser un fossé de plus en plus large entre l’Ouest et le reste du pays.
Je sais pas vous, mais moi, ça me rend triste. Vraiment triste. Parce qu’au fond, on devrait être fiers de notre industrie énergétique. On devrait être fiers de produire du pétrole et du gaz de manière responsable, avec des standards environnementaux parmi les plus élevés au monde. Mais au lieu de ça, on se flagelle, on s’excuse, on fait comme si c’était honteux. Et pendant ce temps, d’autres pays, beaucoup moins scrupuleux que nous, continuent de produire et d’exporter sans se poser de questions. C’est absurde.
Mark Carney et les projets "nation-building" : un Canada à deux vitesses?
Les projets retenus et les grands absents
Le 13 novembre 2025, Mark Carney a donc dévoilé la deuxième vague de ses projets d’importance nationale. Sept nouveaux projets, représentant des milliards de dollars d’investissements. La mine Sisson au Nouveau-Brunswick, le projet de nickel Crawford en Ontario, plusieurs infrastructures en Colombie-Britannique, dont le projet de GNL Ksi Lisims… La liste est longue et impressionnante. Mais l’absence de l’Alberta saute aux yeux. Pas un seul projet albertain. Pas un mot sur le pipeline. Rien. David Eby n’a pas manqué l’occasion de pavoiser, déclarant que trois projets britanno-colombiques avaient été retenus, preuve que sa province avait fait ses devoirs, contrairement à l’Alberta. Doug Ford, premier ministre de l’Ontario et allié de Carney, a célébré l’inclusion de projets miniers ontariens. Le Québec aussi s’est réjoui, avec la mine de graphite de Nouveau Monde Graphite à Saint-Michel-des-Saints. Tout le monde est content… sauf l’Ouest.
Carney a justifié ses choix en expliquant que ces projets correspondaient à sa vision d’un Canada diversifié, moins dépendant des États-Unis, tourné vers les minéraux critiques, les énergies renouvelables, les infrastructures du futur. Noble objectif. Mais en excluant l’Alberta, il envoie un message clair : l’industrie pétrolière et gazière n’a pas sa place dans cette vision. Ou du moins, pas encore. Rebecca Schulz, ministre albertaine de l’Environnement, a réagi avec amertume, soulignant qu’Ottawa parle beaucoup de devenir une superpuissance énergétique, mais qu’aucune action concrète n’accompagne ces paroles. Pour elle, c’est de l’hypocrisie pure et simple. Comment peut-on prétendre être une superpuissance énergétique en ignorant la plus grande source d’énergie du pays?
Les négociations dans l’ombre : espoir ou illusion?
Pourtant, tout n’est peut-être pas perdu. Danielle Smith affirme que des négociations sont en cours avec Ottawa pour conclure un protocole d’entente qui verrait le pipeline albertain inscrit sur la liste de Carney. Selon elle, ces discussions sont « sensibles » et se déroulent à huis clos, loin des projecteurs médiatiques. Elle espère qu’un accord pourra être trouvé dans les prochains jours ou semaines, un accord qui verrait Ottawa s’engager à abolir ou réformer les lois anti-pétrole héritées du gouvernement Trudeau, et à faciliter l’approbation du pipeline. Mais elle avertit aussi : si Carney refuse de bouger, l’Alberta saura très vite si le gouvernement fédéral a l’intention de soutenir son avenir économique ou de l’abandonner à son sort.
Les observateurs restent sceptiques. Beaucoup doutent qu’Ottawa accepte de prendre un tel risque politique. Soutenir un pipeline albertain, c’est s’aliéner la Colombie-Britannique, les groupes environnementaux, une partie importante de l’électorat progressiste. C’est un pari dangereux pour Carney, dont la coalition politique est déjà fragile. Et puis, il y a la question de la crédibilité. Comment Carney pourrait-il justifier d’inclure un projet qui n’a pas encore de financement privé, pas de tracé défini, pas de consultations complètes avec les Premières Nations? Naheed Nenshi a raison sur un point : il n’y a pas encore de véritable projet. Juste une annonce, une intention, une ambition. Et les intentions ne suffisent pas pour figurer sur une liste de projets d’importance nationale.
L’Ontario et le Québec encore une fois favorisés
Pendant ce temps, l’Ontario et le Québec continuent de récolter les fruits de leur proximité avec Ottawa. Doug Ford, qui entretient une relation chaleureuse avec Carney, a obtenu l’inclusion de projets miniers stratégiques en Ontario, notamment la mine de nickel Crawford. Le Québec, de son côté, voit la mine de graphite de Nouveau Monde Graphite propulsée au rang de projet national, avec des promesses d’investissements fédéraux massifs. Pour les Albertains, c’est la preuve flagrante d’un favoritisme régional. Ils voient un système où les provinces centrales, riches en sièges électoraux et en influence politique, sont choyées, tandis que l’Ouest est systématiquement ignoré. Et ce sentiment d’injustice ne fait que renforcer les appels à l’autonomie, voire à la sécession, qui gagnent du terrain en Alberta.
Le système de péréquation, encore lui, revient sur le tapis. L’Alberta finance une grande partie du budget fédéral, mais elle ne voit que très peu de retour sur investissement. Les infrastructures fédérales sont concentrées dans l’Est. Les projets d’importance nationale également. Les subventions, les crédits d’impôt, les aides diverses… tout semble converger vers le Québec et l’Ontario. L’Ouest, lui, est laissé à lui-même, sommé de continuer à produire, à générer de la richesse, mais sans recevoir le soutien nécessaire pour le faire efficacement. C’est un cercle vicieux qui alimente la frustration, le ressentiment, et qui pousse de plus en plus d’Albertains à remettre en question leur place dans la fédération canadienne.
Et voilà, on y revient toujours. Le Québec, l’Ontario, encore et toujours. Je dis pas qu’ils méritent pas leurs projets, loin de là. Mais pourquoi est-ce que ça doit toujours se faire au détriment de l’Ouest? Pourquoi est-ce qu’on peut pas tous avoir notre part du gâteau? C’est comme si le Canada avait décidé que certaines régions comptent plus que d’autres. Et ça, c’est dangereux. Vraiment dangereux.
Les implications géopolitiques et économiques d'un statu quo
Le pétrole albertain vendu à rabais aux Américains
Chaque jour qui passe sans nouvelle capacité de pipeline, c’est de l’argent qui s’envole. Le pétrole albertain se vend actuellement avec une décote importante par rapport au prix du marché mondial, simplement parce qu’il n’y a pas assez de pipelines pour l’acheminer vers les ports. Résultat? Les producteurs albertains sont forcés de vendre à prix réduit aux raffineries américaines, qui elles-mêmes revendent ce pétrole raffiné à prix fort sur les marchés internationaux. C’est un système qui enrichit les États-Unis au détriment du Canada, et qui coûte des milliards de dollars par an à l’économie albertaine. Grant Fagerheim estime que si le Canada avait un accès direct aux marchés internationaux via des pipelines vers la côte Ouest, le pétrole albertain se vendrait à son juste prix, générant des revenus supplémentaires massifs pour les producteurs, les provinces, et le gouvernement fédéral.
Cette dépendance vis-à-vis des États-Unis est non seulement économiquement coûteuse, mais elle est aussi stratégiquement risquée. Le Canada est à la merci des décisions politiques américaines, des fluctuations de leur demande, de leurs priorités énergétiques. Si les États-Unis décident de réduire leurs importations de pétrole canadien, l’Alberta n’a nulle part où aller. Elle est piégée, enclavée, sans alternative. C’est une vulnérabilité énorme, et c’est précisément ce que le pipeline vers la côte Ouest pourrait corriger. En ouvrant l’accès aux marchés asiatiques, en particulier la Chine, l’Inde, le Japon, et la Corée du Sud, le Canada pourrait diversifier ses débouchés, réduire sa dépendance envers les États-Unis, et maximiser ses revenus pétroliers.
La concurrence mondiale et la course aux ressources
Pendant que le Canada débat interminablement de la construction de pipelines, d’autres pays agissent. La Russie, l’Arabie saoudite, les États-Unis, le Venezuela… tous continuent de produire et d’exporter du pétrole et du gaz à grande échelle, sans se soucier outre mesure des préoccupations environnementales ou des droits autochtones. Ces pays captent les parts de marché que le Canada pourrait revendiquer. Ils profitent de l’inaction canadienne pour consolider leur position sur les marchés mondiaux. Et le pire, c’est que leur pétrole est souvent beaucoup plus polluant que le pétrole albertain. En refusant de construire les infrastructures nécessaires, le Canada ne réduit pas la demande mondiale de pétrole. Il se contente de céder sa place à des producteurs moins responsables. D’un point de vue climatique, c’est un non-sens complet.
La demande mondiale de pétrole et de gaz ne va pas disparaître du jour au lendemain. Selon l’Agence internationale de l’énergie, même dans les scénarios les plus optimistes de transition énergétique, le pétrole restera une composante importante du mix énergétique mondial jusqu’en 2050 au moins. Les pays en développement, en particulier, vont continuer à avoir besoin de ces ressources pour alimenter leur croissance économique. Le Canada a donc un choix à faire : soit il saisit cette opportunité, il construit les infrastructures nécessaires, et il devient un fournisseur responsable de pétrole et de gaz, soit il laisse ce marché à d’autres, et il regarde son industrie énergétique décliner lentement. C’est une question de pragmatisme économique autant que de responsabilité climatique.
Le risque d’une fracture nationale irréversible
Mais au-delà des questions économiques et géopolitiques, il y a un risque encore plus grave : celui d’une fracture nationale irréversible. L’Ouest canadien se sent abandonné, ignoré, méprisé. Ce sentiment n’est pas nouveau, mais il s’intensifie d’année en année. Les mouvements séparatistes, autrefois marginaux, gagnent en popularité. Des partis politiques comme le Parti indépendantiste de l’Alberta attirent de plus en plus de sympathisants. Les sondages montrent qu’une proportion significative d’Albertains envisageraient sérieusement la séparation si la situation ne s’améliore pas. Et ce n’est pas qu’une question de rhétorique politique. C’est un sentiment profond, viscéral, nourri par des décennies de frustration et de négligence perçue.
Si Ottawa continue d’ignorer les demandes de l’Ouest, si Carney persiste à exclure l’Alberta de ses projets d’importance nationale, si aucun pipeline n’est construit dans les prochaines années, il est tout à fait possible que l’Alberta décide qu’elle en a assez. Qu’elle décide de tenir un référendum sur la séparation. Et si ce jour arrive, ce sera une catastrophe pour le Canada. Perdre l’Alberta, c’est perdre une part énorme de l’économie canadienne, des revenus fiscaux, des ressources naturelles. C’est aussi ouvrir la porte à d’autres fractures, à d’autres sécessions. La Saskatchewan pourrait suivre. Les provinces de l’Atlantique pourraient revendiquer plus d’autonomie. Le Québec, bien sûr, pourrait relancer son propre mouvement séparatiste. Le Canada, tel qu’on le connaît, pourrait tout simplement cesser d’exister. Et tout ça parce qu’on n’a pas été capables de construire un pipeline.
Je veux pas être dramatique, mais… on est vraiment au bord du gouffre. Je sais que ça sonne alarmiste, mais c’est la vérité. L’Ouest en a marre. Vraiment marre. Et si on fait rien, si on continue comme ça, on va droit vers une crise constitutionnelle majeure. Et franchement, je sais même pas si on s’en remettrait. Parce qu’une fois que la confiance est brisée, une fois que les gens ont l’impression qu’on les a trahis… c’est presque impossible de revenir en arrière.
Les voix de l'opposition et les alternatives possibles
Les groupes environnementaux et leur stratégie de blocage
Les groupes environnementaux canadiens ne restent pas les bras croisés. Depuis des mois, ils intensifient leurs efforts de lobbying auprès du gouvernement fédéral pour s’assurer qu’aucun nouveau pipeline ne soit approuvé. La Fondation David Suzuki, Environmental Defence, le Sierra Club, et des dizaines d’autres organisations ont déposé des mémoires, organisé des manifestations, mobilisé l’opinion publique. Leur message est clair : le nouveau cadre des projets d’importance nationale ne doit pas devenir une porte dérobée pour l’expansion pétrolière et gazière. Ils soutiennent que le Canada doit accélérer sa transition vers les énergies renouvelables, pas investir dans des infrastructures fossiles qui vont nous enfermer dans une trajectoire carbone élevée pour les décennies à venir.
Janelle Lapointe, de la Fondation David Suzuki, qualifie le projet de pipeline de Smith de « fantaisie fossile », un rêve du passé qui n’a plus sa place dans le Canada de demain. Elle argue que les investissements devraient être dirigés vers les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les infrastructures vertes. Pas vers un pipeline qui transportera du bitumen, l’une des formes de pétrole les plus intensives en carbone. Lapointe et ses collègues ont promis de ramper leurs efforts de lobbying si l’Alberta soumet officiellement son projet au Bureau des grands projets. Ils préparent des campagnes publiques, des contestations juridiques, des actions directes. Ils sont déterminés à bloquer ce pipeline, coûte que coûte.
Le corridor énergétique comme compromis potentiel
Mais il existe peut-être une voie médiane, un compromis qui pourrait satisfaire tout le monde. Grant Fagerheim et Scott Moe ont proposé l’idée d’un corridor énergétique plutôt qu’un simple pipeline. Un corridor qui transporterait non seulement du pétrole et du gaz, mais aussi de l’électricité, des minéraux critiques, et d’autres marchandises. Un réseau intégré qui relierait l’Ouest à l’Est, le Nord au Sud, et qui bénéficierait à toutes les régions du Canada. Ce corridor pourrait inclure des lignes de transmission électrique pour acheminer l’énergie hydroélectrique du Manitoba et du Québec vers l’Ouest, des voies ferrées pour transporter les minéraux critiques, et oui, des pipelines pour le pétrole et le gaz.
Cette vision d’un corridor énergétique est séduisante parce qu’elle transforme le débat. Au lieu de parler uniquement de pétrole, on parle d’infrastructure nationale, de connectivité, de prospérité partagée. C’est un projet qui pourrait véritablement unir le pays au lieu de le diviser. Scott Moe, en particulier, a mis de l’avant l’idée d’un corridor de port en port, reliant Prince Rupert sur la côte Ouest à Churchill sur la baie d’Hudson. Ce corridor ouvrirait de nouveaux marchés pour les ressources canadiennes, faciliterait le commerce interprovincial, et renforcerait la souveraineté économique du pays. Mais pour que cette vision devienne réalité, il faut de la volonté politique, du leadership, et surtout, un esprit de compromis. Trois choses qui semblent cruellement manquer dans le débat actuel.
Les Premières Nations divisées : un enjeu de consultation
Il serait faux de dire que toutes les Premières Nations s’opposent au pipeline. Certaines communautés autochtones, en particulier à l’intérieur des terres, voient dans ce projet une opportunité économique majeure. Des emplois, des contrats, des revenus… autant de bénéfices potentiels qui pourraient transformer leurs communautés. Plusieurs nations autochtones albertaines et saskatchewanaises ont exprimé leur soutien au projet, à condition d’être consultées de manière appropriée et de recevoir une part équitable des bénéfices. Le problème, c’est que les Premières Nations côtières de la Colombie-Britannique, elles, sont farouchement opposées. Et leur opposition est compréhensible : ce sont elles qui porteraient les risques environnementaux en cas de déversement, ce sont leurs eaux, leurs terres, leur mode de vie qui seraient menacés.
Cette division au sein des communautés autochtones complique énormément le débat. Comment réconcilier les intérêts de nations qui soutiennent le projet avec ceux de nations qui s’y opposent? Comment s’assurer que toutes les voix sont entendues, que toutes les préoccupations sont prises en compte? Danielle Smith a promis de mener des consultations approfondies avec toutes les Premières Nations le long du tracé proposé, mais ces consultations n’ont pas encore vraiment commencé. Et tant qu’elles ne seront pas terminées, tant qu’un consensus minimal n’aura pas été trouvé, il sera extrêmement difficile d’avancer. Le consentement des Premières Nations est non seulement une obligation légale, mais aussi une question de justice et de réconciliation. Et ignorer cet impératif serait non seulement moralement inacceptable, mais aussi politiquement suicidaire.
C’est là que ça devient vraiment compliqué, hein? Parce qu’on peut pas juste imposer un projet aux Premières Nations. On peut pas. C’est fini, ce temps-là. Et c’est une bonne chose. Mais en même temps, comment on fait quand différentes nations ont des opinions opposées? Comment on trouve un terrain d’entente? J’ai pas la réponse, honnêtement. Mais je sais qu’on peut pas l’ignorer. On doit trouver une façon de faire qui respecte tout le monde, qui écoute tout le monde. Sinon, on va juste créer plus de division, plus de ressentiment.
Conclusion
Alors voilà où on en est. L’Ouest canadien au bord de l’explosion, la patience qui s’étiole, la colère qui monte. L’Alberta et la Saskatchewan qui regardent le reste du Canada avec un mélange de frustration et d’incompréhension. Mark Carney qui annonce ses projets d’importance nationale, mais qui oublie, encore une fois, de mettre l’Ouest sur la carte. Danielle Smith qui négocie dans l’ombre, qui espère un accord, qui lance des ultimatums. David Eby qui refuse, qui bloque, qui protège sa province et ses électeurs. Les Premières Nations divisées entre opportunité et menace. Les groupes environnementaux mobilisés, déterminés à empêcher toute expansion pétrolière. Et pendant ce temps, le pétrole albertain continue de se vendre à rabais aux Américains, les milliards de dollars continuent de fuir vers le sud, et le Canada continue de se demander comment il va devenir une superpuissance énergétique sans construire les infrastructures nécessaires.
C’est un gâchis. Un gâchis monumental. Parce qu’on a tout ce qu’il faut pour réussir. Des ressources abondantes, une expertise reconnue mondialement, des normes environnementales parmi les plus strictes, un potentiel économique immense. Mais on est paralysés par nos divisions, nos peurs, nos idéologies. On est incapables de s’entendre sur la moindre infrastructure, le moindre projet. On passe notre temps à se chicaner, à se pointer du doigt, à s’accuser mutuellement. Et pendant qu’on se regarde en chiens de faïence, le reste du monde avance, construit, prospère. Nous, on stagne. Et le pire, c’est qu’on sait tous ce qu’il faudrait faire. Construire ce pipeline. Ou ce corridor énergétique. Consulter les Premières Nations de manière respectueuse et équitable. Investir dans la capture du carbone pour décarboniser l’industrie. Ouvrir l’accès aux marchés internationaux. Diversifier nos débouchés. Renforcer notre souveraineté économique. C’est pas compliqué, en théorie. Mais en pratique, c’est apparemment impossible.
Grant Fagerheim a prévenu : attendez-vous à une « fureur venue d’Alberta et de Saskatchewan » si ce pipeline n’est pas construit. Et ce n’est pas une menace en l’air. C’est un avertissement. L’Ouest en a assez d’être ignoré, marginalisé, traité comme un citoyen de seconde classe dans son propre pays. Si Ottawa ne bouge pas, si Carney continue d’exclure l’Alberta de ses projets, les conséquences pourraient être catastrophiques. On parle de séparatisme, de fracture nationale, de la fin du Canada tel qu’on le connaît. Et ce n’est pas de la science-fiction. C’est une possibilité réelle, de plus en plus probable. Alors oui, la colère de l’Alberta et de la Saskatchewan, c’est sérieux. C’est urgent. Et il est temps qu’Ottawa l’écoute, avant qu’il ne soit trop tard. Parce qu’une fois que la confiance est brisée, une fois que le ressentiment s’est transformé en haine… il n’y a plus de retour en arrière possible. Et ce jour-là, on aura tous perdu. Tous.
Rebecca Schulz l’a dit clairement : les Albertains perdent patience. Danielle Smith a fixé un délai : les prochains jours diront si Ottawa soutient l’avenir économique de l’Alberta ou l’abandonne. On est à un tournant. Un moment charnière dans l’histoire canadienne. Et la décision qu’on prend maintenant, ou qu’on ne prend pas, va définir l’avenir de ce pays pour les décennies à venir. Alors j’espère, vraiment, qu’on va faire le bon choix. Qu’on va arrêter de se diviser, qu’on va commencer à bâtir ensemble. Parce que c’est ça, le Canada. Ou du moins, c’est ce qu’il devrait être. Un pays uni, fort, capable de surmonter ses différences pour construire quelque chose de plus grand. Mais pour l’instant, on est loin du compte. Très loin. Et le temps presse.