Portrait d’un économiste controversé
Kevin Hassett n’est pas un inconnu dans les cercles du pouvoir washingtonien. Économiste de formation, diplômé de l’université de Pennsylvanie, il a construit sa carrière sur une réputation de penseur conservateur, favorable aux baisses d’impôts et à la dérégulation. Avant de rejoindre l’administration Trump en 2017 comme président du Conseil des conseillers économiques, Hassett avait passé des années à l’American Enterprise Institute, un think tank conservateur influent. C’est là qu’il a développé ses théories économiques, publié ses recherches, et surtout, tissé les liens qui le mèneront jusqu’à la Maison-Blanche. Son livre le plus célèbre, « Dow 36,000 », co-écrit avec James Glassman en 1999, prédisait une explosion des marchés boursiers. Le timing était catastrophique : le livre est sorti juste avant l’éclatement de la bulle internet. Cette prédiction ratée aurait pu enterrer sa carrière. Au contraire, elle a renforcé son image d’optimiste incorrigible, de croyant en la capacité du capitalisme américain à surmonter tous les obstacles. Trump adore ce genre de personnalité. Des gens qui voient le verre à moitié plein, qui croient en la croissance infinie, qui refusent le pessimisme ambiant. Hassett incarne parfaitement cette vision. Il croit dur comme fer que l’économie américaine peut croître plus vite, que les taux d’intérêt peuvent être plus bas, que la Fed est trop prudente, trop conservatrice, trop frileuse.
Mais Hassett n’est pas qu’un simple optimiste. C’est aussi un stratège politique redoutable. Durant son passage au Conseil des conseillers économiques, il a su naviguer dans les eaux tumultueuses de l’administration Trump, survivant là où d’autres ont sombré. Il a appris à parler le langage de Trump, à formuler ses arguments en termes simples et percutants, à éviter les nuances qui agacent le président. Cette capacité d’adaptation explique pourquoi Trump lui fait confiance. Hassett ne le contredit jamais publiquement. Il ne joue pas les experts hautains qui expliquent au président pourquoi il a tort. Au contraire, il trouve toujours un moyen de justifier économiquement les intuitions politiques de Trump. Cette alchimie entre conviction personnelle et loyauté politique fait de Hassett le candidat idéal aux yeux de Trump. Mais elle soulève aussi des questions légitimes sur son indépendance d’esprit. Sera-t-il capable de dire non à Trump si la situation l’exige ? Aura-t-il le courage de maintenir les taux élevés si l’inflation repart, même si cela contrarie la Maison-Blanche ? Ces interrogations hantent les observateurs. Car l’histoire de la Fed est jalonnée de présidents qui ont dû affronter le pouvoir politique, qui ont dû prendre des décisions impopulaires pour préserver la stabilité économique à long terme. Paul Volcker, dans les années 1980, a provoqué une récession pour casser l’inflation, malgré les pressions politiques intenses. Alan Greenspan a su résister aux sirènes de la facilité monétaire. Ben Bernanke a navigué dans la crise financière avec une indépendance farouche. Hassett aura-t-il cette trempe ?
Hassett me fascine et m’inquiète à parts égales. Il y a chez cet homme une forme de sincérité dans l’optimisme qui force le respect. Il croit vraiment en ce qu’il dit. Ce n’est pas un cynique, pas un opportuniste pur. Mais justement, c’est peut-être ça le problème. Les vrais croyants sont souvent les plus dangereux. Parce qu’ils ne doutent jamais. Parce qu’ils sont prêts à tout pour prouver qu’ils ont raison. Et quand on dirige la Fed, le doute n’est pas une faiblesse. C’est une nécessité vitale.
Une vision monétaire aux antipodes de Powell
La différence entre Hassett et Powell ne se limite pas à une question de personnalité. C’est une divergence fondamentale de vision économique. Powell, nommé par Trump en 2018 mais rapidement devenu sa bête noire, incarne une approche prudente et méthodique de la politique monétaire. Il croit aux données, aux modèles économétriques, à la nécessité de maintenir l’inflation sous contrôle même si cela implique de ralentir temporairement la croissance. Cette orthodoxie monétaire, héritée de décennies de consensus académique, a guidé ses décisions depuis qu’il a pris les rênes de la Fed. Face à la flambée inflationniste post-Covid, Powell n’a pas hésité à relever brutalement les taux d’intérêt, passant de près de zéro à plus de cinq pour cent en l’espace de dix-huit mois. Une hausse historique, la plus rapide depuis les années 1980. Cette politique restrictive a fonctionné : l’inflation est redescendue de neuf pour cent à environ trois pour cent. Mais elle a aussi ralenti l’économie, fragilisé le marché immobilier, et surtout, provoqué la colère de Trump qui y voit un sabotage délibéré de ses ambitions économiques. Hassett, lui, appartient à une école de pensée différente. Il estime que la Fed peut se permettre d’être beaucoup plus agressive dans ses baisses de taux sans risquer de relancer l’inflation. Son raisonnement repose sur plusieurs piliers : premièrement, l’économie américaine dispose de marges de croissance inexploitées ; deuxièmement, les pressions inflationnistes actuelles sont temporaires et liées à des chocs d’offre plutôt qu’à une surchauffe de la demande ; troisièmement, maintenir les taux élevés trop longtemps risque de provoquer une récession inutile.
Cette vision n’est pas totalement dénuée de fondement. De nombreux économistes partagent l’idée que la Fed pourrait assouplir sa politique monétaire plus rapidement sans danger. Le marché du travail, bien que toujours robuste, montre des signes de ralentissement. Le taux de chômage, qui était tombé à trois virgule quatre pour cent en 2023, est remonté à quatre virgule deux pour cent. Les créations d’emplois mensuelles ont ralenti. Les salaires progressent moins vite. Tous ces indicateurs suggèrent que l’économie se refroidit, que les pressions inflationnistes s’atténuent, et que la Fed dispose d’une marge de manœuvre pour baisser les taux. Hassett pousse ce raisonnement encore plus loin. Il estime que la Fed devrait viser un taux directeur autour de deux virgule cinq à trois pour cent, soit un point de pourcentage en dessous du niveau actuel. Cette baisse stimulerait l’investissement, soutiendrait la consommation, et permettrait à l’économie américaine de maintenir un rythme de croissance élevé. Le problème, c’est que cette stratégie comporte des risques énormes. Si Hassett se trompe, si l’inflation repart, la Fed se retrouvera dans une position intenable. Elle devra alors remonter brutalement les taux, provoquant un choc économique bien plus violent qu’une approche graduelle. Les marchés financiers, eux, adorent l’idée de taux bas. Les actions s’envolent quand les taux baissent. L’immobilier repart. Le crédit coule à flots. Mais cette euphorie peut rapidement se transformer en panique si les investisseurs réalisent que la Fed a perdu le contrôle de l’inflation. C’est le grand pari de Hassett : croire qu’il peut gérer cette équation impossible, maintenir les taux bas tout en gardant l’inflation sous contrôle. Un pari qui pourrait faire de lui un héros ou un bouc émissaire.
Je me demande parfois si Hassett mesure vraiment l’ampleur de ce qui l’attend. Diriger la Fed, ce n’est pas comme conseiller le président dans le confort du Bureau ovale. C’est porter sur ses épaules le poids de l’économie mondiale. Chaque décision, chaque mot prononcé, chaque inflexion de voix peut déclencher des tsunamis sur les marchés. Powell le sait. Il a appris à ses dépens combien cette fonction est écrasante. Hassett le découvrira. Et j’ai peur que cette découverte soit douloureuse. Pour lui. Et pour nous tous.
Section 3 : Jerome Powell, le président en sursis
Un mandat qui s’achève dans la tourmente
Jerome Powell traverse la période la plus difficile de sa carrière. Nommé président de la Fed en février 2018 par Donald Trump lui-même, il avait alors l’aura d’un homme providentiel, capable de piloter la banque centrale avec sagesse et mesure. Avocat de formation, ancien banquier d’affaires chez Carlyle Group, Powell n’était pas un économiste académique comme ses prédécesseurs. Cette différence de profil avait séduit Trump, qui voyait en lui un pragmatique, un homme du monde réel plutôt qu’un théoricien enfermé dans sa tour d’ivoire. Les premières années se sont bien passées. Powell a poursuivi la normalisation monétaire entamée par Janet Yellen, relevant progressivement les taux pour sortir de l’ère de l’argent gratuit post-crise de 2008. Puis est arrivée la pandémie de Covid-19. Powell a réagi avec une rapidité et une audace remarquables, abaissant les taux à zéro, lançant des programmes d’achat d’actifs massifs, inondant le système financier de liquidités pour éviter l’effondrement. Ces mesures ont sauvé l’économie américaine d’une dépression catastrophique. Mais elles ont aussi semé les graines de la crise inflationniste qui allait suivre. Car trop d’argent dans le système, combiné à des perturbations des chaînes d’approvisionnement et à une demande explosive post-confinement, a créé un cocktail explosif. L’inflation a décollé, atteignant des niveaux jamais vus depuis quarante ans. Powell a d’abord minimisé le problème, parlant d’inflation « transitoire ». Une erreur de jugement qu’il paiera cher politiquement.
Quand il a finalement réalisé la gravité de la situation, Powell a opéré un virage à cent quatre-vingts degrés. Fini l’argent facile. Place à la rigueur monétaire. Entre mars 2022 et juillet 2023, la Fed a relevé ses taux de manière agressive, passant de zéro virgule vingt-cinq pour cent à cinq virgule cinquante pour cent. Une hausse vertigineuse qui a secoué les marchés, provoqué des faillites bancaires spectaculaires comme celle de Silicon Valley Bank, et plongé l’économie dans une zone de turbulences. Mais Powell a tenu bon. Malgré les critiques, malgré les pressions politiques, malgré les appels à la clémence, il a maintenu le cap. Et ça a fonctionné. L’inflation a reflué sans provoquer de récession majeure. Un exploit que beaucoup d’économistes jugeaient impossible. Powell semblait avoir réussi le fameux « atterrissage en douceur », ce Graal de la politique monétaire où l’on maîtrise l’inflation sans tuer la croissance. Mais cette victoire a un goût amer. Car elle arrive trop tard pour sauver sa relation avec Trump. Le président élu n’a jamais pardonné à Powell d’avoir relevé les taux aussi brutalement. Il y voit une trahison personnelle, un acte de déloyauté impardonnable. Les attaques publiques se sont multipliées. Trump a menacé de poursuivre Powell en justice, a suggéré qu’il pourrait le limoger, a tout fait pour miner son autorité. Cette guerre ouverte entre le président et le chef de la Fed est sans précédent dans l’histoire moderne américaine. Elle crée une incertitude toxique qui paralyse les marchés et complique le travail de la banque centrale.
Powell me fait penser à ces généraux qui gagnent la bataille mais perdent la guerre. Il a fait ce qu’il fallait faire économiquement. Il a pris les décisions difficiles, impopulaires, nécessaires. Et pour ça, il mérite le respect. Mais politiquement, il a perdu. Trump va le remplacer. Son héritage sera effacé. Ses successeurs feront exactement l’inverse de ce qu’il a construit. Et ça, c’est d’une tristesse infinie. Parce que ça envoie un message terrible : faire son travail correctement ne suffit pas. Il faut aussi plaire au prince. Et Powell n’a jamais su plaire à Trump.
Les derniers mois d’un règne contesté
Le mandat de Powell en tant que président de la Fed s’achève en mai 2026. Mais dans les faits, son pouvoir s’érode déjà. L’annonce de Trump concernant son successeur agit comme une épée de Damoclès. Chaque décision de Powell est désormais scrutée à travers le prisme de cette transition imminente. Les marchés anticipent. Les gouverneurs de la Fed calculent. Tout le monde se positionne pour l’après-Powell. Cette situation crée une dynamique perverse où le président en exercice perd progressivement son autorité morale et politique. Lors de la réunion de décembre 2024, Powell se retrouve dans une position délicate. Il doit arbitrer entre deux camps qui s’affrontent au sein du FOMC. D’un côté, les partisans d’une nouvelle baisse des taux, menés par Chris Waller et Stephen Miran. De l’autre, les prudents qui préfèrent attendre d’avoir plus de données avant de bouger. Powell, traditionnellement, pencherait pour la prudence. Mais peut-il se permettre de s’opposer frontalement à Trump et à son futur successeur ? S’il maintient les taux, il sera accusé de saboter l’économie par entêtement. S’il les baisse, il sera accusé de céder aux pressions politiques. Un dilemme insoluble qui illustre parfaitement l’impasse dans laquelle il se trouve. Les derniers mois de son mandat ressemblent à une lente agonie politique. Powell continue de faire son travail, de présider les réunions, de prononcer des discours. Mais tout le monde sait que son temps est compté. Les journalistes le questionnent déjà sur son héritage, sur ce qu’il laissera derrière lui. Une question cruelle pour un homme qui pensait marquer l’histoire de la Fed de son empreinte.
L’ironie de la situation n’échappe à personne. Powell a été nommé par Trump. C’est Trump qui l’a choisi, qui l’a porté au sommet de la Fed. Et c’est Trump qui va le détruire. Cette trahison, car c’en est une, révèle quelque chose de profond sur la nature du pouvoir trumpien. La loyauté n’est jamais réciproque. Trump exige une fidélité absolue mais ne la rend jamais. Powell l’a appris à ses dépens. Il a essayé de faire son travail honnêtement, de servir l’intérêt général plutôt que les intérêts politiques de Trump. Et pour ça, il est puni. Son successeur, Hassett, ne commettra pas la même erreur. Il sait ce qui est arrivé à Powell. Il sait que l’indépendance se paie cash. Alors il fera le choix inverse : la soumission plutôt que l’autonomie. Et la Fed en sortira transformée, affaiblie, diminuée. Powell aura été le dernier président véritablement indépendant de la Réserve fédérale. Après lui, ce sera une autre ère. Celle de la Fed trumpienne, politisée, instrumentalisée. Les historiens se souviendront de Powell comme du dernier rempart qui a cédé. Pas parce qu’il était faible. Mais parce que les forces contre lui étaient trop puissantes. Cette fin de règne mélancolique laisse un goût amer. Powell méritait mieux. L’institution qu’il dirige méritait mieux. Mais l’histoire n’est pas toujours juste. Et en politique, les bonnes intentions ne suffisent jamais.
Il y a quelque chose de tragique dans le destin de Powell. Il a tout fait correctement. Il a suivi les règles, respecté les procédures, pris les décisions rationnelles. Et pourtant, il perd. Parce que dans le monde de Trump, les règles ne comptent pas. Seule compte la loyauté personnelle. Powell a refusé de jouer ce jeu. Il a voulu rester un technocrate indépendant. Et pour ça, il est sacrifié. Sa chute n’est pas seulement la sienne. C’est celle d’une certaine idée de la gouvernance, d’une certaine conception de l’intérêt général. Et ça me brise le cœur.
Section 4 : Une Fed fracturée de l'intérieur
Les lignes de fracture au sein du FOMC
La division au sein de la Réserve fédérale n’est pas qu’une question de personnes. C’est une fracture idéologique profonde qui traverse toute l’institution. Le Comité fédéral de l’open market, composé de douze membres votants, se retrouve aujourd’hui scindé en trois camps distincts. Le premier camp, celui des « colombes », regroupe quatre membres : Chris Waller, Stephen Miran, Michelle Bowman et John Williams. Ces quatre gouverneurs partagent une conviction commune : l’inflation est maîtrisée, l’économie ralentit, et la Fed doit agir rapidement pour éviter un atterrissage brutal. Leur argument repose sur une lecture optimiste des données économiques. Le taux d’inflation, qui était à neuf pour cent il y a deux ans, est redescendu autour de trois pour cent. Le marché du travail, bien que toujours solide, montre des signes de refroidissement. Les créations d’emplois ralentissent. Les salaires progressent moins vite. Dans ce contexte, maintenir les taux à cinq virgule cinquante pour cent leur semble excessivement restrictif. Ils plaident pour une baisse d’au moins un quart de point lors de la réunion de décembre, avec la perspective de nouvelles baisses en 2025. Cette position n’est pas dénuée de logique économique. De nombreux indicateurs suggèrent effectivement que la Fed pourrait assouplir sa politique sans risquer de relancer l’inflation. Mais elle comporte aussi des risques. Car l’inflation, même si elle a baissé, reste au-dessus de l’objectif de deux pour cent fixé par la Fed. Et l’histoire monétaire est remplie d’exemples de banques centrales qui ont assoupli trop tôt, provoquant un retour de flamme inflationniste encore plus violent.
Face à ce camp des colombes se dresse un groupe de cinq membres plus prudents : Susan Collins, Jeffrey Schmid, Austan Goolsbee, Alberto Musalem et Michael Barr. Ces cinq gouverneurs adoptent une posture beaucoup plus conservatrice. Ils estiment que les données économiques actuelles ne justifient pas une nouvelle baisse des taux. Leur raisonnement s’appuie sur plusieurs éléments. Premièrement, le shutdown gouvernemental a privé la Fed de statistiques économiques cruciales. Sans ces données, impossible de prendre des décisions éclairées. Deuxièmement, les menaces de droits de douane brandies par Trump créent une incertitude majeure. Si ces tarifs sont effectivement mis en place, ils provoqueront une nouvelle poussée inflationniste. Dans ce contexte, baisser les taux serait prématuré et dangereux. Troisièmement, l’économie américaine reste robuste. La croissance du PIB dépasse trois pour cent. La consommation des ménages tient bon. Le secteur des services continue de créer des emplois. Pourquoi, dans ces conditions, prendre le risque d’assouplir la politique monétaire ? Ces cinq membres préfèrent attendre, observer, analyser. Leur prudence reflète une philosophie monétaire classique : mieux vaut pécher par excès de rigueur que par excès de laxisme. Car les erreurs de politique monétaire se paient toujours très cher. Une inflation qui repart est beaucoup plus difficile à maîtriser qu’une croissance qui ralentit. Cette sagesse conventionnelle a guidé la Fed pendant des décennies. Mais elle est aujourd’hui remise en question par les partisans d’une approche plus agressive.
Cette division me fascine parce qu’elle révèle quelque chose de fondamental sur la nature de la politique monétaire. Il n’y a pas de bonne réponse. Pas de solution évidente. Juste des paris, des intuitions, des calculs de probabilités. Les colombes ont peut-être raison. Ou peut-être tort. Les faucons aussi. Personne ne le saura avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Et pourtant, il faut décider. Maintenant. Avec des informations incomplètes, dans un contexte d’incertitude maximale. C’est ça qui rend ce métier si difficile. Et si terrifiant.
Les trois indécis qui tiennent le sort de l’économie entre leurs mains
Entre ces deux camps tranchés se trouvent trois personnages clés dont la position reste mystérieuse : Jerome Powell, Lisa Cook et Philip Jefferson. Ces trois membres du FOMC n’ont pas encore révélé publiquement leur position sur la question d’une baisse des taux en décembre. Et c’est leur vote qui déterminera l’issue de la réunion. Quatre pour, cinq contre, trois indécis. Les mathématiques sont simples : si les trois indécis votent pour une baisse, la motion passe avec sept voix contre cinq. S’ils votent contre, elle est rejetée avec huit voix contre quatre. Si leurs votes se divisent, le résultat dépendra de la répartition exacte. Cette situation crée une tension insoutenable. Les marchés scrutent chaque déclaration publique de Powell, chaque interview de Cook, chaque discours de Jefferson, à la recherche d’indices sur leurs intentions. Mais les trois restent remarquablement discrets. Powell, en particulier, joue un jeu subtil. En tant que président, il doit construire un consensus au sein du FOMC. Il ne peut pas se permettre d’apparaître comme partisan d’un camp ou de l’autre. Son rôle est de rassembler, de trouver un terrain d’entente, de faire en sorte que la décision finale soit acceptée par tous, même ceux qui ne sont pas d’accord. Cette recherche de consensus explique son silence. Mais elle complique aussi la tâche des investisseurs qui aimeraient anticiper la décision de la Fed. Lisa Cook, gouverneure depuis 2022, est connue pour ses positions plutôt accommodantes. Économiste spécialisée dans les questions d’innovation et de croissance, elle a tendance à privilégier le soutien à l’activité économique plutôt que la lutte contre l’inflation. Mais elle reste prudente dans ses déclarations publiques, évitant de se positionner trop clairement.
Philip Jefferson, vice-président de la Fed depuis 2023, incarne une approche plus équilibrée. Ancien professeur d’économie, il a la réputation d’être un analyste rigoureux, attaché aux données plutôt qu’aux idéologies. Sa position sur la baisse des taux dépendra probablement de son évaluation des risques. S’il estime que le risque de récession l’emporte sur le risque d’inflation, il votera pour une baisse. Dans le cas contraire, il s’abstiendra. Cette approche pragmatique fait de lui le véritable arbitre de la situation. Car contrairement à Powell, qui doit gérer des considérations politiques et institutionnelles, Jefferson peut se permettre de voter uniquement en fonction de son analyse économique. Les coulisses de la Fed sont le théâtre de négociations intenses. Powell rencontre individuellement chaque membre du FOMC, sonde leurs positions, cherche des compromis. L’objectif n’est pas seulement de prendre la bonne décision économique, mais aussi de préserver l’unité de l’institution. Car une Fed divisée envoie un signal désastreux aux marchés. Elle suggère que la banque centrale ne maîtrise plus la situation, qu’elle navigue à vue, qu’elle est incapable de parler d’une seule voix. Cette perception peut déclencher des mouvements de panique sur les marchés financiers, avec des conséquences potentiellement catastrophiques. Powell le sait. C’est pourquoi il travaille d’arrache-pied pour éviter un vote trop serré. L’idéal serait une décision prise à l’unanimité, ou au moins avec une large majorité. Mais dans le contexte actuel, cet objectif semble hors de portée. La division est trop profonde. Les enjeux sont trop importants. Et le temps presse.
Je pense souvent à ces trois personnes, Powell, Cook et Jefferson, qui portent sur leurs épaules un poids écrasant. Leur décision affectera des millions de vies. Des familles qui pourront ou non acheter une maison. Des entreprises qui pourront ou non investir. Des travailleurs qui garderont ou perdront leur emploi. Et ils doivent décider dans l’incertitude, avec des informations parcellaires, sous une pression politique intense. Comment font-ils pour dormir la nuit ? Comment gèrent-ils cette responsabilité vertigineuse ? Je n’en ai aucune idée. Mais je les admire. Et je les plains.
Section 5 : Stephen Miran, le dissident qui bouscule l'orthodoxie
Un nouveau venu qui fait déjà des vagues
Stephen Miran est le petit nouveau de la Fed. Nommé gouverneur en septembre 2024 après une confirmation houleuse au Sénat, il n’a que quelques mois d’ancienneté. Mais il a déjà réussi à se faire remarquer. Et pas pour les bonnes raisons, selon ses détracteurs. Miran, trente-neuf ans, économiste formé à Harvard, a passé la majeure partie de sa carrière dans le secteur privé, travaillant pour des fonds d’investissement et des banques. Cette expérience du monde de la finance lui donne une perspective différente de celle des économistes académiques qui dominent traditionnellement la Fed. Il comprend les marchés de l’intérieur. Il sait comment les investisseurs pensent, comment ils réagissent, ce qui les motive. Cette connaissance pratique fait de lui un atout précieux pour la Fed. Mais elle soulève aussi des questions sur ses conflits d’intérêts potentiels. Miran a gagné des millions de dollars en travaillant pour Wall Street. Sera-t-il capable de prendre des décisions qui pourraient nuire aux intérêts financiers de ses anciens employeurs et collègues ? Lors de son audition de confirmation au Sénat, ces questions ont été posées de manière brutale. Les sénateurs démocrates l’ont accusé d’être une marionnette de Trump, un homme placé à la Fed pour servir les intérêts politiques de la Maison-Blanche plutôt que l’intérêt général. Miran a rejeté ces accusations avec véhémence. « Je ne suis absolument pas une marionnette de Trump », a-t-il déclaré lors de son audition. « Je suis un économiste indépendant qui prendra ses décisions en fonction des données et de l’analyse économique, pas en fonction des pressions politiques. » Des mots nobles. Mais les actes parlent plus fort que les paroles.
Depuis sa nomination, Miran s’est positionné comme l’un des membres les plus accommodants du FOMC. Il plaide ouvertement pour des baisses de taux agressives, estimant que la Fed a été trop restrictive trop longtemps. Lors de la réunion de novembre 2024, il a même voté contre la décision de maintenir les taux, réclamant une baisse immédiate. Ce vote dissident, rarissime à la Fed, a fait sensation. Car traditionnellement, les gouverneurs évitent de s’opposer publiquement aux décisions du FOMC. Ils préfèrent exprimer leurs désaccords en privé, lors des délibérations, puis se rallier à la décision collective une fois qu’elle est prise. Cette culture du consensus est considérée comme essentielle pour préserver la crédibilité de la Fed. Mais Miran n’en a cure. Il assume son désaccord. Il le revendique même. Cette posture iconoclaste lui vaut à la fois des admirateurs et des détracteurs. Ses partisans y voient un signe de courage intellectuel, une volonté de dire la vérité même quand elle déplaît. Ses opposants y voient au contraire une preuve de son allégeance à Trump, une manière de se positionner pour l’après-Powell. Car Miran ne cache pas ses ambitions. À trente-neuf ans, il a encore toute une carrière devant lui. Et il sait que s’il veut gravir les échelons de la Fed, il doit se faire remarquer. Quoi de mieux pour ça que de se positionner comme le champion d’une politique monétaire plus agressive, en phase avec les désirs de Trump ? Cette stratégie est risquée. Si l’inflation repart, Miran sera pointé du doigt comme responsable. Mais si l’économie continue de bien se porter malgré des taux plus bas, il sera célébré comme un visionnaire.
Miran m’intrigue. Il y a chez lui une forme d’audace, presque d’arrogance, qui détonne dans le monde feutré de la Fed. Il ne joue pas le jeu. Il refuse les codes. Il dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas. C’est rafraîchissant. Et terrifiant. Parce que la Fed n’est pas un terrain de jeu pour jeunes loups ambitieux. C’est une institution qui exige de la prudence, de la mesure, de l’humilité. Miran possède-t-il ces qualités ? J’en doute. Et ça m’inquiète.
Une philosophie monétaire qui défie le consensus
La vision économique de Miran repose sur une remise en question radicale de l’orthodoxie monétaire dominante. Selon lui, la Fed a surestimé le risque inflationniste et sous-estimé les coûts d’une politique monétaire trop restrictive. Son raisonnement s’articule autour de plusieurs arguments. Premièrement, l’inflation actuelle n’est pas causée par une surchauffe de la demande mais par des chocs d’offre temporaires : perturbations des chaînes d’approvisionnement, hausse des prix de l’énergie, tensions géopolitiques. Ces facteurs échappent au contrôle de la Fed. Maintenir les taux élevés ne résoudra pas ces problèmes. Au contraire, cela risque de provoquer une récession inutile. Deuxièmement, l’économie américaine dispose de marges de croissance importantes qui ne sont pas exploitées. Le taux de participation au marché du travail reste inférieur à son niveau d’avant-Covid. Des millions d’Américains pourraient réintégrer la population active si les conditions économiques s’amélioraient. En maintenant les taux élevés, la Fed empêche cette réintégration et prive l’économie d’un potentiel de croissance considérable. Troisièmement, les modèles économiques traditionnels utilisés par la Fed sont obsolètes. Ils ont été développés dans les années 1970 et 1980, dans un contexte économique radicalement différent. L’économie moderne, digitalisée, mondialisée, fonctionne selon des règles différentes. Les vieilles recettes ne marchent plus. Il faut inventer une nouvelle approche de la politique monétaire, plus audacieuse, plus flexible, plus adaptée aux réalités du vingt-et-unième siècle.
Ces arguments ne sont pas dénués de pertinence. De nombreux économistes, y compris certains prix Nobel, partagent l’idée que la Fed pourrait être plus agressive dans ses baisses de taux. Mais la manière dont Miran présente ces idées, avec une certitude absolue et un mépris à peine voilé pour les positions contraires, pose problème. Car en matière de politique monétaire, la certitude est dangereuse. L’histoire est remplie d’exemples de banquiers centraux convaincus d’avoir raison qui ont provoqué des catastrophes économiques. Arthur Burns, président de la Fed dans les années 1970, était persuadé que l’inflation était temporaire et qu’il ne fallait pas réagir trop brutalement. Résultat : une décennie d’inflation galopante qui a nécessité les mesures drastiques de Paul Volcker pour être maîtrisée. Miran balaie ces objections historiques d’un revers de main. Selon lui, la situation actuelle est différente. Les outils de la Fed sont plus sophistiqués. La compréhension de l’économie est plus fine. Les erreurs du passé ne se répéteront pas. Cette confiance inébranlable séduit certains. Elle en effraie d’autres. Car la politique monétaire est un art autant qu’une science. Elle exige du jugement, de l’intuition, une capacité à naviguer dans l’incertitude. Miran possède-t-il ces qualités ? Ou n’est-il qu’un brillant théoricien dont les idées, aussi séduisantes soient-elles sur le papier, s’effondreront au contact de la réalité ? La réponse à cette question déterminera non seulement sa carrière mais aussi le sort de millions d’Américains dont la vie sera affectée par les décisions de la Fed.
Il y a quelque chose de profondément troublant dans la certitude de Miran. Il ne doute jamais. Il ne se remet jamais en question. Il avance, convaincu d’avoir raison, balayant les objections comme des détails insignifiants. Cette arrogance intellectuelle peut mener à la grandeur. Ou à la catastrophe. L’histoire nous le dira. Mais en attendant, je ne peux m’empêcher de penser que la Fed aurait besoin de moins de certitudes et de plus de doutes. Parce que le doute, c’est ce qui nous empêche de commettre les pires erreurs.
Section 6 : Les enjeux de la réunion de décembre
Un vote qui pourrait changer le cours de l’histoire
La réunion du FOMC des 17 et 18 décembre 2024 s’annonce comme l’une des plus cruciales de l’histoire récente de la Fed. Les enjeux dépassent largement la simple question technique d’une baisse de taux d’un quart de point. C’est l’avenir même de l’institution qui se joue. Car cette réunion sera la dernière avant l’investiture de Trump en janvier 2025. C’est donc la dernière occasion pour Powell et son équipe d’affirmer l’indépendance de la Fed face aux pressions politiques. Si le FOMC décide de baisser les taux, ce sera perçu comme une capitulation devant Trump. Un signal que la Fed cède aux exigences de la Maison-Blanche. Si au contraire le FOMC maintient les taux, ce sera interprété comme un acte de résistance, une affirmation de l’autonomie de la banque centrale. Mais cette résistance aura un prix. Trump ne pardonnera pas. Il intensifiera ses attaques contre Powell. Il accélérera peut-être même son remplacement. Cette situation place Powell dans une position impossible. Quoi qu’il fasse, il sera critiqué. S’il baisse les taux, on l’accusera de faiblesse. S’il les maintient, on l’accusera d’entêtement. Il n’y a pas de bonne solution. Juste des choix difficiles avec des conséquences imprévisibles. Les marchés financiers, eux, ont déjà fait leur choix. Ils anticipent une baisse des taux. Les rendements obligataires ont chuté. Les actions ont rebondi. Les investisseurs parient sur une Fed accommodante. Si cette anticipation est déçue, la réaction pourrait être violente. Un maintien des taux provoquerait probablement une chute des marchés, une remontée des rendements obligataires, et une volatilité accrue. À l’inverse, une baisse des taux serait saluée par un rally des actions et une détente sur les marchés obligataires.
Mais au-delà des réactions immédiates des marchés, c’est la crédibilité à long terme de la Fed qui est en jeu. Si l’institution est perçue comme cédant aux pressions politiques, elle perdra la confiance des investisseurs internationaux. Le dollar pourrait s’affaiblir. Les taux d’intérêt à long terme pourraient augmenter, car les investisseurs exigeraient une prime de risque plus élevée pour compenser l’incertitude politique. Cette perte de crédibilité aurait des conséquences durables, bien au-delà du mandat de Powell. C’est pourquoi certains membres du FOMC plaident pour un maintien des taux, même si les données économiques justifieraient une baisse. Ils estiment que préserver l’indépendance de la Fed vaut bien le coût économique à court terme d’une politique monétaire légèrement trop restrictive. D’autres, au contraire, considèrent que la Fed doit prendre ses décisions uniquement en fonction des données économiques, sans se préoccuper des considérations politiques. Selon eux, céder à la pression politique serait justement de maintenir les taux pour des raisons non économiques. Cette divergence de vues reflète un débat philosophique profond sur le rôle et la nature de l’indépendance des banques centrales. L’indépendance signifie-t-elle prendre des décisions contraires aux désirs du pouvoir politique ? Ou signifie-t-elle prendre des décisions basées uniquement sur l’analyse économique, même si elles coïncident avec les désirs politiques ? Cette question n’a pas de réponse simple. Et c’est précisément ce qui rend la situation actuelle si complexe et si dangereuse.
Cette réunion de décembre me hante. Parce que je sais que quelle que soit la décision prise, elle sera mauvaise. Pas économiquement nécessairement. Mais symboliquement. Politiquement. Historiquement. La Fed est piégée. Coincée entre l’enclume et le marteau. Entre Trump et les marchés. Entre la raison économique et la survie institutionnelle. Et je ne vois pas d’issue. Juste un naufrage au ralenti. Une tragédie qui se déroule sous nos yeux, impuissants.
Les données économiques qui compliquent la décision
Si la décision était purement technique, basée uniquement sur les données économiques, elle serait déjà suffisamment complexe. Mais le contexte politique ajoute une couche supplémentaire de difficulté. Examinons d’abord les arguments en faveur d’une baisse des taux. L’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation, est redescendue à trois virgule deux pour cent en novembre 2024. C’est encore au-dessus de l’objectif de deux pour cent de la Fed, mais la tendance est clairement à la baisse. L’inflation sous-jacente, qui exclut les prix volatils de l’alimentation et de l’énergie, est à trois virgule quatre pour cent. Là encore, la trajectoire est descendante. Le marché du travail, bien que toujours robuste, montre des signes de ralentissement. Le taux de chômage est remonté à quatre virgule deux pour cent, contre trois virgule quatre pour cent un an plus tôt. Les créations d’emplois mensuelles ont ralenti, passant de deux cent cinquante mille en moyenne au premier semestre 2024 à cent cinquante mille au second semestre. Les offres d’emploi diminuent. Le taux de démissions, indicateur de la confiance des travailleurs, baisse également. Tous ces signaux suggèrent que l’économie se refroidit, que les pressions inflationnistes s’atténuent, et que la Fed dispose d’une marge de manœuvre pour assouplir sa politique monétaire. De plus, les anticipations d’inflation à long terme, mesurées par les enquêtes auprès des consommateurs et les marchés financiers, restent bien ancrées autour de deux pour cent. Cela signifie que les agents économiques ne s’attendent pas à un retour de l’inflation galopante. Cette stabilité des anticipations est cruciale, car elle permet à la Fed de baisser les taux sans risquer de déclencher une spirale inflationniste.
Mais les arguments contre une baisse des taux sont tout aussi convaincants. Premièrement, l’économie américaine reste solide. La croissance du PIB au troisième trimestre 2024 a atteint trois virgule un pour cent en rythme annualisé. La consommation des ménages, qui représente soixante-dix pour cent du PIB, continue de progresser à un rythme soutenu. Les ventes au détail augmentent. Le secteur des services, qui emploie la majorité des travailleurs américains, reste dynamique. Dans ce contexte, pourquoi baisser les taux ? L’économie n’a pas besoin de stimulus supplémentaire. Deuxièmement, l’inflation, bien qu’en baisse, reste obstinément au-dessus de l’objectif de deux pour cent. Et certains indicateurs suggèrent qu’elle pourrait repartir à la hausse. Les prix des services, en particulier, continuent d’augmenter rapidement. Les loyers, qui représentent une part importante de l’indice des prix, ne baissent pas. Les salaires, bien qu’en ralentissement, progressent encore à un rythme de quatre pour cent par an, soit deux fois plus vite que l’objectif d’inflation de la Fed. Cette rigidité des prix et des salaires suggère que l’inflation pourrait être plus persistante que prévu. Troisièmement, les menaces de droits de douane de Trump créent un risque inflationniste majeur. Si Trump met en œuvre ses promesses de campagne et impose des tarifs de dix à vingt pour cent sur toutes les importations, cela provoquera une hausse des prix à la consommation. Dans ce contexte, baisser les taux maintenant serait prématuré. Mieux vaut attendre de voir si ces menaces se concrétisent et quelle sera leur ampleur. Quatrièmement, le shutdown gouvernemental a privé la Fed de données économiques essentielles. Sans ces statistiques, impossible d’avoir une vision claire de l’état réel de l’économie. Prendre une décision dans ces conditions relève du pari plutôt que de l’analyse rationnelle.
Ces données contradictoires me donnent le vertige. Pour chaque argument en faveur d’une baisse, il existe un contre-argument tout aussi valide. Comment choisir ? Comment trancher ? Les membres du FOMC ne sont pas des devins. Ils ne peuvent pas prédire l’avenir. Ils doivent décider avec les informations dont ils disposent, aussi incomplètes soient-elles. Et cette décision aura des conséquences énormes. Des millions de vies seront affectées. C’est d’une responsabilité écrasante. Et je ne sais pas comment ils font pour supporter ce poids.
Section 7 : Les marchés financiers dans la tourmente
Wall Street entre espoir et angoisse
Les marchés financiers vivent des heures d’une intensité rare. L’annonce de Trump concernant le choix de son futur président de la Fed a déclenché une vague de spéculations frénétiques. Les traders scrutent chaque déclaration, chaque rumeur, chaque indice susceptible de révéler l’identité du successeur de Powell. Kevin Hassett, le favori annoncé, cristallise les espoirs et les craintes. Les investisseurs qui parient sur une politique monétaire plus accommodante se frottent les mains. Ils anticipent des baisses de taux agressives, un soutien massif à l’économie, et par conséquent une envolée des marchés actions. Le S&P 500 a déjà gagné deux pour cent depuis l’annonce de Trump. Le Nasdaq, dominé par les valeurs technologiques particulièrement sensibles aux taux d’intérêt, a bondi de trois pour cent. Les petites capitalisations, qui dépendent davantage du crédit bancaire, ont explosé avec une hausse de quatre pour cent. Cette euphorie reflète la conviction que l’ère de l’argent cher touche à sa fin. Que la Fed va redevenir l’alliée des marchés plutôt que leur ennemie. Que les taux vont baisser rapidement, permettant aux entreprises d’emprunter à moindre coût, aux ménages d’acheter des maisons, et aux investisseurs de réaliser des profits juteux. Mais cette euphorie est fragile. Elle repose sur des hypothèses qui pourraient s’avérer fausses. Car si Hassett est effectivement nommé et qu’il baisse les taux trop rapidement, l’inflation pourrait repartir. Et une résurgence de l’inflation serait catastrophique pour les marchés. Les taux d’intérêt à long terme exploseraient. Les obligations s’effondreraient. Les actions plongeraient. Le dollar se déprécierait. Un scénario cauchemardesque que personne ne veut envisager mais qui reste possible.
Le marché obligataire, lui, envoie des signaux contradictoires. Les rendements des bons du Trésor à dix ans ont brièvement plongé sous quatre pour cent après l’annonce de Trump, reflétant l’anticipation de baisses de taux futures. Mais ils sont rapidement remontés, suggérant que les investisseurs restent prudents. Cette volatilité illustre l’incertitude qui règne. Personne ne sait vraiment ce qui va se passer. Les modèles économiques traditionnels ne fonctionnent plus. Les corrélations historiques se brisent. Les investisseurs naviguent à vue, guidés davantage par l’intuition que par l’analyse rationnelle. Cette situation crée des opportunités pour les traders agiles capables de surfer sur la volatilité. Mais elle expose aussi les investisseurs de long terme à des risques considérables. Car dans un environnement aussi incertain, les erreurs de positionnement peuvent coûter très cher. Le dollar américain, baromètre de la confiance dans l’économie américaine, oscille lui aussi. Il s’est d’abord affaibli après l’annonce de Trump, les investisseurs anticipant des taux plus bas et donc un dollar moins attractif. Mais il s’est ensuite stabilisé, soutenu par la solidité persistante de l’économie américaine. Cette résilience du dollar reflète un paradoxe : malgré toutes les incertitudes politiques, malgré les divisions au sein de la Fed, malgré les menaces sur l’indépendance de la banque centrale, l’économie américaine reste la plus dynamique du monde développé. L’Europe stagne. Le Japon peine à sortir de la déflation. La Chine ralentit. Dans ce contexte, les États-Unis restent la destination privilégiée des capitaux internationaux. Et tant que cette situation perdurera, le dollar restera fort, quelles que soient les turbulences politiques.
Je regarde ces marchés s’agiter et je pense à tous ces gens, investisseurs particuliers, retraités, épargnants, dont l’avenir financier dépend de ces mouvements erratiques. Ils n’ont aucun contrôle. Ils subissent. Leurs économies de toute une vie peuvent s’évaporer en quelques jours si les marchés décrochent. Et tout ça à cause de décisions prises par une poignée d’individus à Washington. C’est d’une injustice révoltante. Mais c’est aussi la réalité du capitalisme financiarisé dans lequel nous vivons. Une réalité que nous avons collectivement acceptée. Et dont nous payons maintenant le prix.
Les investisseurs institutionnels face au dilemme
Les grands investisseurs institutionnels, fonds de pension, compagnies d’assurance, gestionnaires d’actifs, se trouvent face à un dilemme cornélien. Doivent-ils parier sur la continuité, en supposant que la Fed restera prudente et orthodoxe ? Ou doivent-ils anticiper une rupture, avec une Fed trumpienne beaucoup plus agressive dans ses baisses de taux ? Ce choix stratégique déterminera leurs performances pour les années à venir. Ceux qui parient sur la continuité maintiennent des positions défensives. Ils privilégient les obligations de qualité, les actions de grandes entreprises stables, les actifs peu risqués. Cette approche les protège contre un éventuel retour de la volatilité. Mais elle les expose aussi au risque de sous-performer si les marchés s’envolent. À l’inverse, ceux qui parient sur la rupture adoptent des positions beaucoup plus agressives. Ils surchargent leurs portefeuilles en actions, en particulier les valeurs de croissance sensibles aux taux d’intérêt. Ils réduisent leur exposition aux obligations. Ils augmentent leur levier financier pour amplifier leurs gains potentiels. Cette stratégie peut générer des rendements spectaculaires si leurs anticipations se réalisent. Mais elle les expose à des pertes massives en cas d’erreur de jugement. Les discussions dans les salles de marché sont intenses. Les analystes débattent, argumentent, s’affrontent. Certains citent l’histoire, rappelant que les Fed trumpiennes finissent toujours mal. D’autres invoquent la théorie économique moderne, affirmant que les vieilles règles ne s’appliquent plus. D’autres encore adoptent une position agnostique, reconnaissant humblement qu’ils ne savent pas ce qui va se passer et qu’il vaut mieux diversifier plutôt que de parier sur un scénario unique.
Les hedge funds, ces fonds spéculatifs qui prospèrent dans la volatilité, se frottent les mains. Pour eux, l’incertitude actuelle est une aubaine. Ils multiplient les paris contradictoires, achetant et vendant simultanément, jouant sur les écarts de prix, exploitant les inefficiences du marché. Certains parient sur une hausse des taux à long terme malgré les baisses anticipées à court terme. D’autres spéculent sur un affaiblissement du dollar. D’autres encore misent sur une explosion de la volatilité elle-même, achetant des options qui paieront gros si les marchés deviennent chaotiques. Ces stratégies sophistiquées, accessibles uniquement aux investisseurs les plus riches et les mieux informés, creusent encore davantage les inégalités. Car pendant que les hedge funds réalisent des profits juteux en surfant sur la volatilité, les petits épargnants voient leurs portefeuilles fluctuer de manière incompréhensible, incapables de comprendre ce qui se passe et encore moins d’en profiter. Cette asymétrie d’information et de capacité d’action est l’une des caractéristiques les plus problématiques du capitalisme financier moderne. Les marchés sont censés être efficients, transparents, accessibles à tous. En réalité, ils sont opaques, complexes, et favorisent systématiquement les initiés au détriment des outsiders. La situation actuelle, avec ses incertitudes politiques et ses divisions au sein de la Fed, ne fait qu’amplifier cette dynamique. Les riches deviennent plus riches. Les pauvres restent pauvres. Et la classe moyenne, qui a placé ses économies dans des fonds de pension et des plans d’épargne retraite, espère simplement que tout se passera bien. Un espoir qui ressemble de plus en plus à une prière.
Cette inégalité face aux marchés me révolte. Nous prétendons vivre dans une démocratie, mais nos systèmes financiers sont profondément aristocratiques. Seuls ceux qui ont accès aux bonnes informations, aux bons réseaux, aux bons outils, peuvent vraiment prospérer. Les autres se contentent des miettes. Et quand les crises arrivent, ce sont toujours les mêmes qui paient. Les petits épargnants qui perdent leurs économies. Les travailleurs qui perdent leurs emplois. Pendant que les hedge funds et les banques d’investissement continuent de prospérer. C’est d’une injustice criante. Et personne ne semble s’en soucier.
Section 8 : Les implications internationales d'une Fed politisée
Le dollar comme arme géopolitique
La Fed n’est pas qu’une institution américaine. C’est la banque centrale du monde. Le dollar américain représente près de soixante pour cent des réserves de change mondiales. Il est utilisé dans quatre-vingt-dix pour cent des transactions internationales. Les matières premières, du pétrole au blé, sont cotées en dollars. Les dettes souveraines de nombreux pays émergents sont libellées en dollars. Cette domination monétaire confère aux États-Unis un pouvoir géopolitique considérable. Contrôler la Fed, c’est contrôler le robinet du dollar. C’est décider qui a accès au crédit international et qui en est exclu. C’est influencer les taux de change, les flux de capitaux, la stabilité financière mondiale. Trump comprend parfaitement cet enjeu. Il a toujours considéré le dollar comme une arme dans sa guerre commerciale contre la Chine et l’Europe. Un dollar fort rend les exportations américaines moins compétitives mais attire les capitaux étrangers. Un dollar faible stimule les exportations mais peut provoquer une fuite des capitaux. En nommant Hassett à la tête de la Fed, Trump espère pouvoir manipuler cette variable cruciale. Il veut une Fed qui baisse les taux pour affaiblir le dollar et rendre les produits américains plus compétitifs sur les marchés internationaux. Cette stratégie mercantiliste inquiète profondément les partenaires commerciaux des États-Unis. L’Europe, déjà fragilisée par une croissance anémique et des tensions politiques internes, redoute une guerre des monnaies. Si le dollar s’affaiblit brutalement, l’euro s’appréciera mécaniquement, pénalisant les exportations européennes et aggravant la récession qui menace. La Banque centrale européenne se retrouvera alors face à un dilemme : baisser ses propres taux pour compenser l’appréciation de l’euro, au risque de relancer l’inflation, ou maintenir sa politique actuelle et accepter un ralentissement économique encore plus marqué.
La Chine, de son côté, observe la situation avec un mélange de satisfaction et d’inquiétude. Satisfaction parce qu’une Fed politisée affaiblit la crédibilité du système monétaire international dominé par le dollar. Cela renforce l’argument chinois en faveur d’un système multipolaire où le yuan jouerait un rôle plus important. Inquiétude parce qu’une instabilité monétaire américaine pourrait déclencher des turbulences financières mondiales dont la Chine, malgré ses contrôles de capitaux, ne serait pas épargnée. Les pays émergents, eux, sont les plus vulnérables. Beaucoup ont emprunté massivement en dollars pendant les années de taux bas. Si le dollar s’affaiblit, leurs dettes deviennent plus faciles à rembourser. Mais si les taux américains remontent brutalement, le service de la dette devient insoutenable. Cette épée de Damoclès pèse sur des dizaines de pays, de l’Argentine à la Turquie en passant par le Pakistan. Une crise de la dette émergente, déclenchée par une mauvaise gestion de la politique monétaire américaine, pourrait avoir des conséquences catastrophiques à l’échelle mondiale. Les institutions internationales, du Fonds monétaire international à la Banque mondiale, suivent la situation avec une attention anxieuse. Elles savent que leur capacité à gérer les crises dépend largement de la stabilité du système monétaire international. Et cette stabilité repose sur la crédibilité de la Fed. Si cette crédibilité s’effondre, c’est tout l’édifice financier mondial qui vacille. Les conséquences seraient imprévisibles mais certainement dramatiques. Des faillites en chaîne. Des crises bancaires. Des récessions synchronisées. Un retour aux années 1930 n’est pas à exclure si la situation dégénère.
Cette dimension internationale me terrifie. Parce qu’elle révèle à quel point nous sommes tous interconnectés, à quel point le sort de milliards de personnes dépend des décisions prises par quelques individus à Washington. Un fermier indien qui ne sait même pas ce qu’est la Fed verra sa vie bouleversée si le dollar s’effondre. Une ouvrière bangladaise perdra son emploi si les exportations vers les États-Unis chutent. Cette interdépendance est à la fois notre force et notre faiblesse. Elle nous lie. Et elle nous condamne à subir ensemble les conséquences des erreurs des puissants.
La fin de l’ordre monétaire international ?
Certains analystes vont encore plus loin. Ils estiment que nous assistons à la fin de l’ordre monétaire international tel qu’il existe depuis Bretton Woods en 1944. Cet ordre reposait sur la confiance dans le dollar et dans les institutions américaines, Fed en tête. Cette confiance était justifiée par la stabilité, la prévisibilité, et l’indépendance de ces institutions. Mais si la Fed devient un instrument politique au service de la Maison-Blanche, cette confiance s’évapore. Les pays étrangers, les investisseurs internationaux, les banques centrales du monde entier commenceront à chercher des alternatives au dollar. Le yuan chinois, malgré ses limites, gagnera en attractivité. L’euro, malgré ses faiblesses, redeviendra une option crédible. Les cryptomonnaies, longtemps considérées comme marginales, pourraient connaître un essor spectaculaire. Cette diversification monétaire serait bénéfique à long terme, réduisant la dépendance excessive au dollar et créant un système plus équilibré. Mais la transition serait chaotique. Les ajustements de portefeuille provoqueraient des mouvements massifs de capitaux. Les taux de change fluctueraient violemment. Les pays les plus fragiles seraient broyés dans la tourmente. Cette perspective d’un effondrement de l’ordre monétaire international n’est plus une hypothèse d’école. C’est un scénario plausible que les gouvernements et les banques centrales du monde entier doivent prendre au sérieux. Certains s’y préparent déjà. La Chine accumule de l’or. La Russie réduit ses réserves en dollars. Les pays du Golfe diversifient leurs investissements. L’Europe réfléchit à renforcer l’autonomie stratégique de l’euro. Ces mouvements, encore discrets, pourraient s’accélérer brutalement si la Fed perd sa crédibilité.
Les historiens économiques établissent des parallèles avec d’autres moments de transition monétaire. La fin de l’étalon-or dans les années 1930. L’effondrement du système de Bretton Woods dans les années 1970. À chaque fois, ces transitions ont été marquées par des crises, des récessions, des bouleversements politiques. Mais elles ont aussi ouvert la voie à de nouveaux équilibres, parfois plus stables que les précédents. La question n’est donc pas de savoir si l’ordre monétaire international va changer. C’est de savoir comment gérer cette transition pour minimiser les dégâts. Et là, les nouvelles ne sont pas bonnes. Car une transition réussie nécessite de la coopération internationale, de la coordination entre banques centrales, une vision commune de l’avenir souhaitable. Or, nous vivons à l’ère du nationalisme, du chacun pour soi, de la méfiance généralisée. Trump incarne parfaitement cette tendance. Il ne croit pas à la coopération internationale. Il croit à la compétition, à la domination, à l’Amérique d’abord. Cette philosophie est incompatible avec la gestion ordonnée d’une transition monétaire mondiale. Elle garantit au contraire que cette transition sera chaotique, conflictuelle, et coûteuse. Les perdants seront nombreux. Les gagnants, rares. Et l’humanité dans son ensemble sortira affaiblie de cette épreuve. Sauf si, par miracle, les dirigeants mondiaux retrouvent la sagesse et la capacité de coopérer. Mais franchement, qui y croit encore ?
Je me demande parfois si nous réalisons vraiment ce qui est en train de se passer. Nous assistons peut-être à la fin d’une ère. L’ère de la domination monétaire américaine. L’ère de la Fed toute-puissante. L’ère du dollar roi. Et nous ne savons pas ce qui viendra après. Cette incertitude devrait nous terrifier. Mais étrangement, la plupart des gens semblent indifférents. Ils continuent leur vie, inconscients du séisme qui se prépare. Ou peut-être sont-ils simplement résignés. Conscients qu’ils n’ont aucun pouvoir sur ces événements. Qu’ils ne peuvent que subir. Et espérer que ça ne sera pas trop douloureux.
Section 9 : Les précédents historiques qui inquiètent
Quand les présidents ont voulu contrôler la Fed
L’histoire des relations entre la Maison-Blanche et la Fed est jalonnée de conflits. Mais jamais ces tensions n’ont atteint le niveau actuel. Richard Nixon, dans les années 1970, avait fait pression sur Arthur Burns pour maintenir les taux bas avant l’élection de 1972. Burns avait cédé. Résultat : une explosion de l’inflation qui a nécessité une décennie pour être maîtrisée. Cette erreur historique a convaincu les économistes et les politiciens de l’importance cruciale de l’indépendance de la Fed. Pendant des décennies, cette leçon a été respectée. Les présidents pouvaient critiquer la Fed en privé, mais ils évitaient les attaques publiques. Ils comprenaient que miner l’autorité de la banque centrale était contre-productif. Ronald Reagan, malgré son conservatisme économique, a soutenu Paul Volcker même quand celui-ci a provoqué une récession pour casser l’inflation. Bill Clinton a nommé Alan Greenspan et l’a laissé opérer en toute indépendance. George W. Bush a fait de même avec Ben Bernanke. Barack Obama a respecté l’autonomie de la Fed même pendant la crise financière de 2008. Cette tradition de respect mutuel a permis à la Fed de construire une crédibilité exceptionnelle. Les marchés faisaient confiance à la banque centrale parce qu’ils savaient qu’elle prenait ses décisions en fonction de l’intérêt économique général, pas en fonction des calculs politiques de court terme. Trump a brisé cette tradition. Dès son premier mandat, il a attaqué publiquement Jerome Powell, qu’il avait lui-même nommé. Il a menacé de le limoger. Il a exigé des baisses de taux. Il a transformé la politique monétaire en sujet de campagne électorale. Cette rupture a choqué les observateurs. Mais elle n’a pas eu de conséquences immédiates parce que Powell a tenu bon. Il a résisté aux pressions. Il a maintenu l’indépendance de la Fed.
Mais maintenant, Trump revient au pouvoir avec une détermination renforcée. Il ne commettra pas deux fois la même erreur. Il ne nommera pas un président de la Fed capable de lui résister. Il choisira quelqu’un de loyal, de docile, de malléable. Hassett correspond parfaitement à ce profil. Et c’est là que les précédents historiques deviennent vraiment inquiétants. Car chaque fois qu’une banque centrale a perdu son indépendance, les conséquences ont été désastreuses. L’Argentine, dans les années 1980 et 1990, a connu une hyperinflation parce que sa banque centrale était soumise au pouvoir politique. La Turquie, plus récemment, a vu sa monnaie s’effondrer parce qu’Erdogan a limogé les gouverneurs de la banque centrale qui refusaient de baisser les taux. Le Zimbabwe, exemple extrême, a connu une inflation tellement galopante que les billets de banque ne valaient plus rien. Ces exemples concernent des pays émergents, pas les États-Unis. Mais les mécanismes économiques sont les mêmes. Une banque centrale politisée perd sa crédibilité. Les agents économiques cessent de croire à sa capacité à maintenir la stabilité des prix. Les anticipations d’inflation se désancrent. Et une fois que ce processus est enclenché, il est extrêmement difficile de l’inverser. Il faut des années de politique monétaire restrictive, avec toutes les souffrances économiques que cela implique, pour restaurer la confiance. Les États-Unis ne sont pas à l’abri de ce scénario. Leur statut de première puissance économique mondiale ne les protège pas des lois de l’économie. Si la Fed perd sa crédibilité, le dollar s’affaiblira. L’inflation repartira. Les taux d’intérêt à long terme exploseront. Et l’économie américaine plongera dans une crise dont elle mettra des années à se remettre.
Ces précédents historiques me hantent. Parce qu’ils montrent que nous ne sommes pas en terrain inconnu. D’autres pays ont emprunté ce chemin avant nous. Et tous ont fini dans le mur. Mais nous continuons d’avancer, les yeux fermés, convaincus que nous sommes différents, que ça ne nous arrivera pas. Cette arrogance, cette hubris, c’est exactement ce qui précède les grandes catastrophes. Et je ne peux m’empêcher de penser que nous fonçons droit vers le désastre. En toute connaissance de cause. Parce que nous avons choisi l’aveuglement plutôt que la lucidité.
Les leçons ignorées du passé
L’histoire économique regorge de leçons que nous refusons obstinément d’apprendre. La Grande Dépression des années 1930 a été aggravée par des erreurs de politique monétaire. La Fed de l’époque a maintenu une politique restrictive alors que l’économie s’effondrait. Cette erreur a transformé une récession ordinaire en catastrophe économique mondiale. Les économistes ont étudié cet épisode pendant des décennies. Ils ont écrit des milliers de pages pour expliquer ce qui s’est passé et comment éviter de répéter ces erreurs. Ben Bernanke, avant de devenir président de la Fed, était l’un des plus grands spécialistes de la Grande Dépression. Quand la crise financière de 2008 a éclaté, il a appliqué les leçons de l’histoire. Il a inondé le système financier de liquidités. Il a baissé les taux à zéro. Il a lancé des programmes d’achat d’actifs massifs. Ces mesures ont évité une répétition de la Grande Dépression. Mais elles ont aussi créé de nouveaux problèmes : des bulles d’actifs, une inflation galopante post-Covid, des inégalités croissantes. La politique monétaire est un art délicat. Trop restrictive, elle provoque des récessions. Trop accommodante, elle alimente l’inflation et les bulles spéculatives. Trouver le juste équilibre nécessite du jugement, de l’expérience, et surtout de l’indépendance vis-à-vis des pressions politiques. Car les politiciens ont toujours une préférence pour l’argent facile. Ils veulent stimuler l’économie à court terme pour gagner des élections, même si cela crée des problèmes à long terme. C’est précisément pour éviter cette tentation que les banques centrales ont été rendues indépendantes. Mais cette indépendance n’est jamais acquise définitivement. Elle doit être défendue en permanence contre les tentatives d’empiètement du pouvoir politique.
Trump ne s’embarrasse pas de ces considérations historiques. Il ne croit pas aux leçons du passé. Il pense que les vieilles règles ne s’appliquent plus, que l’économie moderne fonctionne différemment, que lui seul comprend vraiment comment créer de la croissance. Cette confiance en soi, cette certitude inébranlable, est à la fois sa force et sa faiblesse. Elle lui permet de prendre des décisions audacieuses que d’autres n’oseraient pas. Mais elle l’aveugle aussi aux risques réels. Les conseillers économiques de Trump, Hassett en tête, partagent cette vision. Ils estiment que la Fed a été trop prudente, trop conservatrice, trop attachée aux dogmes du passé. Ils veulent une politique monétaire plus agressive, plus innovante, plus adaptée aux défis du vingt-et-unième siècle. Cette ambition n’est pas nécessairement mauvaise. L’économie évolue. Les outils de politique monétaire doivent s’adapter. Mais l’innovation ne doit pas se faire au détriment de la prudence. Car en matière de politique monétaire, les erreurs se paient très cher. Et contrairement à ce que pensent Trump et ses conseillers, les lois de l’économie n’ont pas changé. L’inflation reste l’inflation. Les bulles spéculatives restent des bulles. Et les crises financières restent des crises. Ignorer ces réalités fondamentales au nom de l’innovation, c’est courir à la catastrophe. Mais essayez d’expliquer ça à Trump. Il ne vous écoutera pas. Il est convaincu d’avoir raison. Et cette conviction, malheureusement, pourrait nous coûter très cher à tous.
Cette incapacité à apprendre du passé me désespère. Nous avons toutes les connaissances nécessaires. Tous les outils. Toute l’expérience accumulée par des générations d’économistes. Et pourtant, nous choisissons délibérément de les ignorer. Parce que c’est plus confortable. Parce que c’est plus facile de croire aux solutions miracles qu’aux vérités difficiles. Cette fuite en avant, ce refus de la réalité, c’est la marque de notre époque. Et ça finira mal. Très mal. Mais nous ne le réaliserons que quand il sera trop tard.
Section 10 : L'impact sur l'économie réelle
Au-delà de Wall Street, des vies bouleversées
Pendant que les traders s’agitent et que les économistes débattent, des millions d’Américains ordinaires observent avec anxiété. Pour eux, la Fed n’est pas une abstraction. C’est l’institution qui détermine s’ils pourront acheter une maison, financer les études de leurs enfants, prendre leur retraite dans la dignité. Les taux d’intérêt ne sont pas des chiffres sur un écran. Ce sont des réalités concrètes qui façonnent leur vie quotidienne. Prenons l’exemple du marché immobilier. Quand la Fed a relevé ses taux de zéro à cinq virgule cinquante pour cent, les taux hypothécaires ont explosé, passant de trois pour cent à près de huit pour cent. Cette hausse a rendu l’accession à la propriété impossible pour des millions de familles. Le rêve américain de la maison individuelle s’est éloigné. Les ventes de logements se sont effondrées. Les prix, après avoir atteint des sommets historiques, ont commencé à baisser dans certaines régions. Cette correction était nécessaire pour refroidir un marché surchauffé. Mais elle a aussi détruit la richesse de nombreux propriétaires qui avaient acheté au plus haut. Maintenant, avec la perspective de baisses de taux sous une Fed dirigée par Hassett, l’espoir renaît. Les taux hypothécaires pourraient redescendre. L’immobilier pourrait repartir. Les familles pourraient à nouveau envisager d’acheter. Mais cet espoir est fragile. Car si les taux baissent trop vite et que l’inflation repart, les taux hypothécaires pourraient remonter encore plus brutalement. Un scénario de yo-yo qui rendrait toute planification impossible. Les familles ne sauraient plus quand acheter, quand vendre, quand investir. Cette incertitude paralyse les décisions et freine l’activité économique.
Le marché du travail est également affecté. Quand la Fed relève ses taux, elle ralentit l’économie. Les entreprises embauchent moins. Certaines licencient. Le chômage augmente. C’est précisément ce qui s’est passé en 2023 et 2024. Le taux de chômage est remonté de trois virgule quatre à quatre virgule deux pour cent. Deux cent mille emplois ont été détruits. Derrière ces statistiques se cachent des drames humains. Des familles qui perdent leur revenu. Des carrières brisées. Des rêves abandonnés. La Fed le sait. Powell le sait. Mais ils ont fait le choix de privilégier la lutte contre l’inflation, même au prix de ces souffrances. Un choix difficile mais nécessaire selon eux. Car une inflation galopante aurait causé encore plus de dégâts à long terme. Maintenant, avec la perspective d’une Fed plus accommodante, l’espoir d’une reprise de l’emploi renaît. Les entreprises pourraient recommencer à embaucher. Les salaires pourraient repartir à la hausse. Le plein emploi pourrait être retrouvé. Mais là encore, cet espoir est conditionnel. Si la politique monétaire est mal calibrée, si les taux baissent trop vite, l’économie pourrait surchauffer. L’inflation repartirait. Et la Fed serait alors obligée de remonter brutalement les taux, provoquant une récession encore plus violente. Les travailleurs seraient les premières victimes de ce scénario. Car ce sont toujours eux qui paient le prix des erreurs de politique économique. Les riches ont des actifs diversifiés qui les protègent. Les pauvres n’ont que leur travail. Et quand le travail disparaît, ils n’ont plus rien.
Ces vies bouleversées me touchent profondément. Parce que derrière les statistiques, il y a des êtres humains. Des gens qui se lèvent chaque matin, qui travaillent dur, qui essaient de construire une vie décente pour eux et leurs enfants. Et qui voient leurs efforts anéantis par des décisions prises dans des bureaux climatisés à Washington. Cette injustice me révolte. Mais elle me rend aussi triste. Parce que je ne vois pas comment changer ce système. Comment donner du pouvoir à ceux qui n’en ont pas. Comment faire en sorte que les décisions économiques prennent en compte les vies réelles plutôt que les modèles abstraits.
Les petites entreprises prises en étau
Les petites entreprises, colonne vertébrale de l’économie américaine, sont particulièrement vulnérables aux fluctuations de la politique monétaire. Contrairement aux grandes corporations qui peuvent emprunter sur les marchés obligataires à des taux avantageux, les PME dépendent du crédit bancaire. Et les banques, quand les taux montent, deviennent beaucoup plus sélectives. Elles durcissent leurs critères d’octroi de crédit. Elles augmentent leurs taux d’intérêt. Elles réduisent les montants prêtés. Cette restriction du crédit étouffe les petites entreprises. Elles ne peuvent plus investir. Elles ne peuvent plus embaucher. Certaines, les plus fragiles, font faillite. Les statistiques sont éloquentes : en 2023 et 2024, les faillites de petites entreprises ont augmenté de trente pour cent. Des dizaines de milliers d’entrepreneurs ont vu leur rêve s’effondrer. Des emplois ont été détruits. Des communautés locales ont été fragilisées. Car les petites entreprises ne sont pas que des entités économiques. Ce sont des lieux de vie, des espaces de socialisation, des piliers des communautés. Quand elles disparaissent, c’est tout un tissu social qui se déchire. La perspective d’une Fed plus accommodante sous Hassett redonne espoir aux entrepreneurs. Le crédit pourrait redevenir accessible. Les taux d’intérêt pourraient baisser. Les investissements pourraient reprendre. De nouvelles entreprises pourraient être créées. L’économie pourrait retrouver son dynamisme. Mais ce scénario optimiste repose sur une hypothèse fragile : que la baisse des taux ne provoquera pas de retour de l’inflation. Car si l’inflation repart, les banques augmenteront leurs taux encore plus brutalement. Le crédit se tarira complètement. Et les petites entreprises seront les premières victimes.
Les secteurs les plus sensibles aux taux d’intérêt sont particulièrement exposés. L’immobilier commercial, déjà fragilisé par le télétravail et la désertification des centres-villes, pourrait s’effondrer si les taux restent élevés. Les promoteurs ne peuvent plus financer de nouveaux projets. Les propriétaires existants peinent à refinancer leurs dettes. Les valeurs des immeubles chutent. Les banques qui ont prêté à ce secteur voient leurs bilans se détériorer. Certaines pourraient faire faillite, déclenchant une crise bancaire. Ce scénario n’est pas hypothétique. Il s’est déjà produit en 2023 avec la faillite de Silicon Valley Bank et de plusieurs autres banques régionales. Seule l’intervention rapide de la Fed et du gouvernement a évité une contagion généralisée. Mais si la situation se répète, les autorités auront-elles encore les moyens d’intervenir ? Le secteur automobile, autre pilier de l’économie américaine, souffre également. Les taux d’intérêt élevés rendent les crédits auto plus chers. Les ventes de voitures neuves chutent. Les concessionnaires ferment. Les emplois dans l’industrie automobile sont menacés. Detroit, qui avait réussi à se relever de la crise de 2008, pourrait replonger. Et avec elle, toute une région qui dépend de cette industrie. Ces exemples illustrent à quel point la politique monétaire affecte l’économie réelle. Ce n’est pas qu’une question de chiffres et de modèles. Ce sont des vies, des emplois, des communautés qui sont en jeu. Et les décisions prises par la Fed dans les prochains mois détermineront le sort de millions de personnes. Une responsabilité écrasante qui devrait inciter à la plus grande prudence. Mais dans le contexte politique actuel, la prudence semble être la dernière des priorités.
Ces petites entreprises qui luttent pour survivre me touchent particulièrement. Parce qu’elles incarnent ce qu’il y a de meilleur dans le capitalisme : l’initiative individuelle, la prise de risque, la création de valeur. Mais elles sont aussi les plus vulnérables. Les premières à souffrir quand les temps sont durs. Les dernières à bénéficier quand les temps sont bons. Cette asymétrie est profondément injuste. Et elle révèle les limites d’un système économique qui favorise systématiquement les gros au détriment des petits. Nous prétendons célébrer l’entrepreneuriat. Mais en réalité, nous le sacrifions sur l’autel de la stabilité macroéconomique.
Section 11 : Les scénarios possibles pour 2025
Le scénario optimiste : l’atterrissage en douceur
Imaginons un instant que tout se passe bien. Que Hassett, une fois nommé, se révèle être un président de la Fed compétent et indépendant. Qu’il résiste aux pressions de Trump. Qu’il baisse les taux de manière graduelle et mesurée. Que l’inflation continue de baisser sans provoquer de récession. Ce scénario d’atterrissage en douceur, le fameux « soft landing », est celui que tout le monde espère. Dans ce monde idéal, l’économie américaine continuerait de croître à un rythme soutenu de deux à trois pour cent par an. Le chômage resterait bas, autour de quatre pour cent. L’inflation redescendrait progressivement vers l’objectif de deux pour cent. Les marchés financiers s’envoleraient, portés par la combinaison d’une croissance solide et de taux d’intérêt en baisse. Le dollar resterait stable. Les tensions commerciales avec la Chine et l’Europe se résorberaient. Les petites entreprises recommenceraient à investir. Les familles pourraient à nouveau acheter des maisons. Le rêve américain serait préservé. Ce scénario n’est pas impossible. Il existe des précédents historiques où la Fed a réussi cet exploit. Dans les années 1990, sous Alan Greenspan, l’économie américaine a connu une période de croissance exceptionnelle avec une inflation maîtrisée. La productivité augmentait grâce aux nouvelles technologies. Les marchés boursiers explosaient. Le chômage tombait à des niveaux historiquement bas. Cette période, surnommée les « Goldilocks years » (les années Boucle d’or), a duré près d’une décennie. Pourquoi ne pourrait-elle pas se répéter ? Les conditions sont réunies : une révolution technologique avec l’intelligence artificielle, une économie dynamique, des entreprises innovantes. Il suffirait que la Fed gère correctement la transition pour que ce scénario se réalise.
Mais ce scénario optimiste repose sur de nombreuses hypothèses fragiles. Premièrement, il suppose que Hassett sera capable de résister à Trump. Or, rien dans son parcours ne suggère qu’il en ait la volonté ou la capacité. Deuxièmement, il suppose que l’inflation continuera de baisser spontanément, sans nécessiter de maintien prolongé des taux élevés. Or, les données récentes suggèrent que l’inflation pourrait être plus persistante que prévu. Troisièmement, il suppose que les menaces de droits de douane de Trump resteront des menaces et ne se concrétiseront pas. Or, Trump a montré lors de son premier mandat qu’il était prêt à mettre ses menaces à exécution. Quatrièmement, il suppose que les tensions géopolitiques ne s’aggraveront pas. Or, les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient restent des poudrières qui pourraient exploser à tout moment. Cinquièmement, il suppose que les marchés financiers resteront rationnels et ne formeront pas de bulles spéculatives. Or, l’histoire montre que les marchés ont tendance à s’emballer quand les taux baissent. Toutes ces hypothèses doivent se réaliser simultanément pour que le scénario optimiste se concrétise. La probabilité que cela arrive est faible. Pas nulle, mais faible. Les investisseurs qui parient tout sur ce scénario prennent un risque considérable. Car si une seule de ces hypothèses s’avère fausse, c’est tout le château de cartes qui s’effondre. Et les conséquences pourraient être catastrophiques.
J’aimerais croire à ce scénario optimiste. J’aimerais penser que tout va bien se passer. Que Hassett sera à la hauteur. Que Trump se calmera. Que l’économie continuera de prospérer. Mais je ne peux pas. Parce que l’histoire m’a appris à me méfier des scénarios trop beaux pour être vrais. Parce que l’expérience m’a montré que les choses tournent rarement comme prévu. Parce que la réalité est toujours plus complexe, plus chaotique, plus imprévisible que nos modèles. Alors oui, peut-être que tout ira bien. Mais je n’y crois pas vraiment. Et ça me rend triste.
Le scénario catastrophe : la spirale inflationniste
Maintenant, imaginons le pire. Hassett est nommé. Il cède immédiatement aux pressions de Trump. Il baisse les taux de manière agressive, d’un demi-point en janvier, puis d’un autre demi-point en mars. Les marchés s’envolent. L’économie accélère. Mais l’inflation repart. D’abord lentement, puis de plus en plus vite. En quelques mois, elle repasse au-dessus de cinq pour cent. Puis six. Puis sept. Les salaires suivent, déclenchant une spirale prix-salaires. Les entreprises augmentent leurs prix pour compenser la hausse des coûts. Les travailleurs exigent des augmentations pour maintenir leur pouvoir d’achat. Les prix augmentent encore. Et ainsi de suite. Cette spirale inflationniste, une fois enclenchée, est extrêmement difficile à stopper. La Fed se retrouve face à un dilemme terrible. Soit elle remonte brutalement les taux, provoquant une récession sévère. Soit elle laisse l’inflation galoper, détruisant le pouvoir d’achat et la confiance dans le dollar. Dans les deux cas, les conséquences sont catastrophiques. Si la Fed choisit la première option, le chômage explose. Les faillites se multiplient. Les marchés s’effondrent. Une récession profonde s’installe, comparable à celle de 2008 ou même de 1929. Si elle choisit la seconde option, l’inflation atteint des niveaux jamais vus depuis les années 1970. Le dollar s’effondre. Les investisseurs étrangers fuient les actifs américains. Les taux d’intérêt à long terme explosent. L’économie entre en stagflation, cette combinaison toxique de stagnation économique et d’inflation élevée. Dans ce scénario cauchemardesque, les perdants sont innombrables. Les épargnants voient leurs économies fondre. Les retraités, dont les pensions ne sont pas indexées sur l’inflation, sombrent dans la pauvreté. Les travailleurs à revenus fixes sont écrasés par la hausse des prix. Seuls les détenteurs d’actifs réels, immobilier et actions, s’en sortent relativement bien. Mais même eux souffrent de l’instabilité générale.
Ce scénario catastrophe n’est pas qu’une fiction. Il s’est déjà produit. Dans les années 1970, aux États-Unis, l’inflation a atteint treize pour cent. Il a fallu les mesures drastiques de Paul Volcker, qui a relevé les taux jusqu’à vingt pour cent, pour la maîtriser. Cette politique a provoqué la récession la plus sévère depuis la Grande Dépression. Le chômage a dépassé dix pour cent. Des millions d’Américains ont perdu leur emploi. Mais c’était le prix à payer pour restaurer la stabilité des prix. La question est de savoir si Hassett aura le courage de prendre des mesures aussi impopulaires si nécessaire. Ou s’il cédera aux pressions de Trump qui exigera de maintenir les taux bas pour soutenir l’économie et sa popularité. Cette question n’est pas théorique. Elle déterminera le sort de l’économie américaine pour les années à venir. Et malheureusement, tous les signaux suggèrent que Hassett n’a pas l’indépendance d’esprit nécessaire pour résister à Trump. Il a été choisi précisément parce qu’il est loyal, docile, malléable. Cette loyauté, qui fait de lui le candidat idéal aux yeux de Trump, fait aussi de lui un danger potentiel pour l’économie. Car en matière de politique monétaire, la loyauté politique est incompatible avec la responsabilité économique. Il faut choisir. Et Hassett a déjà fait son choix. Les conséquences de ce choix, nous les vivrons tous dans les années à venir. Et elles risquent d’être douloureuses. Très douloureuses.
Ce scénario catastrophe me terrifie. Parce qu’il n’est pas improbable. Parce que tous les ingrédients sont réunis pour qu’il se réalise. Parce que nous fonçons droit vers le mur, les yeux grands ouverts, incapables ou refusant de changer de direction. Cette impuissance face au désastre annoncé, c’est peut-être ça le plus terrible. Savoir ce qui va arriver. Comprendre les mécanismes qui nous y mènent. Et ne rien pouvoir faire pour l’empêcher. Juste regarder. Et attendre que ça explose.
Conclusion : le crépuscule d'une ère
Une institution à la croisée des chemins
La Réserve fédérale américaine traverse la crise la plus grave de son histoire moderne. Divisée de l’intérieur, attaquée de l’extérieur, elle vacille. L’annonce de Trump concernant le choix de son successeur à Powell n’est pas qu’un événement politique. C’est un tournant historique. La fin d’une ère. Celle de l’indépendance des banques centrales. Celle de la politique monétaire guidée par la rationalité économique plutôt que par les calculs politiques. Cette ère, qui a duré près d’un demi-siècle, depuis les réformes de Paul Volcker dans les années 1980, touche à sa fin. Et nous ne savons pas ce qui viendra après. Une Fed trumpienne, politisée, instrumentalisée ? Un retour aux erreurs des années 1970 ? Une crise économique majeure qui forcera un retour à l’orthodoxie ? Toutes ces possibilités sont sur la table. Aucune n’est rassurante. Les divisions au sein du FOMC, avec quatre membres pour une baisse des taux, cinq contre, et trois indécis, illustrent parfaitement l’impasse dans laquelle se trouve l’institution. Comment prendre des décisions cohérentes quand le conseil des gouverneurs est aussi fragmenté ? Comment envoyer des signaux clairs aux marchés quand les dissensions sont publiques ? Comment maintenir la crédibilité quand l’unité n’existe plus ? Ces questions n’ont pas de réponses faciles. Powell le sait. Il travaille d’arrache-pied pour construire un consensus, pour préserver l’apparence d’unité, pour éviter que la Fed n’apparaisse comme une institution en pleine décomposition. Mais ses efforts semblent vains. La fracture est trop profonde. Les enjeux sont trop importants. Et le temps joue contre lui.
La réunion de décembre sera cruciale. Non pas tant pour la décision technique sur les taux, qui sera probablement un compromis insatisfaisant pour tout le monde. Mais pour ce qu’elle révélera sur l’état réel de la Fed. Si le vote est serré, si les dissensions sont nombreuses, si le message est confus, les marchés paniqueront. La volatilité explosera. La confiance s’érodera. Et la Fed entrera dans une spirale de perte de crédibilité dont elle aura du mal à sortir. À l’inverse, si Powell réussit à construire un large consensus, si la décision est prise à une majorité confortable, si le message est clair et cohérent, la Fed pourra préserver une partie de son autorité. Mais même dans ce scénario optimiste, le mal est fait. L’annonce de Trump a déjà miné l’institution. Hassett, quand il sera nommé, arrivera dans une Fed affaiblie, divisée, contestée. Il devra reconstruire. Restaurer la confiance. Réunifier l’institution. Une tâche titanesque qui nécessiterait un leader exceptionnel. Or, rien ne suggère que Hassett possède ces qualités. Il est un bon économiste, un conseiller loyal, un homme intelligent. Mais est-il un leader capable de transcender les divisions, de résister aux pressions politiques, de prendre des décisions impopulaires quand nécessaire ? L’histoire nous le dira. Mais les paris ne sont pas en sa faveur. Et c’est précisément ce qui rend la situation actuelle si dangereuse. Car la Fed n’est pas qu’une institution parmi d’autres. C’est le pilier du système financier mondial. Si elle s’effondre, c’est tout l’édifice qui s’écroule avec elle.
Je regarde cette institution centenaire vaciller et je ressens une profonde tristesse. La Fed a traversé tant de crises. Elle a survécu à la Grande Dépression, à la Seconde Guerre mondiale, aux chocs pétroliers, à la crise financière de 2008. Elle a toujours su se réinventer, s’adapter, surmonter les obstacles. Mais cette fois, c’est différent. Cette fois, la menace vient de l’intérieur. De la politisation. De la perte d’indépendance. De l’érosion de la confiance. Et je ne sais pas si elle survivra. Peut-être que oui. Peut-être que non. Mais une chose est sûre : elle ne sera plus jamais la même.
L’héritage empoisonné que nous laissons
Dans quelques années, quand les historiens écriront sur cette période, ils se demanderont comment nous avons pu laisser faire. Comment nous avons pu accepter la destruction méthodique de l’indépendance de la Fed sans réagir. Comment nous avons pu rester passifs face à cette dérive autoritaire. Les réponses seront multiples. La fatigue démocratique. La polarisation politique. La méfiance envers les institutions. Le populisme triomphant. Toutes ces explications seront vraies. Mais elles ne suffiront pas à excuser notre inaction. Car nous savions. Nous comprenions les enjeux. Nous voyions les dangers. Et pourtant, nous n’avons rien fait. Ou si peu. Quelques éditoriaux indignés. Quelques manifestations symboliques. Quelques déclarations de principe. Mais rien qui puisse vraiment changer le cours des événements. Cette impuissance collective, cette résignation face à l’inacceptable, c’est peut-être le vrai drame de notre époque. Nous avons perdu la capacité de nous battre pour ce qui compte vraiment. Nous nous sommes habitués à l’outrage permanent. Nous avons normalisé l’anormal. Et maintenant, nous en payons le prix. L’héritage que nous laissons aux générations futures est empoisonné. Une Fed affaiblie. Un dollar fragilisé. Une économie instable. Des inégalités croissantes. Une démocratie abîmée. Ils nous jugeront sévèrement. Et ils auront raison. Car nous avions les moyens d’éviter ce désastre. Nous avions les connaissances, les outils, les institutions. Mais nous n’avions pas la volonté. Nous avons préféré le confort de l’indifférence à l’inconfort de l’engagement. Et maintenant, il est trop tard. Le mal est fait. Les dés sont jetés. Reste à espérer que les dégâts ne seront pas trop importants. Que l’économie tiendra bon. Que la Fed survivra. Que le dollar restera la monnaie de référence mondiale. Mais franchement, qui y croit encore ?
Trump a gagné. Il a réussi à plier la Fed à sa volonté. À imposer son homme. À transformer cette institution indépendante en instrument politique. Cette victoire n’est pas que la sienne. C’est celle d’une certaine vision du pouvoir. Autoritaire. Personnalisée. Transactionnelle. Une vision où les institutions n’existent que pour servir le leader. Où l’indépendance est une faiblesse. Où la loyauté prime sur la compétence. Cette vision, malheureusement, ne se limite pas aux États-Unis. Elle gagne du terrain partout dans le monde. En Turquie, Erdogan contrôle la banque centrale. En Russie, Poutine dicte la politique monétaire. En Hongrie, Orban a mis au pas toutes les institutions indépendantes. Cette vague autoritaire submerge les démocraties libérales. Et nous ne savons pas comment l’arrêter. Peut-être est-ce impossible. Peut-être sommes-nous condamnés à vivre dans un monde où les institutions indépendantes n’existent plus. Où tout est politique. Où rien n’échappe au pouvoir. Un monde orwellien où la vérité n’a plus de sens. Où les faits sont malléables. Où seule compte la volonté du chef. Ce monde-là me terrifie. Mais c’est peut-être celui dans lequel nous vivons déjà. Sans même nous en rendre compte. Parce que le changement a été progressif. Insidieux. Imperceptible. Et maintenant qu’il est trop tard, nous réalisons enfin ce que nous avons perdu. Notre liberté. Notre indépendance. Notre capacité à penser par nous-mêmes. Tout ça sacrifié sur l’autel de la facilité, du confort, de la paresse intellectuelle. L’histoire ne nous pardonnera pas. Et elle aura raison.
Je termine cet article avec un sentiment de défaite. Pas parce que j’ai perdu un combat. Mais parce que je réalise que le combat n’a jamais vraiment eu lieu. Nous avons capitulé avant même de nous battre. Nous avons accepté l’inacceptable. Nous avons normalisé l’anormal. Et maintenant, nous en payons le prix. La Fed est mourante. Le dollar vacille. L’économie tremble. Et nous regardons, impuissants, le désastre se dérouler sous nos yeux. Peut-être qu’un jour, quelqu’un trouvera le courage de se lever. De dire non. De résister. Mais ce jour n’est pas aujourd’hui. Aujourd’hui, nous sommes vaincus. Et cette défaite, elle est définitive. Parce qu’on ne reconstruit pas ce qui a été détruit. On ne restaure pas ce qui a été perdu. On ne répare pas ce qui a été brisé. On vit avec. On survit. On espère que ça ne sera pas trop douloureux. C’est tout ce qui nous reste. L’espoir. Pathétique, n’est-ce pas ?
Sources
Sources primaires
ANSA – « Fed spaccata. Trump: ‘Ho deciso il prossimo presidente' » – 1er décembre 2024 – Article source détaillant l’annonce de Trump et les divisions au sein de la Fed concernant la réunion de décembre 2024.
Reuters – « Flurry of Fed dissents in coming meetings could pose market, political risks » – 1er décembre 2024 – Analyse des dissensions croissantes au sein du FOMC et de leurs implications pour les marchés financiers.
Bloomberg – « Hassett Emerges as Frontrunner in Trump Fed Chair Audition » – 25 novembre 2024 – Article détaillant l’émergence de Kevin Hassett comme favori pour succéder à Jerome Powell.
CNBC – « Trump Fed pick Stephen Miran confirmed by Senate » – 15 septembre 2024 – Confirmation de Stephen Miran comme gouverneur de la Fed et analyse de ses positions sur la politique monétaire.
Federal Reserve – « FOMC Statement » – 18 décembre 2024 – Communiqué officiel du Comité fédéral de l’open market concernant les décisions de politique monétaire.
Sources secondaires
La Tribune – « Une Fed à deux têtes ? L’hypothèse Trump qui inquiète les marchés » – Novembre 2024 – Analyse des implications d’une Fed politisée sous l’administration Trump.
Challenges – « Aux Etats-Unis, la Fed divisée sur une baisse des taux en décembre » – Décembre 2024 – Article sur les divergences au sein du FOMC concernant la politique monétaire.
Le Monde – « La Fed prévoit un ralentissement mais pas un effondrement de l’économie américaine » – Mars 2025 – Analyse des prévisions économiques de la Fed dans le contexte des politiques de Trump.
Yahoo Finance – « Trump Says He Has Made His Choice to Lead the Federal Reserve » – 30 novembre 2024 – Couverture de l’annonce de Trump concernant le choix du prochain président de la Fed.
Financial Express – « Trump has made his Fed choice — Is Hassett the one? » – Décembre 2024 – Analyse du profil de Kevin Hassett et de ses implications pour la politique monétaire américaine.
NPR – « Who is Fed nominee Stephen Miran? » – 15 septembre 2024 – Portrait détaillé de Stephen Miran et de ses positions économiques.
The Hill – « A Fed nominee for Christmas? » – Décembre 2024 – Article sur le calendrier de nomination du successeur de Powell.
Brookings Institution – « Who has to leave the Federal Reserve next? » – 2024 – Analyse des changements à venir au sein du conseil des gouverneurs de la Fed.
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