L’opération Southern Spear et ses zones d’ombre
Pour comprendre cette frappe du 2 septembre, il faut remonter quelques semaines en arrière. Mi-août 2025, l’administration Trump déploie des navires de guerre et du personnel militaire dans les Caraïbes. Officiellement, l’objectif est de lutter contre les cartels de la drogue qui, selon Trump, inondent les États-Unis de fentanyl et d’autres substances illicites. Le président américain accuse ces organisations criminelles d’être responsables de centaines de milliers de morts par overdose — un chiffre qu’il gonflera de manière spectaculaire dans ses déclarations publiques, allant jusqu’à parler de 300 millions de morts, soit plus que la population entière des États-Unis. En réalité, selon les données des CDC, environ 80 000 Américains sont morts d’overdose en 2024, un chiffre en baisse de 25% par rapport à l’année précédente. Mais peu importe les faits réels : Trump a décidé de traiter les trafiquants de drogue comme des terroristes, justifiant ainsi l’usage de la force militaire létale contre eux.
Le 2 septembre, Trump annonce depuis la Maison Blanche la première frappe aérienne. Il publie une vidéo sur Truth Social montrant un missile frappant le bateau et le transformant en boule de feu. Onze membres du gang vénézuélien Tren de Aragua auraient été tués, affirme-t-il. Le secrétaire d’État Marco Rubio confirme sur les réseaux sociaux, précisant que le navire était opéré par une « organisation narco-terroriste désignée ». Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth promet que d’autres frappes suivront. Et effectivement, elles suivent. Au 4 décembre 2025, au moins 87 personnes ont été tuées dans au moins 22 frappes distinctes visant 23 embarcations — 11 dans les Caraïbes, 12 dans le Pacifique oriental. Deux personnes ont survécu à une attaque du 16 octobre et ont été rapatriées en Colombie et en Équateur. Une autre personne, portée disparue après une frappe du 27 octobre, est présumée morte. C’est une campagne militaire d’une ampleur sans précédent dans cette région depuis l’invasion américaine du Panama en 1989.
La déclaration de conflit armé et l’escalade
Le 1er octobre 2025, Trump franchit un cap supplémentaire. Il notifie officiellement le Congrès que les États-Unis sont engagés dans un « conflit armé non international » contre des « combattants illégaux » — les cartels de la drogue dans les Caraïbes. Cette déclaration change tout sur le plan juridique. Dans un conflit armé, un pays peut légalement tuer des combattants ennemis même lorsqu’ils ne représentent aucune menace immédiate. C’est une distinction cruciale par rapport aux opérations de police traditionnelles où les suspects doivent être capturés vivants dans la mesure du possible. En déclarant un conflit armé, Trump s’octroie le droit de tuer sans procès, sans capture, sans jugement. Les trafiquants de drogue deviennent des ennemis de guerre, pas des criminels à poursuivre devant les tribunaux. Cette transformation juridique permet de contourner toutes les protections habituelles du droit pénal et des droits humains.
Mais cette déclaration soulève d’énormes questions. Peut-on vraiment qualifier le trafic de drogue de « conflit armé » au sens du droit international ? Les experts juridiques sont catégoriques : non. Un conflit armé nécessite des hostilités organisées entre groupes armés, pas simplement des activités criminelles. De plus, même dans un conflit armé, certaines règles s’appliquent — notamment la protection des naufragés et des personnes hors de combat. L’administration Trump argue que les cartels représentent une menace imminente pour la sécurité nationale américaine, justifiant ainsi l’autodéfense. Mais cette logique est fragile. Un bateau de drogue naviguant dans les Caraïbes, à des centaines de kilomètres des côtes américaines, constitue-t-il vraiment une « attaque armée imminente » contre les États-Unis ? La plupart des juristes internationaux répondent par la négative. Pourtant, l’administration persiste. Le 13 novembre, Hegseth dévoile officiellement l’Opération Southern Spear, une force opérationnelle conjointe utilisant une flotte équipée de systèmes robotiques et autonomes pour cibler le trafic de drogue latino-américain. La guerre contre les cartels s’institutionnalise, se structure, devient permanente.
Voilà comment on glisse vers l’abîme. Étape par étape. D’abord, on redéfinit les trafiquants de drogue comme des terroristes. Ensuite, on déclare un conflit armé contre eux. Puis, on s’autorise à les tuer sans procès, sans capture, sans jugement. Et finalement, on en arrive à exécuter des naufragés accrochés à leur bateau détruit. Chaque étape semble logique prise isolément, mais l’ensemble forme une descente terrifiante vers l’illégalité et l’inhumanité. C’est exactement ce que les conventions internationales cherchent à prévenir — cette escalade où la fin justifie tous les moyens, où la lutte contre le crime devient elle-même criminelle. Et le plus effrayant, c’est que cette campagne continue. Quatre-vingt-sept morts et ça continue. Sans débat public réel, sans supervision parlementaire efficace, sans remise en question fondamentale.
Section 3 : les 41 minutes qui ont changé tout
La délibération mortelle du centre de commandement
Revenons à ce moment crucial du 2 septembre. La première frappe vient de détruire le bateau. Neuf hommes sont morts instantanément. Deux survivent miraculeusement. Les caméras de surveillance haute définition des drones ou hélicoptères militaires américains zooment sur eux. On les voit distinctement s’accrocher à une portion de la coque encore flottante, lutter contre les vagues, tenter désespérément de retourner ce qui reste de leur embarcation. Dans le centre de commandement militaire, l’amiral Frank Bradley et son équipe observent la scène en temps réel. Ils voient deux hommes en détresse, sans armes, sans moyens de communication, sans possibilité de fuite. Que faire ? La question se pose. Pendant 41 minutes, selon un responsable américain cité par CNN, le commandement discute, débat, consulte. Bradley parle avec l’officier juridique de service, un JAG (Judge Advocate General). Ce juriste militaire évalue la situation et conclut qu’une seconde frappe serait légale. Sur quelle base ? Bradley l’expliquera plus tard aux législateurs : il semblait qu’une partie du navire restait à flot parce qu’elle contenait encore de la cocaïne. Les survivants pourraient théoriquement flotter jusqu’à la sécurité, être secourus, et continuer à trafiquer la drogue. Donc, ils restaient des cibles légitimes.
Cette logique est, selon les propres mots d’une source ayant connaissance directe du briefing, « complètement dingue ». Pensez-y un instant. Deux hommes naufragés, accrochés à des débris, entourés par l’océan, sans radio, sans moteur, sans aucun moyen de navigation ou de communication, sont considérés comme une menace continue parce qu’ils pourraient hypothétiquement être secourus et reprendre leurs activités criminelles. C’est comme dire qu’un criminel blessé gisant sur le trottoir après un accident de voiture reste une cible légitime parce qu’il pourrait théoriquement guérir et commettre d’autres crimes. Cette interprétation étire le concept de « menace continue » jusqu’à l’absurdité. Elle transforme n’importe quel criminel survivant en cible permanente, éliminant toute distinction entre combattant actif et personne hors de combat. C’est exactement ce que le droit de la guerre cherche à prévenir. Mais l’officier JAG donne son feu vert. Bradley ordonne la seconde frappe. Deux missiles supplémentaires sont tirés. Les deux survivants sont tués. Mission accomplie.
Les images qui hantent les législateurs
Jeudi 4 décembre, Bradley se présente devant les Comités des services armés et du renseignement de la Chambre et du Sénat pour des briefings classifiés. Il apporte avec lui les vidéos de surveillance de la frappe. Les législateurs visionnent les images. Ce qu’ils voient les marque profondément. Le représentant démocrate Jim Himes sort du briefing visiblement secoué. Il déclare aux journalistes que c’est « l’une des choses les plus troublantes » qu’il ait vues durant son mandat. Plus tard, dans une interview avec Jake Tapper de CNN, Himes précise : « Le résultat final, c’était deux individus sans aucune arme, sans aucun outil d’aucune sorte, accrochés à un bateau détruit… la décision a été prise de les tuer et c’est effectivement ce qui s’est passé. Et c’était assez difficile à regarder. » Il insiste sur un point : « Tout Américain qui voit la vidéo que j’ai vue verra l’armée américaine attaquer des marins naufragés — des méchants, des méchants, mais attaquer des marins naufragés. Oui, ils transportaient de la drogue. Ils n’étaient pas en position de continuer leur mission de quelque manière que ce soit. »
Mais tous les législateurs ne partagent pas cette lecture. Le sénateur républicain Tom Cotton, président du Comité du renseignement du Sénat, offre une interprétation radicalement différente. Après avoir visionné les mêmes images, Cotton déclare aux journalistes : « J’ai vu deux survivants essayant de retourner un bateau — chargé de drogue, à destination des États-Unis — pour pouvoir rester dans le combat. Et potentiellement, compte tenu de tout le contexte que nous avons entendu, d’autres bateaux narco-terroristes dans la zone venant à leur aide pour récupérer leur cargaison et récupérer ces narco-terroristes. » Pour Cotton, la seconde frappe était non seulement légale mais nécessaire. Il affirme que les hommes « n’étaient clairement pas incapacités. Ils n’étaient pas en détresse. » Cette divergence d’interprétation est stupéfiante. Les mêmes images, visionnées par des législateurs expérimentés, produisent des conclusions diamétralement opposées. Pour les uns, c’est l’exécution de naufragés sans défense. Pour les autres, c’est l’élimination légitime de combattants ennemis toujours actifs. Cette fracture révèle quelque chose de profond sur la polarisation politique américaine et sur la manière dont l’idéologie peut façonner la perception même de la réalité.
Comment peut-on regarder les mêmes images et voir des choses si différentes ? Comment Jim Himes voit-il des naufragés en détresse tandis que Tom Cotton voit des combattants actifs « restant dans le combat » ? C’est terrifiant, cette capacité à plier la réalité selon ses convictions politiques. Parce que les faits sont têtus : deux hommes accrochés à un bateau détruit, sans armes, sans radio, sans moteur, entourés par l’océan. Ils ne « restent pas dans le combat ». Ils luttent pour ne pas se noyer. Mais si vous êtes déterminé à justifier leur exécution, vous trouverez toujours un angle, toujours une interprétation qui la rend acceptable. C’est comme ça qu’on normalise l’inacceptable. C’est comme ça qu’on transforme un crime de guerre en opération militaire légitime. Par la magie du langage, de la rhétorique, de l’idéologie.
Section 4 : le rôle trouble de Pete Hegseth
L’ordre de ne laisser aucun survivant
Fin novembre 2025, le Washington Post publie une révélation explosive. Selon deux sources anonymes, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth aurait donné un ordre verbal à la SEAL Team Six de ne laisser aucun survivant lors des frappes contre les bateaux de drogue. Un ordre de « ne faire aucun quartier », pour utiliser le terme militaire. Si cette allégation est vraie, elle constitue une violation flagrante du droit de la guerre. Ordonner de ne pas faire de prisonniers, de tuer tous les ennemis sans exception, est considéré comme un crime de guerre depuis des siècles. C’est l’une des règles les plus anciennes et les plus fondamentales du droit humanitaire. Mais Hegseth nie catégoriquement. Sur les réseaux sociaux, il qualifie le reportage de « complètement faux », de « reportage fabriqué, inflammatoire et désobligeant visant à discréditer nos incroyables guerriers qui se battent pour protéger la patrie ». Sean Parnell, porte-parole du Pentagone, déclare également : « Ce récit entier est complètement faux. »
Pourtant, CNN confirme l’essentiel de l’histoire avec ses propres sources. Selon CNN, Hegseth avait ordonné à l’armée avant l’opération de s’assurer que la frappe tue tout le monde à bord, mais il n’est pas clair s’il savait qu’il y avait des survivants avant la seconde frappe. Le New York Times apporte des précisions supplémentaires, citant cinq responsables américains parlant sous couvert d’anonymat. Selon eux, Hegseth a ordonné une frappe létale avant l’attaque proprement dite, mais n’a pas donné d’instructions sur ce qu’il fallait faire si la frappe létale échouait. Cruciale nuance : Hegseth n’aurait pas donné l’ordre après avoir vu les images montrant des survivants. Autrement dit, il a ordonné que la frappe initiale soit létale, mais ce n’est pas lui qui a ordonné la seconde frappe contre les survivants. Cette distinction est importante juridiquement, mais elle soulève d’autres questions. Si Hegseth voulait que la frappe initiale tue tout le monde, n’impliquait-il pas que les survivants éventuels devaient également être éliminés ? Où se situe la ligne entre un ordre général de létalité maximale et un ordre spécifique de tuer les survivants ?
Les déclarations contradictoires de l’administration
L’administration Trump a multiplié les versions contradictoires sur cette affaire. Initialement, Hegseth et ses porte-parole ont violemment démenti les reportages sur la seconde frappe, les qualifiant de fausses nouvelles. Puis, quelques jours plus tard, la secrétaire de presse de la Maison Blanche Karoline Leavitt confirme que la seconde frappe a bien eu lieu. Elle « rejette » l’idée que Hegseth ait donné un ordre de « tuer tout le monde », mais ajoute : « Le président a clairement indiqué que si des narco-terroristes trafiquent des drogues illégales vers les États-Unis, il a l’autorité de les tuer. » Elle précise également : « Le secrétaire Hegseth a autorisé l’amiral Bradley à mener ces frappes cinétiques. L’amiral Bradley a agi pleinement dans le cadre de son autorité et de la loi, dirigeant l’engagement pour s’assurer que le bateau soit détruit et que la menace pour les États-Unis d’Amérique soit éliminée. » Cette formulation est révélatrice : l’objectif n’était pas seulement de détruire le bateau, mais d' »éliminer la menace » — ce qui, apparemment, incluait les survivants naufragés.
Lors du briefing du 4 décembre, l’amiral Bradley affirme aux législateurs que Hegseth n’a pas donné d’ordre de « tuer tout le monde » ou de « ne faire aucun quartier ». Plusieurs membres du Congrès, dont Jim Himes, confirment cette déclaration. Mais Bradley précise également que Hegseth avait clairement indiqué avant le début de la mission que les frappes devaient être létales. De plus, selon une source ayant connaissance directe du briefing, les législateurs ont été informés que Hegseth n’avait pas été mis au courant des survivants avant qu’ils ne soient tués. Lors d’une réunion du Cabinet le 2 décembre, Hegseth déclare qu’il a observé la frappe initiale sur le bateau mais qu’il est ensuite parti assister à d’autres réunions et n’a appris la seconde frappe que plusieurs heures plus tard. Toutes ces déclarations dessinent un tableau complexe. Hegseth voulait des frappes létales. Il a autorisé Bradley à mener ces frappes. Mais il n’était apparemment pas dans la boucle de décision pour la seconde frappe spécifiquement. C’est Bradley qui a pris cette décision, après consultation avec son officier juridique, pendant ces 41 minutes cruciales.
Tout ça sent mauvais. Vraiment mauvais. Ces versions qui changent, ces démentis suivis de confirmations, ces distinctions subtiles entre « ordonner une frappe létale » et « ordonner de tuer les survivants »… C’est le langage de gens qui savent qu’ils ont franchi une ligne et qui essaient désespérément de se couvrir juridiquement. Parce que voyez-vous, si Hegseth a explicitement ordonné de ne laisser aucun survivant, c’est un crime de guerre clair et net. Mais s’il a simplement ordonné que les frappes soient « létales » et que Bradley a ensuite pris la décision de tuer les survivants de sa propre initiative, alors Hegseth peut prétendre qu’il n’est pas directement responsable. C’est du juridisme de bas étage, une tentative pathétique de se dédouaner. La réalité, c’est que deux hommes naufragés ont été exécutés, et que toute la chaîne de commandement — de Trump à Hegseth à Bradley — porte une responsabilité dans cette exécution.
Section 5 : la promotion qui fait scandale
Bradley récompensé après la frappe controversée
Voici un détail qui en dit long sur les priorités de l’administration Trump. Après avoir ordonné la seconde frappe qui a tué deux naufragés, l’amiral Frank Bradley a été promu. Oui, vous avez bien lu. L’homme qui a pris la décision d’exécuter deux survivants accrochés à leur bateau détruit a été récompensé par une promotion. Ce fait, rapporté par The Independent, est révélateur de la manière dont cette administration perçoit ces frappes — non pas comme des incidents regrettables nécessitant une enquête approfondie, mais comme des succès militaires méritant reconnaissance et avancement. Bradley, qui commandait le Joint Special Operations Command au moment de la frappe, était l’officier militaire supérieur dirigeant l’attaque. C’est lui qui a consulté l’officier JAG. C’est lui qui a pris la décision finale d’ordonner la seconde frappe. Et c’est lui qui a été promu ensuite. Le message envoyé est clair : l’administration approuve ses actions, les considère comme appropriées, voire exemplaires.
Cette promotion intervient dans un contexte où de nombreux experts juridiques, organisations de droits humains et instances internationales qualifient ces frappes de potentiellement illégales, voire criminelles. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a appelé les États-Unis à « cesser » les frappes sur les bateaux de drogue présumés pour prévenir les « exécutions extrajudiciaires ». Un groupe d’experts des droits humains de l’ONU a déclaré que l’utilisation de la force létale dans les eaux internationales sans base juridique appropriée constitue des « exécutions extrajudiciaires ». Amnesty International USA a qualifié une frappe de meurtre. L’ancien procureur en chef de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, a déclaré à la BBC que les frappes seraient considérées selon le droit international comme des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, promouvoir l’officier responsable de la frappe la plus controversée envoie un signal troublant. Cela suggère que l’administration n’a aucune intention de remettre en question ces opérations, encore moins de les arrêter.
Le limogeage de l’amiral Holsey
Pendant que Bradley était promu, un autre amiral était poussé vers la sortie. Le 16 octobre, l’amiral Alvin Holsey, commandant du United States Southern Command, a annoncé qu’il prendrait sa retraite à la fin de l’année, moins d’un an après sa nomination à un poste qui dure normalement trois ans. Des sources anonymes ont rapporté des tensions entre Holsey et l’administration Trump concernant le Venezuela. Selon le Wall Street Journal, citant deux responsables non identifiés, les tensions entre Hegseth et Holsey ont commencé tôt dans l’administration Trump autour de la planification militaire impliquant le canal de Panama, Hegseth voulant remplacer Holsey. Mais les différends se sont intensifiés lorsque « Holsey s’est initialement inquiété de l’autorité juridique floue pour la campagne de frappes sur les bateaux » et « a objecté que certaines parties des opérations échappaient à son contrôle direct ». Autrement dit, Holsey avait des doutes sur la légalité de ces frappes et était mal à l’aise avec le fait qu’elles soient menées en partie en dehors de sa chaîne de commandement.
Les sources ont déclaré qu’après des mois de tension, il y a eu une réunion conflictuelle en octobre, et la démission de Holsey a été annoncée le jour même. Ce limogeage déguisé en retraite anticipée est significatif. Holsey était un officier expérimenté, respecté, nommé à un poste crucial pour la sécurité régionale. Mais il a osé questionner la légalité des opérations et exprimer des réserves sur la manière dont elles étaient conduites. Résultat : il a été écarté. Pendant ce temps, Bradley, qui a exécuté les ordres sans sourciller et tué deux naufragés, a été promu. Le contraste est saisissant. Il révèle une administration qui ne tolère pas la dissidence interne, même lorsqu’elle porte sur des questions juridiques et éthiques fondamentales. Il montre également que les officiers qui suivent aveuglément les directives politiques, même douteuses, sont récompensés, tandis que ceux qui posent des questions inconfortables sont punis. C’est exactement le genre d’environnement qui conduit aux pires abus militaires.
Promouvoir Bradley et virer Holsey. Récompenser l’obéissance aveugle et punir la conscience professionnelle. C’est comme ça qu’on détruit l’intégrité d’une institution militaire. Parce que les officiers ne sont pas stupides. Ils voient ce qui se passe. Ils comprennent le message : ferme-la et obéis, ou ta carrière est finie. Peu importe si tu as des doutes légitimes sur la légalité d’une opération. Peu importe si ta conscience professionnelle te dit que quelque chose ne va pas. Si tu veux avancer, tu la boucles et tu exécutes. Et si tu as le malheur de tuer des naufragés dans le processus, tant mieux — tu seras promu. C’est toxique. C’est dangereux. C’est exactement le genre de culture institutionnelle qui a produit les pires scandales militaires de l’histoire américaine, de My Lai à Abu Ghraib.
Section 6 : qui étaient vraiment les victimes
Au-delà du label « narco-terroriste »
L’administration Trump qualifie systématiquement toutes les personnes tuées dans ces frappes de « narco-terroristes » ou de membres de cartels. Mais cette étiquette cache une réalité beaucoup plus complexe et troublante. Des gouvernements et des familles de victimes affirment que beaucoup des morts étaient des civils — principalement des pêcheurs. The Guardian rapporte que selon ces sources, de nombreuses victimes n’avaient aucun lien avec le terrorisme organisé. Sean Parnell, porte-parole du Département de la Défense, maintient que les renseignements du DOD « confirment systématiquement que les individus impliqués dans ces opérations de drogue étaient des narco-terroristes, et nous maintenons cette évaluation ». Mais les preuves publiques sont inexistantes. Les noms et prénoms des personnes disparues et présumées tuées dans les frappes ont rarement été rendus publics. Les informations ont été réprimées par le gouvernement vénézuélien, ou les familles ont évité de parler par peur. Au 8 novembre, parmi les dizaines de personnes tuées, seules quelques-unes avaient été identifiées publiquement : deux Colombiens, un Équatorien, deux hommes de Trinidad-et-Tobago, et neuf Vénézuéliens.
La journaliste de l’Associated PressRegina Garcia Cano s’est rendue dans l’État de Sucre au Venezuela juste après la première frappe vénézuélienne. Elle a interrogé des dizaines de personnes. Elle écrit sur « les peurs très réelles des sources d’être punies — particulièrement par le gouvernement vénézuélien — pour avoir parlé aux journalistes ». Malgré ces obstacles, elle a obtenu des informations sur neuf individus, dont les noms de quatre personnes tuées. Sa conclusion est nuancée et dérangeante : certains « des hommes morts avaient effectivement transporté de la drogue mais n’étaient pas des narco-terroristes… ou des leaders d’un cartel ou d’un gang ». Les personnes interrogées par Garcia Cano ont déclaré que la plupart des tués étaient des membres d’équipage débutants. Ils « incluaient un pêcheur, un chauffeur de moto-taxi, des ouvriers et deux criminels de carrière de bas niveau… L’un était un leader criminel local bien connu qui avait accepté de travailler pour des trafiquants de stupéfiants. » Un autre aurait trafiqué à la fois des drogues et des êtres humains. Ce portrait est loin de l’image monolithique de « narco-terroristes » présentée par l’administration.
Les histoires individuelles derrière les statistiques
Prenons quelques cas spécifiques. Le président colombien Gustavo Petro a déclaré que l’un des hommes tués dans une frappe de mi-septembre était un pêcheur colombien nommé Alejandro Andrés Carranza Medina, alias « Coroncoro ». Sa famille affirme qu’il ne trafiquait pas de drogue. Cependant, selon CBS News, « les médias ont rapporté que Carranza avait un casier judiciaire pour vol d’armes en collusion avec des gangs ». Le journal colombien El Tiempo rapporte qu’en 2015, il aurait été « impliqué dans le vol de 264 armes de la police métropolitaine de Santa Marta ». Donc, un criminel, certainement. Un narco-terroriste ? C’est moins clair. En décembre 2025, l’avocat personnel de Petro a déposé une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme contre Hegseth au nom de la famille de Carranza. Autre cas : le survivant équatorien de la frappe du 16 octobre. Selon CNN, sa sœur « prétend ne rien savoir de l’implication présumée de son frère dans le trafic de drogue et le dépeint plutôt comme un père désespéré essayant de subvenir aux besoins de ses six enfants ». Mais cet homme avait été condamné et expulsé des États-Unis en 2020 pour trafic de drogue. Donc, un trafiquant avéré. Mais un terroriste ? Un combattant ennemi justifiant une frappe militaire létale ?
Les familles de deux hommes disparus de Trinidad-et-Tobago les ont identifiés publiquement et soupçonnent qu’ils ont été tués dans la frappe du 14 octobre. Une famille dit que leur proche était un pêcheur qui voyageait souvent au Venezuela et nie qu’il ait été impliqué dans le trafic de drogue. MSNBC rapporte que l’un avait une accusation liée à la drogue datant de 2018, et l’autre avait été libéré en 2021 après une peine de prison pour un meurtre commis en 2009. Encore une fois, des criminels, peut-être. Mais des narco-terroristes justifiant une exécution militaire ? Dans la péninsule de Paria de l’État de Sucre au Venezuela, d’où provenait le premier bateau frappé le 1er septembre, les médias vénézuéliens ont rapporté que la zone était connue pour le trafic, bien que pas nécessairement par le Tren de Aragua. Certains membres de familles ont déclaré que les villageois s’étaient impliqués dans des activités illicites par nécessité économique. Les habitants décrivant une ville en deuil ont publié des hommages contenant des photos des défunts dès le 3 septembre. Les décédés comprenaient huit personnes de San Juan de Unare et trois d’une ville voisine, Güiria. Le New York Times rapporte que « des responsables de la sécurité vénézuéliens sont descendus sur San Juan de Unare, ont coupé l’électricité et ont clairement fait comprendre que les déclarations publiques sur les attaques n’étaient pas les bienvenues, selon quatre habitants, dont la nièce de l’une des victimes. »
Voilà la réalité derrière les étiquettes. Des pêcheurs, des chauffeurs de moto-taxi, des ouvriers, des petits criminels, des gens désespérés qui ont fait de mauvais choix par nécessité économique. Oui, certains étaient des trafiquants. Oui, certains avaient des casiers judiciaires. Mais des narco-terroristes ? Des combattants ennemis dans un conflit armé ? C’est une distorsion grotesque de la réalité. Ces hommes n’étaient pas des soldats d’une organisation terroriste. Ils n’étaient pas des idéologues fanatiques cherchant à détruire l’Amérique. Ils étaient des criminels de bas niveau, des maillons interchangeables dans une chaîne de trafic, des gens pauvres dans des régions pauvres qui ont vu dans le trafic de drogue une opportunité de gagner de l’argent. Ça ne justifie pas leurs actions. Ça ne les rend pas innocents. Mais ça ne justifie certainement pas de les exécuter depuis le ciel sans procès, sans jugement, sans même une tentative de capture.
Section 7 : le précédent juridique terrifiant
Quand le trafic de drogue devient un acte de guerre
Ce qui se passe dans les Caraïbes et le Pacifique en ce moment établit un précédent juridique terrifiant. Pendant des décennies, les États-Unis ont traité le trafic de drogue comme une question de droit pénal. Les garde-côtes américains ou d’autres agences d’application de la loi étaient responsables des efforts d’interdiction de la drogue. Les suspects étaient poursuivis comme une affaire criminelle. Ils étaient arrêtés, jugés, condamnés. Mais maintenant, l’administration Trump a transformé le trafic de drogue en acte de guerre. Les trafiquants ne sont plus des criminels à poursuivre devant les tribunaux — ce sont des combattants ennemis à éliminer militairement. Cette transformation a des implications énormes. Selon CNN, le Département de la Justice a soutenu avant le début des frappes « que le président est légalement autorisé à autoriser des frappes létales contre 24 cartels et organisations criminelles en légitime défense, parce que les groupes représentent une menace imminente pour les Américains ». Vingt-quatre organisations. C’est un nombre stupéfiant. Cela signifie que potentiellement des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes sont désormais considérées comme des cibles militaires légitimes.
Cette logique est profondément problématique. Le professeur de droit Mary Ellen O’Connell a déclaré que la frappe « violait les principes fondamentaux du droit international ». Luke Moffett de l’Université Queen’s de Belfast, également professeur de droit, a déclaré que frapper le navire sans motifs de légitime défense pourrait constituer une exécution extrajudiciaire. En octobre, l’Associated Press a déclaré que l’administration Trump « traite les trafiquants de drogue présumés comme des combattants illégaux qui doivent être affrontés par la force militaire ». Concernant la frappe du 2 septembre, Geoffrey Corn, ancien conseiller principal sur le droit de la guerre pour l’armée américaine, a déclaré : « Je ne pense pas qu’il y ait un moyen de caractériser légitimement un navire de drogue se dirigeant du Venezuela, sans doute vers Trinidad, comme une attaque armée réelle ou imminente contre les États-Unis, justifiant cette réponse militaire. » Même John Yoo, figure juridique de l’administration George W. Bush connu pour ses positions très permissives sur l’usage de la force, a questionné la légalité des frappes, arguant que « Il doit y avoir une ligne entre le crime et la guerre. »
Les violations du droit international
Un groupe d’experts des droits humains de l’ONU a déclaré le 21 octobre 2025 que l’utilisation de la force létale dans les eaux internationales sans base juridique appropriée constitue des « exécutions extrajudiciaires », et que toute action militaire secrète ou directe contre un autre État souverain représenterait « une violation encore plus grave de la Charte des Nations Unies« . Le 31 octobre, Volker Türk, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a déclaré que les États-Unis « doivent cesser » les frappes sur les bateaux de drogue présumés pour prévenir les « exécutions extrajudiciaires » et a également appelé à une enquête sur les frappes. Une porte-parole du bureau de Türk a déclaré que Türk croyait que « les frappes aériennes des États-Unis d’Amérique sur des bateaux dans les Caraïbes et dans le Pacifique violent le droit international des droits humains ». Elle a ajouté, dans une déclaration qui contredit la déclaration de « conflit armé » de Trump, que les frappes se déroulaient « en dehors du contexte » de conflit armé ou d’hostilités actives. Amnesty International USA a qualifié une frappe de meurtre. Adam Isacson du Washington Office on Latin America a déclaré que la frappe « ressemble à un massacre de civils en mer ».
L’ancien procureur en chef de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, a déclaré à la BBC que les frappes seraient considérées selon le droit international comme des crimes contre l’humanité. Faisant référence au meurtre prémédité en dehors d’un conflit armé, il a également déclaré : « Pour moi, c’est très clair. Un crime contre l’humanité est une attaque systématique contre une population civile, et il n’y a aucune clarté sur pourquoi ces personnes ne sont pas des civils, même si elles pourraient être des criminels… et c’est clairement systématique, parce que le président Trump dit qu’ils ont planifié et organisé cela, donc ce devrait être l’accusation. » Une plainte a été déposée auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme au nom de l’épouse d’un Colombien prétendument tué dans la frappe du 15 septembre, accusant « les États-Unis de violer les droits à la vie, à l’égalité devant la loi, à la reconnaissance de la personnalité juridique, à un procès équitable et à une procédure régulière ». Le consensus parmi les experts juridiques internationaux est écrasant : ces frappes violent le droit international. Elles constituent des exécutions extrajudiciaires. Elles pourraient même constituer des crimes contre l’humanité.
Quatre-vingt-sept morts. Vingt-deux frappes. Et ça continue. Sans base juridique solide, sans supervision internationale, sans même un débat public approfondi sur la légalité et la moralité de ces actions. On est en train de normaliser l’exécution extrajudiciaire à une échelle industrielle. On est en train d’établir un précédent selon lequel n’importe quel pays peut déclarer unilatéralement que certains criminels sont des « combattants ennemis » et les tuer militairement sans procès. Imaginez si d’autres pays adoptaient cette logique. Imaginez si la Russie déclarait que les trafiquants d’armes sont des terroristes et commençait à les bombarder partout dans le monde. Imaginez si la Chine faisait de même avec les trafiquants de fentanyl. Ce serait le chaos total, la fin de tout ordre juridique international. Mais c’est exactement ce que les États-Unis sont en train de faire. Et le monde regarde, impuissant ou complice.
Section 8 : le Congrès américain divisé et impuissant
Les tentatives avortées de limiter les frappes
Le Congrès américain a tenté à deux reprises de limiter l’autorité de Trump à continuer ces frappes. Les deux fois, il a échoué. Le sénateur de Californie Adam Schiff et le sénateur de Virginie Tim Kaine ont parrainé une résolution pour empêcher l’administration de lancer d’autres frappes sans approbation du Congrès. Cette résolution a échoué au Sénat 51-48 le 8 octobre 2025. Une seconde tentative le 6 novembre a également été rejetée. Quelques heures après ce vote, une nouvelle frappe dans les Caraïbes a tué trois personnes. Le message était clair : le Congrès ne peut pas ou ne veut pas arrêter ces opérations. La War Powers Resolution, cette loi censée limiter la capacité du président à engager les forces armées sans l’approbation du Congrès, s’est révélée impuissante. Le Département de la Justice a déclaré en novembre 2025 que la limite de 60 jours de la War Powers Resolution ne s’appliquait pas aux frappes aériennes, car elles impliquaient des véhicules sans pilote qui ne mettaient pas en danger les forces armées américaines. C’est une interprétation créative qui vide essentiellement la loi de son sens à l’ère des drones.
La division partisane est frappante. Les républicains, dans leur grande majorité, soutiennent les frappes. Le sénateur Tom Cotton les qualifie d' »entièrement légales » et « pas troublantes ». Le représentant républicain Rick Crawford de l’Arkansas, président du Comité du renseignement de la Chambre, a déclaré après le briefing de Bradley : « Je me sens confiant et n’ai plus de questions pour Hegseth. » Les démocrates, en revanche, sont profondément divisés. Certains, comme Jim Himes, sont ouvertement critiques et troublés. D’autres restent silencieux, peut-être par peur d’être accusés d’être « mous face au crime » ou de « soutenir les trafiquants de drogue ». Cette dynamique politique rend presque impossible toute action significative du Congrès. Pour bloquer les frappes, il faudrait une majorité bipartisane solide. Mais dans le climat politique actuel, où tout est polarisé selon des lignes partisanes, cette majorité est introuvable. Résultat : Trump a essentiellement carte blanche pour continuer ces opérations indéfiniment.
Le silence assourdissant de la communauté internationale
Au-delà du Congrès américain, la réaction internationale a été étonnamment limitée. Le président colombien Gustavo Petro a été le plus vocal, accusant les États-Unis d’exécutions extrajudiciaires et déposant une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Le gouvernement vénézuélien a également condamné les frappes, mais ses protestations sont largement ignorées étant donné les relations hostiles entre Caracas et Washington. Mais où sont les autres ? Où sont les alliés traditionnels des États-Unis ? Le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne — tous ces pays qui se targuent de défendre le droit international et les droits humains — restent largement silencieux. Quelques déclarations diplomatiques polies exprimant des « préoccupations », mais rien de substantiel. Aucune condamnation ferme. Aucune menace de sanctions. Aucune pression réelle. Ce silence est révélateur. Il montre que lorsqu’il s’agit des États-Unis, même les violations flagrantes du droit international sont tolérées, minimisées, ignorées.
L’Organisation des États américains n’a pris aucune action significative. Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a même pas discuté de la question, probablement parce que les États-Unis y disposent d’un droit de veto. Seuls les organes des droits humains de l’ONU — le Haut-Commissariat et les rapporteurs spéciaux — ont exprimé des critiques claires. Mais ces organes n’ont aucun pouvoir d’application. Ils peuvent documenter, dénoncer, recommander. Ils ne peuvent pas arrêter les frappes. Cette impuissance de la communauté internationale face aux actions unilatérales d’une grande puissance n’est pas nouvelle. On l’a vue avec l’invasion de l’Irak en 2003, avec les frappes de drones au Pakistan et au Yémen, avec tant d’autres interventions militaires américaines contestables. Mais cela ne rend pas la situation moins troublante. Au contraire, chaque fois que la communauté internationale laisse passer de telles violations, elle affaiblit un peu plus le système de droit international qu’elle prétend défendre. Elle établit un précédent selon lequel les grandes puissances peuvent faire ce qu’elles veulent, et que le droit international ne s’applique qu’aux faibles.
Le silence des démocraties occidentales me révolte particulièrement. Parce que ces pays — le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne — se présentent constamment comme les gardiens de l’ordre international, les défenseurs des droits humains, les champions de la primauté du droit. Mais quand leur allié américain viole ouvertement ces principes, où sont-ils ? Nulle part. Ils regardent ailleurs. Ils marmonnent quelques platitudes diplomatiques. Ils ne font rien de concret. Cette hypocrisie est écœurante. Elle révèle que tous ces beaux discours sur les droits humains et le droit international ne sont que ça — des discours. Quand ça compte vraiment, quand il faudrait prendre position contre un allié puissant, ces pays se dégonflent. Ils choisissent la realpolitik plutôt que les principes. Et ce faisant, ils rendent le système international encore plus cynique, encore plus basé sur la force brute plutôt que sur le droit.
Section 9 : les implications pour le Venezuela
Du contre-narcotrafic au changement de régime
Initialement présentée comme une mission pour stopper le trafic de stupéfiants vers les États-Unis, la campagne militaire dans les Caraïbes a rapidement évolué vers quelque chose de beaucoup plus ambitieux. À la mi-octobre, des figures de l’opposition vénézuélienne et des analystes indépendants ont confirmé un changement dans les objectifs américains vers le changement de régime au Venezuela. Trump a reconnu la possibilité de frappes à l’intérieur du territoire vénézuélien. Le 30 octobre 2025, le Wall Street Journal a rapporté que des responsables américains avaient déclaré avoir identifié « des cibles qui se situent au carrefour des gangs de drogue et du régime Maduro », y compris des installations telles que des ports et des pistes d’atterrissage que l’armée vénézuélienne utiliserait prétendument pour le trafic de drogue. C’est un changement majeur. On ne parle plus seulement d’intercepter des bateaux de drogue en haute mer. On parle de frapper des cibles à l’intérieur d’un pays souverain. C’est une escalade dramatique qui pourrait mener à un conflit militaire ouvert.
Les tensions entre les États-Unis et le Venezuela ne sont pas nouvelles. L’administration Trump a toujours considéré le président vénézuélien Nicolás Maduro comme illégitime et a soutenu l’opposition. En août, l’administration a doublé la récompense existante de 50 millions de dollars pour des informations menant à l’arrestation de Maduro sur des accusations du Département de la Justice datant de 2020. Ces accusations affirment que Maduro soutient le trafic de drogue, bien qu’aucune preuve n’ait été présentée publiquement. L’ancien procureur général américain William Barr a d’abord accusé Maduro de soutenir le trafic de drogue en 2020, déclarant que 250 tonnes de cocaïne sont introduites clandestinement à travers le Venezuela chaque année, facilitées par le gouvernement. Mais l’analyse de l’ONU sur le trafic mondial de drogue contredit les affirmations plus larges de l’administration Trump concernant le narco-trafic à travers le Venezuela. Elle montre que la majorité des drogues trafiquées vers les États-Unis ne sont pas produites au Venezuela ni introduites clandestinement à travers les Caraïbes. Les drogues sont plutôt typiquement produites en Colombie ou au Pérou et transportées le long de la côte Pacifique.
La réalité complexe du trafic vénézuélien
L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime n’a pas identifié le Venezuela comme un pays producteur de cocaïne. Des analystes indépendants ont trouvé des preuves de trafic de drogue au Venezuela, y compris dans ses forces armées. CNN déclare que « la réalité est plus complexe » concernant les affirmations du gouvernement américain sur l’implication de Maduro : « bien que Caracas prétende mener une guerre contre la drogue, il existe également des preuves d’implication directe dans le trafic de drogue aux plus hauts niveaux du gouvernement ». Selon Insight Crime, une description plus précise est un « système de corruption dans lequel des responsables militaires et politiques profitent » en utilisant « leurs positions pour protéger les trafiquants de l’arrestation et s’assurer que les expéditions passent à travers un territoire », dans lequel « Maduro et d’autres hauts responsables permettent ce type de corruption pour assurer la loyauté des rangs inférieurs ». C’est une distinction importante. Il y a une différence entre un État narco-terroriste activement engagé dans le trafic de drogue comme politique d’État, et un État corrompu où des responsables individuels profitent du trafic en échange de protection.
Cette nuance est cruciale parce qu’elle détermine la légitimité de l’action militaire. Si le Venezuela était vraiment un État narco-terroriste attaquant activement les États-Unis via le trafic de drogue, alors peut-être — peut-être — une réponse militaire pourrait être justifiée selon certaines interprétations du droit international. Mais si la réalité est plutôt un système de corruption généralisée où des responsables individuels profitent du trafic, alors la réponse appropriée est diplomatique, économique, judiciaire — pas militaire. On ne bombarde pas un pays parce que certains de ses responsables sont corrompus. Sinon, il faudrait bombarder la moitié des pays du monde. Mais l’administration Trump ne s’embarrasse pas de ces nuances. Pour elle, le Venezuela est un État narco-terroriste, point final. Et cette caractérisation justifie toutes les actions, y compris potentiellement des frappes à l’intérieur du territoire vénézuélien. C’est une pente glissante vers un conflit militaire ouvert qui pourrait déstabiliser toute la région.
On a déjà vu ce film. L’Irak avait prétendument des armes de destruction massive. La Libye était prétendument un État terroriste. Le Venezuela est prétendument un État narco-terroriste. À chaque fois, la même rhétorique : une menace existentielle pour les États-Unis, un régime diabolique qu’il faut renverser, une intervention militaire présentée comme nécessaire et légitime. Et à chaque fois, la réalité s’avère beaucoup plus complexe que la propagande. Oui, Saddam Hussein était un dictateur brutal. Oui, Kadhafi était un autocrate. Oui, Maduro dirige un régime corrompu et autoritaire. Mais ça ne justifie pas l’invasion, le bombardement, le changement de régime imposé de l’extérieur. Parce qu’on sait comment ça finit. L’Irak est toujours instable vingt ans après l’invasion. La Libye est un État failli. Et le Venezuela ? Si les États-Unis lancent une intervention militaire, ça sera probablement encore pire.
Section 10 : les précédents historiques inquiétants
De My Lai à Abu Ghraib
L’histoire militaire américaine est jalonnée de scandales où des règles d’engagement floues, une culture d’impunité et une déshumanisation de l’ennemi ont conduit à des atrocités. Le massacre de My Lai pendant la guerre du Vietnam, où des soldats américains ont tué entre 347 et 504 civils non armés, reste l’un des épisodes les plus sombres. Les soldats avaient reçu des ordres ambigus, opéraient dans un environnement où distinguer les combattants des civils était difficile, et avaient été conditionnés à voir tous les Vietnamiens comme des ennemis potentiels. Le résultat : un massacre de masse de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Plus récemment, le scandale d’Abu Ghraib en Irak a révélé comment une culture institutionnelle toxique, combinée à des directives juridiques permissives sur les « techniques d’interrogatoire renforcées », a conduit à des tortures systématiques de prisonniers. Ces scandales partagent des caractéristiques communes : une déshumanisation de l’ennemi, des règles d’engagement floues ou excessivement permissives, une chaîne de commandement qui encourage l’agressivité plutôt que la retenue, et une culture d’impunité où les abus ne sont pas punis.
Les frappes actuelles dans les Caraïbes présentent des similitudes troublantes. Les trafiquants de drogue sont systématiquement déshumanisés, qualifiés de « narco-terroristes » sans nuance. Les règles d’engagement semblent extrêmement permissives — au point d’autoriser l’exécution de naufragés. La chaîne de commandement récompense l’agressivité : Bradley est promu après avoir ordonné la seconde frappe, tandis que Holsey est écarté pour avoir exprimé des doutes. Et il y a une culture d’impunité évidente : aucune enquête indépendante n’a été lancée, aucun responsable n’a été sanctionné, les opérations continuent sans modification. Tous les ingrédients sont réunis pour des abus systématiques. La différence, c’est que cette fois, les abus ne se produisent pas dans le chaos d’un combat au sol, mais de manière délibérée, depuis des centres de commandement climatisés, après 41 minutes de délibération. C’est presque pire. C’est une violence bureaucratisée, rationalisée, systématisée.
La guerre contre le terrorisme et ses dérives
La guerre contre le terrorisme lancée après le 11 septembre 2001 a également établi des précédents inquiétants. Le programme de frappes de drones au Pakistan, au Yémen, en Somalie et ailleurs a tué des milliers de personnes, dont de nombreux civils, souvent sur la base de renseignements douteux. Le concept de « combattant ennemi illégal » a été utilisé pour justifier la détention indéfinie sans procès à Guantanamo. Les « techniques d’interrogatoire renforcées » — un euphémisme pour la torture — ont été autorisées au plus haut niveau. Toutes ces pratiques ont été justifiées par la nécessité de protéger la sécurité nationale américaine face à une menace terroriste existentielle. Mais avec le recul, beaucoup de ces mesures apparaissent comme des violations flagrantes des droits humains et du droit international qui ont finalement nui à la sécurité américaine plutôt que de l’améliorer. Elles ont radicalisé des populations entières, fourni du matériel de recrutement aux groupes terroristes, et érodé la crédibilité morale des États-Unis sur la scène internationale.
La campagne actuelle contre les cartels de drogue suit une trajectoire similaire. On prend un problème réel — le trafic de drogue et ses conséquences dévastatrices — et on le transforme en menace existentielle justifiant des mesures extraordinaires. On redéfinit les criminels comme des combattants ennemis. On autorise l’usage de la force létale sans les protections habituelles du droit pénal. On crée une zone grise juridique où les règles normales ne s’appliquent plus. Et on espère que les résultats seront meilleurs cette fois. Mais l’histoire suggère le contraire. Ces approches militarisées des problèmes criminels ou sociaux échouent généralement à atteindre leurs objectifs déclarés tout en créant de nouveaux problèmes. La guerre contre la drogue elle-même, menée depuis des décennies, en est la preuve. Malgré des milliards de dollars dépensés et d’innombrables vies perdues, le trafic de drogue continue. Ajouter des frappes militaires létales à cette stratégie déjà ratée ne la rendra pas soudainement efficace. Ça ne fera qu’ajouter plus de morts, plus de violations des droits humains, plus de ressentiment anti-américain.
On n’apprend jamais. Vraiment, on n’apprend jamais. Chaque génération semble condamnée à répéter les erreurs de la précédente. My Lai aurait dû nous apprendre que déshumaniser l’ennemi mène à des atrocités. Abu Ghraib aurait dû nous apprendre que les zones grises juridiques mènent à des abus. La guerre contre le terrorisme aurait dû nous apprendre que militariser des problèmes non militaires crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Mais non. On recommence. Avec les mêmes justifications, la même rhétorique, les mêmes promesses que « cette fois ce sera différent ». Sauf que ça ne le sera pas. Ça ne l’est jamais. Dans vingt ans, on regardera en arrière ces frappes dans les Caraïbes avec le même mélange de honte et d’incrédulité qu’on regarde maintenant My Lai ou Abu Ghraib. Et on se demandera comment on a pu laisser ça se produire. Encore.
Section 11 : l'impact sur les populations locales
La terreur dans les villages côtiers
Dans les villages côtiers du Venezuela, de la Colombie, de Trinidad-et-Tobago, la peur s’est installée. Chaque bateau qui prend la mer pourrait être la cible d’une frappe. Chaque pêcheur qui part au large risque d’être confondu avec un trafiquant et exécuté depuis le ciel. À San Juan de Unare, le village de la péninsule de Paria d’où provenait le premier bateau frappé, l’atmosphère est oppressante. Le New York Times rapporte que « des responsables de la sécurité vénézuéliens sont descendus sur San Juan de Unare, ont coupé l’électricité et ont clairement fait comprendre que les déclarations publiques sur les attaques n’étaient pas les bienvenues ». Les familles des victimes vivent dans la peur — peur du gouvernement vénézuélien qui ne veut pas que l’histoire se répande, peur des gangs criminels qui pourraient les considérer comme des traîtres s’ils parlent, peur des États-Unis qui pourraient frapper à nouveau. Cette triple menace crée un climat de terreur silencieuse où personne n’ose parler, où le deuil doit rester privé, où la vérité est étouffée.
La journaliste Regina Garcia Cano de l’Associated Press a documenté « les peurs très réelles des sources d’être punies — particulièrement par le gouvernement vénézuélien — pour avoir parlé aux journalistes ». Cette peur n’est pas irrationnelle. Le régime de Maduro est connu pour sa répression brutale de toute dissidence ou critique. Parler aux médias étrangers, surtout américains, peut être interprété comme une trahison. Mais au-delà de la répression gouvernementale, il y a aussi la peur des représailles criminelles. Dans ces régions, les gangs et les réseaux de trafic exercent souvent un contrôle territorial significatif. Parler publiquement de leurs opérations peut être mortel. Et maintenant, il y a une troisième couche de peur : celle d’être associé au trafic de drogue et donc de devenir une cible potentielle des frappes américaines. Cette combinaison crée un environnement où la vérité devient presque impossible à établir, où les victimes restent anonymes, où les responsabilités ne peuvent pas être assignées.
L’effondrement économique des communautés côtières
Au-delà de la peur immédiate, ces frappes ont des conséquences économiques dévastatrices pour les communautés côtières. Dans des régions déjà appauvries par des années de crise économique au Venezuela, la pêche et le commerce maritime sont souvent les seules sources de revenus disponibles. Mais maintenant, prendre la mer est devenu extrêmement risqué. Les pêcheurs légitimes craignent d’être confondus avec des trafiquants. Les bateaux de commerce hésitent à naviguer dans les zones où les frappes se produisent. Le résultat est un effondrement de l’activité économique maritime, aggravant encore la pauvreté et le désespoir qui poussent certains vers le trafic de drogue en premier lieu. C’est un cercle vicieux. La pauvreté pousse les gens vers le crime. Le crime justifie les frappes militaires. Les frappes détruisent l’économie légitime. L’économie détruite aggrave la pauvreté. Et le cycle continue, s’approfondissant à chaque itération.
Certains membres de familles à San Juan de Unare ont déclaré que les villageois s’étaient impliqués dans des activités illicites par nécessité économique. Ce n’est pas une excuse, mais c’est un contexte crucial. Dans une région où le salaire minimum mensuel au Venezuela est d’environ 3 dollars, où l’inflation a détruit toute épargne, où les opportunités d’emploi légitimes sont presque inexistantes, le trafic de drogue offre une tentation puissante. Un seul voyage peut rapporter plus qu’une année de travail honnête. Pour des pères désespérés essayant de nourrir leurs familles, pour des jeunes hommes sans avenir, le calcul risque-récompense peut sembler favorable. Ce n’est pas pour justifier leurs choix. Transporter de la drogue reste un crime qui cause d’immenses souffrances. Mais comprendre ces dynamiques économiques est essentiel pour développer des réponses efficaces. Bombarder ces communautés ne résoudra pas le problème sous-jacent de la pauvreté et du désespoir. Au contraire, ça l’aggravera, créant encore plus de désespoir, encore plus de personnes prêtes à prendre des risques extrêmes pour survivre.
C’est ça qui me brise le cœur dans toute cette histoire. Les vraies victimes — pas seulement ceux qui sont morts dans les frappes, mais les communautés entières qui vivent maintenant dans la terreur et la pauvreté aggravée. Ces villages côtiers qui étaient déjà parmi les endroits les plus pauvres et les plus oubliés du monde, et qui maintenant doivent aussi vivre avec la peur constante d’être bombardés depuis le ciel. Ces familles qui ont perdu des êtres chers et qui ne peuvent même pas pleurer publiquement, qui ne peuvent pas demander justice, qui doivent souffrir en silence. Ces pêcheurs qui ne peuvent plus exercer leur métier légitime parce qu’ils ont peur d’être confondus avec des trafiquants. Toute cette souffrance, toute cette destruction — pour quoi ? Pour une « guerre contre la drogue » qui n’a jamais fonctionné et ne fonctionnera jamais. C’est tragique. C’est inutile. C’est cruel.
Section 12 : les alternatives ignorées
Les approches qui fonctionnent vraiment
Il existe des alternatives aux frappes militaires pour lutter contre le trafic de drogue. Des approches qui ont fait leurs preuves, qui réduisent effectivement le trafic sans créer de nouvelles victimes innocentes. Le Portugal a décriminalisé toutes les drogues en 2001 et a investi massivement dans le traitement et la prévention. Résultat : les taux de consommation de drogue ont diminué, les overdoses ont chuté dramatiquement, et le pays a économisé des milliards en coûts d’incarcération. La Suisse a mis en place des programmes de prescription d’héroïne médicale pour les utilisateurs dépendants, éliminant leur besoin d’acheter de la drogue sur le marché noir. Résultat : réduction massive de la criminalité liée à la drogue, amélioration de la santé des utilisateurs, et affaiblissement des réseaux de trafic. Les Pays-Bas ont adopté une approche pragmatique de tolérance contrôlée, séparant les marchés des drogues douces et dures. Résultat : taux de consommation parmi les plus bas d’Europe, criminalité liée à la drogue réduite.
Ces approches partagent une philosophie commune : traiter la consommation de drogue comme un problème de santé publique plutôt que comme un problème criminel, et s’attaquer à la demande plutôt qu’uniquement à l’offre. Parce que la réalité économique est simple : tant qu’il y aura une demande massive de drogues aux États-Unis et en Europe, il y aura une offre. Détruire un réseau de trafic ne fait que créer une opportunité pour un autre réseau de prendre sa place. Tuer des trafiquants ne fait que créer des postes vacants que d’autres désespérés viendront remplir. C’est comme essayer de vider l’océan avec un seau. Mais réduire la demande — en traitant les dépendances, en prévenant l’initiation, en offrant des alternatives légales contrôlées — ça, ça fonctionne. Ça réduit effectivement le marché, affaiblit les réseaux criminels, sauve des vies. Mais ces approches nécessitent de la patience, de l’investissement à long terme, et surtout, une volonté de remettre en question les dogmes de la guerre contre la drogue. L’administration Trump n’a manifestement aucune de ces qualités.
La coopération internationale plutôt que l’action unilatérale
Une autre alternative serait de renforcer la coopération internationale plutôt que d’agir unilatéralement. Le trafic de drogue est par nature transnational. Il nécessite donc des réponses transnationales coordonnées. Cela signifie travailler avec les gouvernements de la région — même ceux avec lesquels les relations sont difficiles — pour renforcer leurs capacités d’application de la loi, améliorer leurs systèmes judiciaires, s’attaquer à la corruption. Cela signifie partager des renseignements, coordonner les opérations, soutenir les efforts de développement économique dans les régions productrices et de transit. La République dominicaine a coopéré avec les États-Unis lors d’une frappe le 19 septembre, récupérant 377 paquets de cocaïne. C’est un exemple de coopération qui fonctionne — une opération conjointe, transparente, respectueuse de la souveraineté, aboutissant à la saisie de drogue sans perte de vie. Pourquoi ne pas généraliser ce modèle plutôt que de mener des frappes unilatérales ?
Mais la coopération nécessite du respect mutuel, de la confiance, de la patience. Elle nécessite de traiter les autres pays comme des partenaires égaux plutôt que comme des vassaux. Elle nécessite de respecter leur souveraineté, leurs lois, leurs processus. L’administration Trump semble incapable de cette approche. Elle préfère l’action unilatérale, la démonstration de force, l’imposition de sa volonté. C’est plus rapide, plus spectaculaire, plus satisfaisant politiquement. Mais c’est aussi moins efficace à long terme, plus destructeur des relations internationales, et plus susceptible de créer du ressentiment et de l’instabilité. Les frappes dans les Caraïbes ont déjà tendu les relations avec la Colombie, le Venezuela, et d’autres pays de la région. Elles ont miné la confiance dans le leadership américain. Elles ont renforcé les narratifs anti-américains que les gouvernements autoritaires utilisent pour justifier leur propre répression. À long terme, ces coûts diplomatiques et stratégiques dépasseront probablement largement tout bénéfice tactique à court terme des frappes.
On sait ce qui fonctionne. On a les preuves. Le Portugal, la Suisse, les Pays-Bas — tous ces pays ont montré qu’il existe des alternatives à la militarisation de la lutte contre la drogue. Des alternatives qui réduisent effectivement la consommation, qui sauvent des vies, qui ne créent pas de nouvelles victimes. Mais on les ignore. Parce qu’elles ne sont pas assez spectaculaires. Parce qu’elles nécessitent de la patience et de l’investissement à long terme. Parce qu’elles nécessitent d’admettre que la guerre contre la drogue telle qu’on la mène depuis cinquante ans a échoué. Et ça, apparemment, c’est trop demander. Alors on continue avec les mêmes stratégies ratées, en espérant que cette fois, miraculeusement, elles fonctionneront. C’est la définition de la folie : répéter les mêmes actions en espérant des résultats différents.
Section 13 : vers où allons-nous maintenant
L’escalade inévitable
Si rien ne change, l’escalade semble inévitable. L’administration Trump a déjà identifié des cibles terrestres au Venezuela — ports, pistes d’atterrissage, installations que l’armée vénézuélienne utiliserait prétendument pour le trafic de drogue. Trump a reconnu la possibilité de frappes à l’intérieur du territoire vénézuélien. L’Opération Southern Spear a été officiellement dévoilée, institutionnalisant et pérennisant cette campagne militaire. Tout indique que les frappes vont continuer, s’intensifier, s’étendre géographiquement. Quatre-vingt-sept morts jusqu’à présent. Combien dans six mois ? Dans un an ? Et que se passera-t-il lorsque les États-Unis frapperont effectivement des cibles à l’intérieur du Venezuela ? Le régime de Maduro ne restera pas les bras croisés. Il pourrait riposter, peut-être en soutenant des attaques contre des intérêts américains dans la région, peut-être en intensifiant sa coopération avec la Russie et la Chine. L’escalade pourrait rapidement devenir incontrôlable, menant à un conflit régional aux conséquences imprévisibles.
Il y a aussi le risque de contagion. Si les États-Unis peuvent déclarer unilatéralement que les trafiquants de drogue sont des combattants ennemis et les bombarder partout dans le monde, qu’est-ce qui empêche d’autres pays de faire de même ? La Russie pourrait déclarer que les opposants politiques en exil sont des terroristes et les assassiner. La Chine pourrait déclarer que les militants ouïghours sont des séparatistes et les cibler militairement. La Turquie pourrait intensifier ses frappes contre les Kurdes. Chaque pays pourrait trouver sa propre justification pour contourner le droit international et agir unilatéralement. Le résultat serait un monde encore plus chaotique, encore plus violent, où la force prime sur le droit. C’est exactement ce que le système international d’après-guerre, construit sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, cherchait à prévenir. Mais ce système s’effrite, frappe après frappe, violation après violation. Et personne ne semble capable ou désireux de l’arrêter.
Le coût humain qui continue de grimper
Pendant que les stratèges débattent de géopolitique et de droit international, des gens continuent de mourir. Quatre-vingt-sept jusqu’à présent. Combien d’autres avant que quelqu’un dise stop ? Combien d’autres naufragés seront exécutés ? Combien d’autres familles devront pleurer en silence ? Combien d’autres communautés côtières vivront dans la terreur ? Le coût humain de cette campagne est déjà inacceptable, et il ne fait que grimper. Chaque frappe crée de nouvelles victimes — pas seulement ceux qui meurent directement, mais leurs familles, leurs communautés, tous ceux qui vivent maintenant dans la peur. Et pour quoi ? Les frappes ont-elles réduit le flux de drogue vers les États-Unis ? Aucune preuve n’a été présentée. Ont-elles affaibli les cartels ? Peu probable — tuer quelques trafiquants de bas niveau ne fait qu’ouvrir des opportunités pour d’autres. Ont-elles amélioré la sécurité américaine ? Au contraire, elles ont probablement créé plus de ressentiment anti-américain, plus de motivation pour des représailles potentielles.
Le vrai coût de cette campagne ne se mesure pas seulement en vies perdues, mais aussi en principes abandonnés. Chaque fois qu’on exécute des naufragés, on abandonne un peu plus notre humanité. Chaque fois qu’on contourne le droit international, on affaiblit un peu plus le système qui protège tout le monde. Chaque fois qu’on choisit la force brute plutôt que la justice, on se rapproche un peu plus de la barbarie. Ces coûts sont intangibles, difficiles à quantifier, mais ils sont réels. Ils s’accumulent. Ils nous changent. Ils changent notre société, nos institutions, nos valeurs. Dans vingt ans, quand on regardera en arrière cette période, qu’est-ce qu’on verra ? Une administration qui a eu le courage de prendre des mesures difficiles contre le trafic de drogue ? Ou une administration qui a violé le droit international, exécuté des naufragés, et établi des précédents dangereux qui hanteront les États-Unis pendant des générations ? Je crains que ce soit la seconde option.
Quatre-vingt-sept morts. Quatre-vingt-sept êtres humains. Pas des statistiques. Pas des « narco-terroristes » abstraits. Des personnes avec des noms, des familles, des histoires. Certains étaient probablement de vrais criminels. D’autres étaient peut-être juste des gens désespérés qui ont fait de mauvais choix. Mais tous méritaient mieux que d’être exécutés depuis le ciel sans procès, sans jugement, sans même une chance de se rendre. Et ce nombre va continuer à grimper. Parce que rien n’indique que cette campagne va s’arrêter. Au contraire, tout indique qu’elle va s’intensifier. Plus de frappes. Plus de morts. Plus de violations du droit international. Plus d’érosion de nos principes. Jusqu’où irons-nous ? Où est la ligne qu’on ne franchira pas ? Ou n’y a-t-il plus de ligne du tout ?
Conclusion : le moment de vérité
Une révélation qui change tout
La révélation de l’amiral Bradley selon laquelle les deux survivants n’avaient aucun moyen de communication change fondamentalement la nature de cette affaire. Pendant des mois, l’administration Trump et le Pentagone ont justifié la seconde frappe en affirmant que les survivants pouvaient appeler des renforts, qu’ils représentaient une menace continue, qu’ils pourraient reprendre leurs activités criminelles. Cette justification était déjà fragile — deux hommes naufragés accrochés à un bateau détruit ne constituent pas vraiment une menace militaire imminente. Mais maintenant, même cette justification fragile s’effondre. Ils n’avaient pas de radio. Ils ne pouvaient appeler personne. Ils étaient complètement isolés, impuissants, à la merci des éléments. Et on les a tués quand même. Après 41 minutes de délibération. Après consultation avec un officier juridique. De manière délibérée, calculée, bureaucratique. C’est cette froideur qui rend l’acte encore plus choquant. Ce n’était pas une décision prise dans le feu de l’action, sous la pression du combat. C’était une exécution planifiée, discutée, approuvée par la chaîne de commandement.
Cette révélation devrait être un tournant. Elle devrait déclencher une enquête approfondie, une remise en question de toute la campagne, peut-être même des poursuites pour crimes de guerre. Mais rien n’indique que cela se produira. Les républicains au Congrès continuent de soutenir les frappes. L’administration continue de les défendre. Bradley a été promu, pas sanctionné. Les opérations continuent. Quatre jours après le briefing de Bradley, une nouvelle frappe dans le Pacifique a tué quatre personnes. Le message est clair : cette révélation ne changera rien. L’administration n’a aucune intention de modifier sa politique. Elle considère ces frappes comme légitimes, nécessaires, justifiées. Peu importe ce que disent les experts juridiques, les organisations de droits humains, les instances internationales. Peu importe que les justifications officielles s’effondrent les unes après les autres. La campagne continue. Les morts s’accumulent. Et personne ne semble capable de l’arrêter.
L’appel à la conscience collective
Nous sommes à un moment de vérité. Pas seulement pour l’administration Trump, pas seulement pour les États-Unis, mais pour tous ceux qui se soucient du droit international, des droits humains, de la décence humaine basique. Ce qui se passe dans les Caraïbes et le Pacifique en ce moment est un test. Un test de notre volonté collective de défendre les principes que nous prétendons chérir. Un test de notre capacité à dire non, même quand c’est difficile, même quand c’est impopulaire, même quand ça implique de s’opposer à une grande puissance. Jusqu’à présent, nous échouons ce test. Le Congrès américain est divisé et impuissant. La communauté internationale est largement silencieuse. Les médias couvrent l’histoire, mais elle disparaît rapidement du cycle de l’actualité, remplacée par le prochain scandale, la prochaine controverse. Et pendant ce temps, les frappes continuent. Les gens continuent de mourir. Les principes continuent d’être violés. Si nous laissons cela se produire sans réaction significative, nous établissons un précédent dangereux. Nous disons au monde que les grandes puissances peuvent faire ce qu’elles veulent, que le droit international n’est qu’une suggestion, que la force prime sur le droit.
Mais il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard pour faire ce qui est juste. Le Congrès peut encore agir — pas avec des résolutions symboliques qui échouent de quelques voix, mais avec une législation contraignante qui coupe le financement de ces opérations. Les alliés des États-Unis peuvent encore élever la voix — pas avec des déclarations diplomatiques polies, mais avec des condamnations claires et des menaces de conséquences. Les organisations internationales peuvent encore enquêter — pas avec des rapports qui seront ignorés, mais avec des actions concrètes devant les tribunaux internationaux. Les citoyens peuvent encore se mobiliser — pas avec de l’indignation passagère sur les réseaux sociaux, mais avec une pression soutenue sur leurs représentants, avec des manifestations, avec un refus de normaliser l’inacceptable. Chacun de nous a un rôle à jouer. Chacun de nous porte une part de responsabilité. Parce que le silence est une forme de complicité. L’inaction est une forme d’approbation. Si nous ne faisons rien, nous devenons complices de ces exécutions. Nous devenons complices de l’érosion du droit international. Nous devenons complices de la descente vers un monde où la force brute règne sans contrainte.
Je termine cet article avec un sentiment de colère, de tristesse, mais aussi d’urgence. Colère face à l’injustice flagrante de ces exécutions. Tristesse pour les victimes et leurs familles. Mais surtout, urgence — parce que chaque jour qui passe sans réaction est un jour de plus où ces frappes continuent, où plus de gens meurent, où plus de principes sont violés. On ne peut pas se permettre l’indifférence. On ne peut pas se permettre la résignation. On ne peut pas se permettre de hausser les épaules et de passer à autre chose. Parce que si on le fait, on abandonne quelque chose de fondamental — notre humanité commune, notre engagement envers la justice, notre croyance que certaines lignes ne doivent jamais être franchies. Deux hommes accrochés à un bateau détruit, sans armes, sans radio, sans aucun moyen de se défendre ou de fuir, ont été délibérément tués après 41 minutes de délibération. Si on accepte ça, si on normalise ça, alors on a déjà perdu quelque chose d’essentiel. Alors je vous en supplie : ne restez pas silencieux. Ne détournez pas le regard. Faites quelque chose. N’importe quoi. Mais faites quelque chose.
Sources
Sources primaires
CNN, « Exclusive: Survivors clinging to capsized boat didn’t radio for backup, admiral overseeing double-tap strike tells lawmakers », 4 décembre 2025. The Independent, « Admiral said double-tap boat strike survivors had no way to call for help: report », 5 décembre 2025. The Washington Post, « Video shows second strike hit before survivors could flip boat », 28 novembre 2025. The New York Times, « Hegseth Ordered Lethal Boat Strike but Not the Killing of Survivors », 1er décembre 2025. The Hill, « Bradley to lawmakers: Survivors of boat strike did not radio for backup », 4 décembre 2025. NBC News, « Admiral saw alleged drug boat strike survivors as legitimate targets », 4 décembre 2025.
Sources secondaires
Wikipedia, « 2025 United States military strikes on alleged drug traffickers », consulté le 5 décembre 2025. BBC News, « US authorised second deadly Venezuela boat strike, White House confirms », 2 décembre 2025. Reuters, « Democrats troubled by video of US strike on Caribbean drug boat survivors », 4 décembre 2025. CBS News, « Lawmakers see video of second strike on boat survivors », 4 décembre 2025. The Guardian, « Killing of survivors sparks outrage – but entire US ‘drug boat’ war is unlawful », 4 décembre 2025. Associated Press, « Admiral briefs lawmakers on order that killed boat strike survivors », 4 décembre 2025. NPR, « Did the Trump administration commit a war crime in its attack on a Venezuelan boat », 3 décembre 2025.
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