La réalité derrière les chiffres triomphaux
Ces 119 000 emplois créés en septembre, qu’est-ce que cela signifie vraiment. La réponse est cinglante. Cela ne suffit même pas à suivre la croissance démographique. Pour maintenir le taux de chômage stable, l’économie américaine doit générer entre 130 000 et 150 000 emplois mensuels, selon les estimations de la Réserve fédérale. Or, depuis janvier 2025, la moyenne mensuelle s’établit à peine à 76 000 créations d’emplois. C’est une hémorragie silencieuse. Mais la Maison Blanche ne voit pas l’hémorragie. Elle voit la victoire. Les révisions des données antérieures ont révélé que l’économie a en réalité perdu 4 000 emplois en août, contredisant les rapports initiaux qui affichaient un gain de 22 000 postes. Pour juillet, les chiffres ont également été revus à la baisse de 7 000 emplois. Ce ne sont pas des erreurs statistiques mineures. Ce sont des signaux d’alarme que l’administration choisit d’ignorer, préférant construire sa narration sur des fondations qui s’effritent.
Je me souviens d’un temps où les chiffres signifiaient quelque chose, où on ne pouvait pas simplement ignorer les révisions à la baisse et prétendre que tout allait bien, mais peut-être que je suis naïf, peut-être que la politique a toujours été cet exercice de distorsion, cette danse macabre où on célèbre ce qui devrait nous terrifier.
L’effondrement du secteur manufacturier
Le secteur manufacturier, cœur battant du rêve trumpien de renaissance industrielle, est en chute libre. Depuis avril 2025, 58 000 emplois manufacturiers ont été perdus. En septembre seul, 6 000 postes ont été supprimés. Sur les douze derniers mois, c’est une hémorragie de 94 000 emplois qui s’est produite. Ce déclin s’est intensifié précisément après le fameux « Liberation Day » d’avril, quand Trump a annoncé ses tarifs douaniers massifs. L’indice des directeurs d’achats manufacturiers (PMI) de l’Institute for Supply Management est resté sous la barre critique des 50 points chaque mois depuis février 2025, signalant une contraction continue. Les fabricants interrogés pointent tous le même coupable. Les tarifs. Un producteur de machines déclarait dans l’enquête : « Les tarifs continuent d’avoir un impact majeur sur nos activités. Les produits que nous importons ne sont pas facilement fabriqués aux États-Unis, donc les tentatives de rapatriement ont échoué. Les prix sur tous les produits ont augmenté, certains de manière significative. »
C’est fascinant, non, cette capacité à promettre exactement le contraire de ce qu’on livre, à jurer qu’on ramènera les emplois manufacturiers pendant qu’ils disparaissent par dizaines de milliers, et puis à célébrer quand même, parce que l’important n’est pas la réalité mais la narration qu’on en fait.
Les secteurs en souffrance
Au-delà de la manufacture, d’autres piliers de l’économie vacillent dangereusement. Le secteur de la construction, malgré un gain de 19 000 emplois en septembre que la Maison Blanche s’est empressée de mettre en avant, ne compense pas les pertes accumulées dans d’autres domaines. Les services professionnels et commerciaux ont perdu des emplois, principalement à cause d’une baisse dans l’aide temporaire, un indicateur précoce de troubles économiques car ces services servent souvent à combler des postes dans la manufacture. Le gouvernement fédéral a réduit son effectif de 97 000 employés depuis janvier, conséquence directe des coupes massives promues par l’administration. Les secteurs « sensibles à la récession », identifiés par les économistes, incluant la manufacture, la construction, le commerce de détail, le transport, les services professionnels et l’hôtellerie, montrent tous des signes de faiblesse inquiétants. L’indice créé par Hussman Strategic Advisors pour suivre ces secteurs approche dangereusement le territoire négatif, un seuil qui historiquement n’a jamais été franchi sans que l’économie entre en récession.
Il y a quelque chose de profondément troublant à observer comment les secteurs s’effondrent l’un après l’autre, comme des dominos soigneusement alignés, pendant que ceux qui ont allumé la mèche se congratulent mutuellement.
L'explosion des licenciements : un signal d'alarme ignoré
Octobre 2025 : un record de suppressions d’emplois
Octobre 2025 restera gravé dans les mémoires comme un mois sombre pour les travailleurs américains. Selon le rapport de Challenger, Gray & Christmas, 153 074 suppressions d’emplois ont été annoncées ce mois-là, une augmentation de 175 pour cent par rapport à octobre 2024. C’est le pire mois d’octobre depuis 2003, en pleine récession post-bulle Internet. Les motifs invoqués. Réduction des coûts et intelligence artificielle. Les entreprises technologiques, les services financiers, et même les secteurs traditionnels annoncent des vagues de licenciements sans précédent. L’automatisation accélérée, combinée à l’incertitude économique générée par les politiques tarifaires imprévisibles de Trump, pousse les entreprises à couper dans leurs effectifs. Un responsable d’entreprise chimique témoignait : « Les conditions commerciales restent difficiles, car les clients annulent et réduisent leurs commandes en raison de l’incertitude dans l’environnement économique mondial et du paysage tarifaire en constante évolution. » Mais ces cris d’alarme n’atteignent pas les oreilles de la Maison Blanche, trop occupée à rédiger ses communiqués triomphaux.
Comment ignorer 153 000 familles qui se retrouvent du jour au lendemain sans revenu, sans sécurité, comment transformer cette catastrophe humaine en simple statistique qu’on peut balayer d’un revers de main, je ne comprends pas, je ne comprendrai jamais.
L’impact des tarifs sur l’emploi
Les tarifs de Trump, censés protéger les emplois américains, les détruisent. C’est le paradoxe cruel de cette administration. En augmentant le coût des importations de matières premières et de biens intermédiaires, les tarifs renchérissent la production domestique. La moitié des importations américaines ne sont pas des produits finis mais des biens intermédiaires, des intrants essentiels à la fabrication locale. Augmenter leur prix revient à saborder les usines américaines. Les enquêtes menées auprès des entreprises texanes par la Réserve fédérale de Dallas révèlent que près de la moitié des sociétés signalent des répercussions négatives des tarifs, et seulement 2 pour cent notent un effet positif. Dans le secteur manufacturier, plus de 70 pour cent des entreprises indiquent qu’elles sont affectées négativement. Les emplois manufacturiers ont chuté de 194 000 postes depuis leur pic de février 2023, une baisse de 1,5 pour cent. L’économiste Justin Wolfers a commenté sans détour : « Le président a imposé des tarifs dans toute l’économie pour tenter de relancer la manufacture. Ça ne marche pas. »
Les théories économiques sont belles sur le papier, elles promettent la prospérité et la renaissance industrielle, mais dans la vraie vie elles broient des existences, elles ferment des usines, elles laissent des communautés entières sur le carreau.
La fermeture gouvernementale : un désastre informationnel
Quarante-trois jours sans données économiques
Du 1er octobre au 12 novembre 2025, le gouvernement fédéral américain a été fermé pendant quarante-trois jours, la plus longue fermeture de l’histoire du pays. Pendant ce temps, le Bureau of Labor Statistics (BLS) n’a pas pu collecter les données essentielles sur l’emploi. Les investisseurs, les entreprises, les décideurs politiques et les citoyens ordinaires ont navigué dans le noir complet, sans aucune information officielle sur l’état du marché du travail. Cette absence de données a créé une incertitude économique massive. Les marchés financiers ont réagi nerveusement. Les entreprises ont reporté leurs décisions d’investissement. La Réserve fédérale s’est retrouvée à devoir formuler sa politique monétaire sans les indicateurs cruciaux dont elle dépend habituellement. Le rapport d’emploi d’octobre n’a jamais été publié et ne le sera jamais. Le BLS a annoncé qu’il ne pourrait pas calculer rétroactivement le taux de chômage d’octobre car les données des ménages, essentielles à ce calcul, n’ont jamais été collectées. C’est une première en soixante-dix-sept ans d’histoire de cette enquête. Un trou béant dans les archives économiques américaines.
Fermer le gouvernement pour des querelles politiques, c’est une chose, mais effacer littéralement un mois entier de données économiques, créer un vide informationnel qui handicapera les analyses pour des années, c’est d’une irresponsabilité qui me sidère.
Les conséquences pour la politique monétaire
La Réserve fédérale se trouve dans une position impossible. Lors de sa réunion prévue les 9 et 10 décembre 2025, elle devra décider si elle procède à une troisième baisse consécutive de son taux directeur. Normalement, cette décision s’appuierait sur les rapports d’emploi et d’inflation d’octobre et de novembre. Mais à cause de la fermeture gouvernementale, ces données cruciales ne seront pas disponibles avant le 16 décembre, soit après la réunion. Le rapport de novembre, qui devait sortir le 5 décembre, a été repoussé au 16 décembre. Les données d’octobre sur l’emploi des entreprises seront partiellement publiées avec le rapport de novembre, mais le taux de chômage d’octobre restera à jamais inconnu. Les procès-verbaux de la dernière réunion de la Fed révèlent que les membres du comité ont « exprimé des points de vue fortement divergents » sur la décision appropriée pour décembre. Certains penchent pour une nouvelle baisse de 25 points de base, invoquant la faiblesse du marché du travail et la hausse du chômage. D’autres préfèrent maintenir les taux stables, citant la croissance robuste de l’emploi en septembre et la nécessité de contrôler l’inflation persistante. Sans données fiables, comment arbitrer ce débat. Les marchés financiers reflètent cette incertitude, avec les contrats à terme sur les taux d’intérêt oscillant entre 58 et 60 pour cent de probabilité que la Fed maintienne ses taux inchangés en décembre.
La Réserve fédérale, cette institution censément apolitique et guidée par les données, se retrouve à conduire dans le brouillard, à prendre des décisions qui affecteront des millions de vies sans avoir les informations de base pour le faire, et tout ça à cause d’un shutdown politique évitable.
L'opinion publique : quand la narration rencontre la réalité
Les sondages s’effondrent
La stratégie de la Maison Blanche de célébrer des données économiques médiocres et de prétendre que tout va bien se heurte à un mur. Celui de la réalité vécue par les Américains ordinaires. Les sondages récents dressent un portrait implacable. Selon le dernier sondage Fox News, 76 pour cent des électeurs ont une perception négative de l’économie américaine, en hausse par rapport aux 67 pour cent de juillet et aux 70 pour cent à la fin du mandat de Joe Biden. Seulement 20 pour cent estiment que les politiques de Trump profitent à leur situation financière personnelle, tandis que 46 pour cent pensent qu’elles leur nuisent. L’approbation de Trump sur la gestion de l’économie est tombée à un nouveau plancher de 36 pour cent, selon l’enquête de la Marquette Law School. Un sondage CBS News révèle que seulement 36 pour cent des Américains jugent l’économie « bonne ». La confiance des consommateurs a chuté au niveau le plus bas depuis 2022, en pleine flambée inflationniste post-pandémique. Les recherches Google pour le terme « récession » ont atteint des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis la crise financière de 2008.
Le fossé entre la rhétorique et la réalité
Donald Trump, confronté à ces chiffres désastreux lors d’une interview avec Laura Ingraham de Fox News, a simplement nié leur validité. « Je ne sais pas s’ils disent ça, je pense que les sondages sont faux. Nous avons la plus grande économie que nous ayons jamais eue. » Cette déconnexion totale entre la rhétorique présidentielle et l’expérience vécue des citoyens crée un gouffre politique dangereux. Le sondage Fox News a demandé aux électeurs qui était le plus responsable de l’état actuel de l’économie. Trump a été désigné à 62 pour cent, contre seulement 32 pour cent pour Biden. Même parmi les républicains, seuls 53 pour cent blâment Biden. Les Américains associent clairement les problèmes économiques actuels aux politiques de Trump, particulièrement ses tarifs unilatéraux qui n’ont pas reçu l’aval du Congrès républicain. Le sentiment des petites entreprises s’est effondré en octobre, selon la National Federation of Independent Business. Les petites entreprises, qui ont alimenté 55 pour cent de la croissance de l’emploi entre 2013 et 2023, perdent confiance dans l’avenir économique sous cette administration. Quand les moteurs de la création d’emplois s’éteignent, c’est toute l’économie qui vacille.
Conclusion
La célébration par la Maison Blanche de données économiques objectivement faibles n’est pas simplement une erreur de communication. C’est le symptôme d’une administration qui a perdu tout contact avec la réalité économique de ses citoyens. 119 000 emplois en septembre ne compensent pas la croissance démographique. Un taux de chômage de 4,4 pour cent n’est pas une victoire quand il marque un sommet de quatre ans. 153 000 licenciements en octobre ne peuvent pas être balayés sous le tapis. 58 000 emplois manufacturiers perdus depuis avril contredisent directement les promesses de renaissance industrielle. Les tarifs qui devaient protéger les emplois américains les détruisent. La fermeture gouvernementale qui a effacé un mois entier de données économiques a créé un vide informationnel sans précédent. Pendant ce temps, les sondages montrent que 76 pour cent des Américains perçoivent négativement l’économie, que l’approbation de Trump sur les questions économiques s’effondre, que la confiance des consommateurs s’évapore. La stratégie de simplement dire aux gens que l’économie est formidable, malgré toutes les preuves du contraire, échoue spectaculairement. On ne peut pas réécrire indéfiniment la réalité. Les factures d’épicerie ne mentent pas. Les avis de licenciement ne mentent pas. Les usines fermées ne mentent pas. À un moment donné, la narration rencontre les faits, et c’est toujours la narration qui perd. La question n’est plus de savoir si cette administration reconnaîtra son échec économique. La question est de savoir combien d’emplois, combien de familles, combien de communautés devront encore être sacrifiés avant que le réveil ne soit trop brutal pour être ignoré.
Source : MaddowBlog
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