Sheinbaum refuse toute subordination
Claudia Sheinbaum, première femme présidente du Mexique, incarne une résistance ferme face aux pressions américaines. Depuis son élection, elle a multiplié les déclarations affirmant que le Mexique ne tolérera jamais une « invasion » de sa souveraineté nationale. Lors de ses conférences de presse quotidiennes, elle a répété que la coopération avec les États-Unis doit se faire dans le respect mutuel, jamais par la subordination ou l’interventionnisme. En réponse aux menaces de Trump, elle a déclaré mardi 18 novembre 2025 que toute intervention militaire américaine « n’arrivera pas » et que son gouvernement n’a reçu « aucune information » concernant un déploiement imminent. Cette posture défensive reflète une sensibilité historique profonde au Mexique, où les interventions américaines passées, notamment l’invasion de 1846-1848, restent des blessures vives dans la mémoire collective.
Sheinbaum a également souligné que Trump lui avait proposé à plusieurs reprises d’envoyer des troupes pour aider à combattre les cartels, mais qu’elle avait systématiquement décliné ces offres. « J’ai toujours dit merci beaucoup, Président Trump. Mais non, le Mexique est un pays libre, indépendant et souverain », a-t-elle affirmé. Cette rhétorique nationaliste trouve un écho favorable dans une population mexicaine largement opposée à toute ingérence américaine. Cependant, Sheinbaum fait face à une pression intérieure considérable : les cartels contrôlent de vastes territoires, la violence atteint des niveaux records, et de nombreux Mexicains réclament des mesures drastiques. Refuser l’aide militaire américaine tout en ne parvenant pas à contenir les cartels pourrait fragiliser sa légitimité politique, un dilemme que Trump exploite habilement.
Le Venezuela, autre cible de Trump
Le Venezuela constitue l’autre front majeur de l’offensive militaire de Trump contre les cartels. L’arrivée du porte-avions USS Gerald Ford dans les Caraïbes vise principalement à exercer une pression maximale sur le régime de Nicolás Maduro, accusé par Washington de diriger le « Cartel de los Soles », désormais officiellement désigné comme organisation terroriste étrangère à partir du 24 novembre 2025. Cette classification élargit considérablement les options militaires américaines, permettant théoriquement des frappes sur le territoire vénézuélien. Trump a clairement indiqué qu’il n’excluait pas l’envoi de troupes au Venezuela, affirmant qu’il « n’excluait rien ». Cette menace s’inscrit dans une stratégie visant à renverser Maduro ou, à défaut, à paralyser son régime par la peur et l’isolement.
Caracas a vigoureusement dénoncé cette escalade, la qualifiant de tentative de changement de régime motivée par le pétrole vénézuélien. Maduro a renforcé l’union civilo-militaire du pays, encourageant les Vénézuéliens à s’enrôler volontairement dans la milice bolivarienne pour défendre les frontières et les infrastructures critiques. Le Venezuela a également alerté le Conseil de sécurité de l’ONU sur les risques d’une intervention militaire américaine, mais sans grand succès, les États-Unis disposant d’un droit de veto. Maduro s’est récemment dit prêt à dialoguer « face à face » avec Trump, une ouverture qui pourrait offrir une porte de sortie diplomatique. Cependant, Trump semble privilégier la confrontation, convaincu qu’une démonstration de force suffira à plier Caracas. Cette logique belliqueuse comporte des risques immenses, notamment celui d’embraser toute la région dans un conflit aux conséquences imprévisibles.
Les alliés latino-américains dans l’expectative
Les pays d’Amérique latine observent cette escalade avec une inquiétude croissante. Beaucoup redoutent que les actions unilatérales américaines ne créent un précédent dangereux, où Washington pourrait intervenir militairement dans n’importe quel pays sous prétexte de lutte contre le narcotrafic ou le terrorisme. La Colombie et le Panama, bien que traditionnellement proches des États-Unis, expriment des réserves face à cette militarisation. Le Brésil, l’Argentine et d’autres nations régionales appellent à des solutions multilatérales et au respect du droit international. Cependant, aucun pays ne semble disposé à confronter directement les États-Unis, par crainte de représailles économiques ou de sanctions.
Cette passivité collective reflète le déséquilibre de pouvoir flagrant entre Washington et ses voisins du Sud. L’Organisation des États américains (OEA), censée défendre la souveraineté et la non-intervention, reste largement silencieuse, perçue par beaucoup comme un instrument de l’hégémonie américaine. Certains analystes évoquent la possibilité d’une coalition latino-américaine pour contrer les ambitions de Trump, mais les divisions internes et les priorités nationales divergentes rendent une telle alliance improbable. En l’absence de contrepoids régional, Trump dispose d’une marge de manœuvre considérable pour imposer sa vision sécuritaire, transformant l’Amérique latine en théâtre de ses expérimentations militaires.
L’Amérique latine, encore une fois, devient le terrain de jeu des ambitions américaines. On nous parle de souveraineté, de droit international, mais ces mots sonnent creux face aux porte-avions et aux drones. Les gouvernements latino-américains protestent, condamnent, mais que font-ils vraiment ? Rien. Parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent rien faire. Et cette impuissance, cette résignation silencieuse, elle me hante. Combien de temps avant que cette violence devienne la norme ?
Les enjeux de la lutte antidrogue
Le fentanyl, justification de l’escalade
Au cœur de cette offensive militaire se trouve le fentanyl, un opioïde synthétique extrêmement puissant qui provoque des dizaines de milliers de morts par surdose chaque année aux États-Unis. Trump et son administration présentent cette crise comme une menace existentielle justifiant des mesures extraordinaires, y compris des frappes militaires. Le fentanyl, produit principalement dans des laboratoires clandestins au Mexique à partir de précurseurs chimiques importés de Chine, est ensuite acheminé vers les États-Unis par les cartels. Cette chaîne d’approvisionnement complexe et décentralisée rend toute interdiction difficile, mais Trump privilégie une approche kinétique plutôt que préventive.
Les données du U.S. Customs and Border Protection montrent une baisse significative des saisies de fentanyl à la frontière en 2025, ce que l’administration Trump attribue à sa politique agressive. Cependant, des experts soulignent que cette baisse pourrait refléter une évolution des routes de trafic plutôt qu’une réduction réelle de la production. Les cartels s’adaptent rapidement, utilisant des tunnels souterrains, des drones, et même des sous-marins semi-submersibles pour contourner la surveillance. Bombarder des bateaux en mer ou frapper des laboratoires au Mexique ne suffit pas à démanteler ces réseaux sophistiqués. Pourtant, Trump persiste dans cette stratégie spectaculaire, qui offre des victoires médiatiques immédiates mais des résultats tangibles limités.
Les cartels, organisations résilientes et adaptables
Les cartels mexicains ne sont pas de simples bandes criminelles ; ce sont des organisations transnationales dotées de ressources colossales, de réseaux d’influence étendus et d’une capacité d’adaptation redoutable. Le Cartel de Sinaloa, le Cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), et d’autres groupes contrôlent non seulement le trafic de drogue, mais aussi l’extorsion, le kidnapping, le trafic d’armes et l’exploitation minière illégale. Leur emprise territoriale au Mexique est telle qu’ils exercent un contrôle de facto sur certaines régions, imposant leurs lois et défiant ouvertement l’État mexicain. Face à cette puissance, les frappes aériennes américaines apparaissent comme des coups d’épée dans l’eau, éliminant quelques opérateurs mais laissant intactes les structures organisationnelles.
Les cartels répondent à la pression militaire par l’innovation et la diversification. Ils recrutent des jeunes désœuvrés, exploitent la corruption endémique, et investissent dans des technologies de contre-surveillance. Certains analystes suggèrent que la militarisation de la lutte antidrogue renforce paradoxalement les cartels, en éliminant les concurrents plus faibles et en consolidant le pouvoir des organisations les plus résilientes. Cette dynamique rappelle la guerre contre les drogues menée depuis des décennies, qui n’a jamais réussi à éradiquer le trafic mais a alimenté une violence sans fin. Trump semble ignorer ces leçons historiques, convaincu que la force brute suffira à résoudre un problème profondément enraciné dans la pauvreté, la corruption et la demande insatiable de drogues aux États-Unis.
La demande américaine, angle mort de la stratégie
Un aspect rarement mentionné par Trump dans sa rhétorique guerrière est la demande intérieure de drogues aux États-Unis. Les cartels n’existeraient pas sans les millions de consommateurs américains prêts à payer pour le fentanyl, la cocaïne, la méthamphétamine et d’autres substances. Réduire cette demande nécessiterait des investissements massifs dans la prévention, le traitement des addictions et les programmes sociaux, des domaines que l’administration Trump a largement négligés au profit de solutions militaires. Cette approche unilatérale ignore la réalité économique fondamentale du narcotrafic : tant qu’il y aura une demande lucrative, il y aura une offre.
Les experts en santé publique plaident depuis longtemps pour une stratégie de réduction des méfaits, incluant la distribution de naloxone (antidote aux overdoses d’opioïdes), les sites d’injection supervisée et la décriminalisation de la possession personnelle. Ces mesures, adoptées avec succès dans certains pays européens, réduisent les décès par surdose et permettent aux usagers d’accéder aux soins sans crainte de poursuites. Mais dans l’Amérique de Trump, où la « guerre contre les drogues » reste un mantra politique, de telles approches sont considérées comme laxistes. Ainsi, les bombes continuent de tomber sur les embarcations lointaines, pendant que les overdoses se multiplient silencieusement dans les villes américaines, loin des caméras et des déclarations triomphales.
On bombarde des bateaux à des milliers de kilomètres, on menace d’envahir des pays, mais on ne parle jamais de ceux qui consomment, de ceux qui souffrent ici, chez nous. Pourquoi ? Parce que c’est plus facile de désigner un ennemi extérieur, de transformer la crise en guerre, de remplacer la compassion par des frappes aériennes. Les cartels ne sont que la réponse à notre propre demande, le reflet de nos échecs. Mais cette vérité, elle dérange. Alors on préfère tirer et oublier.
Les risques d'une intervention militaire
La violation du droit international
Les menaces de frappes militaires sur le territoire mexicain soulèvent des questions juridiques majeures. Le droit international interdit l’usage de la force contre un État souverain sans son consentement, sauf en cas de légitime défense ou avec l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU. Les actions envisagées par Trump ne remplissent aucune de ces conditions. Le Mexique n’a pas attaqué les États-Unis, et il n’existe aucune résolution de l’ONU autorisant une intervention militaire américaine. En conséquence, toute frappe unilatérale constituerait une violation flagrante du droit international, assimilable à un acte d’agression.
Cette dérive légale n’est pas sans précédent dans l’histoire américaine récente. Les interventions en Irak, en Libye et en Syrie ont toutes soulevé des controverses similaires, Washington invoquant souvent la sécurité nationale ou la lutte contre le terrorisme pour justifier des actions unilatérales. Cependant, frapper un pays voisin avec lequel les États-Unis entretiennent d’intenses relations économiques et humaines marquerait un franchissement de ligne encore plus grave. Les répercussions diplomatiques seraient considérables, affaiblissant la crédibilité américaine sur la scène internationale et fournissant des arguments aux adversaires de Washington, notamment la Chine et la Russie, pour dénoncer l’hypocrisie occidentale en matière de respect du droit international.
Le risque d’embrasement régional
Une intervention militaire américaine au Mexique ou au Venezuela pourrait déclencher une spirale de violence incontrôlable. Les cartels, loin de capituler, pourraient intensifier leurs attaques contre les intérêts américains, y compris à l’intérieur des États-Unis. Des représailles sous forme d’attentats terroristes, de cyberattaques ou d’assassinats ciblés deviendraient probables. Le Mexique pourrait voir une explosion de violence intérieure, avec des affrontements entre forces gouvernementales, cartels et éventuellement troupes américaines. Les civils, déjà victimes de la guerre des cartels, paieraient le prix le plus lourd de cette escalade.
Au niveau régional, une intervention pourrait galvaniser les mouvements anti-américains en Amérique latine, ravivant les sentiments nationalistes et alimentant l’instabilité. Des gouvernements pourraient se rapprocher de puissances rivales comme la Chine ou la Russie, cherchant à contrebalancer l’hégémonie américaine. Le Nicaragua, Cuba et la Bolivie, déjà critiques envers Washington, pourraient offrir un soutien logistique ou rhétorique aux régimes ciblés. Cette fragmentation diplomatique affaiblirait l’influence américaine dans son propre « arrière-cour », un objectif stratégique que la Chine poursuit activement à travers ses investissements massifs dans la région. Ainsi, l’offensive militaire de Trump pourrait paradoxalement accélérer le déclin relatif des États-Unis en Amérique latine.
Les conséquences humanitaires prévisibles
Toute escalade militaire entraîne des souffrances humaines considérables, souvent invisibles derrière les communiqués de presse triomphaux. Les frappes aériennes, même soi-disant « ciblées », provoquent des erreurs, des morts civiles, des destructions d’infrastructures. Les 83 victimes déjà recensées depuis septembre 2025 ne sont que le début. Si Trump étend ses opérations au territoire mexicain, les pertes pourraient se chiffrer en centaines, voire en milliers. Les populations locales, prises entre les cartels et l’armée américaine, n’auraient nulle part où fuir. Les déplacements forcés, les pénuries alimentaires, l’effondrement des services de santé et d’éducation deviendraient la réalité quotidienne de millions de personnes.
Les organisations humanitaires s’alarment déjà de cette perspective. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et diverses ONG prédisent une crise migratoire massive si la situation se dégrade. Des centaines de milliers de Mexicains et de Vénézuéliens pourraient tenter de fuir vers les États-Unis ou d’autres pays voisins, créant une pression insoutenable sur les systèmes d’accueil. Ironiquement, cette vague migratoire serait directement causée par les politiques militaristes de Trump, le même homme qui a fait de la lutte contre l’immigration un pilier de sa présidence. Cette contradiction tragique illustre l’incohérence fondamentale de son approche : on ne peut pas bombarder un pays et s’attendre à ce que ses habitants restent chez eux.
Chaque bombe larguée, c’est une famille détruite, un enfant orphelin, un futur anéanti. Mais ces victimes n’ont pas de noms, pas de visages dans les rapports du Pentagone. Elles sont des « dommages collatéraux », des chiffres abstraits dans une guerre qui se veut propre et chirurgicale. Sauf qu’il n’y a rien de chirurgical dans la mort. Rien de propre dans la violence. Et nous, complices silencieux, nous laissons faire parce que c’est loin, parce que ça ne nous touche pas. Jusqu’à ce que ça nous touche.
Les alternatives ignorées
La coopération bilatérale renforcée
Plutôt que de privilégier la confrontation militaire, les États-Unis et le Mexique pourraient intensifier leur coopération bilatérale en matière de sécurité. Des programmes comme l’Initiative Mérida, lancée en 2008, ont permis des échanges d’information, la formation de policiers mexicains et le transfert d’équipements. Bien que ces efforts aient connu des succès limités, ils démontrent qu’une approche collaborative est possible. Renforcer les capacités des forces de sécurité mexicaines, améliorer les systèmes judiciaires pour lutter contre la corruption et investir dans les communautés vulnérables seraient des stratégies plus durables que les frappes aériennes.
Cependant, cette approche nécessite de la patience, des investissements à long terme et une volonté de respecter la souveraineté mexicaine, autant de qualités qui semblent absentes de l’administration Trump. La coopération implique également une reconnaissance des responsabilités partagées : les États-Unis doivent admettre leur rôle dans le trafic d’armes vers le Mexique et dans la demande de drogues qui alimente les cartels. Cette humilité stratégique est incompatible avec la rhétorique nationaliste et belliqueuse de Trump, qui préfère les solutions spectaculaires aux efforts discrets et patients. Pourtant, l’histoire montre que les guerres contre des ennemis transnationaux ne se gagnent jamais par la seule force militaire, mais par des coalitions, des institutions renforcées et une compréhension nuancée des dynamiques locales.
La régulation et la décriminalisation
Une option radicale mais de plus en plus discutée consiste à réglementer certaines drogues actuellement illégales, retirant ainsi aux cartels leur principale source de revenus. Plusieurs États américains ont légalisé le cannabis, avec des résultats largement positifs en termes de réduction de la criminalité liée à cette substance et de génération de revenus fiscaux. Étendre cette logique à d’autres drogues, notamment dans un cadre médical strict pour les opioïdes, pourrait saper les modèles économiques des cartels. Le Portugal, qui a décriminalisé la possession de toutes les drogues en 2001, a observé une baisse drastique des overdoses et des maladies transmissibles, tout en réduisant la surcharge carcérale.
Cette approche reste cependant politiquement toxique aux États-Unis, où les conservateurs et de nombreux démocrates la perçoivent comme une capitulation face au crime. Trump, avec sa base électorale pro-répression, ne considérerait jamais sérieusement une telle option. Pourtant, des économistes, des criminologues et même certains anciens responsables de l’application de la loi plaident pour cette voie, arguant que la prohibition crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Tant que cette discussion restera taboue, les cartels continueront de prospérer, et les solutions militaires continueront d’échouer. La prohibition, après un siècle d’expérience, a prouvé son inefficacité ; il est temps d’explorer des alternatives, aussi inconfortables soient-elles.
Les programmes de développement économique
Au cœur du problème des cartels se trouve la pauvreté endémique dans certaines régions du Mexique et d’Amérique latine. Les jeunes sans perspectives d’emploi légal sont recrutés par milliers par les organisations criminelles, qui offrent salaires, protection et un sentiment d’appartenance. Investir massivement dans l’éducation, la création d’emplois, les infrastructures et les services sociaux dans ces zones pourrait réduire le vivier de recrutement des cartels. Des programmes comme le Plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale ont démontré qu’un développement économique soutenu peut transformer des sociétés entières.
Les États-Unis, malgré leur richesse colossale, ont largement négligé cette approche en faveur de solutions sécuritaires. L’aide au développement en Amérique latine représente une fraction infime du budget militaire américain, reflétant des priorités déséquilibrées. Trump, avec son slogan « America First », montre peu d’intérêt pour les investissements à l’étranger qui ne promettent pas de retours immédiats. Pourtant, stabiliser le Mexique et l’Amérique centrale servirait directement les intérêts américains en réduisant la migration, le trafic de drogue et l’instabilité régionale. Cette vision à long terme, hélas, est absente du calcul politique actuel, condamnant la région à un cycle perpétuel de violence et d’interventions militaires inefficaces.
Imaginez si, au lieu d’acheter des bombes, on construisait des écoles. Si, au lieu de former des soldats, on formait des enseignants, des médecins, des entrepreneurs. Utopique ? Peut-être. Mais l’alternative, c’est ce que nous voyons aujourd’hui : des décennies de guerre contre les drogues, des milliers de morts, et toujours plus de cartels, toujours plus de violence. À un moment, il faut se demander si on n’est pas en train de perdre notre humanité à force de tout résoudre par la force.
Le poids de l'histoire et les précédents
Les interventions américaines passées en Amérique latine
L’histoire des relations entre les États-Unis et l’Amérique latine est jalonnée d’interventions militaires, de coups d’État soutenus par la CIA et de violations de la souveraineté nationale. De l’invasion du Mexique en 1846-1848 à l’intervention au Panama en 1989, en passant par les coups d’État au Guatemala (1954), au Chili (1973) et ailleurs, Washington a régulièrement sacrifié les principes démocratiques au profit de ses intérêts géopolitiques et économiques. Ces actions ont laissé des cicatrices profondes dans la mémoire collective latino-américaine, alimentant une méfiance durable envers les intentions américaines.
Cette histoire explique pourquoi les menaces de Trump résonnent si mal dans la région. Pour beaucoup de Latino-Américains, l’idée de frappes militaires américaines n’est pas une abstraction théorique mais un rappel douloureux d’un passé où leurs pays étaient traités comme des protectorats de facto. Les États-Unis ont souvent justifié leurs interventions par des rhétoriques sécuritaires – lutte contre le communisme hier, lutte contre le narcotrafic aujourd’hui – mais les résultats ont rarement bénéficié aux populations locales. Au contraire, ces interventions ont fréquemment exacerbé l’instabilité, renforcé les régimes autoritaires et perpétué la pauvreté. Trump, intentionnellement ou non, ravive ces fantômes historiques, alimentant un ressentiment qui pourrait compliquer toute coopération future.
L’échec de la guerre contre les drogues
Lancée par le président Richard Nixon en 1971, la « guerre contre les drogues » a englouti des centaines de milliards de dollars sans atteindre ses objectifs affichés. La consommation de drogues n’a pas diminué significativement, les cartels n’ont jamais été aussi puissants, et les États-Unis enregistrent des records de décès par surdose. Cette politique a en revanche entraîné une incarcération massive, affectant de manière disproportionnée les communautés afro-américaines et hispaniques, tout en enrichissant les organisations criminelles qui exploitent la prohibition.
De nombreux experts, y compris d’anciens responsables de l’application de la loi, reconnaissent aujourd’hui l’échec de cette approche. Pourtant, Trump double la mise en militarisant encore davantage cette guerre, ignorant les leçons du passé. Cette obstination reflète peut-être une logique politique – la posture du président « dur contre le crime » séduit une partie de l’électorat – mais elle est désastreuse en termes de politique publique. Les frappes aériennes et les menaces d’invasion ne feront pas disparaître les cartels ; elles ne feront que déplacer les routes de trafic, radicaliser les organisations criminelles et aggraver la violence. Cinquante ans de guerre contre les drogues devraient suffire à démontrer l’inutilité de cette stratégie, mais l’histoire, semble-t-il, ne suffit jamais à convaincre ceux qui sont déterminés à répéter les erreurs du passé.
Les leçons de l’Irak et de l’Afghanistan
Les guerres en Irak et en Afghanistan offrent des leçons saisissantes sur les limites de la puissance militaire américaine face à des adversaires asymétriques et décentralisés. Malgré des décennies d’occupation, des trillions de dollars dépensés et des centaines de milliers de morts, les États-Unis ont quitté ces pays sans avoir atteint leurs objectifs stratégiques. Les Taliban contrôlent à nouveau l’Afghanistan, et l’Irak reste fragmenté et instable. Ces échecs soulignent une réalité fondamentale : on ne peut pas bombarder une idéologie, un réseau criminel ou une crise sociale hors de l’existence.
Les cartels mexicains, à l’instar des insurgés irakiens ou afghans, sont profondément enracinés dans leurs communautés, capables de se fondre dans la population civile et de se reconstituer après chaque frappe. Une intervention militaire au Mexique risquerait de reproduire les mêmes erreurs : occupation coûteuse, résistance locale, déstabilisation régionale et, finalement, retrait humiliant. Trump, qui a critiqué les guerres interminables de ses prédécesseurs, semble étrangement aveugle à ces parallèles. Ou peut-être croit-il sincèrement que la puissance américaine peut triompher là où elle a échoué auparavant, une forme d’hubris qui a conduit tant de dirigeants à la catastrophe.
L’histoire nous crie ses avertissements, mais nous restons sourds. Combien de guerres ratées faut-il pour comprendre que la violence engendre la violence, que la force ne résout rien sans justice, sans dignité, sans espoir ? Trump veut frapper le Mexique comme on a frappé l’Irak, comme on a frappé l’Afghanistan. Et après ? Après, ce sera le chaos, l’enlisement, les morts inutiles. Mais nous ne semblons jamais apprendre. Peut-être parce qu’apprendre nécessite de l’humilité, et l’humilité est devenue une faiblesse dans le langage du pouvoir.
Conclusion
La déclaration de Donald Trump sur sa disposition à frapper militairement le Mexique marque un tournant terrifiant dans la politique américaine envers l’Amérique latine. Cette escalade, présentée comme une lutte nécessaire contre les cartels et le fentanyl, s’inscrit en réalité dans une longue tradition d’interventionnisme qui a rarement profité aux populations concernées. En déployant un arsenal militaire colossal dans les Caraïbes, en menant des frappes aériennes meurtrières et en menaçant ouvertement la souveraineté de pays voisins, Trump emprunte une voie dangereuse dont les conséquences pourraient être dévastatrices. Le Mexique, sous la présidence de Claudia Sheinbaum, résiste fermement à ces pressions, mais face à la puissance américaine, les options sont limitées. Le Venezuela, également dans le viseur de Trump, se prépare à une possible confrontation militaire, tandis que le reste de l’Amérique latine observe avec angoisse.
Les alternatives à cette militarisation existent : coopération bilatérale renforcée, investissements dans le développement économique, régulation des drogues, traitement des addictions. Mais ces approches demandent du temps, de la patience et une reconnaissance des responsabilités partagées, autant de qualités absentes de l’administration actuelle. Trump privilégie le spectacle et la force brute, ignorant les leçons de l’histoire et les avertissements des experts. Les 83 victimes des frappes récentes ne sont probablement que le début d’un bilan humain qui pourrait s’alourdir considérablement si cette logique guerrière se poursuit. Au-delà des chiffres et des communiqués triomphants, ce sont des familles brisées, des communautés terrorisées et une région entière poussée vers l’instabilité. La guerre contre les cartels de Trump ne résoudra pas la crise du fentanyl aux États-Unis, elle ne démantelera pas les réseaux criminels, mais elle ravivera les fantômes de l’interventionnisme américain et alimentera un cycle de violence dont personne ne sortira vainqueur. La question n’est plus de savoir si cette stratégie échouera, mais combien de vies elle détruira avant que l’échec ne devienne incontestable. Et dans cette tragédie annoncée, l’Amérique latine paiera, une fois de plus, le prix des ambitions et des erreurs de son puissant voisin du Nord.