Skip to content

Une loi d’urgence détournée de son objectif

Pour comprendre pourquoi la Cour suprême examine l’utilisation de l’IEEPA par Trump, il faut remonter aux origines de cette loi. L’International Emergency Economic Powers Act a été adopté en 1977, dans le contexte de la guerre froide et des crises pétrolières. Son objectif était clair : donner au président les moyens de réagir rapidement à des menaces économiques étrangères en temps de crise. La loi permet au président de déclarer une urgence nationale face à une « menace inhabituelle et extraordinaire » pour la sécurité nationale, la politique étrangère ou l’économie américaine, et de prendre certaines mesures pour y faire face. Ces mesures incluent le pouvoir de « réguler » les importations et les exportations, de geler des avoirs étrangers, de bloquer des transactions financières. Historiquement, l’IEEPA a été utilisée pour imposer des sanctions économiques contre des pays hostiles — l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela — ou contre des entités spécifiques comme des organisations terroristes ou des cartels de drogue. C’est un outil de politique étrangère, pas un outil de politique commerciale. Mais Trump a vu dans l’IEEPA quelque chose de différent : une autorité quasi-illimitée pour imposer des tarifs. En avril 2025, lors de son « Liberation Day », Trump a utilisé l’IEEPA pour imposer un tarif minimum de 10% sur pratiquement tous les pays du monde, avec des taux beaucoup plus élevés pour certains — 125% sur la Chine, par exemple. Il a justifié ces tarifs en déclarant que les déficits commerciaux américains constituaient une « menace inhabituelle et extraordinaire » pour l’économie nationale. Cette interprétation est, pour le dire gentiment, créative.

Les déficits commerciaux ne sont pas des urgences nationales. Ils sont une caractéristique normale d’une économie ouverte et dynamique. Les États-Unis ont eu des déficits commerciaux pendant la majeure partie des 50 dernières années, et cela n’a pas empêché l’économie américaine de devenir la plus grande et la plus prospère du monde. De plus, les économistes s’accordent largement pour dire que les déficits commerciaux ne sont pas intrinsèquement mauvais — ils reflètent simplement le fait que les Américains consomment plus qu’ils ne produisent, ce qui est rendu possible par les investissements étrangers aux États-Unis. Mais Trump a toujours eu une vision mercantiliste du commerce, voyant les déficits comme des signes de faiblesse et les excédents comme des signes de force. Cette vision ignore des siècles de théorie économique, mais elle résonne auprès d’un public qui voit les usines fermer et les emplois manufacturiers disparaître. En utilisant l’IEEPA pour imposer des tarifs, Trump a essentiellement transformé une loi d’urgence en un outil de politique commerciale permanent. Et c’est précisément ce qui pose problème aux yeux de la Cour suprême. Lors des arguments oraux du 5 novembre 2025, plusieurs juges ont exprimé leur scepticisme face à cette interprétation extensive de l’IEEPA. Le juge Neil Gorsuch, pourtant nommé par Trump, a été particulièrement incisif, suggérant que l’interprétation du gouvernement donnerait au président un pouvoir si vaste que le Congrès ne pourrait jamais le récupérer. « En pratique, dans le monde réel, il ne pourra jamais récupérer ce pouvoir », a-t-il déclaré au solliciteur général John Sauer, qui représentait l’administration Trump.

Le problème constitutionnel de la délégation de pouvoir

Au cœur de l’affaire se trouve une question constitutionnelle fondamentale : la doctrine de non-délégation. L’Article I de la Constitution américaine confère au Congrès — et au Congrès seul — le pouvoir de lever des taxes et des droits de douane. C’est l’un des pouvoirs les plus fondamentaux du législatif, un pouvoir qui remonte aux origines mêmes de la démocratie représentative. « No taxation without representation » — pas de taxation sans représentation — était le cri de ralliement de la Révolution américaine. Le Congrès peut déléguer certains de ses pouvoirs au président, mais il ne peut pas lui donner un chèque en blanc. Toute délégation de pouvoir doit être accompagnée de limites claires, de standards intelligibles, de mécanismes de contrôle. Sinon, le Congrès violerait la Constitution en transférant son autorité législative à l’exécutif. C’est exactement ce que les opposants aux tarifs IEEPA arguent : en interprétant l’IEEPA comme donnant au président le pouvoir d’imposer n’importe quel tarif, n’importe quand, sur n’importe quel pays, pour n’importe quelle raison qu’il juge être une « menace inhabituelle et extraordinaire », l’administration Trump transforme une délégation limitée en une autorité illimitée. Et cela viole la doctrine de non-délégation. Le gouvernement Trump a tenté de contrer cet argument en affirmant que les tarifs IEEPA sont « réglementaires » plutôt que « générateurs de revenus ». Selon cette logique, puisque l’objectif principal des tarifs est de modifier le comportement des pays étrangers (en les incitant à négocier des accords commerciaux plus favorables aux États-Unis) plutôt que de générer des revenus pour le Trésor, ils ne constituent pas vraiment des taxes au sens constitutionnel. C’est un argument ingénieux, mais il se heurte à un problème majeur : les tarifs IEEPA ont effectivement généré des dizaines de milliards de dollars de revenus. Trump lui-même s’en est vanté à plusieurs reprises, affirmant que ses tarifs rapportaient « des sommes massives » au gouvernement américain.

Le juge en chef John Roberts a semblé particulièrement sceptique face à cet argument lors des plaidoiries. Comment peut-on prétendre que des tarifs qui génèrent des dizaines de milliards de dollars sont simplement « réglementaires » et non « générateurs de revenus » ? C’est comme dire qu’un éléphant n’est pas vraiment gros parce que son objectif principal est de manger, pas de prendre de la place. L’effet est le même, quelle que soit l’intention. Si la Cour suprême accepte l’argument du gouvernement, elle créerait un précédent dangereux. Elle donnerait essentiellement au président le pouvoir de lever des taxes massives sans l’approbation du Congrès, tant qu’il prétend que l’objectif principal est réglementaire plutôt que fiscal. Cela viderait de son sens la clause constitutionnelle donnant au Congrès le pouvoir exclusif de lever des taxes. Et cela ouvrirait la porte à des abus futurs — non seulement par Trump, mais par tous les présidents à venir. C’est pourquoi même certains juges conservateurs, qui sont généralement favorables à un exécutif fort, semblent hésiter à valider l’utilisation de l’IEEPA par Trump. Ils comprennent que ce qui est en jeu dépasse largement la question des tarifs. C’est l’équilibre même des pouvoirs entre les branches du gouvernement qui est en question. Et une fois que cet équilibre est rompu, il est extrêmement difficile de le restaurer. Comme l’a noté Gorsuch, si le président obtient ce pouvoir, le Congrès ne pourra jamais le récupérer. Ce sera un changement permanent dans la structure constitutionnelle américaine.

En écoutant les arguments devant la Cour suprême, j’ai ressenti une profonde tristesse. Tristesse de voir comment nous en sommes arrivés là, comment une loi conçue pour protéger la sécurité nationale en temps de crise est devenue un outil pour contourner le Congrès et imposer une politique commerciale controversée. Tristesse de voir les juges — même ceux nommés par Trump — forcés de choisir entre leur loyauté envers le président qui les a nommés et leur serment de défendre la Constitution. Tristesse de réaliser que quelle que soit la décision de la Cour, elle sera perçue comme politique, comme partisane, comme une victoire ou une défaite pour Trump plutôt que comme une interprétation neutre de la loi. Nous avons tellement politisé chaque institution, chaque décision, chaque débat, que même la Cour suprême — censée être au-dessus de la mêlée politique — est maintenant vue comme un champ de bataille partisan. Et cela érode la confiance dans l’institution elle-même, dans sa légitimité, dans sa capacité à servir d’arbitre impartial. C’est une perte immense, une perte dont nous ne mesurons peut-être pas encore toute l’ampleur.

Sources

Sources primaires

CNBC, « Bessent says Trump admin will be able to replicate tariffs even if it loses Supreme Court decision », Scott Bessent, secrétaire au Trésor, DealBook Summit du New York Times, 3 décembre 2025. Raw Story, « Trump claims he has ‘other methods’ of getting around Supreme Court’s big tariff decision », déclaration de Donald Trump sur Truth Social, 7 décembre 2025. Council on Foreign Relations, « The Supreme Court Takes Aim at Trump’s IEEPA Tariffs », John K. Veroneau, arguments oraux devant la Cour suprême, affaire Learning Resources, Inc. v. Trump, 5 novembre 2025. Business Insider, « A Supreme Court decision could derail Trump’s trade strategy — but he already has 2 battle-tested tariff options », Jacob Shamsian, analyse des sections 301 et 232 du Trade Act, décembre 2025.

Sources secondaires

Federal Reserve Bank of New York, études sur l’impact économique des tarifs Trump sur les ménages américains, 2025. Université de Chicago, analyses économiques des effets des tarifs sur les prix à la consommation, 2025. Peterson Institute for International Economics, recherches sur les conséquences macroéconomiques de la guerre commerciale sino-américaine, 2025. Congressional Budget Office, estimations des revenus tarifaires et des coûts potentiels de remboursement, 2025. Georgetown Law School, Kathleen Claussen, analyses juridiques de la jurisprudence sur les sections 301 et 232, 2025. Duke Law School, Rachel Brewster, expertises sur le droit commercial international et les pouvoirs présidentiels, 2025.

Ce contenu a été créé avec l'aide de l'IA.

facebook icon twitter icon linkedin icon
Copié!

Commentaires

0 0 votes
Évaluation de l'article
Subscribe
Notify of
guest
0 Commentaires
Newest
Oldest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments
Plus de contenu