La dernière glaciation comme dernière mémoire
Hayli Gubbi n’avait plus donné signe de vie depuis la fin de la dernière période glaciaire. L’Holocène. Cette époque géologique qui a vu naître les premières civilisations humaines. Les premiers villages. Les premiers champs cultivés. Pendant que l’humanité inventait l’agriculture, bâtissait des temples, fondait des empires… ce volcan dormait. Silencieux. Patient. Le programme mondial de volcanisme de la Smithsonian Institution a confirmé l’information : aucune éruption documentée en douze mille ans. Simon Carn, volcanologue et professeur à l’université du Michigan, a corroboré sur Bluesky cette réalité stupéfiante. Ce n’est pas un volcan ordinaire qui s’est réveillé. C’est un fantôme géologique revenu d’entre les morts.
Douze mille ans. J’essaie d’imaginer ce que cela représente. Les pyramides d’Égypte n’existaient pas encore. Ni Rome. Ni Athènes. Nos ancêtres chassaient le mammouth quand ce volcan s’est assoupi pour la dernière fois. Et nous, génération du XXIe siècle, nous assistons à son réveil. Vertigineux.
Le coeur incandescent de la vallée du Rift
Hayli Gubbi se dresse dans la région de l’Afar, à environ 800 kilomètres au nord-est d’Addis-Abeba, près de la frontière érythréenne. Un endroit hostile. Brûlant. L’un des plus chauds de la planète. Le volcan fait partie de la chaîne de l’Erta Ale, à seulement 15 kilomètres du célèbre volcan du même nom, connu pour son lac de lave permanent. Mais contrairement à son voisin turbulent, Hayli Gubbi restait discret. Trop discret. La zone où il se trouve correspond au point de jonction de trois plaques tectoniques : la plaque arabique, la plaque nubienne et la plaque somalienne. Trois géants qui s’écartent lentement les uns des autres, étirant la croûte terrestre jusqu’à la rupture. C’est ici, dans cette cicatrice géante qu’est la vallée du Grand Rift, que l’Afrique se déchire lentement. Que naîtra un jour, dans des millions d’années, un nouvel océan.
La vallée du Rift m’a toujours fasciné. Cette fissure gigantesque qui traverse l’Afrique du nord au sud. Un laboratoire vivant où la géologie s’écrit sous nos yeux. Et maintenant, un nouveau chapitre vient de s’ouvrir. Brutalement.
Une éruption aux proportions monumentales
Un panache qui a touché la stratosphère
L’éruption a débuté dimanche 23 novembre aux alentours de 8h30 heure locale. Le Centre d’observation des cendres volcaniques de Toulouse, le VAAC, a rapidement confirmé l’événement grâce aux images satellites. Les colonnes de cendres et de fumée ont atteint des altitudes phénoménales. 14 kilomètres. Certaines estimations parlent même de 45 000 pieds, soit près de 15 kilomètres. À ces hauteurs, les vents dominants transportent les particules sur des distances considérables. Le panache s’est d’abord dirigé vers l’est, traversant la mer Rouge. Puis le Yémen. Oman. Le golfe Persique. L’océan Indien. Le Pakistan. L’Inde. Et continuait sa progression vers la Chine au moment où ces lignes sont écrites.
Quinze kilomètres de haut. J’ai du mal à visualiser une telle puissance. C’est plus haut que les avions de ligne. Plus haut que le mont Everest multiplié par presque deux. La Terre nous rappelle parfois qu’elle possède une énergie que nous ne pourrons jamais dompter.
Une éruption explosive inattendue
Hayli Gubbi est un volcan bouclier. Normalement, ce type de volcan produit des éruptions effusives. De la lave qui coule doucement sur les pentes. Pas d’explosions spectaculaires. Pas de panaches géants. Alors pourquoi cette violence soudaine? Les géologues avancent une explication. Le magma de Hayli Gubbi ne serait pas uniquement basaltique. Il contiendrait aussi des roches plus riches en silice, comme la trachyte et la rhyolite. Ce type de magma est plus visqueux. Il piège les gaz. Accumule la pression. Jusqu’à l’explosion. Un cocktail redoutable qui expliquerait cette éruption qualifiée de sub-plinienne par certains experts. Le réveil a été d’autant plus brutal que le sommeil avait été long.
Des niveaux record de dioxyde de soufre
Les systèmes de surveillance atmosphérique ont détecté des concentrations élevées de dioxyde de soufre dans le panache volcanique. Ce gaz est un marqueur classique des éruptions. Mais les quantités mesurées témoignent de l’ampleur exceptionnelle de l’événement. Le SO₂ libéré peut avoir des effets sur le climat s’il atteint la stratosphère en quantités suffisantes. Il forme des aérosols sulfatés qui réfléchissent une partie du rayonnement solaire. Pour l’instant, les scientifiques analysent les données pour évaluer l’impact potentiel. Mais une chose est certaine : cette éruption n’avait rien d’ordinaire.
Le dioxyde de soufre. Un nom technique, froid, scientifique. Derrière ces mots, il y a la réalité d’un volcan qui crache ses entrailles dans l’atmosphère. Qui modifie la chimie de notre air. Qui nous rappelle que tout est connecté sur cette planète.
Les villages ensevelis de l'Afar
Afdera sous la poussière
Le village d’Afdera, situé non loin du volcan, a été recouvert de cendres. En quelques heures, la poussière grise a tout envahi. Les maisons. Les routes. Les pâturages. Mohammed Seid, administrateur local, a témoigné auprès de l’Associated Press. Aucune victime n’a été signalée. Mais l’inquiétude est palpable. Les villages sont ensevelis sous la cendre. Les animaux n’ont plus rien à manger. La végétation disparaît sous cette couche mortifère. Pour une communauté d’éleveurs nomades, c’est une catastrophe économique annoncée. Le bétail représente leur unique moyen de subsistance. Sans pâturages, sans nourriture pour les troupeaux, c’est tout un mode de vie qui vacille.
Ces images de villages recouverts de gris me hantent. Je pense à ces familles qui se sont réveillées ce dimanche matin sans savoir que leur vie allait basculer. À ces enfants qui ont dû fuir la poussière. À ces bergers qui regardent leurs animaux affamés. La nature ne fait pas de distinction. Elle frappe. Et les plus vulnérables paient toujours le prix le plus lourd.
Un son de bombe selon les témoins
Ahmed Abdela habite la région de l’Afar. Il a vécu l’éruption en direct. Son témoignage, recueilli par plusieurs médias internationaux, est glaçant. Un bruit assourdissant. Comme une bombe. Une onde de choc. Puis la fumée. Les cendres. L’obscurité en plein jour. « On aurait dit qu’une bombe avait explosé, avec de la fumée et des cendres partout », a-t-il raconté. Lundi, le village près du désert de Danakil – une attraction touristique majeure – était toujours enseveli. Des touristes et des guides se sont retrouvés bloqués, incapables de poursuivre leur route vers ce désert lunaire que beaucoup viennent admirer de partout dans le monde.
Une région déjà éprouvée
L’Afar n’en est pas à sa première secousse. Début 2025, le volcan Dofen, situé plus au sud, avait lui aussi montré des signes d’activité inquiétante. Des essaims sismiques avaient forcé l’évacuation de plus de 20 000 personnes. Des jets de vapeur et de boue avaient jailli de terre. La région vit sur une poudrière géologique. Les plaques tectoniques s’écartent ici à une vitesse relativement rapide – quelques centimètres par an. La croûte s’amincit. Le magma remonte. Et parfois, il perce. L’Afar est un territoire en perpétuelle transformation. Un endroit où la Terre se reconstruit sous nos yeux. Fascinant et terrifiant à la fois.
L’Afar. Une région que peu de gens connaissent. Que peu de cartes mettent en évidence. Et pourtant, c’est là que se joue l’avenir géologique de notre continent africain. Un laboratoire à ciel ouvert où les forces telluriques s’expriment sans filtre. Ces gens vivent au quotidien ce que nous, depuis nos villes confortables, ne voyons qu’à travers des écrans.
Un chaos aérien à l'échelle mondiale
Des vols annulés en Inde et au Pakistan
Le panache de cendres n’a pas seulement affecté l’Éthiopie. Il a paralysé le trafic aérien sur des milliers de kilomètres. En Inde, les compagnies Air India, IndiGo et Akasa Air ont annulé des dizaines de vols. Air India a cloué au sol 11 appareils pour des inspections de sécurité. Certains avaient traversé des zones potentiellement contaminées. La Direction générale de l’aviation civile indienne (DGCA) a émis des directives strictes. Éviter absolument les zones touchées par les cendres volcaniques. Adapter les plans de vol. Vérifier les moteurs. Les cendres volcaniques sont redoutables pour les réacteurs d’avion. Elles peuvent provoquer des pannes catastrophiques.
Une première alerte historique au Pakistan
Le Pakistan a vécu un événement sans précédent. Pour la première fois de son histoire, le département météorologique pakistanais a émis un avis de cendres volcaniques pour le secteur aérien. Trois alertes consécutives ont été diffusées. Selon Anjum Nazeer Zaighum, représentant du PMD, le nuage de cendres a été détecté à environ 60 miles nautiques au sud de Gwadar vers 10h lundi. Il a stagné au-dessus de certaines régions pendant près de 20 heures avant de se déplacer vers l’Inde. Un aéroport à Mumbai a signalé des déroutements de vols. L’espace aérien pakistanais étant fermé aux compagnies indiennes, les perturbations se sont multipliées.
Delhi sous la surveillance
La capitale indienne, New Delhi, a suivi avec attention la progression du panache. L’Institut météorologique indien a rassuré : les cendres se trouvaient à haute altitude, entre 7 000 et 14 000 mètres. Peu de risques pour la qualité de l’air au sol, déjà classée comme « très mauvaise » ce mardi indépendamment du volcan. Mais le ciel de Delhi a tout de même été concerné. Des experts environnementaux ont signalé que le panache « dérivait » au-dessus de plusieurs États indiens dont le Gujarat, le Rajasthan et Delhi. Mardi soir, les autorités prévoyaient une dissipation du nuage vers la Chine. Une situation qui rappelle combien une éruption volcanique peut avoir des répercussions planétaires.
Conclusion
Hayli Gubbi s’est rendormi. Pour combien de temps? Nul ne le sait. Les volcanologues scrutent désormais ce géant avec une attention nouvelle. Les images satellites du 25 novembre montrent d’immenses dépôts de cendres fraiches autour du cratère. Des émanations de vapeur et de gaz témoignent d’une activité résiduelle. Le volcan n’est pas totalement stabilisé. Il respire encore. Cette éruption historique nous rappelle une vérité fondamentale : la Terre vit. Elle bouge. Elle tremble. Elle crache le feu quand bon lui semble. Nous ne sommes que des passagers sur cette boule de roche en fusion. Des invités temporaires dans un système qui nous dépasse infiniment. Les habitants de l’Afar ramassent les cendres, comptent leurs bêtes, regardent le ciel avec appréhension. Les scientifiques compilent les données, affinent leurs modèles, tentent de comprendre. Et quelque part dans les profondeurs de la Terre, sous les plaines désertiques de l’Éthiopie, le magma continue sa lente ascension. Patient. Inexorable. Jusqu’au prochain réveil.
Source : 20minutes
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