Les manifestations qui ont tout déclenché
Pour comprendre l’ampleur de cette crise, il faut remonter à juin 2025, lorsque Los Angeles devient l’épicentre d’un mouvement de protestation massif contre les opérations d’immigration menées par l’administration Trump. Les agents de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) lancent des raids d’une ampleur inédite dans la métropole californienne, ciblant les communautés immigrées avec une agressivité qui choque même les observateurs habitués aux politiques dures de Trump. Des familles sont séparées en plein jour. Des travailleurs sont arrêtés sur leur lieu de travail. Des enfants se retrouvent sans parents du jour au lendemain. La communauté latino de Los Angeles, qui représente près de la moitié de la population de la ville, vit dans la terreur quotidienne. Les écoles voient leurs effectifs chuter car les parents ont peur d’envoyer leurs enfants en classe. Les commerces ferment leurs portes. L’économie locale vacille. Et la colère monte. Inexorablement. Les habitants descendent dans la rue par milliers pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une chasse aux immigrés orchestrée depuis Washington. Les manifestations se multiplient, particulièrement autour du bâtiment fédéral du centre-ville où sont détenus de nombreux migrants arrêtés lors des raids.
Ces protestations, bien que massives et parfois tendues, restent globalement pacifiques. Certes, il y a des affrontements sporadiques avec les forces de l’ordre. Des gaz lacrymogènes sont utilisés. Quelques vitrines sont brisées. Mais rien qui justifie l’invocation de lois d’exception prévues pour les cas d’insurrection armée ou d’invasion étrangère. Pourtant, Trump voit dans ces manifestations l’opportunité parfaite pour tester les limites de son pouvoir présidentiel. Le 8 juin 2025, sans consulter le gouverneur Newsom ni même l’en informer préalablement, l’administration fédérale annonce la fédéralisation de 4000 membres de la Garde nationale californienne. Cette décision historiquement rare s’appuie sur une disposition obscure du code militaire américain qui permet au président de prendre le contrôle des troupes d’État si les États-Unis sont « envahis ou en danger d’invasion par une nation étrangère », ou s’il existe « une rébellion ou un danger de rébellion » contre le gouvernement américain. L’invocation de cette loi pour qualifier des manifestations contre les politiques d’immigration de « rébellion » constitue un précédent dangereux qui alarme immédiatement les constitutionnalistes et les défenseurs des libertés civiles à travers le pays.
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Quand j’ai appris cette fédéralisation forcée, j’ai ressenti un frisson glacé. Pas celui de la peur ordinaire. Non. Celui qui vous traverse quand vous réalisez que quelque chose de fondamental vient de se briser. Trump n’a pas simplement envoyé des troupes — il a arraché le contrôle de soldats à leur propre gouverneur pour les retourner contre leur communauté. C’est le genre de manœuvre qu’on associe aux dictatures, pas aux démocraties. Et le plus terrifiant ? Il l’a fait en invoquant des lois censées protéger la nation contre les invasions et les insurrections. Des manifestants qui protestent contre des politiques d’immigration deviennent soudain des « rebelles ». Le langage lui-même est détourné, perverti, transformé en arme.
La réaction immédiate de la Californie
Le gouverneur Gavin Newsom ne perd pas une seconde. Dès l’annonce de la fédéralisation, il dénonce publiquement cette décision comme « sans précédent et illégale ». Le 9 juin 2025, soit moins de 24 heures après l’ordre présidentiel, la Californie dépose une plainte devant le tribunal fédéral de San Francisco, demandant l’annulation immédiate du déploiement et le retour des troupes sous contrôle étatique. Le procureur général de Californie, Rob Bonta, qualifie l’action de Trump de « violation flagrante des principes fédéralistes » et avertit que permettre au président d’agir ainsi créerait un précédent extrêmement dangereux pour l’équilibre des pouvoirs entre l’État fédéral et les États. La bataille juridique s’engage sur plusieurs fronts simultanément. D’un côté, la Californie conteste la légalité même de la fédéralisation, arguant que les conditions prévues par la loi — invasion ou rébellion — ne sont manifestement pas remplies. De l’autre, l’État attaque le maintien prolongé du déploiement, soutenant que même si la fédéralisation initiale était légale, le président ne peut pas garder indéfiniment le contrôle des troupes d’État une fois la situation d’urgence passée.
Les premiers rounds judiciaires donnent des résultats mitigés pour la Californie. En septembre 2025, un juge fédéral déclare effectivement que le déploiement initial était illégal, une victoire importante pour Newsom. Cependant, cette décision est rapidement contestée par l’administration Trump et finalement renversée par la Cour d’appel du 9e circuit. Les juges d’appel, dans une décision controversée, estiment que la loi accorde au président « un haut niveau de déférence » pour déterminer si une rébellion est en cours. Cette interprétation large des pouvoirs présidentiels inquiète profondément les défenseurs des libertés civiles, car elle semble donner au président une marge de manœuvre presque illimitée pour qualifier des troubles civils de « rébellion » justifiant l’intervention militaire. Pendant ce temps, sur le terrain, la présence militaire se fait de plus en plus pesante. Les soldats de la Garde nationale patrouillent autour du bâtiment fédéral, créent des périmètres de sécurité, et participent à ce que l’administration appelle la « protection du personnel et des propriétés fédérales ». Pour les habitants de Los Angeles, cette militarisation de leur ville ressemble davantage à une occupation qu’à une mesure de sécurité légitime.
Un président qui teste les limites constitutionnelles
La stratégie des déploiements multiples
Los Angeles n’est pas un cas isolé dans la stratégie de Donald Trump. Le président a systématiquement déployé des troupes de la Garde nationale dans plusieurs grandes villes américaines contrôlées par des démocrates, créant un schéma inquiétant de militarisation urbaine. À Washington DC, environ 6500 soldats ont été envoyés en août 2025 pour lutter contre ce que Trump appelle une « criminalité hors de contrôle ». À Chicago, 300 membres de la Garde nationale sont déployés en juillet pour soutenir les opérations d’immigration. À Portland, dans l’Oregon, Trump tente même d’envoyer 200 soldats de la Garde nationale californienne pour réprimer des manifestations devant un centre de détention de l’ICE — une manœuvre particulièrement audacieuse puisqu’elle implique l’envoi de troupes d’un État dans un autre État sans l’accord d’aucun des deux gouverneurs concernés. Cette multiplication des déploiements révèle une stratégie délibérée visant à normaliser la présence militaire dans les villes américaines et à tester jusqu’où le pouvoir exécutif peut aller sans être arrêté par les tribunaux ou le Congrès.
La rhétorique présidentielle accompagnant ces déploiements est particulièrement révélatrice. Trump décrit régulièrement les villes démocrates comme des zones de non-droit, des territoires « infestés » par le crime et la violence, des endroits « qui brûlent » et nécessitant une intervention fédérale d’urgence. Cette caractérisation apocalyptique contraste fortement avec la réalité statistique. À Washington DC, par exemple, les chiffres de la police montrent que les homicides ont chuté de 107 à 62 entre mai et novembre 2025, et que la criminalité globale a baissé de près de 40% sur la même période. Trump attribue cette baisse à la présence de la Garde nationale, mais les experts en sécurité publique soulignent que la tendance à la baisse avait commencé avant le déploiement des troupes. Plus troublant encore, le président utilise régulièrement un langage déshumanisant pour parler des villes qu’il cible, les qualifiant de « sales », « dangereuses », ou « envahies » — un vocabulaire qui rappelle dangereusement celui utilisé par les régimes autoritaires pour justifier la répression de leurs propres citoyens. Cette rhétorique crée un climat de peur et de division qui sert les objectifs politiques de Trump tout en minant la confiance dans les institutions démocratiques locales.
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Il y a quelque chose de profondément troublant dans cette obsession de Trump pour les villes démocrates. Ce n’est pas juste une question de politique ou de stratégie électorale. C’est plus viscéral que ça. On sent une rage, une volonté de punir ces territoires qui osent lui résister. Et les soldats deviennent les instruments de cette vengeance. Des hommes et des femmes qui ont prêté serment de protéger la Constitution se retrouvent utilisés comme pions dans un jeu politique sordide. Ça me révolte. Parce que ces soldats méritent mieux. Parce que ces villes méritent mieux. Parce que la démocratie américaine mérite mieux que d’être transformée en terrain de jeu pour un président qui ne supporte pas la contradiction.
Les fondements juridiques contestés
L’administration Trump s’appuie principalement sur une disposition du code militaire américain rarement invoquée avant son arrivée au pouvoir. Cette loi, codifiée au titre 10 du code des États-Unis, permet au président de fédéraliser la Garde nationale si le pays est « envahi ou en danger d’invasion par une nation étrangère », ou s’il existe « une rébellion ou un danger de rébellion » contre le gouvernement des États-Unis. Historiquement, cette disposition a été utilisée dans des circonstances exceptionnelles — pendant la guerre civile, lors de catastrophes naturelles majeures, ou dans des situations d’urgence nationale indiscutables. Trump, lui, l’invoque pour qualifier des manifestations civiles de « rébellion », une interprétation qui étire considérablement le sens ordinaire du terme. Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth défend cette interprétation en affirmant que le président dispose d’une « autorité légale très claire » pour agir ainsi. La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, va plus loin en déclarant lors d’une conférence de presse en octobre : « Nous sommes très confiants dans l’autorité légale du président pour faire cela, et nous sommes très confiants que nous gagnerons sur le fond du droit. »
Cette confiance affichée masque mal les faiblesses juridiques de la position fédérale. Plusieurs juges fédéraux ont déjà exprimé leur scepticisme face aux arguments du gouvernement. Le juge Breyer lui-même, lors d’une audience à San Francisco le 5 décembre 2025, avait semblé dubitatif quant à la capacité du président de maintenir indéfiniment le contrôle de troupes d’État. Il avait notamment questionné les avocats fédéraux sur le fait que la situation à Los Angeles avait considérablement évolué depuis juin, les manifestations s’étant largement calmées et le nombre de troupes déployées ayant chuté de 4000 à environ 100. Si la menace initiale — réelle ou imaginaire — avait disparu, sur quelle base légale le président pouvait-il continuer à commander ces soldats ? Cette question, apparemment simple, touche au cœur du problème constitutionnel. Les avocats du gouvernement ont tenté d’argumenter que le président, une fois les troupes fédéralisées légalement, conserve leur contrôle aussi longtemps qu’il le juge nécessaire, sans limite temporelle. Cette interprétation, si elle était acceptée par les tribunaux, donnerait effectivement au président le pouvoir de créer une force de police permanente composée de soldats d’État — exactement ce que le juge Breyer dénonce dans sa décision du 10 décembre comme « contraire à la loi » et destructeur du fédéralisme américain.
Portland et l'Oregon : un autre front dans la bataille
Quand Trump envoie des soldats californiens dans un autre État
Si le déploiement à Los Angeles était déjà controversé, la tentative de Trump d’envoyer des soldats de la Garde nationale californienne à Portland, dans l’Oregon, franchit un nouveau seuil dans l’audace présidentielle. En octobre 2025, des manifestations éclatent devant un centre de détention de l’ICE à Portland, où des activistes protestent contre les politiques de déportation massive de l’administration. Les affrontements entre manifestants et agents fédéraux — principalement du Department of Homeland Security et de la Customs and Border Patrol — deviennent tendus. Trump, fidèle à sa rhétorique apocalyptique, déclare que Portland « brûle » et nécessite une intervention militaire immédiate. Le 28 septembre 2025, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth signe un mémorandum ordonnant le déploiement de 200 membres de la Garde nationale californienne à Portland pour « protéger le personnel et les propriétés fédérales ». Cette décision soulève immédiatement des questions juridiques et constitutionnelles majeures. Non seulement Trump fédéralise des troupes d’un État sans l’accord de son gouverneur, mais il les envoie ensuite dans un autre État dont le gouverneur s’oppose également à leur présence. C’est du jamais vu dans l’histoire récente américaine.
La gouverneure de l’Oregon Tina Kotek, démocrate, réagit avec une fermeté sans équivoque. « Il n’y a pas d’insurrection à Portland, pas de menace pour la sécurité nationale », déclare-t-elle publiquement, dénonçant ce qu’elle qualifie de « fabrication de crise » par l’administration Trump. Le 4 octobre 2025, la juge fédérale Karin Immergut — ironiquement nommée par Trump lui-même lors de son premier mandat — bloque temporairement le déploiement en émettant une ordonnance de restriction temporaire. Cette décision constitue un camouflet embarrassant pour le président, d’autant plus qu’elle émane d’une juge qu’il a personnellement choisie. Immergut estime que le gouvernement fédéral n’a pas démontré l’existence d’une urgence justifiant une mesure aussi extraordinaire. La bataille juridique se poursuit devant la Cour d’appel du 9e circuit, où les arguments s’entrechoquent. D’un côté, les avocats de Trump soutiennent que le président dispose d’une autorité quasi illimitée pour déployer des troupes fédéralisées où bon lui semble. De l’autre, les États de Californie et d’Oregon, rejoints par la ville de Portland, argumentent que cette interprétation violerait fondamentalement les principes du fédéralisme et transformerait la Garde nationale en armée présidentielle personnelle.
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Portland. Ce nom résonne différemment maintenant. Cette ville qui a toujours été un symbole de résistance, de contre-culture, de liberté d’expression, se retrouve dans le viseur présidentiel. Et Trump veut y envoyer des soldats californiens — des hommes et des femmes qui n’ont rien demandé, qui ne connaissent pas Portland, qui se retrouvent pris entre leur devoir militaire et leur conscience citoyenne. Je pense à ces soldats. À ce qu’ils doivent ressentir. La confusion. Le malaise. Peut-être la colère. Ils ont signé pour protéger leur État, leur communauté. Pas pour être les instruments d’une vendetta présidentielle contre une ville qui ose manifester.
Les implications pour le fédéralisme américain
Le cas de Portland révèle une dimension supplémentaire du conflit qui dépasse largement la question des manifestations ou de la sécurité publique. Il s’agit fondamentalement d’un affrontement sur la nature même du fédéralisme américain — ce système complexe de partage des pouvoirs entre l’État fédéral et les États qui constitue l’une des caractéristiques fondamentales de la Constitution américaine. Traditionnellement, la Garde nationale opère sous un système de « double statut » : en temps normal, elle relève de l’autorité du gouverneur de l’État, qui peut l’activer pour répondre à des urgences locales comme des catastrophes naturelles ou des troubles civils majeurs. Le président peut fédéraliser ces troupes dans des circonstances exceptionnelles, mais cette fédéralisation est censée être temporaire et limitée à des situations d’urgence nationale claire. Trump, en revanche, semble vouloir transformer ce système en donnant au président un pouvoir permanent et discrétionnaire de commander les troupes d’État, les déployant où il le souhaite, aussi longtemps qu’il le juge nécessaire, sans véritable contrôle judiciaire ou législatif. Cette vision centralisatrice du pouvoir militaire heurte frontalement les principes qui ont guidé les rédacteurs de la Constitution, profondément méfiants envers la concentration du pouvoir militaire entre les mains d’un seul homme.
Les constitutionnalistes tirent la sonnette d’alarme. Si les tribunaux acceptaient l’interprétation de Trump, cela créerait un précédent permettant à n’importe quel futur président de militariser les villes américaines à volonté, transformant la Garde nationale en force de police fédérale permanente. Le Brennan Center for Justice, un institut de recherche juridique respecté, publie en novembre 2025 un rapport alarmant sur les « déploiements militaires domestiques » de l’administration Trump. Le rapport souligne que les cours d’appel fédérales sont divisées sur la question, créant une incertitude juridique dangereuse. Certains circuits, comme le 9e qui couvre la Californie et l’Oregon, ont montré une certaine déférence envers les pouvoirs présidentiels. D’autres, comme le 7e circuit qui couvre l’Illinois, ont adopté une approche plus restrictive. Cette division entre les circuits augmente la probabilité que la Cour suprême doive finalement trancher la question — un scénario qui inquiète profondément les défenseurs des libertés civiles, étant donné la composition conservatrice actuelle de la haute cour. En attendant, les États et les villes continuent de se battre devant les tribunaux, remportant des victoires tactiques comme celle du 10 décembre à Los Angeles, mais sans certitude quant à l’issue finale de ce conflit constitutionnel majeur.
Chicago et Washington : les autres champs de bataille
La capitale sous occupation militaire
À Washington DC, la situation prend une tournure particulièrement symbolique et troublante. En août 2025, Trump ordonne le déploiement de plusieurs milliers de soldats de la Garde nationale dans la capitale fédérale, invoquant un taux de criminalité qu’il qualifie de « hors de contrôle ». La réalité statistique raconte une histoire plus nuancée. Certes, Washington connaît des problèmes de criminalité, comme toute grande ville américaine. Mais la situation est loin d’être apocalyptique. Les chiffres de la police métropolitaine montrent que les homicides ont effectivement diminué de manière significative après le déploiement — passant de 107 entre mai et novembre 2024 à 62 sur la même période en 2025. La criminalité globale chute également d’environ 40%. Trump s’empresse d’attribuer ces baisses à la présence militaire, déclarant lors d’un discours en novembre que « nos soldats ont nettoyé Washington ». Cependant, les criminologues et les experts en sécurité publique restent sceptiques. Ils soulignent que la tendance à la baisse avait commencé avant l’arrivée des troupes et que de multiples facteurs — changements dans les stratégies policières, programmes sociaux, conditions économiques — contribuent aux variations du taux de criminalité. Attribuer la baisse uniquement à la présence militaire relève davantage de la propagande politique que de l’analyse scientifique.
Le 26 novembre 2025, un incident vient compliquer encore la situation. Deux membres de la Garde nationale déployés à Washington sont blessés lors d’une attaque armée près de Union Station. Trump saisit immédiatement l’opportunité pour renforcer la présence militaire, ordonnant au secrétaire Hegseth d’envoyer 500 soldats supplémentaires dans la capitale. Cette escalation soulève des questions troublantes sur la spirale dans laquelle s’engage la militarisation de Washington. Plus il y a de soldats, plus ils deviennent des cibles potentielles, justifiant ainsi l’envoi de encore plus de soldats — un cercle vicieux qui transforme progressivement la capitale américaine en zone militarisée. Les habitants de Washington expriment des sentiments mitigés. Certains se disent rassurés par la présence visible de forces de sécurité. D’autres, particulièrement dans les quartiers à majorité afro-américaine, ressentent cette militarisation comme une occupation hostile qui rappelle les heures les plus sombres de l’histoire américaine. Les soldats patrouillent dans les rues, établissent des points de contrôle, créent des périmètres de sécurité autour des bâtiments fédéraux — une présence qui normalise progressivement l’idée qu’une capitale démocratique puisse ressembler à une zone de guerre.
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Washington sous occupation militaire. Ces mots me glacent. La capitale de la démocratie américaine, le symbole même du gouvernement du peuple par le peuple, transformée en camp retranché. Je pense aux touristes qui visitent les monuments, aux familles qui se promènent sur le National Mall, aux étudiants qui découvrent leur histoire — tous confrontés à cette présence militaire omniprésente. Qu’est-ce que ça leur apprend sur la démocratie ? Que la liberté nécessite des soldats à chaque coin de rue ? Que la sécurité justifie la militarisation ? C’est un message toxique, dangereux, qui érode lentement notre conception même de ce qu’est une société libre.
Chicago dans la tourmente
À Chicago, le scénario se répète avec quelques variations. En juillet 2025, Trump déploie 300 membres de la Garde nationale dans la troisième plus grande ville américaine, officiellement pour soutenir les opérations d’immigration de l’ICE. Le gouverneur de l’Illinois JB Pritzker, démocrate progressiste et critique virulent de Trump, dénonce immédiatement ce qu’il appelle une tentative de « fabriquer une crise » pour justifier une intervention fédérale non désirée. Pritzker, milliardaire philanthrope élu en 2018 sur une plateforme de résistance aux politiques trumpistes, ne recule pas devant l’affrontement. Il dépose une plainte devant les tribunaux fédéraux, arguant que le déploiement viole les principes constitutionnels et représente une intrusion inacceptable du pouvoir fédéral dans les affaires de l’État. Le cas de Chicago présente des similitudes frappantes avec celui de Los Angeles — manifestations contre les raids d’immigration, invocation de la loi sur la rébellion, opposition du gouverneur démocrate — mais avec une dimension supplémentaire : Chicago a une longue histoire de tensions raciales et de brutalité policière, rendant la présence militaire particulièrement sensible dans certains quartiers de la ville.
La bataille juridique de l’Illinois suit un parcours parallèle à celle de la Californie, avec des victoires et des défaites alternées pour les deux camps. En novembre 2025, un juge fédéral de Chicago émet une décision favorable à l’État, ordonnant la fin du déploiement. Mais l’administration Trump fait appel, et la Cour d’appel du 7e circuit suspend temporairement l’ordonnance du juge, permettant aux troupes de rester en place pendant que l’appel est examiné. Cette valse judiciaire crée une incertitude permanente qui épuise les ressources des États et maintient les communautés dans un état d’anxiété constant. En octobre 2025, l’affaire de l’Illinois atteint la Cour suprême, qui accepte d’examiner la question des pouvoirs présidentiels en matière de déploiement militaire domestique. Cette décision de la haute cour d’intervenir signale l’importance constitutionnelle du conflit et laisse présager une décision majeure qui pourrait redéfinir l’équilibre des pouvoirs entre le président et les États. Les observateurs juridiques notent que la composition conservatrice de la Cour suprême — avec six juges nommés par des présidents républicains, dont trois par Trump lui-même — pourrait favoriser une interprétation large des pouvoirs présidentiels, un scénario qui terrifie les défenseurs des libertés civiles et du fédéralisme.
La loi Posse Comitatus et ses limites
Un principe fondamental menacé
Au cœur de tous ces conflits juridiques se trouve une loi fédérale cruciale mais souvent méconnue : le Posse Comitatus Act de 1878. Cette loi, adoptée après la guerre civile et la période de Reconstruction, interdit l’utilisation des forces armées fédérales pour faire respecter les lois domestiques, sauf autorisation explicite du Congrès ou de la Constitution. Le principe sous-jacent est simple mais fondamental : dans une démocratie, les militaires ne doivent pas être utilisés comme force de police contre les citoyens. Cette séparation entre fonction militaire et fonction policière constitue l’un des garde-fous essentiels contre la tyrannie. Les rédacteurs du Posse Comitatus Act avaient été témoins des abus commis par les troupes fédérales pendant la Reconstruction, lorsque l’armée était utilisée pour superviser les élections et maintenir l’ordre dans le Sud. Ils voulaient s’assurer qu’une telle militarisation de la vie civile ne se reproduirait jamais. Pendant plus d’un siècle, cette loi a effectivement limité le recours aux forces armées dans les affaires domestiques, créant une norme culturelle et juridique forte contre la militarisation de la société américaine.
Trump et son administration testent systématiquement les limites de cette loi. Leur stratégie repose sur une distinction technique : le Posse Comitatus Act s’applique principalement aux forces armées fédérales régulières (l’armée, la marine, l’aviation), mais son application à la Garde nationale est plus complexe. Lorsque la Garde nationale opère sous commandement étatique, elle n’est pas soumise au Posse Comitatus Act et peut effectuer des fonctions de maintien de l’ordre. Mais lorsqu’elle est fédéralisée — placée sous commandement présidentiel — son statut devient ambigu. Les avocats de Trump argumentent que même fédéralisée, la Garde nationale conserve certaines capacités de maintien de l’ordre que les forces armées régulières n’ont pas. Cette interprétation est vigoureusement contestée par les États et les groupes de défense des libertés civiles, qui soutiennent que la fédéralisation transforme la Garde nationale en force militaire fédérale pleinement soumise aux restrictions du Posse Comitatus Act. Le juge Breyer, dans sa décision du 10 décembre concernant Los Angeles, tranche partiellement cette question en déclarant que le déploiement prolongé de la Garde nationale fédéralisée pour des fonctions de maintien de l’ordre viole effectivement le Posse Comitatus Act. Cette interprétation, si elle est confirmée par les cours d’appel, pourrait considérablement limiter la capacité de Trump à utiliser la Garde nationale comme force de police fédérale.
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Le Posse Comitatus Act. Un nom étrange, presque archaïque. Mais derrière ce latin juridique se cache une protection vitale. L’idée que les soldats ne doivent pas patrouiller nos rues, arrêter nos concitoyens, surveiller nos manifestations. Cette séparation entre militaire et civil n’est pas un détail technique — c’est une ligne rouge qui distingue les démocraties des dictatures. Et Trump est en train de l’effacer. Méthodiquement. Délibérément. Avec l’aide d’avocats qui trouvent des failles, des exceptions, des interprétations créatives. Chaque déploiement normalise un peu plus l’idée que les soldats ont leur place dans nos villes. Et ça me terrifie.
Les exceptions et leurs abus
Le Posse Comitatus Act n’est pas absolu. Il comporte plusieurs exceptions importantes qui permettent l’utilisation des forces armées dans certaines circonstances spécifiques. L’Insurrection Act, adopté en 1807 et modifié plusieurs fois depuis, autorise le président à déployer des troupes fédérales pour réprimer une insurrection, une rébellion, ou lorsque les autorités locales sont incapables de maintenir l’ordre. Cette loi a été invoquée à plusieurs reprises dans l’histoire américaine — pendant les émeutes de Los Angeles en 1992, lors de l’intégration scolaire dans le Sud dans les années 1950 et 1960, et dans d’autres situations d’urgence civile majeure. Mais son utilisation a toujours été controversée et généralement limitée à des situations où l’ordre public s’était effectivement effondré. Trump, lui, invoque ces exceptions de manière beaucoup plus libérale, qualifiant des manifestations civiles de « rébellions » et des troubles urbains ordinaires d' »insurrections ». Cette inflation rhétorique abaisse dangereusement le seuil d’intervention militaire, créant un précédent où presque n’importe quelle contestation sociale pourrait justifier l’envoi de troupes. Les historiens du droit constitutionnel notent que cette approche rappelle les périodes les plus sombres de l’histoire américaine, lorsque le pouvoir fédéral utilisait la force militaire pour réprimer les mouvements sociaux et les grèves ouvrières.
Une autre exception importante concerne la protection des propriétés et du personnel fédéraux. Le gouvernement fédéral a toujours eu le droit de protéger ses propres installations et employés, même en utilisant des forces militaires si nécessaire. Trump exploite cette exception de manière extensive, arguant que la présence de manifestants près de bâtiments fédéraux justifie le déploiement de milliers de soldats. Mais cette logique, poussée à l’extrême, pourrait justifier une présence militaire permanente dans presque toutes les grandes villes américaines, puisqu’elles abritent toutes des installations fédérales. Les juges fédéraux commencent à rejeter cette interprétation extensive. Dans plusieurs décisions récentes, ils ont souligné que la protection des propriétés fédérales ne peut pas servir de prétexte pour militariser des villes entières ou réprimer des manifestations légitimes. Le juge Breyer, dans son ordonnance du 10 décembre, note que le gouvernement n’a pas démontré l’existence d’une menace actuelle et spécifique contre les installations fédérales à Los Angeles qui justifierait le maintien de troupes fédéralisées. Cette exigence de prouver une menace concrète et actuelle, plutôt que de se contenter d’affirmations générales sur la criminalité ou les troubles civils, pourrait devenir un standard important limitant les déploiements militaires futurs.
Les réactions politiques : un pays divisé
Les démocrates sur le pied de guerre
La réponse des élus démocrates aux déploiements militaires de Trump a été unanime et vigoureuse. Les gouverneurs démocrates des États concernés — Gavin Newsom en Californie, Tina Kotek en Oregon, JB Pritzker en Illinois — se sont coordonnés pour présenter un front uni contre ce qu’ils perçoivent comme une attaque contre le fédéralisme et les libertés civiles. Newsom, en particulier, s’est positionné comme le leader de la résistance, utilisant sa plateforme de gouverneur du plus grand État américain pour dénoncer régulièrement les actions de Trump. Ses déclarations publiques mélangent arguments juridiques sophistiqués et rhétorique politique percutante. Après la décision du juge Breyer le 10 décembre, Newsom déclare : « Le président a déployé ces hommes et femmes courageux contre leurs propres communautés, les détournant d’opérations essentielles de sécurité publique. Nous attendons avec impatience que tous les membres de la Garde nationale soient rendus au service de l’État. » Cette formulation souligne habilement la dimension humaine du conflit — ces soldats ne sont pas des pions abstraits mais des citoyens californiens forcés de patrouiller leurs propres quartiers sous commandement fédéral. Le procureur général de Californie Rob Bonta adopte un ton plus juridique mais tout aussi ferme, qualifiant la décision du juge de « bon jour pour notre démocratie et la force de l’État de droit ».
Au Congrès, les démocrates tentent également de limiter les pouvoirs présidentiels en matière de déploiement militaire. Plusieurs projets de loi sont introduits visant à clarifier et restreindre les circonstances dans lesquelles un président peut fédéraliser la Garde nationale ou invoquer l’Insurrection Act. La représentante Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre, déclare lors d’un discours en novembre 2025 que « Trump transforme notre démocratie en État policier militarisé ». Le sénateur Chuck Schumer, leader de la minorité démocrate au Sénat, introduit une résolution condamnant les déploiements et appelant à leur fin immédiate. Cependant, ces efforts législatifs se heurtent à l’opposition républicaine et à la difficulté de réunir une majorité suffisante pour surmonter un veto présidentiel. La bataille se déroule donc principalement devant les tribunaux, où les démocrates espèrent que les juges fédéraux — même ceux nommés par des présidents républicains — défendront les principes constitutionnels contre les excès présidentiels. La décision du juge Breyer, ainsi que d’autres décisions similaires dans différents circuits, leur donnent de l’espoir que le système judiciaire peut encore servir de rempart contre l’autoritarisme présidentiel.
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Je regarde ces gouverneurs démocrates se battre et je ressens un mélange d’admiration et de tristesse. Admiration pour leur courage, leur détermination à défendre les principes démocratiques même face à un président qui semble déterminé à les piétiner. Mais aussi tristesse parce que nous en sommes arrivés là. Que des gouverneurs doivent passer leur temps devant les tribunaux pour empêcher le président de militariser leurs États. C’est épuisant. C’est coûteux. Et ça détourne l’attention et les ressources de problèmes réels — éducation, santé, infrastructure — vers cette bataille constitutionnelle sans fin. Trump les force à jouer en défense constante, et c’est exactement ce qu’il veut.
Les républicains entre soutien et silence
Du côté républicain, la réaction aux déploiements militaires de Trump révèle les tensions internes du parti. La majorité des élus républicains soutiennent publiquement le président, reprenant sa rhétorique sur la nécessité de « rétablir l’ordre » dans les villes démocrates. La porte-parole de la Maison Blanche Abigail Jackson déclare après la décision du juge Breyer que « Trump dispose de l’autorité légale pour déployer des troupes en réponse à des émeutes violentes » et que l’administration « prévaudra finalement sur cette question ». Cette confiance affichée masque mal l’embarras de certains républicains modérés face à la militarisation croissante des villes américaines. Plusieurs sénateurs républicains, interrogés en privé par des journalistes, expriment leur malaise face aux déploiements mais refusent de critiquer publiquement le président, craignant les représailles politiques et la colère de la base trumpiste. Cette lâcheté politique permet à Trump de poursuivre sa stratégie sans opposition significative au sein de son propre parti. Seuls quelques républicains — principalement ceux qui ne se représentent pas aux prochaines élections ou qui ont déjà rompu avec Trump — osent exprimer publiquement leurs réserves sur la constitutionnalité des déploiements.
Les gouverneurs républicains se trouvent dans une position particulièrement délicate. D’un côté, ils partagent généralement les positions conservatrices de Trump sur l’immigration et la criminalité. De l’autre, les déploiements militaires dans les États démocrates créent un précédent qui pourrait un jour être utilisé contre leurs propres États par un futur président démocrate. Cette tension entre loyauté partisane et défense des prérogatives étatiques reste largement non résolue, la plupart des gouverneurs républicains choisissant le silence prudent plutôt que la confrontation ouverte. Quelques voix conservatrices indépendantes, notamment dans les milieux libertariens et chez certains constitutionnalistes conservateurs, critiquent les déploiements comme une violation des principes du gouvernement limité et du fédéralisme. Le Cato Institute, un think tank libertarien, publie plusieurs analyses juridiques soulignant les dangers de l’expansion des pouvoirs présidentiels en matière militaire. Mais ces critiques restent marginales dans un parti républicain largement dominé par la personnalité de Trump et réticent à toute forme de dissidence interne. Cette absence d’opposition républicaine significative laisse les démocrates seuls dans leur combat juridique et politique contre les déploiements militaires.
L'impact sur les communautés locales
Vivre sous présence militaire
Au-delà des batailles juridiques et politiques, les déploiements militaires ont un impact concret et quotidien sur les communautés locales. À Los Angeles, les habitants des quartiers entourant le bâtiment fédéral du centre-ville ont vécu pendant des mois avec une présence militaire constante. Des soldats en uniforme patrouillent les rues. Des véhicules militaires stationnent aux intersections stratégiques. Des périmètres de sécurité limitent l’accès à certaines zones. Pour beaucoup, particulièrement dans les communautés immigrées et minoritaires, cette militarisation crée un climat d’anxiété et de peur. Les parents hésitent à laisser leurs enfants jouer dehors. Les commerçants voient leur clientèle diminuer. Les travailleurs évitent certains quartiers par crainte d’être contrôlés ou interrogés. Cette atmosphère de tension permanente affecte la vie sociale et économique de quartiers entiers. Les témoignages recueillis par les médias locaux révèlent un sentiment partagé de vivre dans une ville occupée plutôt que protégée. Une résidente du centre-ville déclare à un journaliste du Los Angeles Times : « Je ne me sens pas plus en sécurité avec tous ces soldats. Au contraire, j’ai l’impression de vivre dans une zone de guerre. » Ce sentiment est particulièrement fort dans les communautés latino, qui associent la présence militaire aux raids d’immigration et à la menace constante de déportation.
À Washington DC, la militarisation prend une dimension symbolique supplémentaire. La capitale américaine, censée incarner les valeurs démocratiques et la liberté, ressemble de plus en plus à une forteresse militaire. Les touristes qui visitent les monuments nationaux sont confrontés à des points de contrôle, des barrières de sécurité, et des patrouilles armées. Cette transformation affecte l’image même de la démocratie américaine. Comment expliquer aux visiteurs étrangers que cette présence militaire massive est compatible avec les principes de liberté et de gouvernement civil que les États-Unis prétendent incarner ? Les habitants de Washington expriment des sentiments mitigés. Certains, particulièrement dans les quartiers aisés et majoritairement blancs, apprécient la présence visible de forces de sécurité et créditent les soldats pour la baisse de la criminalité. D’autres, surtout dans les quartiers pauvres et à majorité afro-américaine, ressentent cette militarisation comme une occupation hostile qui rappelle les périodes les plus sombres de l’histoire américaine. Les organisations communautaires rapportent une augmentation des plaintes concernant des contrôles d’identité excessifs, des fouilles injustifiées, et un sentiment général de surveillance constante. Cette fracture dans la perception de la présence militaire reflète les divisions raciales et socio-économiques plus larges qui traversent la société américaine.
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Je pense aux enfants qui grandissent dans ces quartiers militarisés. Qu’est-ce que ça leur apprend sur leur pays ? Sur la démocratie ? Sur la liberté ? Ils voient des soldats armés à chaque coin de rue. Ils passent devant des véhicules militaires pour aller à l’école. Ils apprennent à éviter certaines zones, à baisser les yeux quand ils croisent une patrouille. C’est ça, l’Amérique de Trump ? Une génération d’enfants qui grandissent en pensant que la militarisation est normale ? Que les soldats font partie du paysage urbain comme les feux de circulation et les arrêts de bus ? Cette normalisation de l’anormal me glace le sang.
Les soldats pris entre deux feux
Une dimension souvent négligée du conflit concerne les soldats de la Garde nationale eux-mêmes, pris entre leur devoir militaire et leur identité de citoyens. Ces hommes et femmes ne sont pas des militaires de carrière mais des citoyens ordinaires — enseignants, pompiers, infirmières, mécaniciens — qui servent à temps partiel dans la Garde nationale. Beaucoup ont rejoint la Garde pour servir leur communauté locale, répondre aux catastrophes naturelles, ou bénéficier d’avantages éducatifs. Ils ne s’attendaient certainement pas à être fédéralisés et envoyés patrouiller dans leurs propres quartiers ou dans d’autres États pour réprimer des manifestations civiles. Les témoignages anonymes recueillis par des organisations de vétérans révèlent un profond malaise au sein des unités déployées. Certains soldats expriment leur confusion face à une mission qui semble davantage politique que militaire. D’autres s’inquiètent des implications légales de leurs actions, craignant de violer le Posse Comitatus Act ou d’autres lois limitant l’usage de la force militaire contre des civils. Quelques-uns envisagent même de démissionner de la Garde nationale plutôt que de participer à ce qu’ils perçoivent comme une militarisation illégitime de la société civile.
Les commandants de la Garde nationale se trouvent également dans une position difficile. Ils doivent maintenir la discipline et l’efficacité de leurs unités tout en naviguant dans un environnement politique hautement chargé. Certains officiers supérieurs, interrogés confidentiellement, expriment leurs réserves sur les déploiements mais soulignent qu’ils n’ont d’autre choix que d’obéir aux ordres légaux, même s’ils les désapprouvent personnellement. Cette tension entre obéissance militaire et conscience civique reflète un dilemme plus large sur le rôle des forces armées dans une démocratie. Les soldats sont formés à suivre les ordres sans question, mais que se passe-t-il lorsque ces ordres semblent violer les principes constitutionnels qu’ils ont juré de défendre ? Cette question, largement théorique pendant la majeure partie de l’histoire américaine moderne, devient soudainement très concrète pour des milliers de membres de la Garde nationale déployés dans des villes américaines. Les organisations de vétérans et les groupes de défense des droits militaires commencent à offrir des conseils juridiques aux soldats inquiets, les informant de leurs droits et des recours disponibles s’ils estiment recevoir des ordres illégaux. Cette situation sans précédent crée une crise de confiance au sein de la Garde nationale qui pourrait avoir des répercussions à long terme sur le recrutement et la rétention.
Les précédents historiques et leurs leçons
Quand l’Amérique a déjà militarisé ses villes
L’histoire américaine offre plusieurs exemples de déploiements militaires domestiques qui peuvent éclairer la situation actuelle. Le plus souvent cité est l’utilisation de troupes fédérales pendant la Reconstruction après la guerre civile, lorsque l’armée américaine occupait les États du Sud pour protéger les droits des anciens esclaves et superviser la réintégration de ces États dans l’Union. Cette période, qui dura de 1865 à 1877, vit une présence militaire massive dans le Sud, avec des soldats fédéraux supervisant les élections, protégeant les bureaux de vote, et intervenant dans les affaires civiles locales. Bien que motivée par des objectifs louables — protéger les droits civiques des Afro-Américains nouvellement libérés — cette militarisation créa des ressentiments profonds et durables dans le Sud. C’est précisément en réaction aux abus perçus de cette période que le Congrès adopta le Posse Comitatus Act en 1878, cherchant à empêcher que l’armée ne soit à nouveau utilisée comme force de police domestique. Les historiens notent que la fin de la Reconstruction et le retrait des troupes fédérales permirent l’émergence des lois Jim Crow et la répression violente des Afro-Américains du Sud — un rappel que la présence militaire, même problématique, peut parfois protéger des populations vulnérables contre la violence locale.
Un autre précédent important est l’utilisation de troupes fédérales pendant le mouvement des droits civiques dans les années 1950 et 1960. Le président Eisenhower fédéralisa la Garde nationale de l’Arkansas en 1957 pour forcer l’intégration scolaire à Little Rock, envoyant des soldats protéger neuf étudiants afro-américains qui intégraient une école secondaire auparavant réservée aux Blancs. Le président Kennedy fit de même en 1962 pour permettre l’inscription de James Meredith à l’Université du Mississippi. Dans ces cas, les troupes fédérales furent utilisées non pas pour réprimer des manifestations mais pour protéger des citoyens exerçant leurs droits constitutionnels contre la résistance violente des autorités locales et de foules racistes. Ces déploiements, bien que controversés à l’époque, sont aujourd’hui largement considérés comme légitimes et nécessaires. Ils illustrent que le contexte et l’objectif d’un déploiement militaire sont cruciaux pour évaluer sa légitimité. Les troupes utilisées pour protéger les droits civiques contre la violence locale sont très différentes des troupes utilisées pour réprimer des manifestations légitimes ou intimider des communautés minoritaires. Cette distinction fondamentale est au cœur du débat actuel sur les déploiements de Trump.
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L’histoire nous enseigne, si nous voulons bien l’écouter. Les troupes fédérales à Little Rock protégeaient des enfants noirs contre des foules haineuses. Les soldats de Trump à Los Angeles patrouillent contre des manifestants qui protestent contre les politiques d’immigration. Voyez-vous la différence ? Dans un cas, la force fédérale protège les droits constitutionnels. Dans l’autre, elle les menace. C’est cette distinction que Trump et ses partisans tentent d’effacer en invoquant des précédents historiques hors contexte. Mais l’histoire n’est pas un buffet où l’on choisit les exemples qui nous arrangent. Elle est un récit complexe qui nous met en garde contre les abus de pouvoir, quelle que soit leur justification apparente.
Les leçons des autres démocraties
Un regard sur d’autres démocraties occidentales révèle que la militarisation domestique est généralement considérée comme un signe de faiblesse démocratique plutôt que de force. En Europe, l’utilisation de forces militaires pour le maintien de l’ordre intérieur est strictement limitée et généralement considérée comme un dernier recours absolu. La France, par exemple, dispose de la Gendarmerie nationale, une force militaire spécialisée dans les missions de police, mais son utilisation est encadrée par des règles strictes et soumise à un contrôle civil rigoureux. Le Royaume-Uni a une tradition encore plus forte de séparation entre militaire et civil, l’armée britannique n’intervenant pratiquement jamais dans les affaires domestiques sauf en cas de catastrophe naturelle majeure. L’Allemagne, traumatisée par son histoire nazie, a inscrit dans sa constitution des limitations extrêmement strictes sur l’usage des forces armées à l’intérieur du pays. Ces démocraties ont appris, souvent à travers des expériences douloureuses, que la militarisation de la société civile érode la confiance démocratique et crée un précédent dangereux pour les abus futurs. Les observateurs européens regardent les déploiements de Trump avec un mélange d’incrédulité et d’inquiétude, y voyant un signe de la fragilité croissante de la démocratie américaine.
Les exemples de démocraties qui ont échoué offrent des avertissements encore plus sombres. L’histoire du XXe siècle est jalonnée de républiques démocratiques qui ont progressivement glissé vers l’autoritarisme, souvent en commençant par la militarisation de la vie civile sous prétexte de maintien de l’ordre ou de lutte contre des menaces intérieures. La République de Weimar en Allemagne, la Quatrième République en France, plusieurs démocraties latino-américaines — toutes ont connu des périodes où l’armée a été de plus en plus impliquée dans les affaires civiles, créant une dynamique qui a finalement contribué à leur effondrement démocratique. Les politologues qui étudient les transitions démocratiques identifient la militarisation domestique comme l’un des signes avant-coureurs d’une dérive autoritaire. Lorsqu’un gouvernement commence à traiter ses propres citoyens comme des ennemis nécessitant une réponse militaire, lorsque les manifestations sont qualifiées de rébellions et les dissidents de traîtres, la démocratie est en danger. Ces leçons historiques ne signifient pas que l’Amérique est condamnée à suivre le même chemin, mais elles suggèrent que les déploiements militaires de Trump ne sont pas de simples questions techniques de maintien de l’ordre — ils touchent aux fondements mêmes de la démocratie américaine.
Les implications pour l'avenir de la démocratie américaine
Un précédent dangereux pour les futurs présidents
Au-delà de l’impact immédiat des déploiements actuels, la question la plus troublante concerne les précédents établis pour les futurs présidents. Si les tribunaux valident largement l’interprétation de Trump des pouvoirs présidentiels en matière de déploiement militaire, cela créera un modèle que n’importe quel futur président — démocrate ou républicain — pourra invoquer. Imaginez un futur président démocrate utilisant les mêmes arguments pour fédéraliser la Garde nationale du Texas et l’envoyer dans des villes républicaines pour « protéger » les cliniques d’avortement contre les manifestants pro-vie. Ou un président républicain déployant des troupes dans des États démocrates pour « sécuriser » les élections contre une fraude imaginaire. Ces scénarios, qui auraient semblé absurdes il y a quelques années, deviennent soudainement plausibles si les actions de Trump sont validées par les tribunaux. C’est précisément ce danger que les gouverneurs républicains devraient reconnaître — en soutenant les déploiements de Trump aujourd’hui, ils créent un outil que leurs adversaires politiques pourront utiliser contre eux demain. Cette myopie politique, motivée par la loyauté partisane à court terme, pourrait avoir des conséquences désastreuses à long terme pour l’équilibre fédéral et la stabilité démocratique américaine.
Les constitutionnalistes avertissent que nous assistons peut-être à un moment charnière dans l’histoire constitutionnelle américaine. Les décisions judiciaires prises maintenant sur les limites des pouvoirs présidentiels en matière militaire façonneront la présidence pour les générations à venir. Si la Cour suprême, lorsqu’elle se prononcera finalement sur ces questions, adopte une interprétation large des pouvoirs présidentiels, elle créera effectivement une nouvelle catégorie de pouvoir exécutif — le pouvoir de militariser les villes américaines à volonté, limité seulement par la volonté politique du président et non par des contraintes juridiques substantielles. Cette expansion du pouvoir présidentiel s’inscrirait dans une tendance plus large observée depuis plusieurs décennies, où le pouvoir exécutif s’est progressivement renforcé aux dépens du Congrès et des États. Les guerres perpétuelles, l’état d’urgence permanent après le 11 septembre, l’expansion de la surveillance domestique — tous ces développements ont contribué à créer une présidence impériale qui aurait horrifié les rédacteurs de la Constitution. Les déploiements militaires de Trump représentent potentiellement la prochaine étape de cette évolution, normalisant l’idée qu’un président peut utiliser la force militaire contre ses propres citoyens sans contrôle significatif.
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Je me demande parfois si nous réalisons vraiment ce qui est en train de se passer. Pas juste les déploiements eux-mêmes, mais ce qu’ils signifient pour l’avenir. Nous sommes en train de redéfinir ce qu’est la présidence américaine. De transformer le président en commandant en chef non seulement des forces armées à l’étranger, mais aussi d’une force de police militaire domestique. Et une fois ce pouvoir établi, une fois le précédent créé, il sera presque impossible de revenir en arrière. Les futurs présidents invoqueront Trump. Les avocats citeront ces décisions judiciaires. Et progressivement, imperceptiblement, la militarisation deviendra normale. Acceptable. Attendue. C’est ça qui me terrifie le plus — pas ce qui se passe aujourd’hui, mais ce que nous sommes en train de léguer aux générations futures.
La résistance citoyenne et institutionnelle
Face à cette menace, la résistance s’organise sur plusieurs fronts. Les organisations de défense des libertés civiles comme l’ACLU (American Civil Liberties Union) multiplient les actions en justice, contestant chaque déploiement et chaque extension de pouvoir présidentiel. Ces organisations jouent un rôle crucial en fournissant une expertise juridique et des ressources aux États et aux villes qui se battent contre les déploiements. Le Brennan Center for Justice, affilié à l’Université de New York, publie régulièrement des analyses détaillées des implications constitutionnelles des actions de Trump, fournissant aux juges et aux législateurs les outils intellectuels nécessaires pour résister aux excès présidentiels. Les facultés de droit à travers le pays organisent des conférences et des séminaires sur les limites du pouvoir présidentiel, formant la prochaine génération d’avocats et de juges qui devront naviguer dans ces eaux constitutionnelles troubles. Cette mobilisation intellectuelle et juridique est essentielle pour maintenir une opposition cohérente et informée aux déploiements militaires. Sans elle, la bataille se réduirait à un affrontement politique partisan sans fondement juridique solide.
Au niveau local, les communautés développent leurs propres formes de résistance. Des groupes de surveillance citoyenne documentent les actions des troupes déployées, collectant des preuves d’abus potentiels ou de violations des droits civils. Des organisations communautaires offrent un soutien juridique et psychologique aux personnes affectées par la militarisation de leurs quartiers. Des coalitions se forment entre différents groupes — organisations de défense des immigrés, mouvements pour les droits civiques, syndicats, groupes religieux — pour présenter un front uni contre les déploiements. Cette résistance de base est cruciale car elle maintient la pression sur les élus et les tribunaux, rappelant constamment que derrière les arguments juridiques abstraits se trouvent des communautés réelles affectées par ces politiques. Les manifestations continuent, malgré — ou peut-être à cause de — la présence militaire. Les habitants refusent de se laisser intimider, affirmant leur droit constitutionnel de protester et de s’exprimer. Cette résilience citoyenne est peut-être le rempart le plus important contre la normalisation de la militarisation. Tant que les citoyens refusent d’accepter la présence de soldats dans leurs rues comme normale, tant qu’ils continuent de se battre devant les tribunaux et dans les urnes, l’espoir d’un retour à une société civile démilitarisée reste vivant.
La décision du 10 décembre : analyse et implications
Les arguments juridiques du juge Breyer
La décision du juge Charles Breyer du 10 décembre 2025 mérite une analyse approfondie car elle pourrait devenir un texte de référence dans la jurisprudence sur les limites du pouvoir présidentiel. Le magistrat structure son raisonnement autour de plusieurs arguments clés qui, ensemble, forment une critique dévastatrice de la position de l’administration Trump. Premièrement, Breyer rejette catégoriquement l’argument selon lequel les manifestations de juin 2025 à Los Angeles constituaient une « rébellion » au sens de la loi permettant la fédéralisation de la Garde nationale. Il souligne que qualifier des protestations civiles, même vigoureuses, de rébellion reviendrait à vider ce terme de tout sens et à donner au président un pouvoir pratiquement illimité de militariser n’importe quelle ville sous prétexte de troubles civils. Deuxièmement, le juge s’attaque à l’argument du gouvernement selon lequel, une fois les troupes légalement fédéralisées, le président peut les garder sous son contrôle indéfiniment. Breyer qualifie cette interprétation de « contraire à la loi » et souligne qu’elle permettrait au président de créer une force de police permanente composée de troupes d’État, bouleversant complètement l’équilibre fédéral inscrit dans la Constitution. Cette analyse va au cœur du fédéralisme américain — le système de partage des pouvoirs entre l’État fédéral et les États qui constitue l’une des caractéristiques fondamentales du système constitutionnel américain.
Troisièmement, Breyer examine la situation factuelle actuelle à Los Angeles et conclut que le gouvernement n’a pas démontré l’existence d’une menace continue justifiant le maintien de troupes fédéralisées. Les manifestations se sont largement calmées. Le nombre de soldats déployés a chuté de 4000 à environ 100. La vie normale a repris dans la ville. Dans ces circonstances, argumente le juge, maintenir le contrôle fédéral des troupes ne sert aucun objectif légitime de sécurité publique et constitue plutôt un exercice de pouvoir pour le pouvoir lui-même. Cette exigence de démontrer une menace actuelle et spécifique, plutôt que de se contenter d’affirmations générales, pourrait devenir un standard important limitant les déploiements militaires futurs. Enfin, Breyer aborde directement la question du Posse Comitatus Act, concluant que l’utilisation prolongée de la Garde nationale fédéralisée pour des fonctions de maintien de l’ordre viole cette loi fondamentale. Cette conclusion est particulièrement significative car elle rejette l’argument du gouvernement selon lequel la Garde nationale, même fédéralisée, échappe aux restrictions du Posse Comitatus Act. Si cette interprétation est confirmée par les cours d’appel, elle limiterait considérablement la capacité des futurs présidents à utiliser la Garde nationale comme force de police fédérale. L’ordonnance du juge Breyer se distingue également par son ton — ferme, direct, parfois même cinglant dans sa critique des arguments gouvernementaux. La formule sur le « chèque en blanc » est devenue instantanément célèbre, capturant en quelques mots l’essence du conflit constitutionnel.
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Quand je lis la décision du juge Breyer, je ressens quelque chose de rare ces temps-ci : de l’espoir. Pas un espoir naïf que tout va s’arranger magiquement. Non. Plutôt l’espoir que le système, malgré toutes ses failles, peut encore fonctionner. Qu’un juge peut encore dire non à un président. Que les mots ont encore du poids. Que la Constitution n’est pas juste un vieux morceau de papier mais un document vivant qui peut nous protéger contre les abus de pouvoir. Breyer n’a pas juste rendu une décision technique — il a défendu un principe. Et dans ce moment de notre histoire, où tant de principes semblent négociables, ça compte énormément.
Les réactions et les prochaines étapes
La décision du juge Breyer a déclenché des réactions immédiates et prévisibles des deux côtés du spectre politique. Le gouverneur Newsom et le procureur général Bonta ont célébré la décision comme une victoire majeure pour le fédéralisme et l’État de droit. Les organisations de défense des libertés civiles ont salué le raisonnement du juge et appelé les autres tribunaux à suivre son exemple. Du côté de l’administration Trump, la réaction a été de défi et de détermination à poursuivre le combat. La porte-parole Abigail Jackson a immédiatement annoncé que le gouvernement ferait appel de la décision, affirmant que « le président dispose de l’autorité légale pour déployer des troupes en réponse à des émeutes violentes » et que l’administration « prévaudra finalement sur cette question ». Cette confiance affichée suggère que Trump et ses conseillers juridiques croient pouvoir obtenir un résultat plus favorable devant la Cour d’appel du 9e circuit, qui a déjà montré une certaine déférence envers les pouvoirs présidentiels dans des décisions antérieures liées aux déploiements militaires. Le fait que Breyer ait suspendu l’application de son ordonnance jusqu’au lundi suivant donne également au gouvernement le temps de préparer une demande d’urgence pour maintenir le statu quo pendant l’appel.
Les prochaines étapes juridiques sont relativement prévisibles mais cruciales. L’administration Trump déposera un appel devant le 9e circuit, probablement accompagné d’une demande de suspension de l’ordonnance du juge Breyer pendant que l’appel est examiné. Un panel de trois juges du 9e circuit examinera l’affaire, probablement dans les semaines ou mois à venir. Leur décision pourrait aller dans plusieurs directions. Ils pourraient confirmer la décision de Breyer, renforçant ainsi les limites sur les pouvoirs présidentiels. Ils pourraient la renverser, donnant raison à Trump et créant un précédent favorable à l’exécutif. Ou ils pourraient adopter une position intermédiaire, confirmant certains aspects de la décision de Breyer tout en en rejetant d’autres. Quelle que soit la décision du 9e circuit, il est presque certain que le perdant demandera à la Cour suprême d’intervenir. Étant donné que la haute cour examine déjà une affaire similaire concernant l’Illinois, il est possible qu’elle consolide les différents cas pour rendre une décision globale sur les limites des pouvoirs présidentiels en matière de déploiement militaire domestique. Cette décision de la Cour suprême, lorsqu’elle viendra, sera probablement l’une des plus importantes de la décennie en matière de droit constitutionnel, définissant l’équilibre des pouvoirs entre le président et les États pour les générations à venir.
Les enjeux internationaux et la réputation américaine
Comment le monde regarde l’Amérique
Les déploiements militaires de Trump dans les villes américaines n’ont pas échappé à l’attention de la communauté internationale. Les médias étrangers couvrent abondamment ces développements, souvent avec un mélange d’incrédulité et d’inquiétude. Les images de soldats américains patrouillant dans les rues de Los Angeles, Washington ou Chicago circulent largement sur les réseaux sociaux internationaux, accompagnées de commentaires comparant ces scènes à celles observées dans des régimes autoritaires. Cette perception est particulièrement dommageable pour les États-Unis, qui ont longtemps prétendu incarner les valeurs démocratiques et servir de modèle pour le reste du monde. Comment l’Amérique peut-elle critiquer les violations des droits humains dans d’autres pays lorsqu’elle militarise ses propres villes et réprime ses propres manifestants ? Cette question, posée par des journalistes et des diplomates du monde entier, met en lumière l’hypocrisie apparente de la position américaine sur la scène internationale. Les adversaires géopolitiques des États-Unis — la Chine, la Russie, l’Iran — exploitent habilement ces images pour dénoncer ce qu’ils appellent la « décadence démocratique » américaine et justifier leurs propres pratiques autoritaires. La propagande chinoise, en particulier, utilise abondamment les images des déploiements militaires américains pour contrer les critiques occidentales de sa répression à Hong Kong ou au Xinjiang.
Les alliés traditionnels des États-Unis expriment également leur malaise, bien que de manière plus diplomatique. Les gouvernements européens, tout en évitant de critiquer publiquement Trump, font savoir en privé leur inquiétude face à ce qu’ils perçoivent comme une dérive autoritaire de la démocratie américaine. Les parlementaires européens, moins contraints par les considérations diplomatiques, sont plus directs dans leurs critiques. Plusieurs résolutions ont été adoptées par le Parlement européen exprimant une « profonde préoccupation » face à la militarisation des villes américaines et appelant au respect des normes démocratiques. Ces déclarations, bien que largement symboliques, reflètent un changement dans la perception internationale de l’Amérique. Le pays n’est plus automatiquement considéré comme le champion de la démocratie et des droits humains, mais plutôt comme une démocratie fragile et potentiellement en déclin. Cette perte de crédibilité morale a des implications concrètes pour la politique étrangère américaine. Lorsque les États-Unis tentent de former des coalitions internationales pour défendre les valeurs démocratiques ou sanctionner des régimes autoritaires, leur voix porte moins de poids qu’auparavant. Les partenaires potentiels peuvent légitimement questionner la sincérité de l’engagement américain envers la démocratie lorsque le pays lui-même semble s’en éloigner.
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La réputation. Ça semble abstrait, presque superficiel. Mais c’est important. Parce que pendant des décennies, l’Amérique a tiré une partie de sa puissance de son image — l’idée qu’elle représentait quelque chose de plus grand que la simple force militaire ou économique. Elle incarnait un idéal démocratique, imparfait certes, mais réel. Et maintenant ? Maintenant, le monde voit des soldats américains dans les rues américaines. Il voit un président qui qualifie ses opposants de rebelles. Il voit une démocratie qui ressemble de plus en plus à ce qu’elle prétendait combattre. Et cette image, une fois ternie, est extrêmement difficile à restaurer. Les dégâts sont profonds. Durables. Peut-être irréversibles.
Les implications pour la diplomatie américaine
Sur le plan diplomatique concret, les déploiements militaires compliquent considérablement la capacité des États-Unis à promouvoir la démocratie et les droits humains à l’étranger. Lorsque le secrétaire d’État américain critique un pays pour avoir réprimé des manifestations, les représentants de ce pays peuvent maintenant répondre en pointant vers Los Angeles ou Portland. Cette dynamique de « whataboutism » — la pratique de détourner les critiques en pointant vers les défauts de l’accusateur — n’est pas nouvelle, mais les déploiements de Trump lui donnent une force nouvelle. Les organisations internationales de défense des droits humains, comme Human Rights Watch et Amnesty International, ont publié des rapports critiquant les déploiements militaires américains et les comparant aux pratiques observées dans des régimes autoritaires. Ces rapports, émanant d’organisations respectées et généralement considérées comme alliées des valeurs occidentales, sont particulièrement embarrassants pour Washington. Ils suggèrent que les États-Unis ne sont plus simplement un acteur imparfait mais bien intentionné sur la scène internationale, mais plutôt un pays qui viole activement les normes démocratiques qu’il prétend défendre. Cette perception affecte la capacité américaine à exercer un leadership moral sur des questions allant de la liberté d’expression à la protection des minorités en passant par la limitation du pouvoir militaire.
Les programmes de promotion de la démocratie financés par le gouvernement américain — qui dépensent des milliards de dollars chaque année pour soutenir les institutions démocratiques, former les journalistes, et renforcer la société civile dans des pays en transition — perdent également en crédibilité. Comment les États-Unis peuvent-ils former des juges étrangers à l’indépendance judiciaire lorsque leur propre président attaque régulièrement les juges qui lui sont défavorables ? Comment peuvent-ils promouvoir la liberté de la presse lorsque leur président qualifie les médias critiques d' »ennemis du peuple » ? Comment peuvent-ils enseigner les limites du pouvoir exécutif lorsque leur propre président semble déterminé à les repousser ? Ces contradictions ne sont pas perdues sur les bénéficiaires de ces programmes, qui deviennent de plus en plus cyniques quant aux véritables intentions américaines. Certains activistes démocrates dans des pays autoritaires ont même publiquement rejeté le soutien américain, arguant qu’être associé aux États-Unis de Trump nuit à leur crédibilité locale. Cette perte d’influence dans la promotion de la démocratie mondiale représente peut-être l’un des coûts les plus durables des politiques de Trump, un coût qui persistera longtemps après la fin de sa présidence et qui affaiblira la capacité américaine à façonner l’ordre international selon ses valeurs.
Conclusion : à la croisée des chemins démocratiques
Le moment de vérité pour les institutions américaines
La décision du juge Breyer du 10 décembre 2025 représente bien plus qu’une simple victoire juridique pour la Californie ou un revers tactique pour l’administration Trump. Elle symbolise un moment crucial dans le combat pour l’âme de la démocratie américaine. Pendant des mois, Trump a systématiquement testé les limites du pouvoir présidentiel, cherchant à établir de nouveaux précédents qui transformeraient fondamentalement la nature de la présidence et l’équilibre des pouvoirs dans le système américain. Les déploiements militaires dans les villes démocrates ne sont qu’un aspect de cette stratégie plus large, mais ils touchent à quelque chose de particulièrement fondamental — le principe selon lequel, dans une démocratie, les militaires ne doivent pas être utilisés contre les citoyens. La réponse des tribunaux à ces déploiements déterminera non seulement le sort immédiat des troupes à Los Angeles, Chicago ou Washington, mais aussi la trajectoire à long terme de la démocratie américaine. Si les cours acceptent l’interprétation extensive de Trump des pouvoirs présidentiels, elles créeront un précédent permettant la militarisation permanente de la société américaine. Si elles rejettent cette interprétation, comme l’a fait le juge Breyer, elles réaffirmeront les limites constitutionnelles du pouvoir exécutif et maintiendront la séparation cruciale entre fonction militaire et fonction civile.
Les institutions américaines — les tribunaux, le Congrès, les gouvernements d’État, la société civile — sont mises à l’épreuve d’une manière qu’elles n’ont pas connue depuis des générations. La question n’est plus théorique ou académique. Elle est immédiate et concrète : ces institutions peuvent-elles encore servir de rempart contre les abus de pouvoir présidentiel ? Peuvent-elles encore imposer des limites à un président déterminé à les repousser ? Les réponses à ces questions ne sont pas encore claires. D’un côté, nous voyons des signes encourageants — des juges comme Breyer qui défendent courageusement les principes constitutionnels, des gouverneurs qui refusent de céder face à la pression fédérale, des citoyens qui continuent de manifester malgré la présence militaire. De l’autre, nous voyons des signes inquiétants — des cours d’appel qui accordent une déférence excessive au pouvoir exécutif, des élus républicains qui restent silencieux face aux excès de Trump, une normalisation progressive de ce qui aurait été impensable il y a quelques années. Le combat pour la démocratie américaine n’est pas terminé. Il ne fait peut-être que commencer. Et son issue déterminera non seulement l’avenir des États-Unis, mais aussi celui de la démocratie dans le monde, car l’Amérique, malgré tous ses défauts, reste un symbole et un modèle pour de nombreux pays.
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Je termine cette chronique avec un sentiment mitigé. Pas de triomphalisme face à la décision du juge Breyer. Pas de désespoir non plus. Plutôt une détermination calme. Parce que je réalise maintenant que la démocratie n’est pas un état permanent qu’on atteint et qu’on garde. C’est un combat quotidien. Une vigilance constante. Un refus de normaliser l’anormal. Trump va faire appel. Il va continuer à pousser. À tester. À chercher des failles. Et nous devons continuer à résister. Pas avec des slogans vides ou des indignations performatives. Mais avec une opposition réelle, informée, déterminée. Dans les tribunaux. Dans les urnes. Dans les rues. Parce que si nous abandonnons, si nous acceptons que les soldats dans nos villes sont normaux, si nous laissons le pouvoir présidentiel s’étendre sans limite — alors nous aurons perdu quelque chose de précieux. Quelque chose qu’il sera presque impossible de récupérer.
L’espoir dans la résistance collective
Malgré la gravité de la situation, il existe des raisons d’espérer. La résistance aux déploiements militaires de Trump a démontré que les institutions démocratiques américaines, bien que sous pression, ne sont pas encore brisées. Les tribunaux continuent de fonctionner comme un frein au pouvoir exécutif, même si leurs décisions sont parfois contradictoires. Les gouverneurs d’État, particulièrement les démocrates, ont montré qu’ils sont prêts à se battre pour défendre les prérogatives de leurs États contre l’empiètement fédéral. Les organisations de la société civile mobilisent des ressources considérables pour contester chaque abus et documenter chaque violation. Et surtout, les citoyens ordinaires refusent de se laisser intimider. Les manifestations continuent. Les gens votent. Ils s’organisent. Ils résistent. Cette résilience citoyenne est peut-être l’atout le plus important de la démocratie américaine. Tant que les citoyens refusent d’accepter l’inacceptable, tant qu’ils continuent de croire que leur voix compte et que leurs actions peuvent faire une différence, l’espoir d’un retour à une société démocratique normale reste vivant. La décision du juge Breyer montre que cette résistance peut porter ses fruits, que les batailles juridiques peuvent être gagnées, que les principes constitutionnels peuvent encore prévaloir sur les calculs politiques.
L’avenir de la démocratie américaine se jouera dans les mois et les années à venir, à travers une série de batailles juridiques, politiques et culturelles dont les déploiements militaires ne sont qu’un aspect. La Cour suprême rendra éventuellement une décision qui clarifiera — ou obscurcira davantage — les limites du pouvoir présidentiel. Le Congrès pourrait adopter une législation renforçant les restrictions sur les déploiements militaires domestiques, bien que cela semble peu probable dans l’environnement politique actuel. Les élections futures donneront aux citoyens l’opportunité de se prononcer sur la direction du pays. Et à travers tout cela, les citoyens ordinaires continueront de faire des choix quotidiens sur le type de société dans laquelle ils veulent vivre. Accepteront-ils la militarisation comme le nouveau normal ? Ou continueront-ils de la contester et de la rejeter ? Ces choix individuels et collectifs, multipliés par des millions de personnes, détermineront finalement si l’Amérique reste une démocratie civile ou glisse vers quelque chose de plus autoritaire et militarisé. La décision du 10 décembre nous rappelle que la bataille n’est pas perdue, que la résistance est possible, et que les principes démocratiques peuvent encore triompher. Mais elle nous rappelle aussi que rien n’est garanti, que la vigilance est essentielle, et que la démocratie ne se défend pas toute seule — elle nécessite l’engagement actif de citoyens déterminés à la préserver.
Sources
Sources primaires
The Guardian, « Judge blocks Trump administration’s deployment of national guard troops in Los Angeles », 10 décembre 2025. Los Angeles Times, « Trump must end National Guard deployment in L.A., judge rules », 10 décembre 2025. BBC News, « Why is Trump deploying the National Guard to US cities? », 27 novembre 2025. Al Jazeera, « US federal judge halts Trump’s National Guard operations in California », 10 décembre 2025. Gouvernement de Californie, « Federal Court to Trump: keeping a standing army is illegal, the federalization of California’s National Guard must end », 10 décembre 2025. CNN, « Federal judge orders Trump’s National Guard deployment in Los Angeles to end », 10 décembre 2025. Reuters, « US judge says Trump must end National Guard deployment in Los Angeles », 10 décembre 2025. NPR, « Judge blocks Trump’s National Guard deployment in LA with sharp rebuke », 10 décembre 2025.
Sources secondaires
Brennan Center for Justice, « Appeals Courts Split on Domestic Military Deployments », novembre 2025. CalMatters, « Judge orders Trump to end National Guard deployment », 10 décembre 2025. Wikipedia, « June 2025 Los Angeles protests against mass deportation ». Oregon Capital Chronicle, « Federal judge permanently blocks Trump Guard deployment to Portland », 7 novembre 2025. Human Rights Watch, « US: ICE Abuses in Los Angeles Set Stage for Other Cities », 4 novembre 2025. ABC News, « LA protests timeline: How ICE raids sparked demonstrations », juin 2025. KQED, « Federal Judge Orders Trump to Return National Guard Troops in LA to State Control », 10 décembre 2025. NBC News, « Judge orders Trump to end California National Guard troop deployment in Los Angeles », 10 décembre 2025.
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