L’analyse du Washington Post
Le Washington Post a fait ce que personne d’autre n’osait faire : compter. Compter les sièges vides, analyser les données de vente, comparer avec les années précédentes. Le résultat est accablant. Entre le trois septembre et le dix-neuf octobre, sur environ cent quarante-trois mille places disponibles dans les trois principales salles du Kennedy Center, plus de cinquante mille sont restées vacantes. Cinquante mille. Imaginez ces rangées de fauteuils rouges, vides, silencieux, alors que sur scène des artistes donnent tout ce qu’ils ont. L’humiliation pour les performeurs, le gâchis pour l’institution, la perte sèche pour les finances. En deux mille vingt-quatre, à la même période, seulement sept pour cent des billets restaient invendus. En deux mille vingt-trois, vingt pour cent. Cette année? Quarante-trois pour cent. La courbe ne ment pas. Elle plonge, vertigineuse, inexorable.
Mais ce n’est pas tout. Le journal a découvert que le centre distribue massivement des billets gratuits — des « comps » dans le jargon — pour tenter de remplir les salles. Cinq fois plus que les années précédentes. Une pratique désespérée qui masque temporairement le désastre mais aggrave la situation financière. Car un siège occupé gratuitement ne rapporte rien. Pire, il crée l’illusion d’un succès qui n’existe pas. Les employés actuels confirment recevoir bien plus de billets gratuits qu’avant, signe que la direction panique. Cinq spectacles cette saison ont vendu moins de cinquante pour cent de leurs places. Certaines productions ont dû être déplacées dans des salles plus petites. D’autres, purement et simplement annulées. Michael Kaiser, ancien président du Kennedy Center de deux mille un à deux mille quatorze, tire la sonnette d’alarme : « La baisse des ventes de billets ne cause pas seulement un manque à gagner immédiat. Elle compromet aussi les futures levées de fonds. » Car les donateurs sont d’abord des spectateurs. S’ils ne viennent plus, ils ne donnent plus non plus.
Le cas Casse-Noisette
Il y a des symboles qui ne trompent pas. Casse-Noisette en est un. Ce ballet de Tchaïkovski, tradition immuable des fêtes de fin d’année, remplit habituellement les salles sans effort. Les familles viennent en masse, génération après génération, perpétuant un rituel aussi américain que l’arbre de Noël. Au Kennedy Center, c’était une valeur sûre, un pilier financier, un événement qui ne déçevait jamais. Jusqu’à cette année. Les données internes révélées par CNN sont sans appel : environ dix mille billets vendus pour sept représentations, contre quinze mille chacune des quatre années précédentes. Une chute de trente-trois pour cent. Le budget prévoyait un million et demi de dollars de recettes. Le spectacle n’en rapportera qu’un million. Un demi-million de manque à gagner sur une seule production.
Et pour tenter de sauver les apparences, le centre a distribué cinq fois plus de billets gratuits que d’habitude. Résultat : des salles qui semblent pleines mais des caisses qui restent vides. Un porte-parole du Kennedy Center minimise, expliquant que « vendre tous les billets de Casse-Noisette ne paie absolument pas les factures » à cause des coûts de production énormes et des dix-neuf syndicats à rémunérer. Mais cet argument sonne creux. Si même Casse-Noisette ne se vend plus, qu’est-ce qui se vendra? Si la production la plus populaire, la plus familiale, la plus consensuelle de toute la saison peine à remplir les gradins, c’est que le problème dépasse largement la question des coûts. C’est que le public ne veut plus venir. Point. Les familles qui faisaient de cette sortie un rituel annuel choisissent désormais d’aller ailleurs. Ou de rester chez elles. Le Kennedy Center n’est plus un lieu où l’on a envie d’être.
Casse-Noisette qui ne se vend plus. Laissez-moi vous dire ce que ça signifie vraiment. Ça signifie que des parents ont décidé de priver leurs enfants d’une tradition pour ne pas cautionner ce qui se passe. Ça signifie que l’indignation est plus forte que la nostalgie. Plus forte que l’habitude. C’est énorme. Les gens ne boycottent pas à la légère un spectacle qu’ils aiment. Ils le font quand ils n’ont plus le choix, quand leur conscience leur interdit de faire comme si de rien n’était. Et ça, Trump et Grenell ne le comprennent pas. Ils pensent que c’est une question de marketing, de prix, de programmation. Non. C’est une question de valeurs.
Broadway tourne le dos : les annulations en cascade
Hamilton refuse de jouer
Mars deux mille vingt-cinq. L’annonce tombe comme un coup de tonnerre : Hamilton ne viendra pas au Kennedy Center. Le producteur Jeffrey Seller annule la tournée prévue. Hamilton, ce phénomène culturel qui a révolutionné Broadway, ce musical qui raconte l’histoire des pères fondateurs américains en mélangeant hip-hop et histoire, ce spectacle qui affiche complet partout où il passe — Hamilton dit non. Pas à cause de problèmes logistiques. Pas à cause d’un conflit d’agenda. À cause de Trump. À cause de ce que le Kennedy Center est devenu sous sa direction. Seller ne mâche pas ses mots : il refuse de cautionner la transformation de l’institution. Pour le Kennedy Center, c’est un désastre. Hamilton, c’est des semaines de représentations à guichets fermés garantis. Des millions de dollars de recettes. Des retombées médiatiques inestimables. Tout ça, envolé.
Et Hamilton n’est pas seul. D’autres productions de Broadway suivent le mouvement. Certaines annulent discrètement, invoquant des raisons financières — le Kennedy Center exige désormais que chaque spectacle trouve un sponsor pour couvrir les coûts, une condition que beaucoup jugent inacceptable. D’autres sont plus franches : elles ne veulent pas être associées à l’administration Trump. Un ancien employé explique au Washington Post : « L’une des bouées de sauvetage financières du centre, c’est Broadway. Les tournées de Broadway regardent où elles devraient jouer, et dans de nombreux cas, elles choisissent de ne pas venir au Kennedy Center. » Le cercle vicieux s’installe : moins de spectacles attirent moins de public, ce qui décourage encore plus de productions de venir. Les salles se vident, la réputation se dégrade, les artistes fuient. Et pendant ce temps, Grenell accuse les productions annulées d’être « super partisanes de gauche » ou de vouloir que le centre « paie la facture ».
Les artistes qui claquent la porte
Ils étaient des dizaines à être associés au Kennedy Center. Des artistes prestigieux, des créateurs reconnus, des figures qui prêtaient leur nom et leur talent à l’institution. Issa Rae, actrice et productrice. Renée Fleming, soprano de renommée mondiale. Shonda Rhimes, créatrice de séries à succès. Ben Folds, musicien. Tous ont démissionné de leurs rôles de leadership ou annulé leurs événements prévus. Pas en silence, pas discrètement. Publiquement, avec des déclarations qui ne laissent aucun doute sur leurs motivations. Ils ne veulent plus être associés à ce que le Kennedy Center représente désormais. Pour eux, continuer serait trahir leurs valeurs, cautionner une transformation qu’ils jugent désastreuse.
En mai, lors d’une représentation des Misérables, plusieurs membres de la distribution refusent de jouer parce que Trump doit assister au spectacle. Imaginez la scène : des artistes qui renoncent à monter sur scène, qui sacrifient leur performance, parce que la présence du président dans la salle leur est insupportable. C’est du jamais-vu. Le Alvin Ailey American Dance Theater, compagnie de danse prestigieuse qui se produisait au Kennedy Center depuis des décennies, annonce qu’elle ne reviendra plus. Marc Bamuthi Joseph, l’ancien responsable de l’équipe d’impact social, explique : « Vous ne perdez pas seulement la compagnie de danse la plus prestigieuse et la plus ancienne d’Amérique, vous perdez aussi ces publics. Vous retirez littéralement la culture de cet endroit. » Et c’est exactement ce qui se passe. La culture s’en va. Les artistes partent. Et avec eux, leur public.
Quand Hamilton refuse de jouer, ce n’est pas juste une annulation. C’est un acte de résistance. Un refus de normaliser l’inacceptable. Et je sais ce que certains vont dire : « C’est de la politique, l’art devrait rester en dehors. » Mais l’art n’a jamais été en dehors. L’art a toujours été politique, toujours été un miroir tendu à la société, toujours été une arme contre l’injustice. Ces artistes qui partent ne fuient pas — ils se battent. À leur manière. Avec les moyens dont ils disposent. Et leur départ fait plus de bruit que mille discours.
Richard Grenell : l'homme qui voulait tout casser
Un politique à la tête d’une institution culturelle
Richard Grenell n’est pas un homme de culture. C’est un homme politique, un loyaliste de Trump, un ancien ambassadeur en Allemagne et directeur par intérim du renseignement national. Rien dans son parcours ne le prédestinait à diriger la plus importante institution culturelle des États-Unis. Mais Trump l’a choisi précisément pour ça. Parce qu’il n’est pas du sérail. Parce qu’il ne sera pas sentimental. Parce qu’il fera ce qu’on lui demande sans états d’âme. Et ce qu’on lui demande, c’est de transformer radicalement le Kennedy Center. De le rendre « rentable ». De le débarrasser de tout ce qui sent le « woke ». De le transformer en machine à cash et en vitrine du trumpisme. Grenell s’y attelle avec un zèle qui sidère même les plus cyniques.
Sa première décision? Virer massivement. L’équipe de développement qui levait des fonds depuis des années? Liquidée. L’équipe d’impact social qui travaillait avec les communautés locales? Dissoute. Des dizaines d’employés se retrouvent à la porte, remplacés par des alliés politiques. Puis vient la politique du « break-even » : chaque spectacle, chaque événement doit être rentable. Pas de déficit toléré. Pour une organisation à but non lucratif dont la mission est précisément de soutenir des formes d’art qui ne sont pas commercialement viables, c’est un non-sens absolu. Mais Grenell s’en fiche. Il cherche des sponsors pour chaque production, exige des garanties financières, refuse les projets qui ne rapportent pas assez. Le résultat? Des programmations appauvries, des prises de risque artistique nulles, une uniformisation vers le bas. Tout ce qui faisait la richesse et la diversité du Kennedy Center disparaît.
Les accusations de discrimination
Mais le pire, ce sont les témoignages qui émergent. Marc Bamuthi Joseph, l’ancien responsable de l’équipe d’impact social licencié après l’arrivée de Trump, raconte : « Ils nous demandaient spécifiquement si certains artistes étaient trans. Ils ne disaient jamais explicitement ‘Ne faites pas ça’, mais ils rendaient les conditions impossibles pour que les artistes trans et gays viennent en toute sécurité. » Des questions sur l’orientation sexuelle des artistes. Des obstacles mis en place pour décourager certaines programmations. Une atmosphère hostile qui pousse les créateurs LGBTQ+ à fuir. Grenell, interrogé sur ces accusations, se contente de qualifier Joseph de « gauchiste radical ». Pas de démenti. Pas d’explication. Juste une attaque ad hominem.
D’autres employés confirment. L’un d’eux explique : « Dans les premiers mois, il y avait beaucoup d’artistes qui ont décidé de ne tout simplement pas venir. » La réputation du Kennedy Center se dégrade à une vitesse folle. Ce qui était un honneur — jouer au Kennedy Center — devient un problème. Les agents des artistes conseillent à leurs clients d’éviter l’endroit. Les programmateurs d’autres salles se frottent les mains : ce que le Kennedy Center perd, ils le gagnent. Grenell prétend vouloir faire du centre un lieu « où tout le monde est bienvenu ». Mais les faits contredisent ses paroles. Tout le monde n’est pas bienvenu. Seulement ceux qui correspondent à une certaine vision, une certaine esthétique, une certaine politique. Les autres peuvent aller voir ailleurs.
Grenell me fascine et me révulse à la fois. Il incarne cette arrogance du pouvoir qui croit pouvoir tout plier à sa volonté. La culture? Un produit comme un autre. L’art? Une marchandise. Les artistes? Des employés qu’on peut virer si ils ne rentrent pas dans le moule. Et le plus terrible, c’est qu’il ne comprend même pas ce qu’il détruit. Pour lui, c’est juste du business. Mais ce n’est pas du business. C’est notre âme collective qu’il piétine. Notre capacité à rêver, à nous émouvoir, à nous élever. Et ça, ça n’a pas de prix.
Le boycott : quand le public vote avec ses pieds
Une décision collective
Ils ne se sont pas donné le mot. Pas d’organisation, pas de campagne coordonnée, pas de hashtag viral. Et pourtant, ils sont des milliers à avoir pris la même décision : ne plus mettre les pieds au Kennedy Center. Des spectateurs fidèles depuis des décennies, des abonnés qui renouvelaient chaque année, des familles pour qui une sortie au centre était un rituel sacré. Tous ont dit stop. Le boycott n’est pas officiel, mais il est massif. Les employés actuels le confirment : « J’ai entendu des acheteurs de billets dire qu’ils choisissent de ne pas venir à cause de ce que le Kennedy Center représente maintenant. La marque elle-même est devenue polarisante, ce qui est sans précédent dans mon expérience. » Polarisante. Le mot est lâché. Ce qui était un lieu de rassemblement est devenu un lieu de division.
Sur les réseaux sociaux, les témoignages affluent. Des gens qui expliquent pourquoi ils ne reviendront pas. Certains parlent de trahison — le Kennedy Center était censé être au-dessus de la mêlée politique, un sanctuaire de l’art. D’autres évoquent leur conscience — ils ne peuvent pas donner leur argent à une institution dirigée par Trump. D’autres encore mentionnent le malaise — l’idée même de s’asseoir dans ces fauteuils leur est devenue insupportable. Et ce boycott a un effet dévastateur. Car contrairement aux artistes qui peuvent jouer ailleurs, le Kennedy Center, lui, ne peut pas déménager. Il est coincé à Washington, dans une ville où la majorité de la population a voté contre Trump. Il dépend d’un public local qui lui tourne massivement le dos. Les touristes? Ils viennent moins à Washington depuis le déploiement de la Garde nationale et les mesures sécuritaires drastiques. Le Kennedy Center se retrouve isolé, asphyxié.
L’impact sur les abonnements
Les chiffres des abonnements racontent la même histoire. En juin, les données révélaient une chute de un million six cent mille dollars, soit environ trente-six pour cent par rapport aux niveaux de deux mille vingt-quatre. Un million six. Disparus. Évaporés. Ces abonnés qui constituaient la base stable, prévisible, fiable du financement du centre. Partis. Et avec eux, toute la mécanique vertueuse qui faisait fonctionner l’institution. Car un abonné, ce n’est pas juste quelqu’un qui achète des billets. C’est quelqu’un qui s’engage, qui planifie, qui amène des amis, qui parle du centre autour de lui, qui devient souvent un donateur. Michael Kaiser, l’ancien président, l’explique clairement : « La grande majorité des donateurs sont des acheteurs de billets qui souhaitent renforcer leur relation avec l’organisation en faisant des contributions en plus de payer leurs billets. »
Quand les abonnements s’effondrent, c’est tout l’écosystème financier qui vacille. Moins d’abonnés, c’est moins de revenus immédiats. Mais c’est aussi moins de donateurs potentiels, moins de bouche-à-oreille positif, moins de présence dans les salles, moins d’énergie. Un cercle vicieux qui s’auto-alimente. Et Grenell a beau se vanter d’avoir levé cent trente et un millions de dollars auprès de donateurs corporatifs depuis son arrivée, ces chiffres ne compensent pas la perte de la base. Car les donateurs corporatifs donnent pour des raisons différentes — visibilité, relations publiques, avantages fiscaux. Ils ne sont pas là pour l’amour de l’art. Ils peuvent partir aussi vite qu’ils sont venus. Les petits donateurs individuels, eux, étaient là par passion. Ils formaient le socle. Et ce socle se fissure, se fragmente, s’effrite.
Le boycott, c’est l’arme des sans-armes. C’est tout ce qui reste quand on ne peut rien faire d’autre. Et je comprends ces gens qui ne viennent plus. Je comprends leur colère, leur dégoût, leur refus. Mais une partie de moi pleure aussi. Parce que ce sont les artistes qui en pâtissent. Les musiciens, les danseurs, les acteurs qui n’ont rien demandé et qui se retrouvent à jouer devant des salles vides. C’est injuste. Profondément injuste. Mais c’est la seule façon de faire entendre sa voix. Alors ils boycottent. Et le Kennedy Center se meurt.
Trump et sa vision : faire du Kennedy Center un "lieu hot"
Les Kennedy Center Honors version MAGA
Décembre deux mille vingt-cinq. Les Kennedy Center Honors, cette cérémonie prestigieuse qui depuis des décennies célèbre les plus grands artistes américains, ont lieu. Mais cette année, tout est différent. Trump a personnellement choisi les lauréats — il se vante d’avoir été « impliqué à quatre-vingt-dix-huit pour cent » dans la sélection. Fini le processus traditionnel avec comité d’artistes, recommandations du conseil d’administration, consultation du public. Trump décide. Et ses choix reflètent ses goûts : Sylvester Stallone, le groupe de rock KISS, Gloria Gaynor. Des icônes des années quatre-vingt, des figures qui évoquent la nostalgie d’une Amérique fantasmée. Rien de mal à ces artistes en soi. Mais le processus, lui, est révélateur. Le Kennedy Center n’honore plus l’excellence artistique déterminée par des pairs. Il honore ce que Trump aime.
Et Trump ne se contente pas de choisir les lauréats. Il transforme la cérémonie en show personnel. Il préside, il parle, il se met en scène. Les médaillons traditionnels avec leur ruban arc-en-ciel? Redessinés. Le symbole de diversité et d’inclusion? Effacé. Trump veut que tout porte sa marque, reflète sa vision. Il parle du « Trump Kennedy Center » — oui, il ajoute son nom, comme si l’institution lui appartenait. Il promet des rénovations spectaculaires : le marbre extérieur restauré, les sièges intérieurs refaits, les scènes « entièrement » rénovées. Deux cent cinquante-sept millions de dollars alloués par le Congrès dans son « One Big Beautiful Bill ». De l’argent public pour transformer le Kennedy Center selon ses goûts. Et pendant ce temps, les artistes fuient et les salles se vident.
La FIFA et le mépris de la culture
Cinq décembre deux mille vingt-cinq. Le Kennedy Center accueille le tirage au sort de la Coupe du Monde de la FIFA. Un événement sportif dans un temple de la culture. Pourquoi? Parce que Trump le veut. Parce que ça fait du spectacle. Parce que ça rapporte — sept millions quatre cent mille dollars selon le centre, bien que les documents internes révèlent des coûts de plus de cinq millions. Mais pour accueillir cet événement, il faut déplacer des spectacles prévus. L’Orchestre symphonique national, résident permanent du centre? Annulé. Une production de la Symphonie numéro six de Gustav Mahler? Reportée. Des mois de préparation, des artistes engagés, un public qui avait acheté ses billets — tout ça balayé pour faire de la place au football.
C’est symbolique. Profondément symbolique. Le Kennedy Center n’est plus un lieu où la culture prime. C’est un lieu où tout peut être sacrifié pour le spectacle, l’argent, l’image. Grenell défend la décision en parlant de rentabilité. Mais le Kennedy Center est une organisation à but non lucratif. Sa mission n’est pas de faire du profit. Sa mission est de soutenir l’art, y compris — surtout — les formes d’art qui ne sont pas commercialement viables. L’opéra ne rapporte pas d’argent. La danse contemporaine ne remplit pas les salles. La musique classique ne fait pas de bénéfices. Mais elles existent, elles enrichissent, elles élèvent. C’est pour ça que le Kennedy Center existe. Ou existait. Car sous Trump et Grenell, cette mission est abandonnée. Seul compte ce qui rapporte, ce qui fait du bruit, ce qui plaît aux masses. Le reste peut crever.
Quand j’ai appris que la FIFA avait pris la place de Mahler, j’ai eu envie de hurler. Pas contre le football — j’aime le football. Mais contre ce que ça représente. Cette idée que tout se vaut, que tout peut être remplacé, que l’art n’a de valeur que s’il rapporte. C’est faux. Archi-faux. L’art a une valeur intrinsèque. Il nous rend meilleurs, plus humains, plus vivants. Et quand on le sacrifie sur l’autel du profit, on perd quelque chose d’essentiel. Quelque chose qu’on ne retrouvera jamais.
Les employés témoignent : l'enfer au quotidien
Un climat de peur
Ils parlent sous couvert d’anonymat. Parce qu’ils ont peur. Peur de perdre leur emploi, peur des représailles, peur de la machine Trump. Mais ils parlent quand même. Parce que le silence serait pire. Les témoignages d’employés actuels et anciens du Kennedy Center dressent un tableau glaçant. Un climat de travail toxique, une pression constante, une surveillance permanente. « Ces chiffres sont probablement plus graves qu’ils n’y paraissent, car ils ne tiennent pas compte des productions annulées ou des spectacles déplacés dans des salles plus petites en raison de ventes de billets faibles », explique un ancien membre du personnel. La réalité est pire que ce que les chiffres montrent. Parce que les chiffres ne capturent pas tout. Ils ne capturent pas les projets abandonnés avant même d’être annoncés. Les artistes qui refusent de venir. Les idées tuées dans l’œuf.
Un employé actuel confie : « La baisse des ventes de billets ne peut pas simplement être attribuée aux coûts ou à la programmation. Elle semble directement liée au changement de leadership du nouveau régime et au climat politique plus large. » Le nouveau régime. Les mots sont choisis avec soin. Ce n’est plus une administration, c’est un régime. Avec tout ce que ça implique de contrôle, de surveillance, de répression. Un autre témoigne : « J’ai entendu des acheteurs de billets dire qu’ils choisissent de ne pas venir à cause de ce que le Kennedy Center représente maintenant. La marque elle-même est devenue polarisante, ce qui est sans précédent dans mon expérience. » Polarisante. Un lieu qui devrait unir divise. Un lieu qui devrait accueillir repousse. Et les employés, coincés au milieu, essaient de faire leur travail dans des conditions impossibles.
Les licenciements massifs
Grenell n’a pas perdu de temps. Dès son arrivée, il a commencé à virer. L’équipe de développement qui avait construit patiemment un réseau de quarante mille donateurs individuels? Liquidée. Marc Bamuthi Joseph et toute son équipe d’impact social qui travaillaient avec les communautés locales, les écoles, les groupes marginalisés? Virés. Des dizaines d’employés expérimentés, qui connaissaient l’institution sur le bout des doigts, qui avaient des relations avec les artistes, qui savaient comment faire fonctionner une organisation culturelle complexe — tous remplacés par des loyalistes politiques sans expérience dans le domaine. Le résultat? Un chaos organisationnel. Des décisions prises sans comprendre leurs implications. Des relations détruites. Un savoir-faire perdu.
Et ceux qui restent vivent dans la peur. Peur de dire ce qu’ils pensent. Peur de défendre leurs idées. Peur de faire leur travail comme ils le faisaient avant. Les réunions du conseil d’administration sont devenues des séances d’allégeance où chacun doit louer Trump et sa vision. Ceux qui osent exprimer des doutes sont écartés. L’atmosphère est étouffante. « Tout compte fait, ce n’est pas une situation viable », résume sobrement un employé. Pas viable. Le mot est faible. C’est une catastrophe en cours. Une implosion au ralenti. Et ceux qui la vivent de l’intérieur savent que ça ne peut pas durer. Mais ils ne savent pas comment l’arrêter. Alors ils témoignent, anonymement, espérant que quelqu’un, quelque part, fera quelque chose.
Ces témoignages me hantent. Ces gens qui vont travailler chaque jour dans un endroit qu’ils ne reconnaissent plus. Qui font semblant, qui sourient, qui exécutent les ordres tout en sachant que c’est faux, que c’est mal, que ça détruit tout ce qu’ils ont construit. Quelle torture. Quel gâchis. Et je pense à tous ces talents perdus, toute cette expertise jetée aux ordures parce qu’elle ne rentrait pas dans le moule MAGA. C’est criminel. Vraiment criminel.
Le coût financier : une hémorragie sans fin
Les pertes de revenus
Les chiffres donnent le vertige. Un million six cent mille dollars de pertes sur les abonnements. Un demi-million sur Casse-Noisette. Des millions sur les productions de Broadway annulées. Des millions encore sur les spectacles déplacés dans des salles plus petites ou purement et simplement supprimés. Et ce ne sont que les pertes directes, celles qu’on peut quantifier. Il y a aussi les pertes indirectes, impossibles à chiffrer précisément mais tout aussi réelles. Les donateurs qui ne donnent plus. Les sponsors qui se retirent discrètement. Les revenus annexes — restauration, parking, boutiques — qui s’effondrent avec la fréquentation. Un ancien employé compare la situation à celle de la pandémie de COVID-19. Mais c’est pire, dit-il. Pendant la pandémie, le monde entier était à l’arrêt. C’était une catastrophe externe, temporaire. Là, c’est une catastrophe interne, auto-infligée, potentiellement permanente.
Michael Kaiser, qui a dirigé le Kennedy Center pendant treize ans, sait de quoi il parle. Sous sa présidence, l’institution avait quarante mille donateurs individuels généreux. Ces gens formaient « la fondation de tout ce que nous avons accompli ». Ils donnaient parce qu’ils aimaient le centre, parce qu’ils y allaient régulièrement, parce qu’ils voulaient soutenir sa mission. Aujourd’hui, combien reste-t-il de ces donateurs? Combien ont claqué la porte? Combien ne reviendront jamais? Kaiser prévient : si les ventes de billets ne remontent pas, les levées de fonds futures seront compromises. C’est mathématique. Les gens ne donnent pas à des institutions qu’ils ne fréquentent pas. Et ils ne fréquentent pas des institutions qu’ils désapprouvent. Le Kennedy Center est pris dans une spirale descendante dont il sera très difficile de sortir.
La dépendance aux fonds publics
Le Kennedy Center dépend du Congrès pour ses installations. C’est une particularité de son statut : monument national, institution fédérale. Et Trump a obtenu deux cent cinquante-sept millions de dollars dans son « One Big Beautiful Bill » pour des rénovations. Une somme colossale. Mais cette dépendance est aussi une vulnérabilité. Car le Congrès peut donner, mais il peut aussi reprendre. Et les démocrates, qui contrôlent une partie du Congrès, commencent à poser des questions. Le sénateur Sheldon Whitehouse, démocrate de Rhode Island et membre influent du Comité sur l’environnement et les travaux publics, a lancé une enquête. Il accuse le Kennedy Center d’être utilisé comme « une caisse noire et un club privé pour les amis et alliés politiques de Trump ».
Whitehouse a obtenu des documents internes qui révèlent des dépenses douteuses. Le tirage de la FIFA qui aurait coûté plus de cinq millions de dollars pour rapporter sept millions quatre cent mille — si on en croit les chiffres du centre, qui n’a fourni aucune documentation détaillée. Des contrats attribués à des entreprises liées à des alliés de Trump. Des dépenses somptuaires pour des événements privés. Une gestion opaque qui ressemble plus à celle d’un club privé que d’une institution publique. Si l’enquête révèle des irrégularités, le Congrès pourrait couper les vivres. Et sans financement fédéral, le Kennedy Center ne peut pas survivre. Pas dans son état actuel. Pas avec des salles vides et des revenus en chute libre. Trump joue avec le feu. Et c’est l’institution qui risque de brûler.
L’argent. Toujours l’argent. Trump ne comprend que ça. Pour lui, tout se mesure en dollars. Le succès, c’est le profit. L’échec, c’est la perte. Mais l’art ne fonctionne pas comme ça. L’art ne se mesure pas en bilans comptables. Sa valeur est ailleurs — dans ce qu’il nous fait ressentir, dans ce qu’il nous apprend, dans ce qu’il nous laisse. Et quand on essaie de le réduire à une question de rentabilité, on le tue. C’est exactement ce qui se passe au Kennedy Center. On tue l’art au nom du profit. Et on s’étonne que les gens ne viennent plus.
Broadway en crise : un contexte plus large
La baisse générale des ventes
Il serait malhonnête de ne pas mentionner le contexte. Broadway dans son ensemble connaît des difficultés. Le New York Times a publié en septembre un rapport sur la baisse de rentabilité des comédies musicales. Les coûts de production explosent, les prix des billets atteignent des sommets, et pourtant les salles ne se remplissent plus comme avant. La pandémie a changé les habitudes. Les gens sont plus sélectifs, plus prudents avec leur argent. Le streaming a créé une concurrence féroce pour le temps de loisir. Et l’inflation grignote les budgets des ménages. Tout ça est vrai. Tout ça joue un rôle. Mais ça n’explique pas tout. Parce que si c’était juste une question de contexte économique, toutes les salles seraient touchées de la même manière. Or ce n’est pas le cas.
D’autres institutions culturelles à Washington continuent d’attirer du public. Le National Theatre, par exemple, affiche des taux de remplissage corrects. Le Warner Theatre aussi. Même chose pour les salles de concert indépendantes. Elles souffrent du contexte général, certes, mais pas dans les mêmes proportions que le Kennedy Center. La différence? Elles ne sont pas dirigées par Trump. Elles n’ont pas subi de purge politique. Elles n’ont pas vu leurs équipes décimées et remplacées par des loyalistes sans expérience. Elles continuent de faire ce qu’elles ont toujours fait : programmer de l’art de qualité, traiter les artistes avec respect, servir leur public. Et leur public le leur rend. Le Kennedy Center, lui, a choisi une autre voie. Et il en paie le prix.
Washington sous pression
Il y a aussi la question de Washington DC elle-même. La ville a changé depuis le retour de Trump au pouvoir. Le déploiement de la Garde nationale, les mesures de sécurité drastiques, l’atmosphère tendue — tout ça a un impact sur le tourisme et la vie nocturne. Le Washington Post rapporte que les restaurants voient leur fréquentation baisser. Les hôtels peinent à remplir leurs chambres. Les touristes, qui représentaient une part importante du public du Kennedy Center, viennent moins. Certains par peur, d’autres par principe. Washington est devenue une ville polarisée, une ville où chaque sortie peut sembler être un acte politique. Et dans ce contexte, le Kennedy Center, avec Trump à sa tête, cristallise toutes les tensions.
Mais là encore, ce contexte n’explique pas tout. D’autres attractions touristiques continuent de fonctionner. Les musées de la Smithsonian Institution restent populaires. Le Mémorial de Lincoln attire toujours les foules. La différence, c’est que ces lieux ne sont pas associés à Trump. Ils restent neutres, au-dessus de la mêlée. Le Kennedy Center, lui, a perdu cette neutralité. Il est devenu un symbole, un champ de bataille. Et dans une ville aussi divisée que Washington, être un symbole, c’est être une cible. Les gens qui soutiennent Trump y vont peut-être plus volontiers. Mais ils sont largement minoritaires dans la capitale. Et ceux qui s’opposent à lui — la majorité — boycottent. Le calcul politique de Trump était peut-être bon à l’échelle nationale. Mais à Washington, c’est un désastre.
Oui, Broadway souffre. Oui, Washington est tendue. Mais arrêtons de chercher des excuses. Le Kennedy Center s’effondre parce que Trump l’a tué. Point. Pas à cause du contexte, pas à cause de la conjoncture, pas à cause de forces extérieures. À cause de décisions délibérées, de choix politiques, de mépris pour l’art et la culture. Et tant qu’on ne le dira pas clairement, tant qu’on continuera à noyer le poisson dans des explications contextuelles, rien ne changera. Il faut appeler un chat un chat. Trump a détruit le Kennedy Center. Voilà la vérité.
Les rénovations : du marbre et des promesses
Deux cent cinquante-sept millions de dollars
Trump adore parler des rénovations. C’est concret, c’est visible, c’est quelque chose qu’il peut montrer. Deux cent cinquante-sept millions de dollars alloués par le Congrès dans son « One Big Beautiful Bill ». Une somme astronomique pour restaurer le marbre extérieur, refaire les sièges intérieurs, rénover les scènes. Trump promet que tout sera terminé en un an. Il parle de « restauration complète », de « rénovation totale ». Il veut que le Kennedy Center brille, qu’il soit magnifique, qu’il porte sa marque. Et il est vrai que le bâtiment, construit dans les années soixante, a besoin d’entretien. Le marbre s’effrite, les installations vieillissent, certaines infrastructures sont obsolètes. Personne ne conteste la nécessité de travaux. Mais deux cent cinquante-sept millions? Pour quoi exactement?
Les détails sont flous. Très flous. Aucun plan précis n’a été rendu public. Aucun calendrier détaillé. Aucune liste de priorités. Juste des promesses vagues et des chiffres impressionnants. Et pendant ce temps, les spectacles sont perturbés. Des salles fermées pour travaux, des productions déplacées, des nuisances sonores. Le public qui vient déjà moins est encore plus découragé. Car qui a envie de payer plein tarif pour un spectacle dans un chantier? Les rénovations, nécessaires en théorie, deviennent un prétexte pour justifier les mauvais résultats. « C’est à cause des travaux », dit-on. Mais les travaux n’expliquent pas pourquoi les gens boycottent. Ils n’expliquent pas pourquoi les artistes refusent de venir. Ils n’expliquent pas pourquoi les abonnements s’effondrent. Les rénovations sont un écran de fumée. Une distraction. Pendant qu’on parle de marbre et de sièges, on évite de parler de l’essentiel : la programmation, la mission, les valeurs.
L’esthétique Trump
Car ce qui intéresse vraiment Trump, ce n’est pas la fonctionnalité. C’est l’esthétique. Son esthétique. Dorée, clinquante, ostentatoire. Il veut que le Kennedy Center ressemble à ses hôtels, à ses casinos, à ses clubs. Du luxe tape-à-l’œil, du bling-bling, du « classe » selon sa définition très personnelle du terme. Et peu importe si ça correspond ou non à l’esprit du lieu. Peu importe si ça respecte ou non l’architecture originale de Edward Durell Stone. Trump veut sa marque partout. Il parle du « Trump Kennedy Center » comme si c’était naturel, comme si son nom devait figurer sur le fronton. Et peut-être qu’un jour il y figurera. Peut-être qu’il réussira à apposer son nom en lettres dorées sur ce monument dédié à un président qu’il n’a jamais admiré.
Les employés racontent que les réunions du conseil d’administration ressemblent à des séances de design d’intérieur. On parle de couleurs, de tissus, de finitions. On discute de l’apparence, de l’image, du « look ». Mais on ne parle pas d’art. On ne parle pas de programmation. On ne parle pas de mission. Comme si le Kennedy Center était un décor, un plateau de cinéma, une coquille vide qu’on peut habiller selon ses goûts. Et pendant qu’on choisit des échantillons de marbre, les artistes partent, le public déserte, l’institution agonise. Mais qu’importe, tant que c’est beau. Tant que ça brille. Tant que ça porte le nom de Trump.
Deux cent cinquante-sept millions. Je ne peux pas m’empêcher de penser à tout ce qu’on pourrait faire avec cet argent. Combien de spectacles on pourrait financer. Combien d’artistes on pourrait soutenir. Combien de programmes éducatifs on pourrait créer. Mais non. On va le dépenser pour du marbre et des sièges. Pour que ça ait l’air « classe ». Pour que Trump puisse se pavaner et dire « Regardez ce que j’ai fait ». C’est obscène. Vraiment obscène. Et le pire, c’est que cet argent vient de nos impôts. C’est notre argent qu’il dépense pour satisfaire son ego.
Les enquêtes du Congrès : la justice se réveille
Sheldon Whitehouse mène la charge
Le sénateur Sheldon Whitehouse n’est pas du genre à laisser passer. Démocrate de Rhode Island, membre influent du Comité sur l’environnement et les travaux publics — le comité qui supervise le financement du Kennedy Center —, il a lancé une enquête officielle en novembre. Son accusation est grave : le Kennedy Center serait utilisé comme « une caisse noire et un club privé pour les amis et alliés politiques de Trump ». Whitehouse a obtenu des documents internes qui révèlent des pratiques douteuses. Des contrats attribués sans appel d’offres. Des dépenses somptuaires pour des événements privés. Une gestion opaque qui soulève de sérieuses questions sur l’utilisation des fonds publics. Et il ne lâche pas. Il exige des réponses, des justifications, des preuves.
Dans une lettre adressée à Grenell, Whitehouse liste ses préoccupations. Le coût réel du tirage de la FIFA — cinq millions de dollars selon les documents internes, sept millions quatre cent mille de revenus selon le centre, mais aucune documentation détaillée fournie. Les licenciements massifs suivis d’embauches de loyalistes politiques. La transformation de la mission de l’institution. L’utilisation des installations pour des événements partisans. Whitehouse ne mâche pas ses mots : « Le peuple américain mérite de savoir si ses impôts sont utilisés correctement ou détournés pour servir les intérêts personnels et politiques du président. » C’est une attaque frontale. Et elle fait mouche. Car même les républicains modérés commencent à se poser des questions. Même ceux qui soutiennent généralement Trump trouvent que ça va trop loin.
Les révélations embarrassantes
Les documents obtenus par Whitehouse révèlent des détails gênants. Des réunions du conseil d’administration organisées à Palm Beach, en Floride, à mille kilomètres de Washington. Pourquoi? Pour que Trump puisse y assister sans se déplacer. Pour que les membres du conseil puissent profiter de Mar-a-Lago. Pour transformer une réunion de travail en week-end de luxe aux frais du contribuable. L’invitation obtenue par CNN promet « un programme complet d’événements ». Pas une réunion de travail. Des événements. Du divertissement. Du networking. Le Kennedy Center devient un outil de relations publiques pour Trump, un moyen de récompenser ses alliés, de cultiver ses relations, de renforcer son réseau.
Il y a aussi les contrats. Des entreprises liées à des donateurs de Trump qui obtiennent des marchés sans appel d’offres. Des prestataires choisis pour leur loyauté politique plutôt que pour leur compétence. Des surfacturations suspectes. Rien d’illégal en apparence — Trump et son équipe sont trop malins pour ça. Mais tout est limite, tout flirte avec la ligne rouge, tout sent mauvais. Et Whitehouse creuse. Il demande des documents, des emails, des factures. Il convoque des témoins. Il construit son dossier méthodiquement. Car il sait que s’il veut faire tomber Trump, il lui faut des preuves en béton. Des preuves que même les républicains ne pourront pas ignorer. Et il semble déterminé à les trouver.
Whitehouse est un héros. Voilà, je l’ai dit. Dans un monde où tant de politiciens regardent ailleurs, où tant de gens préfèrent ne pas savoir, lui se bat. Il pose les questions qui dérangent. Il exige les réponses qu’on ne veut pas donner. Et je sais qu’il ne gagnera probablement pas. Je sais que Trump s’en sortira, comme toujours. Mais au moins, quelqu’un aura essayé. Au moins, quelqu’un aura dit non. Et ça compte. Ça compte énormément.
Les artistes en exil : où vont-ils?
Les salles concurrentes se frottent les mains
Ce que le Kennedy Center perd, d’autres le gagnent. Le National Theatre, le Warner Theatre, le Lincoln Theatre — toutes les salles de Washington voient leur programmation s’enrichir. Des spectacles qui auraient dû se produire au Kennedy Center atterrissent chez eux. Des artistes qui refusent de jouer dans l’institution de Trump acceptent volontiers de se produire ailleurs. Et le public suit. Les gens qui boycottent le Kennedy Center ne boycottent pas la culture. Ils vont simplement ailleurs. Ils achètent leurs billets dans d’autres salles, soutiennent d’autres institutions, créent de nouveaux rituels. Le Kennedy Center pensait avoir le monopole de la culture à Washington. Il découvre qu’il se trompait. Qu’il était juste le plus prestigieux, le plus visible. Mais pas indispensable.
Et ce n’est pas seulement à Washington. New York, Philadelphie, Baltimore — toutes les grandes villes de la côte Est bénéficient de l’exode. Les tournées de Broadway qui évitaient le Kennedy Center s’arrêtent dans d’autres villes. Les compagnies de danse qui refusent d’y danser trouvent d’autres scènes. Les orchestres qui ne veulent plus y jouer remplissent d’autres salles de concert. C’est une redistribution massive de la carte culturelle américaine. Et le Kennedy Center, qui était au centre, se retrouve marginalisé. Pas parce qu’il manque de moyens — il a deux cent cinquante-sept millions de dollars de rénovations. Pas parce qu’il manque de visibilité — c’est toujours un monument national. Mais parce qu’il a perdu sa légitimité. Parce que personne ne veut plus être associé à ce qu’il représente.
Le cas Alvin Ailey
Le départ du Alvin Ailey American Dance Theater est particulièrement symbolique. Cette compagnie, fondée en mille neuf cent cinquante-huit par le chorégraphe Alvin Ailey, est une institution dans l’institution. Elle se produisait au Kennedy Center depuis des décennies, une tradition aussi solide que Casse-Noisette. Ses spectacles mélangeaient danse moderne, ballet, jazz, traditions africaines-américaines. C’était de l’art exigeant, magnifique, profondément américain. Et c’était populaire. Les salles se remplissaient, le public adorait, les critiques encensaient. Mais la compagnie a annoncé qu’elle ne reviendrait plus. Pas à cause d’un conflit financier. Pas à cause d’un problème logistique. À cause de Trump. À cause de ce que le Kennedy Center est devenu.
Marc Bamuthi Joseph, l’ancien responsable de l’équipe d’impact social, explique l’importance de cette perte : « Vous ne perdez pas seulement la compagnie de danse la plus prestigieuse et la plus ancienne d’Amérique, vous perdez aussi ces publics. » Car Alvin Ailey amenait son public. Un public diversifié, jeune, passionné. Un public qui découvrait le Kennedy Center à travers la danse et revenait ensuite pour d’autres spectacles. Un public qui faisait vivre l’institution. Et ce public ne viendra plus. Il suivra Alvin Ailey ailleurs. Et le Kennedy Center se retrouvera avec un public plus vieux, plus blanc, plus conservateur. Plus petit aussi. Beaucoup plus petit. La diversité qui faisait sa richesse disparaît. Et avec elle, une partie de son âme.
Alvin Ailey qui part. Je ne m’en remets pas. Cette compagnie qui incarnait tout ce que l’Amérique a de meilleur — la diversité, la créativité, l’excellence, la résilience. Cette compagnie qui racontait l’histoire noire américaine à travers la danse, qui célébrait la culture, qui élevait l’art. Partie. À cause de Trump. À cause de son mépris, de son ignorance, de sa bêtise. Et je me demande s’il réalise ce qu’il a perdu. Probablement pas. Pour lui, c’est juste une compagnie de danse de plus. Mais pour nous, c’était tellement plus. C’était notre fierté. Notre héritage. Notre avenir. Et maintenant, c’est fini.
L'avenir incertain : peut-on sauver le Kennedy Center?
Les scénarios possibles
Que va-t-il se passer? Personne ne le sait vraiment. Plusieurs scénarios sont possibles. Le premier, le plus optimiste : Trump se lasse. Il passe à autre chose, comme il le fait toujours. Le Kennedy Center cesse d’être une priorité pour lui. Grenell part, remplacé par quelqu’un de plus compétent, de moins idéologique. L’institution se reconstruit lentement, patiemment. Les artistes reviennent. Le public aussi. Ça prendra des années, peut-être une décennie. Mais c’est possible. Le deuxième scénario : le statu quo. Trump reste impliqué, Grenell reste en place, la situation continue de se dégrader. Les salles se vident de plus en plus. Les finances s’effondrent. L’institution survit grâce aux fonds publics mais devient une coquille vide, un monument sans âme, un bâtiment magnifique où personne ne va.
Le troisième scénario, le plus pessimiste : l’effondrement total. Les enquêtes du Congrès révèlent des malversations graves. Le financement fédéral est coupé. Les donateurs privés fuient. Le Kennedy Center ne peut plus payer ses factures, ses employés, ses artistes. Il ferme. Ou il est vendu, privatisé, transformé en autre chose. Un hôtel de luxe, peut-être. Un centre de congrès. Quelque chose de rentable. Quelque chose qui n’a plus rien à voir avec l’art ou la culture. Un cauchemar, mais pas impossible. Car Trump a déjà détruit des institutions qui semblaient indestructibles. Pourquoi pas celle-ci? Et le quatrième scénario, le plus improbable mais pas impossible : la révolte. Les employés se syndiquent, se battent. Les artistes s’organisent, font pression. Le public se mobilise, manifeste. Le Congrès intervient, force un changement de direction. Trump est écarté, Grenell viré. L’institution est sauvée in extremis.
Les leçons à tirer
Quel que soit le scénario qui se réalise, il y a des leçons à tirer. La première : les institutions culturelles sont fragiles. Plus fragiles qu’on ne le pense. Elles dépendent de la confiance du public, de la bonne volonté des artistes, de la générosité des donateurs. Quand cette confiance est trahie, tout s’effondre très vite. La deuxième leçon : l’art et la politique ne font pas bon ménage. Pas quand la politique domine, quand elle impose sa logique, quand elle transforme la culture en outil de propagande. L’art a besoin d’indépendance, de liberté, d’espace pour respirer. Quand on l’étouffe, il meurt. La troisième leçon : le public a du pouvoir. Plus qu’on ne le croit. Quand il boycotte, quand il refuse, quand il dit non, ça a un impact. Énorme. Les sièges vides du Kennedy Center le prouvent.
Et la quatrième leçon, peut-être la plus importante : on ne peut pas tout mesurer en dollars. La valeur d’une institution culturelle ne se résume pas à son bilan financier. Elle se mesure à son impact sur la société, à sa capacité à élever, à inspirer, à rassembler. Le Kennedy Center valait bien plus que ce qu’il rapportait. Il valait pour ce qu’il représentait, pour ce qu’il permettait, pour ce qu’il incarnait. Et quand on a voulu le transformer en entreprise rentable, on a détruit cette valeur. On a tué la poule aux œufs d’or en essayant de la faire pondre plus vite. C’est une erreur classique. Une erreur stupide. Une erreur que Trump et Grenell sont en train de payer. Mais c’est nous tous qui en souffrons. Car le Kennedy Center n’appartient pas à Trump. Il nous appartient. À tous. Et le voir agoniser, c’est une partie de nous qui meurt.
Je veux croire au premier scénario. Je veux croire que le Kennedy Center survivra, qu’il se relèvera, qu’il redeviendra ce qu’il était. Mais je suis réaliste. Je sais que les blessures sont profondes. Je sais que la confiance, une fois perdue, est difficile à reconquérir. Je sais que certains artistes ne reviendront jamais, que certains spectateurs ne franchiront plus jamais ces portes. Le mal est fait. Profond. Peut-être irréversible. Et ça me brise le cœur. Vraiment. Parce que le Kennedy Center méritait mieux. Nous méritions mieux.
Conclusion : le prix de l'ego
Un désastre annoncé
Tout était prévisible. Dès l’instant où Trump a annoncé sa prise de contrôle du Kennedy Center, dès qu’il a viré le conseil d’administration, dès qu’il a installé Grenell, tout le monde savait que ça finirait mal. Les experts de la culture ont tiré la sonnette d’alarme. Les anciens employés ont prévenu. Les artistes ont protesté. Mais personne n’a écouté. Ou plutôt, ceux qui avaient le pouvoir d’empêcher ça n’ont rien fait. Et maintenant, nous en sommes là. Quarante-trois pour cent de sièges vides. Des millions de dollars de pertes. Une institution agonisante. Un désastre qui était écrit d’avance mais qu’on a laissé se produire. Parce que Trump voulait sa victoire symbolique. Parce qu’il voulait apposer sa marque sur un monument national. Parce que son ego passait avant tout le reste.
Et le plus tragique, c’est que ça aurait pu être différent. Si Trump avait vraiment voulu « rendre le Kennedy Center hot à nouveau », il aurait pu le faire intelligemment. Augmenter les budgets de programmation. Attirer les plus grands artistes du monde. Rendre les billets plus accessibles. Investir dans l’éducation artistique. Créer des partenariats avec d’autres institutions. Il y avait mille façons de revitaliser le Kennedy Center sans le détruire. Mais ça aurait demandé de l’humilité. De l’écoute. Du respect pour ceux qui connaissent le domaine. Et Trump n’a rien de tout ça. Il a de l’arrogance, de la certitude, de l’ego. Et c’est avec ça qu’il a dirigé. Avec les résultats qu’on connaît. Un échec retentissant. Un gâchis monumental. Une tragédie culturelle.
L’héritage empoisonné
Que restera-t-il de tout ça? Quel sera l’héritage de Trump au Kennedy Center? Des salles vides. Des artistes en exil. Un public qui a tourné le dos. Une institution affaiblie, peut-être mortellement. Et pour quoi? Pour satisfaire l’ego d’un homme. Pour lui permettre de dire « J’ai pris le contrôle du Kennedy Center ». Pour ajouter une ligne à son CV. C’est pathétique. Vraiment pathétique. Et le pire, c’est qu’il ne comprendra probablement jamais ce qu’il a détruit. Pour lui, ce sera juste un échec de plus, une affaire qui n’a pas marché, un investissement qui n’a pas rapporté. Il passera à autre chose sans un regard en arrière. Mais nous, nous resterons avec les décombres. Avec le souvenir de ce que le Kennedy Center était. Avec la douleur de ce qu’il aurait pu continuer à être.
Et peut-être que dans quelques années, quand Trump ne sera plus là, quelqu’un essaiera de reconstruire. De redonner au Kennedy Center sa mission, ses valeurs, son âme. Ça prendra du temps. Beaucoup de temps. Il faudra reconquérir la confiance des artistes, du public, des donateurs. Il faudra prouver que le changement est réel, durable, sincère. Il faudra effacer la marque de Trump, littéralement et figurativement. Retirer son nom si jamais il a réussi à l’apposer. Redéfinir l’identité de l’institution. Recréer une communauté. C’est possible. Difficile, mais possible. D’autres institutions ont survécu à des crises similaires. Mais elles en sont sorties transformées, diminuées, marquées à jamais. Le Kennedy Center ne sera plus jamais ce qu’il était. Trump aura gagné ça, au moins. Il aura laissé sa marque. Une cicatrice indélébile sur le visage de la culture américaine.
Je termine cet article avec un sentiment de rage et de tristesse mêlées. Rage contre Trump, contre Grenell, contre tous ceux qui ont laissé faire. Tristesse pour ce qui est perdu, pour ce qui ne reviendra jamais. Le Kennedy Center était un symbole d’espoir, de beauté, d’excellence. Un lieu où l’art transcendait les divisions, où la culture nous élevait au-dessus de nos petitesses. Et maintenant? Maintenant c’est un champ de bataille, un symbole de division, un monument à l’ego d’un homme. Je ne sais pas si on pourra le sauver. Je ne sais même pas si on devrait essayer. Peut-être qu’il faut le laisser mourir. Peut-être qu’il faut construire autre chose, ailleurs, quelque chose de nouveau qui ne portera jamais la marque de Trump. Ou peut-être qu’il faut se battre. Se battre pour le reprendre, le nettoyer, le purifier. Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que ça fait mal. Profondément, viscéralement mal. Et que cette douleur ne partira pas de sitôt.
Sources
Sources primaires
Washington Post, « Kennedy Center ticket sales have plummeted since Trump takeover », par Travis M. Andrews, Jeremy B. Merrill et Shelly Tan, publié le 31 octobre 2025. The Guardian, « Kennedy Center ticket sales fall to lowest in years after Trump’s takeover », par Anna Betts, publié le 31 octobre 2025. The Daily Beast, « Trump Takeover Dooms Kennedy Center Shows as Audiences Stay Away », par Ewan Palmer, publié le 31 octobre 2025. CNN Politics, « Inside Trump’s transformation of the Kennedy Center », par Betsy Klein, publié le 6 décembre 2025.
Sources secondaires
The Hill, « Ticket sales plummet at Kennedy Center after Trump takeover », publié en octobre 2025. Playbill, « Report: Kennedy Center Ticket Sales Fall Sharply After Trump’s Takeover », publié en 2025. New Republic, « Trump’s Takeover of Kennedy Center Leads to Stunning Sales Collapse », publié en 2025. The Violin Channel, « Kennedy Center’s Ticket Sales Continue to Decline Following Trump Takeover », publié en 2025. Foreign Policy, « Trump’s Kennedy Center Takeover Is a Dictator’s Move », publié le 13 février 2025. NPR, « New board elects President Trump chair of Kennedy Center », publié le 12 février 2025. New York Times, « Senate Democrats Investigate Kennedy Center Deals With Trump », publié le 20 novembre 2025.
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