Une trajectoire personnelle qui contredit son discours
Pour comprendre la controverse, il faut d’abord comprendre qui est Erika Kirk. Son parcours personnel est un cas d’école de contradiction entre vie privée et discours public. Née dans les années 1990, elle a grandi dans une Amérique où les droits des femmes étaient déjà largement établis. Elle a bénéficié d’un accès complet à l’éducation supérieure, obtenant plusieurs diplômes universitaires avant de s’engager dans un programme doctoral. Elle n’a pas épousé Charlie Kirk jeune — elle avait déjà la trentaine bien entamée quand ils se sont mariés. Elle n’a pas eu d’enfants immédiatement — elle a attendu d’avoir trente-cinq ans passés, un âge que les conservateurs qualifient souvent de « tardif » pour la maternité. Elle était même plus âgée que son mari de cinq ans, renversant la dynamique traditionnelle du couple conservateur où l’homme est censé être plus âgé et donc « dominant ». Chaque aspect de sa vie personnelle reflète les acquis du féminisme moderne : le choix du moment du mariage, le contrôle de sa fertilité, la poursuite d’objectifs éducatifs et professionnels avant la fondation d’une famille. Et pourtant, c’est cette même femme qui monte sur scène pour dire aux autres qu’elles font fausse route en suivant un chemin similaire.
Après la mort de Charlie Kirk en septembre 2025 — abattu lors d’un événement à l’Utah Valley University par Tyler Robinson, un homme qui affirmait vouloir stopper la « propagation de mensonges » —, Erika Kirk a pris les rênes de Turning Point USA. Cette organisation, fondée par son défunt mari, est devenue l’une des forces les plus influentes du conservatisme étudiant américain. Avec des millions de dollars de financement, des chapitres sur des centaines de campus universitaires, et une machine médiatique rodée, Turning Point USA façonne l’opinion de milliers de jeunes Américains. Erika Kirk ne s’est pas retirée dans le deuil privé. Elle n’a pas choisi de se consacrer exclusivement à ses enfants, comme elle le recommande aux autres femmes. Au contraire, elle a saisi les rênes du pouvoir, assumé un rôle de leadership national, multiplié les apparitions médiatiques. Elle dirige une entreprise, gère des budgets de plusieurs millions de dollars, supervise des centaines d’employés, voyage constamment pour des événements publics. Elle fait exactement ce qu’une femme carriériste fait — sauf qu’elle le fait tout en disant aux autres femmes qu’elles ne devraient pas le faire. Le paradoxe est si flagrant qu’il en devient presque comique. Presque. Parce que derrière ce paradoxe se cache une stratégie délibérée et dangereuse.
Regardez-la bien. Regardez cette femme qui a tout — l’éducation, la carrière, le pouvoir, l’influence. Elle a construit sa vie exactement comme une féministe le ferait. Elle a fait ses choix, pris son temps, construit son empire. Et maintenant, elle utilise cet empire pour dire aux autres qu’elles ne devraient pas avoir ces choix. C’est ça qui me révolte. Pas l’hypocrisie en elle-même — l’hypocrisie est banale. C’est l’instrumentalisation consciente de cette hypocrisie. Elle sait ce qu’elle fait. Elle sait que son parcours contredit son message. Et elle s’en fiche. Parce que le message n’est pas destiné aux femmes comme elle. Il est destiné aux femmes qui n’ont pas encore compris qu’elles ont le droit de choisir. Il est destiné à celles qui hésitent encore, qui se demandent si elles ont le droit de vouloir plus. Et c’est là que ça devient criminel.
Le rôle de Turning Point USA dans le paysage conservateur
Turning Point USA n’est pas une simple organisation étudiante. C’est une machine idéologique sophistiquée qui opère sur des centaines de campus américains. Fondée par Charlie Kirk en 2012, l’organisation s’est donnée pour mission de « promouvoir les principes du libre marché, du gouvernement limité et de la responsabilité fiscale » auprès des jeunes Américains. Mais derrière cette façade de conservatisme économique se cache une agenda social beaucoup plus radical. Turning Point USA a été à l’avant-garde de la guerre culturelle conservatrice sur les campus universitaires. L’organisation a créé des « listes de surveillance » de professeurs jugés trop progressistes, organisé des événements provocateurs mettant en scène des figures controversées de l’extrême droite, et mobilisé des milliers d’étudiants autour d’une vision du monde profondément réactionnaire. Avec un budget annuel dépassant les dizaines de millions de dollars, financé par des donateurs conservateurs fortunés, Turning Point USA dispose de ressources considérables pour diffuser son message. L’organisation emploie des dizaines de permanents, organise des conférences nationales attirant des milliers de participants, et maintient une présence médiatique constante à travers ses propres plateformes et ses apparitions dans les médias conservateurs.
Sous la direction d’Erika Kirk, l’organisation a intensifié son focus sur les questions de genre et de famille. Les événements récents ont mis en avant des thématiques comme le « retour aux valeurs traditionnelles », la critique du féminisme moderne, et la promotion d’un modèle familial conservateur. Erika Kirk elle-même est devenue le visage de cette nouvelle orientation. Elle apparaît régulièrement dans les médias conservateurs, donne des conférences sur des campus, et utilise les réseaux sociaux pour diffuser son message. Sa stratégie est claire : utiliser son statut de veuve pour gagner en sympathie, puis exploiter cette sympathie pour faire passer un agenda idéologique. Le New York Times, en lui offrant une plateforme au DealBook Summit, a joué directement dans cette stratégie. Le journal a transformé Erika Kirk d’une figure de niche du conservatisme étudiant en une voix nationale sur les questions de genre et de famille. Il lui a donné une légitimité qu’elle n’aurait jamais pu obtenir autrement. Et cette légitimité, elle l’utilise maintenant pour attaquer les fondements mêmes du féminisme moderne. Le Southern Poverty Law Center, dans une étude de 2024 sur Turning Point USA, a documenté les liens de l’organisation avec des figures et des mouvements d’extrême droite. L’étude révèle comment Turning Point USA sert de passerelle entre le conservatisme mainstream et des idéologies plus radicales, normalisant progressivement des positions autrefois considérées comme extrêmes.
Quand je pense à Turning Point USA, je ne pense pas à une organisation étudiante. Je pense à une machine de guerre culturelle. Une machine qui cible les jeunes, les plus vulnérables, ceux qui sont encore en train de former leur vision du monde. Et maintenant, cette machine est dirigée par une femme qui utilise son deuil comme bouclier. Comment combattre ça ? Comment critiquer quelqu’un qui vient de perdre son mari sans passer pour un monstre insensible ? C’est précisément le calcul. Erika Kirk est intouchable parce qu’elle est endeuillée. Et elle le sait. Elle utilise cette intouchabilité pour faire passer des messages qui, dans d’autres circonstances, seraient immédiatement contestés. Le New York Times aurait dû voir ce piège. Mais au lieu de ça, il a marché dedans les yeux grands ouverts.
Les propos controversés au DealBook Summit
La critique des femmes « carriéristes »
Au cœur de la controverse se trouvent les propos spécifiques qu’Erika Kirk a tenus lors du DealBook Summit. Face à Andrew Ross Sorkin, elle a développé une thèse qui a immédiatement déclenché l’indignation : les femmes carriéristes de New York, selon elle, cherchent dans le gouvernement un « remplacement » pour ce qu’elles devraient trouver dans un mari. Cette affirmation repose sur une série de présupposés profondément problématiques. D’abord, elle suggère que les femmes ont besoin d’un « remplacement » pour un mari — comme si le mariage était une nécessité universelle plutôt qu’un choix personnel. Ensuite, elle établit une équivalence entre le soutien gouvernemental (programmes sociaux, protections légales, services publics) et le soutien conjugal — comme si les deux étaient interchangeables et que l’un excluait l’autre. Enfin, elle cible spécifiquement les femmes « carriéristes », un terme chargé de connotations négatives qui suggère que l’ambition professionnelle féminine est en soi problématique. Kirk a poursuivi en affirmant qu’elle trouvait « ironique » que tant de femmes aient voté pour Zohran Mamdani lors de l’élection municipale de New York. Mamdani, un socialiste démocratique, a fait campagne sur un programme incluant des politiques sociales robustes — logement abordable, soins de santé universels, congés parentaux payés. Pour Kirk, le soutien des femmes à ces politiques révèle leur dépendance malsaine envers l’État.
Mais cette analyse ignore délibérément une réalité fondamentale : les politiques sociales ne sont pas un « remplacement » pour le mariage, elles sont des infrastructures qui permettent à tous les citoyens — mariés ou non, hommes ou femmes — de vivre dignement. Une femme qui soutient des congés parentaux payés ne cherche pas à « remplacer » un mari, elle cherche à vivre dans une société qui reconnaît que la parentalité est une responsabilité collective, pas seulement individuelle. Une femme qui soutient les soins de santé universels ne rejette pas le mariage, elle reconnaît que l’accès aux soins ne devrait pas dépendre du statut marital. Kirk a également exprimé sa préoccupation que les femmes carriéristes « retardent le mariage et la maternité ». Cette formulation révèle une vision profondément conservatrice de la temporalité féminine. Pour Kirk, il existe un calendrier « naturel » ou « correct » pour la vie d’une femme — se marier jeune, avoir des enfants rapidement, privilégier la famille sur la carrière. Toute déviation de ce calendrier est présentée comme problématique, voire pathologique. Pourtant, comme nous l’avons vu, le propre parcours de Kirk contredit cette vision. Elle s’est mariée dans la trentaine, a eu des enfants à trente-cinq ans passés, et a poursuivi une carrière ambitieuse tout au long de sa vie adulte. Elle a « retardé » le mariage et la maternité selon ses propres critères — mais apparemment, ce qui était acceptable pour elle ne l’est pas pour les autres femmes.
Écoutez bien ce qu’elle dit. Vraiment. Écoutez les mots qu’elle utilise. « Remplacement. » Comme si un mari était quelque chose qu’on remplace. Comme si le gouvernement et le mariage étaient des produits interchangeables sur une étagère. C’est tellement réducteur que ça en devient insultant. Insultant pour les femmes, bien sûr — mais aussi pour les hommes. Parce que cette vision réduit les maris à des pourvoyeurs de services que l’État pourrait tout aussi bien fournir. C’est ça, le conservatisme moderne ? Réduire les relations humaines à des transactions économiques ? Et puis il y a cette obsession avec le calendrier. Quand une femme devrait-elle se marier ? Quand devrait-elle avoir des enfants ? Qui décide ? Erika Kirk, apparemment. Elle a décidé pour elle-même — et maintenant elle veut décider pour toutes les autres. C’est ça qui me tue. L’arrogance. La certitude absolue qu’elle sait mieux que chaque femme ce qui est bon pour elle.
L’instrumentalisation du deuil
Un aspect particulièrement troublant de l’intervention d’Erika Kirk au DealBook Summit est la manière dont elle a instrumentalisé son deuil pour légitimer son message politique. Lors de l’interview, elle a déclaré que sa douleur après la mort de Charlie Kirk s’était « transformée en une forme de but qui vous survivra », et que cette réalisation lui apportait du réconfort. Cette formulation est révélatrice. Elle présente son activisme politique non pas comme un choix idéologique, mais comme une conséquence naturelle et presque inévitable de son deuil. En cadrant son message de cette manière, Kirk se protège contre la critique. Qui oserait attaquer une veuve endeuillée qui cherche simplement à donner un sens à sa perte ? Qui oserait suggérer que son « but » pourrait être problématique ou dangereux ? C’est une stratégie rhétorique brillante — et profondément manipulatrice. Le deuil devient un bouclier qui protège le message politique de tout examen critique. Mais cette instrumentalisation va plus loin. En présentant son activisme comme une extension de son deuil, Kirk établit une équivalence implicite entre critiquer ses positions et manquer de respect à la mémoire de son mari. Toute opposition à son message devient, dans cette logique, une forme de cruauté envers une veuve en deuil. C’est une tactique qui rend le débat presque impossible.
Les critiques ont rapidement identifié cette stratégie. Sur les réseaux sociaux, plusieurs utilisateurs ont souligné que Kirk « profite de la mort de son mari » pour promouvoir un agenda politique. Cette formulation peut sembler dure, mais elle pointe vers une vérité inconfortable : le statut de veuve de Kirk lui confère une autorité morale qu’elle n’aurait pas autrement. Elle peut dire des choses que d’autres figures conservatrices ne pourraient pas dire sans faire face à une opposition immédiate. Elle peut se présenter comme une victime tout en occupant une position de pouvoir considérable. Elle peut demander de la compassion tout en refusant d’en montrer envers celles qu’elle critique. Le New York Times, en lui offrant une plateforme, a participé à cette instrumentalisation. Le journal a présenté Kirk principalement comme une veuve endeuillée plutôt que comme la PDG d’une organisation politique puissante. Il a mis en avant sa douleur personnelle plutôt que son agenda idéologique. Cette présentation n’est pas neutre — elle oriente la réception du message. Elle encourage le public à voir Kirk avec sympathie plutôt qu’avec l’œil critique qu’on appliquerait normalement à un leader politique. Et c’est précisément ce que Kirk et ses alliés recherchaient. Le deuil n’est pas seulement personnel pour Erika Kirk — c’est aussi politique. C’est un outil qu’elle utilise consciemment pour faire avancer un agenda qui, sans ce contexte émotionnel, serait beaucoup plus difficile à vendre.
Je ne veux pas être cruelle. Je ne veux pas manquer de compassion envers une femme qui a perdu son mari de manière tragique. Mais je ne peux pas ignorer ce que je vois. Elle utilise sa douleur. Elle l’utilise comme une arme. Et le New York Times lui a donné une scène pour le faire. Il y a quelque chose de profondément malsain dans cette dynamique. Le deuil devrait être sacré. Il devrait être protégé. Mais quand quelqu’un utilise son deuil pour faire taire la critique, pour promouvoir un agenda politique, pour attaquer d’autres femmes — alors le deuil cesse d’être seulement personnel. Il devient politique. Et quand il devient politique, il peut et doit être critiqué. Je sais que ça sonne dur. Je sais que certains diront que je manque de cœur. Mais regardez ce qu’elle fait. Regardez comment elle utilise sa position. Et dites-moi si je me trompe.
La tradition antiféministe de Phyllis Schlafly à nos jours
Le modèle historique de l’hypocrisie conservatrice
Pour comprendre pleinement la controverse autour d’Erika Kirk, il faut la replacer dans une tradition historique plus large. Jonathan Cohn a établi un parallèle explicite avec Phyllis Schlafly, et ce parallèle mérite d’être exploré en profondeur. Schlafly, décédée en 2016, a été l’une des figures les plus influentes du conservatisme américain du XXe siècle. Dans les années 1970, elle a mené la campagne qui a finalement fait échouer l’Equal Rights Amendment (ERA), un amendement constitutionnel qui aurait garanti l’égalité des droits indépendamment du sexe. Sa stratégie était simple mais efficace : elle parcourait le pays pour dire aux femmes qu’elles devaient rester à la maison et se consacrer à leur famille. Elle affirmait que le féminisme détruisait les valeurs traditionnelles, que les femmes carriéristes abandonnaient leurs responsabilités naturelles, que l’égalité légale mènerait à la destruction de la famille américaine. Mais voici le paradoxe : pendant qu’elle prêchait ce message, Schlafly elle-même menait une carrière publique extrêmement active. Elle écrivait des livres, donnait des conférences à travers tout le pays, dirigeait une organisation nationale, apparaissait régulièrement dans les médias. Elle négligeait ses propres enfants pour mener cette croisade contre le féminisme. Elle utilisait toutes les libertés que le féminisme lui avait données pour combattre le féminisme.
L’hypocrisie était flagrante, mais elle était aussi stratégique. Schlafly comprenait qu’elle pouvait utiliser sa propre réussite comme preuve que les femmes n’avaient pas besoin du féminisme. « Regardez-moi », semblait-elle dire, « j’ai réussi sans avoir besoin de l’ERA, sans avoir besoin du mouvement féministe. Les autres femmes peuvent faire de même. » Mais cette logique ignorait délibérément le fait que Schlafly n’aurait jamais pu mener sa carrière publique sans les changements sociaux que le féminisme avait déjà accomplis. Elle bénéficiait de l’accès à l’éducation supérieure que les féministes avaient obtenu, de la possibilité de parler en public que les féministes avaient normalisée, de la légitimité politique que les féministes avaient construite. Elle était, comme l’a noté un critique, « un produit du féminisme » qui passait sa vie à attaquer le féminisme. Cinquante ans plus tard, Erika Kirk suit exactement le même modèle. Elle possède plusieurs diplômes universitaires — grâce aux féministes qui ont combattu pour l’accès des femmes à l’éducation supérieure. Elle dirige une organisation nationale — grâce aux féministes qui ont normalisé le leadership féminin. Elle s’est mariée quand elle l’a choisi et a eu des enfants selon son propre calendrier — grâce aux féministes qui ont combattu pour le contrôle des femmes sur leur propre fertilité. Et maintenant, elle utilise toutes ces libertés pour dire aux autres femmes qu’elles ne devraient pas les avoir.
L’histoire se répète. Encore et encore. Les mêmes tactiques, les mêmes hypocrisies, les mêmes mensonges. Phyllis Schlafly dans les années 1970, Erika Kirk en 2025. Cinquante ans d’écart, mais le même script. Et vous savez ce qui me terrifie ? Ça marche. Ça a marché avec Schlafly — elle a réussi à faire échouer l’ERA. Et ça pourrait marcher avec Kirk. Parce que le message est séduisant pour certaines personnes. Il offre une simplicité, une certitude, un retour à un ordre supposément naturel. Il dit aux femmes qu’elles n’ont pas à se battre, qu’elles peuvent simplement accepter leur « rôle » et être heureuses. C’est un mensonge, bien sûr. Mais c’est un mensonge confortable. Et dans un monde chaotique et incertain, le confort a une valeur immense. C’est ça que Kirk vend. Pas la vérité. Le confort.
L’évolution du discours antiféministe moderne
Le discours antiféministe a évolué depuis l’époque de Phyllis Schlafly, mais ses fondements restent les mêmes. Dans les années 1970, l’argument principal était que le féminisme détruirait la famille traditionnelle en poussant les femmes hors du foyer. Aujourd’hui, l’argument s’est sophistiqué. Les antiféministes modernes comme Erika Kirk ne disent plus explicitement que les femmes ne devraient pas travailler ou poursuivre des carrières. Au lieu de cela, ils parlent de « choix » et d' »équilibre ». Ils affirment que le féminisme a créé une pression sociale pour que les femmes privilégient leur carrière au détriment de leur famille, et qu’ils offrent simplement une alternative. Cette rhétorique du « choix » est particulièrement insidieuse parce qu’elle coopte le langage féministe. Le mouvement féministe a toujours mis l’accent sur le droit des femmes à choisir leur propre chemin. Les antiféministes modernes retournent cet argument en affirmant qu’ils défendent également le « choix » — le choix de privilégier la famille, le choix de se marier jeune, le choix de ne pas poursuivre une carrière ambitieuse. Mais cette rhétorique du choix masque une réalité plus sombre. Quand Erika Kirk parle du « choix » de privilégier la famille, elle ne parle pas vraiment de choix individuel. Elle parle d’un ordre social où certains choix sont valorisés et d’autres sont stigmatisés.
Le discours antiféministe moderne s’appuie également sur une critique du gouvernement et des politiques sociales. C’est là que les propos de Kirk au DealBook Summit s’inscrivent dans une tradition plus large. Les conservateurs ont longtemps affirmé que les programmes sociaux créent une dépendance malsaine envers l’État. Dans les années 1980 et 1990, cette critique visait principalement les mères célibataires pauvres, souvent racialisées, accusées de profiter du système de protection sociale. Aujourd’hui, la cible s’est élargie pour inclure les femmes de classe moyenne et supérieure qui soutiennent des politiques sociales progressistes. Kirk et d’autres figures conservatrices affirment que ces femmes cherchent dans le gouvernement un « remplacement » pour le soutien qu’elles devraient trouver dans un mari. Cette critique repose sur une vision profondément individualiste de la société. Elle suggère que les besoins humains fondamentaux — sécurité économique, soins de santé, soutien parental — devraient être satisfaits au niveau familial plutôt qu’au niveau social. Elle rejette l’idée que la société dans son ensemble a une responsabilité envers ses membres. Et elle place un fardeau disproportionné sur les femmes, qui sont traditionnellement chargées du travail de soin au sein de la famille. Le message implicite est clair : les femmes ne devraient pas compter sur le gouvernement, elles devraient compter sur un mari. Et si elles n’ont pas de mari, c’est leur propre faute pour avoir privilégié leur carrière.
Ce qui me frappe, c’est la sophistication du mensonge. Ce n’est plus aussi grossier qu’avant. Ils ne disent plus « les femmes appartiennent à la cuisine ». Ils disent « les femmes devraient avoir le choix ». Mais regardez de plus près. Regardez quels choix sont valorisés et lesquels sont stigmatisés. Regardez comment ils parlent des femmes carriéristes — avec mépris, avec pitié, comme si ces femmes étaient des victimes d’un lavage de cerveau féministe. Le « choix » qu’ils défendent n’est pas vraiment un choix. C’est une pression sociale déguisée en liberté. Et le plus terrifiant, c’est que ça marche sur certaines personnes. Parce que le message est enveloppé dans un langage de bienveillance. « Nous voulons juste que les femmes soient heureuses. » « Nous voulons juste protéger la famille. » Qui peut être contre le bonheur ? Qui peut être contre la famille ? Mais derrière ces mots doux se cache une vision du monde profondément oppressive.
La responsabilité éditoriale du New York Times
Le piège du « both sides journalism »
La controverse autour de l’intervention d’Erika Kirk soulève des questions fondamentales sur la responsabilité éditoriale des médias. Le New York Times se défendrait probablement en invoquant les principes du journalisme équilibré — donner une voix à différentes perspectives, permettre au public d’entendre tous les côtés d’un débat. Mais cette défense ignore une réalité cruciale : toutes les perspectives ne méritent pas une plateforme égale. Le journalisme du « both sides » — cette obsession de présenter deux côtés de chaque histoire comme s’ils avaient une légitimité égale — a été largement critiqué ces dernières années. Cette approche fonctionne quand il s’agit de débats légitimes où des personnes raisonnables peuvent être en désaccord. Mais elle devient problématique quand elle donne une plateforme à des positions qui contredisent des faits établis ou qui promeuvent des idéologies oppressives. En donnant une tribune à Erika Kirk au DealBook Summit, le New York Times n’a pas simplement présenté « un autre point de vue ». Il a légitimé un discours qui nie les acquis du féminisme, qui stigmatise les femmes carriéristes, et qui promeut une vision régressive des rôles de genre. Il a transformé une figure de niche du conservatisme étudiant en une voix nationale sur les questions de genre et de famille.
Le contexte de l’événement aggrave encore la situation. Le DealBook Summit n’est pas n’importe quelle conférence. C’est l’un des événements les plus prestigieux du calendrier médiatique et économique américain. Y être invité confère une légitimité considérable. Les autres intervenants de l’édition 2025 incluaient des PDG de grandes entreprises, des leaders politiques, des figures influentes de la tech et de la finance. En plaçant Erika Kirk dans ce contexte, le New York Times l’a élevée au rang de ces autres figures — comme si ses opinions sur les femmes et la famille méritaient le même respect que les analyses économiques ou politiques d’autres intervenants. De plus, la manière dont l’interview a été menée pose problème. Andrew Ross Sorkin, l’intervieweur, n’a apparemment pas contesté les affirmations de Kirk de manière significative. Il n’a pas souligné les contradictions entre son parcours personnel et son message public. Il n’a pas demandé de preuves pour ses affirmations sur les femmes carriéristes et leur relation au gouvernement. Il a simplement offert une plateforme pour que Kirk délivre son message sans opposition réelle. Cette approche n’est pas du journalisme neutre — c’est de la complaisance. Un vrai journalisme critique aurait interrogé Kirk sur ses contradictions, aurait demandé des données pour soutenir ses affirmations, aurait contextualisé ses propos dans la tradition antiféministe plus large. Au lieu de cela, le New York Times a offert ce qui ressemblait davantage à une opération de relations publiques qu’à une interview journalistique.
Je suis fatiguée de cette excuse du « both sides ». Fatiguée. Toutes les opinions ne méritent pas une plateforme. Toutes les perspectives ne sont pas également valables. Quand le New York Times donne une tribune à quelqu’un qui promeut une vision régressive des droits des femmes, ce n’est pas du journalisme équilibré. C’est de la complicité. Parce que la plateforme n’est pas neutre. Le prestige du New York Times, la légitimité du DealBook Summit, l’absence de contestation réelle — tout cela envoie un message. Le message est : ces idées sont respectables. Ces idées méritent d’être prises au sérieux. Ces idées ont leur place dans le débat public mainstream. Mais certaines idées ne méritent pas cette légitimité. Certaines idées devraient rester en marge. Et le rôle des médias responsables est de maintenir cette distinction. Le New York Times a échoué dans ce rôle. Et cet échec a des conséquences réelles pour les femmes qui seront influencées par le message de Kirk.
Les conséquences de la normalisation
Quand un média prestigieux comme le New York Times donne une plateforme à des discours comme celui d’Erika Kirk, les conséquences vont bien au-delà de l’événement lui-même. La normalisation de ces idées a un effet d’entraînement à travers tout le paysage médiatique et politique. D’autres médias, voyant que le New York Times a jugé Kirk digne d’une tribune, seront plus enclins à l’inviter également. Des politiciens conservateurs, voyant que ses idées sont présentées comme légitimes dans les médias mainstream, seront plus audacieux dans la promotion de politiques alignées avec sa vision. Des jeunes femmes, voyant une figure apparemment respectable promouvoir ces idées, pourraient commencer à douter de leurs propres choix de vie. La normalisation fonctionne par répétition et par association. Quand une idée marginale est répétée suffisamment souvent dans des contextes respectables, elle cesse d’être marginale. Elle devient une option légitime dans le débat public. C’est exactement ce qui s’est passé avec de nombreuses idées d’extrême droite au cours de la dernière décennie. Des positions autrefois considérées comme inacceptables sont devenues « controversées », puis « débattues », puis finalement « mainstream ». Le discours antiféministe suit la même trajectoire.
Les conséquences sont particulièrement graves pour les jeunes femmes qui sont encore en train de former leur identité et leurs valeurs. Quand elles voient des figures comme Erika Kirk présentées comme des modèles respectables, quand elles entendent le message que l’ambition professionnelle est incompatible avec le bonheur familial, quand on leur dit que compter sur les politiques sociales est une forme de faiblesse — ces messages s’infiltrent dans leur conscience. Ils créent du doute, de la culpabilité, de l’anxiété. Une jeune femme qui envisage de poursuivre des études supérieures pourrait se demander si elle fait le bon choix. Une femme qui retarde le mariage pour se concentrer sur sa carrière pourrait se sentir coupable. Une femme qui soutient des politiques sociales progressistes pourrait se demander si elle cherche vraiment un « remplacement » pour un mari. Ces doutes ne sont pas anodins. Ils ont un impact réel sur les décisions que les femmes prennent concernant leur vie. Et quand ces décisions sont influencées par un discours qui nie leur autonomie et leur droit de choisir, c’est une forme de violence symbolique. Le New York Times, en donnant une plateforme à ce discours, participe à cette violence. Il ne peut pas se cacher derrière la neutralité journalistique. Il a fait un choix éditorial, et ce choix a des conséquences.
Pensez aux jeunes femmes qui ont regardé cette interview. Pensez à celles qui sont à l’université, qui se demandent quel chemin prendre, qui essaient de concilier leurs ambitions avec les attentes sociales. Elles voient Erika Kirk sur cette scène prestigieuse, elles entendent son message, et quelque chose se plante dans leur esprit. Un doute. Une question. « Et si elle avait raison ? Et si je faisais fausse route ? » C’est ça, le vrai danger. Pas que toutes les femmes vont soudainement abandonner leurs carrières. Mais que certaines vont commencer à douter. Que certaines vont se sentir coupables. Que certaines vont limiter leurs propres ambitions parce qu’elles ont intériorisé ce message toxique. Et le New York Times a facilité ça. Il a donné à ce message une légitimité qu’il n’aurait jamais dû avoir. Et pour quoi ? Pour l’équilibre ? Pour la diversité des opinions ? Non. Pour les clics. Pour la controverse. Pour l’attention. Et c’est ça qui me rend malade.
Les réactions du monde progressiste et féministe
La mobilisation sur les réseaux sociaux
La réaction à l’intervention d’Erika Kirk au DealBook Summit a été immédiate et massive sur les réseaux sociaux. Dès la fin de l’interview, X (anciennement Twitter) s’est embrasé avec des milliers de messages critiquant à la fois Kirk et le New York Times. Cette mobilisation spontanée révèle quelque chose d’important sur l’état actuel du débat féministe : il existe une vigilance constante contre les tentatives de normaliser des discours antiféministes. Les utilisateurs des réseaux sociaux ont rapidement identifié les contradictions dans le discours de Kirk. Jamie Bonkiewicz a résumé le paradoxe en quelques phrases percutantes : « Erika Kirk possède plusieurs diplômes et prépare actuellement un doctorat. Elle s’est mariée au début de la trentaine et a eu des enfants dans la trentaine, selon son propre calendrier. Elle avait cinq ans de plus que Charlie Kirk. Elle est PDG et femme d’affaires. Elle ne va pas ‘mettre fin’ au féminisme. Elle est un produit du féminisme. » Ce message a été partagé des milliers de fois, devenant l’une des critiques les plus virales de l’événement. Il a touché un nerf sensible parce qu’il exposait l’hypocrisie fondamentale du discours de Kirk de manière simple et directe. D’autres utilisateurs ont adopté des approches différentes. Certains ont souligné l’ironie de voir une femme qui dirige une organisation nationale dire aux autres femmes de ne pas être carriéristes. D’autres ont critiqué le New York Times pour avoir donné une plateforme à ce discours.
Jonathan Cohn, dont le tweet établissant le parallèle avec Phyllis Schlafly est devenu viral, a articulé ce que beaucoup ressentaient : « L’escroquerie antiféministe qui remonte à Phyllis Schlafly consiste à parcourir le pays, diriger une organisation richement financée, négliger ses propres enfants pour se concentrer sur dire aux autres femmes qu’elles appartiennent à la cuisine. » Cette formulation brutale a capturé l’essence de la critique. Elle a nommé l’hypocrisie, l’a placée dans un contexte historique, et a refusé d’adoucir le message par politesse. La mobilisation sur les réseaux sociaux a également pris des formes plus créatives. Des mèmes ont circulé, juxtaposant des images d’Erika Kirk en train de donner des conférences avec ses propres citations sur l’importance pour les femmes de rester à la maison. Des fils de discussion détaillés ont documenté son parcours éducatif et professionnel, démontrant point par point comment chaque aspect de sa vie contredisait son message public. Des vidéos de l’interview ont été partagées avec des commentaires sarcastiques soulignant les moments les plus problématiques. Cette réaction massive sur les réseaux sociaux a eu un impact réel. Elle a transformé ce qui aurait pu être un événement médiatique relativement discret en une controverse nationale. Elle a forcé le New York Times à faire face aux critiques de son choix éditorial. Et elle a envoyé un message clair : le discours antiféministe ne passera pas inaperçu, même quand il est présenté dans des contextes prestigieux.
Il y a quelque chose de puissant dans cette mobilisation spontanée. Des milliers de personnes qui voient la même chose, qui ressentent la même indignation, qui refusent de laisser passer. C’est ça, la force des réseaux sociaux quand ils fonctionnent bien. Pas les trolls, pas la haine, pas la désinformation. Mais cette capacité à se mobiliser rapidement autour d’une cause juste. À dire collectivement : non, ça ne va pas. Non, on ne va pas accepter ça. Non, on ne va pas laisser ce discours se normaliser sans résistance. Je sais que les réseaux sociaux ont leurs problèmes. Je sais qu’ils peuvent être toxiques, qu’ils peuvent amplifier la haine, qu’ils peuvent détruire des vies. Mais dans des moments comme celui-ci, ils montrent aussi leur potentiel positif. Ils donnent une voix à ceux qui n’auraient pas accès aux plateformes médiatiques traditionnelles. Ils permettent une contestation immédiate et massive. Ils refusent de laisser les puissants contrôler entièrement le récit.
Les analyses des médias progressistes
Au-delà des réseaux sociaux, les médias progressistes ont également réagi rapidement à la controverse. AlterNet, un site d’information progressiste, a publié un article cinglant intitulé « Le NYT critiqué après avoir donné une plateforme à Erika Kirk pour une ‘escroquerie antiféministe' ». L’article a documenté les réactions sur les réseaux sociaux et a placé l’événement dans un contexte plus large de complaisance médiatique envers les discours conservateurs. D’autres publications progressistes ont suivi avec leurs propres analyses. Certaines ont exploré les liens entre Erika Kirk et le mouvement conservateur plus large, documentant comment Turning Point USA s’inscrit dans un réseau d’organisations financées par des donateurs fortunés pour promouvoir une agenda conservateur. D’autres ont analysé la rhétorique spécifique utilisée par Kirk, déconstruisant ses arguments point par point. Plusieurs articles ont souligné le timing de l’événement. En décembre 2025, alors que les États-Unis se préparent pour une année électorale cruciale, les questions de genre, de famille et de droits des femmes sont au cœur du débat politique. Les conservateurs ont fait de ces questions une priorité, cherchant à mobiliser leur base autour d’une vision traditionnelle de la famille et des rôles de genre. En donnant une plateforme à Erika Kirk à ce moment précis, le New York Times a contribué à amplifier ce message conservateur à un moment stratégiquement important.
Les analyses ont également exploré les implications plus larges de l’événement pour le journalisme américain. Plusieurs commentateurs ont noté que ce n’était pas un incident isolé. Le New York Times a été critiqué à plusieurs reprises ces dernières années pour avoir donné des plateformes à des figures conservatrices controversées au nom de l’équilibre et de la diversité des opinions. Cette tendance reflète une anxiété plus large dans les médias mainstream : la peur d’être accusés de biais libéral. Pour contrer cette accusation, les médias se penchent parfois trop loin dans l’autre direction, donnant une légitimité excessive à des positions conservatrices qui ne la méritent pas. Le résultat est une forme de « faux équilibre » où des positions basées sur des faits et des preuves sont présentées comme équivalentes à des positions basées sur l’idéologie et la nostalgie. Certains analystes ont également souligné la dimension de classe de la controverse. Erika Kirk cible spécifiquement les femmes « carriéristes » de New York — c’est-à-dire des femmes éduquées, de classe moyenne ou supérieure, qui ont les ressources et les opportunités pour poursuivre des carrières ambitieuses. Ce focus révèle une stratégie politique : en ciblant ces femmes, Kirk et ses alliés cherchent à créer une division au sein du mouvement féministe, opposant les femmes privilégiées qui peuvent « se permettre » d’être carriéristes aux femmes de classe ouvrière qui n’ont pas ce luxe. C’est une tactique classique de division qui cherche à affaiblir la solidarité féministe en exploitant les différences de classe.
Ce qui me frappe dans toutes ces analyses, c’est la clarté. Les gens voient exactement ce qui se passe. Ils ne sont pas dupes. Ils comprennent la stratégie, ils identifient les tactiques, ils voient à travers le discours. Et pourtant, ça continue. Le New York Times continue de donner des plateformes à ces discours. Les figures conservatrices continuent de promouvoir ces messages. Et le débat continue de se déplacer vers la droite. Pourquoi ? Parce que la clarté ne suffit pas. Comprendre la stratégie ne suffit pas. Il faut aussi le pouvoir de changer les choses. Et ce pouvoir, les médias progressistes ne l’ont pas vraiment. Ils peuvent analyser, critiquer, dénoncer. Mais ils ne peuvent pas empêcher le New York Times de faire ses choix éditoriaux. Ils ne peuvent pas empêcher Erika Kirk d’avoir accès à ces plateformes. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est documenter, résister, et espérer que suffisamment de gens écoutent.
L'impact sur le débat féministe contemporain
La fragmentation du mouvement féministe
La controverse autour d’Erika Kirk révèle et exacerbe une réalité inconfortable : le mouvement féministe contemporain est profondément fragmenté. Il n’existe plus un féminisme monolithique avec des objectifs et des stratégies unifiés. Au lieu de cela, nous avons de multiples féminismes qui se chevauchent parfois mais qui entrent aussi souvent en conflit. Il y a le féminisme libéral, qui met l’accent sur l’égalité des opportunités et les droits individuels. Il y a le féminisme intersectionnel, qui insiste sur la nécessité de prendre en compte les multiples formes d’oppression qui se croisent. Il y a le féminisme radical, qui voit le patriarcat comme un système fondamental d’oppression qui doit être démantelé. Et puis il y a ce que certaines appellent le « féminisme conservateur » — une contradiction dans les termes pour beaucoup, mais une identité revendiquée par des figures comme Erika Kirk. Ces différentes versions du féminisme ne sont pas simplement des variations sur un thème commun. Elles représentent des visions fondamentalement différentes de ce que signifie l’émancipation des femmes. Pour le féminisme libéral, l’émancipation signifie avoir les mêmes opportunités que les hommes dans la sphère publique. Pour le féminisme intersectionnel, elle signifie démanteler tous les systèmes d’oppression qui affectent différemment les femmes selon leur race, leur classe, leur sexualité. Pour le féminisme radical, elle signifie transformer fondamentalement les structures sociales qui maintiennent le patriarcat. Et pour le « féminisme conservateur », elle signifie avoir le « choix » de suivre des rôles traditionnels sans être jugée.
Cette fragmentation crée des opportunités pour des figures comme Erika Kirk. Elles peuvent exploiter les divisions au sein du mouvement féministe, se présentant comme une alternative à un féminisme qu’elles dépeignent comme dogmatique et intolérant. Elles peuvent coopter le langage du choix et de l’autonomie pour promouvoir une vision qui, en réalité, limite les choix des femmes. Elles peuvent se présenter comme des victimes d’un féminisme intolérant qui refuse d’accepter leur « choix » de privilégier la famille sur la carrière — tout en ignorant le fait que leur propre parcours contredit ce message. La controverse autour de Kirk révèle également les tensions au sein du féminisme concernant la question du travail et de la famille. Le féminisme de la deuxième vague, dans les années 1960 et 1970, a mis l’accent sur l’accès des femmes au monde du travail et à la sphère publique. Mais cette emphase a parfois négligé les questions du travail domestique et du soin, qui restent disproportionnellement assumés par les femmes. Le féminisme contemporain essaie de naviguer cette tension, reconnaissant à la fois l’importance de l’accès au travail rémunéré et la nécessité de valoriser et de redistribuer le travail de soin. Mais cette navigation est complexe et laisse des ouvertures pour des critiques conservatrices qui affirment que le féminisme a « abandonné » les femmes qui choisissent de se concentrer sur la famille.
Cette fragmentation me désespère parfois. Nous devrions être unies. Nous devrions présenter un front commun contre ceux qui cherchent à nous ramener en arrière. Mais au lieu de ça, nous nous battons entre nous. Nous débattons de qui est une « vraie » féministe. Nous nous accusons mutuellement de trahir la cause. Et pendant ce temps, des figures comme Erika Kirk exploitent ces divisions. Elles se glissent dans les fissures de notre mouvement et y plantent leurs graines toxiques. Je ne sais pas comment résoudre ça. Je ne sais pas comment créer l’unité sans imposer une uniformité qui nierait la diversité réelle des expériences et des besoins des femmes. Mais je sais que si nous ne trouvons pas un moyen de nous rassembler autour de principes fondamentaux — le droit de choisir, l’autonomie corporelle, l’égalité économique — nous allons perdre. Nous allons perdre face à ceux qui ont une vision claire et unifiée, même si cette vision est régressive.
Les enjeux pour les jeunes générations
L’impact de cette controverse sera particulièrement ressenti par les jeunes générations de femmes qui grandissent dans un paysage médiatique et politique profondément polarisé. Ces jeunes femmes reçoivent des messages contradictoires de toutes parts. D’un côté, on leur dit qu’elles peuvent être tout ce qu’elles veulent, que le monde leur appartient, qu’elles n’ont pas à choisir entre carrière et famille. De l’autre, on leur dit que le féminisme les a trompées, que l’ambition professionnelle les rendra malheureuses, qu’elles doivent choisir entre être une bonne mère et être une femme accomplie professionnellement. Ces messages contradictoires créent une anxiété considérable. Les jeunes femmes se sentent tiraillées entre des attentes incompatibles. Elles veulent réussir professionnellement, mais elles craignent de sacrifier leur vie personnelle. Elles veulent fonder une famille, mais elles ne veulent pas renoncer à leurs ambitions. Elles veulent faire les « bons » choix, mais elles ne savent pas quels sont ces choix parce que tout le monde leur dit quelque chose de différent. Des figures comme Erika Kirk exploitent cette anxiété. Elles offrent une simplicité séduisante : suivez les rôles traditionnels, et vous serez heureuses. Privilégiez la famille, et vous trouverez l’épanouissement. Ne vous laissez pas tromper par le féminisme qui vous pousse vers une carrière qui vous laissera vide et seule. Ce message est puissant parce qu’il offre une certitude dans un monde incertain.
Mais cette certitude est un mensonge. La réalité est que les femmes ont toujours dû naviguer des tensions complexes entre différents aspects de leur vie. Le féminisme n’a pas créé ces tensions — il a simplement donné aux femmes plus d’options pour les gérer. Avant le féminisme, les femmes n’avaient pas vraiment de choix. Elles devaient se marier, avoir des enfants, rester à la maison. Maintenant, elles ont des choix — et oui, ces choix sont difficiles. Oui, il y a des compromis. Oui, il y a de l’anxiété. Mais la solution n’est pas de retourner à un système où les femmes n’avaient pas de choix. La solution est de créer des structures sociales qui rendent ces choix moins difficiles — des congés parentaux payés, des services de garde d’enfants abordables, des horaires de travail flexibles, une redistribution du travail domestique. C’est précisément ce que les politiques sociales progressistes cherchent à accomplir. Mais des figures comme Kirk présentent ces politiques comme une forme de dépendance malsaine plutôt que comme des infrastructures qui permettent aux femmes (et aux hommes) de concilier travail et famille. Les jeunes générations méritent mieux que ces faux choix. Elles méritent une société qui reconnaît que le travail et la famille ne sont pas incompatibles, que l’ambition professionnelle n’est pas une trahison de la féminité, que compter sur des structures sociales n’est pas une faiblesse mais une reconnaissance de notre interdépendance fondamentale.
Je pense aux jeunes femmes de vingt ans qui regardent tout ça et qui se demandent quel chemin prendre. Je pense à leur confusion, à leur anxiété, à leur peur de faire le mauvais choix. Et je veux leur dire : il n’y a pas de mauvais choix. Il n’y a que votre choix. Vous voulez une carrière ? Poursuivez-la. Vous voulez une famille ? Fondez-la. Vous voulez les deux ? Battez-vous pour les deux. Vous ne voulez ni l’un ni l’autre ? C’est votre droit. Ne laissez personne — ni les féministes dogmatiques ni les conservateurs régressifs — vous dire ce que vous devriez vouloir. Votre vie vous appartient. Mais je veux aussi leur dire : ne croyez pas ceux qui vous disent que c’est facile. Ce n’est pas facile. Les structures sociales ne sont pas encore là pour vous soutenir pleinement. Vous allez devoir vous battre. Vous allez devoir faire des compromis. Vous allez parfois douter. Mais cette difficulté n’est pas une preuve que le féminisme vous a trompées. C’est une preuve que nous n’avons pas encore fini le travail.
Conclusion : vers où allons-nous maintenant ?
Les leçons de cette controverse
La controverse autour de l’intervention d’Erika Kirk au DealBook Summit du New York Times nous enseigne plusieurs leçons cruciales sur l’état actuel du débat féministe et sur la responsabilité des médias. Première leçon : l’hypocrisie antiféministe n’a pas disparu, elle s’est simplement adaptée. Les tactiques de Phyllis Schlafly dans les années 1970 sont toujours vivantes en 2025, portées par une nouvelle génération de femmes conservatrices qui bénéficient de tous les acquis du féminisme tout en le combattant. Cette hypocrisie n’est pas accidentelle — c’est une stratégie délibérée qui exploite les contradictions apparentes pour semer le doute et la confusion. Deuxième leçon : les médias mainstream ont une responsabilité énorme dans la normalisation ou la contestation de ces discours. Quand le New York Times donne une plateforme à des figures comme Erika Kirk sans contestation critique, il ne fait pas preuve de neutralité journalistique — il participe activement à la légitimation d’un discours régressif. Le journalisme du « both sides » ne fonctionne pas quand un côté promeut des positions qui contredisent des décennies de progrès social. Troisième leçon : la mobilisation sur les réseaux sociaux reste un outil puissant de résistance. La réaction rapide et massive à l’intervention de Kirk montre qu’il existe une vigilance constante contre les tentatives de normaliser l’antiféminisme. Cette vigilance est essentielle pour maintenir la pression sur les médias et les institutions qui seraient tentés de donner des plateformes à ces discours.
Quatrième leçon : le mouvement féministe doit trouver des moyens de gérer sa fragmentation interne sans sacrifier sa diversité. Les divisions au sein du féminisme sont réelles et reflètent des différences légitimes d’expérience et de perspective. Mais ces divisions ne doivent pas devenir des failles que les antiféministes peuvent exploiter. Nous devons trouver un terrain commun autour de principes fondamentaux tout en respectant la diversité des approches. Cinquième leçon : les jeunes générations ont besoin de modèles qui montrent qu’il est possible de concilier ambition professionnelle et vie personnelle, que les choix ne sont pas aussi binaires que les conservateurs le prétendent, et que demander des structures sociales de soutien n’est pas une faiblesse mais une reconnaissance de notre interdépendance. Ces leçons ne sont pas nouvelles. Nous les avons apprises et réapprises à travers les décennies. Mais chaque génération doit les réapprendre dans son propre contexte. La controverse autour d’Erika Kirk est un rappel que le combat pour l’égalité des femmes n’est jamais terminé, que les acquis peuvent toujours être remis en question, et que la vigilance est le prix de la liberté. Mais c’est aussi un rappel que la résistance est possible, que les gens peuvent voir à travers les discours manipulateurs, et que la solidarité féministe, malgré ses imperfections, reste une force puissante pour le changement social.
Je termine cet article avec un mélange d’espoir et de désespoir. Désespoir parce que nous sommes encore en train de combattre les mêmes batailles que nos mères et nos grand-mères ont combattues. Parce que des institutions respectables comme le New York Times continuent de donner des plateformes à des discours régressifs. Parce que des femmes comme Erika Kirk peuvent exploiter leur deuil pour promouvoir une idéologie qui limiterait les choix d’autres femmes. Mais aussi espoir. Espoir parce que la réaction a été immédiate et massive. Parce que les gens voient à travers l’hypocrisie. Parce que la nouvelle génération de féministes est vigilante, articulée, et refuse de laisser passer ces attaques sans résistance. Espoir parce que malgré tous les efforts des conservateurs pour nous ramener en arrière, les femmes continuent d’avancer. Elles continuent de poursuivre leurs ambitions, de faire leurs propres choix, de construire leurs propres vies. Et aucun discours, aussi bien emballé soit-il, ne peut changer ça. Le féminisme n’est pas parfait. Il est fragmenté, contradictoire, parfois confus. Mais il est vivant. Et tant qu’il est vivant, il y a de l’espoir.
L’urgence d’une réponse collective
Face à la montée des discours antiféministes sophistiqués comme celui d’Erika Kirk, une réponse collective est urgente et nécessaire. Cette réponse doit venir de multiples fronts — les médias, les institutions éducatives, les organisations féministes, et les individus. Les médias doivent repenser leur approche du journalisme équilibré. Donner une plateforme à toutes les opinions n’est pas de la neutralité quand certaines opinions promeuvent l’oppression. Les journalistes doivent apprendre à distinguer entre des débats légitimes où des personnes raisonnables peuvent être en désaccord et des situations où une position est clairement basée sur des faits et des preuves tandis que l’autre est basée sur l’idéologie et la nostalgie. Quand ils choisissent de donner une plateforme à des figures controversées, ils doivent le faire avec un esprit critique, en contestant les affirmations non fondées et en contextualisant les propos dans une perspective historique et sociale plus large. Les institutions éducatives ont un rôle crucial à jouer dans l’éducation des jeunes générations sur l’histoire du féminisme, les acquis qui ont été obtenus, et les menaces qui pèsent sur ces acquis. Les étudiants doivent apprendre à reconnaître les tactiques rhétoriques utilisées par les antiféministes, à identifier les contradictions dans leurs discours, et à développer un esprit critique face aux messages qu’ils reçoivent des médias et de la culture populaire.
Les organisations féministes doivent trouver des moyens de travailler ensemble malgré leurs différences. Cela ne signifie pas ignorer les désaccords légitimes ou imposer une uniformité artificielle. Mais cela signifie identifier des principes fondamentaux communs — le droit à l’autonomie corporelle, l’égalité économique, la liberté de choisir son propre chemin — et se mobiliser collectivement pour défendre ces principes quand ils sont attaqués. Les organisations doivent également développer des stratégies de communication plus efficaces pour atteindre les jeunes générations là où elles se trouvent — sur les réseaux sociaux, dans les espaces en ligne, à travers des formats médiatiques qui résonnent avec elles. Au niveau individuel, chacun de nous a la responsabilité de rester vigilant face aux discours antiféministes, de les contester quand nous les rencontrons, et de soutenir les femmes qui font des choix différents des nôtres. Nous devons résister à la tentation de juger les femmes qui choisissent de privilégier leur carrière ou celles qui choisissent de se concentrer sur leur famille. Le féminisme, à son cœur, est une question de choix — et défendre le choix signifie respecter tous les choix, pas seulement ceux qui correspondent à notre propre vision de ce que devrait être la vie d’une femme. La controverse autour d’Erika Kirk n’est pas un incident isolé. C’est un symptôme d’une bataille culturelle plus large qui se joue autour des questions de genre, de famille, et de rôles sociaux. Cette bataille ne sera pas gagnée en un jour. Elle nécessite une vigilance constante, une résistance persistante, et une solidarité durable. Mais elle peut être gagnée — si nous restons unis, si nous restons vigilants, et si nous refusons de laisser les acquis du féminisme être érodés par des discours séduisants mais ultimement oppressifs.
Je finis avec un appel. Un appel à tous ceux qui croient en l’égalité, en la justice, en la liberté de choisir. Ne restez pas silencieux. Quand vous voyez des discours comme celui d’Erika Kirk être normalisés, contestez-les. Quand vous voyez des médias donner des plateformes à l’antiféminisme, critiquez-les. Quand vous voyez des jeunes femmes douter d’elles-mêmes à cause de ces messages toxiques, soutenez-les. Le silence est complice. L’indifférence est complice. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être complices. Trop de choses sont en jeu. Les droits que nos aînées ont combattu pour obtenir. Les opportunités que nous avons maintenant. Les possibilités pour les générations futures. Tout cela peut être perdu si nous ne restons pas vigilants. Alors je vous demande : restez vigilants. Restez engagés. Restez solidaires. Parce que le combat continue. Et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre.
Sources
Sources primaires
AlterNet, « NYT slammed after giving Erika Kirk a platform for ‘anti-feminist grift' », 4 décembre 2025. The New York Times, « DealBook Summit 2025 – Live Updates: Executives and Political Figures Gather », 3 décembre 2025. The New York Times, « Erika Kirk Takes a Leadership Role in Turning Point USA », 18 septembre 2025. NPR, « Charlie Kirk’s widow: ‘You have no idea what you have just unleashed' », 13 septembre 2025. Axios, « Erika Kirk named new Turning Point USA CEO », 18 septembre 2025. CNN Politics, « In Erika Kirk, conservative women see the future », 19 septembre 2025.
Sources secondaires
The Guardian, « Now comes the ‘womanosphere’: the anti-feminist media telling women to reject careers », 24 avril 2025. The Atlantic, « (Some) MAGA Girls Just Wanna Have Fun », novembre 2025. Political Research Associates, « Feminists Against Women », 28 mars 2025. Southern Poverty Law Center, « Turning Point USA: A case study of the hard right in 2024 », 2024. National Women’s History Museum, « Phyllis Schlafly – Biography », consulté décembre 2025. Women & the American Story, « Life Story: Phyllis Schlafly », consulté décembre 2025. Britannica, « Turning Point USA | Charlie Kirk, Young Activism, Tactics », consulté décembre 2025.
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