Ce que disent les experts du droit international
Les experts en droit international sont unanimes dans leur condamnation de ces frappes. Mary Ellen O’Connell, professeure de droit, affirme que la frappe a violé les principes fondamentaux du droit international. Luke Moffett de l’Université Queen’s de Belfast, également professeur de droit, déclare que frapper le navire sans motifs de légitime défense pourrait constituer une exécution extrajudiciaire. Geoffrey Corn, ancien conseiller principal sur le droit de la guerre auprès de l’armée américaine, est tout aussi catégorique en affirmant qu’il ne pense pas qu’il y ait un moyen de caractériser légitimement un navire de drogue se dirigeant du Venezuela, vraisemblablement vers Trinidad, comme une attaque armée réelle ou imminente contre les États-Unis, justifiant cette réponse militaire. Même John Yoo, figure juridique de l’administration George W. Bush connu pour ses positions controversées sur la torture et les pouvoirs exécutifs en temps de guerre, a remis en question la légalité des frappes en arguant qu’il doit y avoir une ligne entre le crime et la guerre. Harold Hongju Koh, figure juridique de l’ère Obama, qualifie les frappes de sans loi, dangereuses et imprudentes. L’ancien avocat en chef de l’éthique de la Maison Blanche, Richard Painter, appelle les frappes une violation du droit international et fédéral. Ce consensus parmi les experts juridiques, qu’ils soient progressistes ou conservateurs, anciens responsables démocrates ou républicains, est remarquable et devrait donner à réfléchir à quiconque se soucie de l’État de droit.
Le problème fondamental, selon ces experts, est que les États-Unis ne sont pas en conflit armé avec un cartel ou un gang criminel, malgré la déclaration formelle de Trump le 1er octobre 2025 selon laquelle le pays était dans un conflit armé non international avec des combattants illégaux concernant les cartels de la drogue dans les Caraïbes. Pour qu’un conflit armé non international existe selon le droit international, deux conditions doivent être remplies. Premièrement, le groupe non étatique doit être à la fois armé et organisé. Bien que les cartels soient généralement bien organisés, ils ne sont pas per se armés au sens du droit des conflits armés. Armé signifie s’engager dans la violence contre l’État de manière organisée, le simple fait que le groupe possède des armes utilisées pour d’autres activités criminelles ne suffit pas. Deuxièmement, la violence armée entre l’État et le groupe doit être prolongée et intense, une violence sporadique, même mortelle, n’est pas suffisamment intense. Même si le critère d’intensité pouvait être satisfait à un moment donné en vertu de la poursuite des frappes américaines, ce qui reste un domaine contesté du droit, le fait que les frappes américaines ne soient pas dirigées contre un groupe armé organisé empêche la caractérisation comme conflit armé non international. En l’absence de conflit armé, c’est le droit pénal national et le droit international des droits humains qui s’appliquent, et ces deux cadres juridiques interdisent ce type de frappes létales. Selon le droit pénal américain, le meurtre est défini comme le fait de tuer illégalement un être humain avec préméditation, y compris lorsqu’il est commis en haute mer. L’article 118 du Code uniforme de justice militaire criminalise également le meurtre, à la fois lorsque le personnel militaire a l’intention de tuer et lorsqu’il se livre à un acte intrinsèquement dangereux pour autrui et témoignant d’un mépris gratuit de la vie humaine.
Les violations présumées du droit humanitaire international
Selon le droit international des droits humains, les frappes américaines contre des trafiquants de drogue présumés en mer constituent des exécutions extrajudiciaires, c’est-à-dire des privations arbitraires du droit à la vie. Un meurtre est arbitraire lorsqu’il n’est pas effectué en légitime défense ou en défense d’autrui contre une menace imminente de mort ou de blessures graves, pour empêcher la perpétration d’un crime particulièrement grave impliquant une grave menace pour la vie, pour arrêter une personne présentant un tel danger et résistant à leur autorité, ou pour empêcher sa fuite, et seulement lorsque des moyens moins extrêmes sont insuffisants pour atteindre ces objectifs. Aucune de ces circonstances n’était présente dans les frappes sur les bateaux, en particulier parce que les personnes tuées ne représentaient aucune menace imminente et que d’autres moyens d’arrêter les bateaux couramment utilisés auraient pu être réalisables, comme l’interdiction traditionnelle. Un groupe d’experts des droits humains des Nations Unies a déclaré le 21 octobre 2025 que l’utilisation de la force létale dans les eaux internationales sans base juridique appropriée constitue des exécutions extrajudiciaires, et que toute action militaire secrète ou directe contre un autre État souverain représenterait une violation encore plus grave de la Charte des Nations Unies. Le 31 octobre, Volker Türk, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a déclaré que les États-Unis doivent arrêter les frappes sur les bateaux de drogue présumés pour prévenir les meurtres extrajudiciaires et a également appelé à une enquête sur les frappes. Une porte-parole du bureau de Türk a déclaré qu’il croyait que les frappes aériennes des États-Unis sur des bateaux dans les Caraïbes et dans le Pacifique violent le droit international des droits humains, ajoutant dans une déclaration qui contredit la déclaration de conflit armé de Trump que les frappes se déroulaient en dehors du contexte d’un conflit armé ou d’hostilités actives.
Amnesty International USA a décrit une frappe comme un meurtre. Adam Isacson du Washington Office on Latin America a déclaré que la frappe ressemble à un massacre de civils en mer. Dans une interview avec Democracy Now, Greg Grandin a affirmé que la frappe apportait la logique de Gaza dans les Caraïbes, en termes d’irresponsabilité, d’impunité et d’une notion expansive de défense nationale pour justifier ce qui est, en effet, juste un meurtre extrajudiciaire. Un ancien procureur en chef de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, a déclaré à la BBC que les frappes seraient considérées selon le droit international comme des crimes contre l’humanité. Se référant au meurtre prémédité en dehors d’un conflit armé comme un meurtre, il a également déclaré que pour lui, c’est très clair, un crime contre l’humanité est une attaque systématique contre une population civile, et il n’y a aucune clarté sur la raison pour laquelle ces personnes ne sont pas des civils, même si elles pourraient être des criminels, et c’est clairement systématique, parce que le président Trump dit qu’ils ont planifié et organisé cela, donc ce devrait être l’accusation. Cette convergence d’opinions juridiques provenant de sources aussi diverses et respectées devrait normalement suffire à faire réfléchir n’importe quelle administration. Mais l’administration Trump semble imperméable à ces critiques, campant sur sa position que le président a l’autorité constitutionnelle d’agir ainsi pour défendre la nation.
Crimes contre l’humanité. Ces mots résonnent avec une gravité particulière. Ce ne sont pas des accusations lancées à la légère par des militants radicaux ou des opposants politiques acharnés. Ce sont des évaluations sobres et réfléchies formulées par certains des plus grands experts juridiques du monde, y compris un ancien procureur de la Cour pénale internationale. Quand autant de voix respectées, de tous les horizons politiques, tirent la sonnette d’alarme, il serait sage d’écouter. Mais l’administration Trump ne semble pas intéressée par l’écoute. Elle préfère doubler la mise, intensifier les opérations, élargir la campagne. C’est terrifiant.
La question des survivants et du respect des conventions de Genève
L’obligation internationale de secourir les naufragés
Selon le droit international de longue date, tant en temps de paix qu’en temps de conflit armé, il existe une obligation de prendre des mesures praticables pour secourir les personnes qui ont fait naufrage. C’est une obligation qui se reflète à la fois dans le droit de la mer et dans le droit des conflits armés. En temps de paix, le devoir est de procéder à toute vitesse possible pour secourir les personnes en détresse tant que cela ne met pas sérieusement en danger le navire ou l’équipage, selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. C’était l’obligation applicable parce que les États-Unis n’étaient pas dans un conflit armé, malgré les affirmations contraires de l’administration. Néanmoins, même pendant un conflit armé, selon le manuel du commandant de la marine, du corps des Marines et des garde-côtes sur le droit des opérations navales, après chaque engagement naval en mer, les belligérants sont obligés de prendre toutes les mesures possibles, compatibles avec la sécurité de leurs forces, pour rechercher et secourir les naufragés. Le manuel du département de la Défense sur le droit de la guerre précise que les obligations de rechercher, collecter et prendre des mesures affirmatives pour protéger les blessés, les malades et les naufragés sont soumises à des limitations pratiques. Mais tuer délibérément des naufragés, comme cela aurait été fait selon les allégations concernant la frappe du 1er septembre, va bien au-delà de toute limitation pratique raisonnable. C’est une violation flagrante et inexcusable des lois de la guerre les plus fondamentales.
Le manuel du département de la Défense sur le droit de la guerre utilise exactement cette règle comme exemple paradigmatique d’un ordre clairement illégal. Dans sa section sur les ordres clairement illégaux de commettre des violations du droit de la guerre, le manuel stipule que l’exigence de refuser de se conformer aux ordres de commettre des violations du droit de la guerre s’applique aux ordres d’effectuer une conduite qui est clairement illégale ou aux ordres que le subordonné sait, en fait, être illégaux. Par exemple, les ordres de tirer sur les naufragés seraient clairement illégaux, précise le manuel en italique pour souligner l’importance de ce point. Si un ordre a été donné de ne laisser aucun survivant, connu sous le nom de refus de quartier, cela aurait également été un ordre clairement illégal, et toute personne recevant cet ordre avait le devoir de ne pas le suivre. Le manuel pour les cours martiales, qui s’applique à tous les ordres, souligne que bien que les ordres supérieurs soient présumés légaux, cette présomption ne s’applique pas à un ordre manifestement illégal, tel qu’un ordre qui ordonne la commission d’un crime. Il est important de noter que le devoir de refuser un ordre illégal n’est déclenché que lorsque l’ordre est manifestement illégal. Si le personnel militaire refuse d’obéir à un ordre qu’il croit être illégal, et que l’ordre ne l’est pas, il peut être puni pour ne pas l’avoir suivi en vertu du Code uniforme de justice militaire. Mais dans le cas d’un ordre de tirer sur des naufragés ou de ne laisser aucun survivant, l’illégalité est si manifeste, si évidente, qu’aucun membre du personnel militaire ne pourrait raisonnablement prétendre ne pas l’avoir su.
Le cas troublant de la frappe du 16 octobre avec survivants
Une autre frappe, celle du 16 octobre 2025, soulève également des questions importantes sur le traitement des survivants. Reuters a rapporté qu’il y avait eu une frappe non annoncée auparavant ce jour-là, qui comprenait des survivants. Les États-Unis ont allégué que le navire frappé était un narco-sous-marin. Deux personnes ont été tuées et deux ont survécu. Les survivants ont été secourus et détenus sur un navire de la marine américaine. Le 19 octobre, les deux ont été rapatriés dans leurs pays d’origine respectifs, la Colombie et l’Équateur. Selon CNN, la sœur du survivant équatorien a affirmé ne rien savoir de l’implication présumée de son frère dans le trafic de drogue et l’a plutôt dépeint comme un père désespéré essayant de subvenir aux besoins de ses six enfants. L’Équatorien avait été condamné et expulsé des États-Unis en 2020 pour trafic de drogue. Le bureau du procureur général équatorien a déclaré qu’aucun rapport de crime n’avait été déposé contre lui auprès de leur institution, donc en l’absence de preuves pour le détenir, le sujet a été libéré. L’autre survivant de la frappe du 16 octobre, rapatrié en Colombie, a été hospitalisé à son arrivée avec des blessures modérées, y compris une fracture du crâne. Le président Petro et Armando Benedetti, ministre colombien de l’Intérieur, ont déclaré au moment où il a été rapatrié que le survivant serait poursuivi selon la loi, parce qu’il est prétendument un criminel qui trafiquait de la drogue. Cependant, parce que l’incident s’est produit dans les eaux internationales, en dehors du territoire colombien, il ne serait poursuivi que s’il parlait volontairement et s’incriminait lui-même. Il a été libéré le 6 novembre sans aucune accusation.
Ce traitement des survivants soulève des questions juridiques et éthiques complexes. D’une part, les États-Unis ont respecté leur obligation de secourir les naufragés en récupérant les deux survivants. D’autre part, leur détention à bord d’un navire militaire américain puis leur rapatriement rapide vers leurs pays d’origine sans procès ni accusation formelle aux États-Unis semble être une tentative de se débarrasser de témoins potentiellement gênants. Si ces hommes étaient vraiment des trafiquants de drogue dangereux justifiant l’utilisation de la force létale, pourquoi ne pas les poursuivre devant les tribunaux américains? Les États-Unis ont certainement la juridiction pour le faire en vertu de la loi sur l’application de la loi sur les drogues maritimes. Le fait qu’ils aient été rapidement renvoyés chez eux suggère peut-être que les preuves contre eux n’étaient pas aussi solides que l’administration Trump le prétendait, ou que l’administration préférait éviter un procès public qui pourrait révéler des détails embarrassants sur les circonstances de la frappe. Le fait que le survivant colombien ait été libéré sans accusation malgré les déclarations initiales selon lesquelles il serait poursuivi est particulièrement révélateur. Si les autorités colombiennes, qui ont certainement accès à toutes les informations pertinentes et qui ont tout intérêt à poursuivre les trafiquants de drogue, ont conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour porter des accusations, cela jette un doute sérieux sur la version américaine des événements.
Ces histoires de survivants me troublent profondément. Pas seulement à cause de ce qui leur est arrivé, mais à cause de ce que leur traitement révèle sur la logique tordue qui sous-tend toute cette opération. Si ces hommes étaient vraiment des terroristes dangereux, des narcotrafiquants endurcis méritant la mort, pourquoi ne pas les traduire en justice? Pourquoi ne pas les juger publiquement, présenter les preuves, obtenir une condamnation? Ce serait une victoire pour l’État de droit, une démonstration que le système fonctionne. Au lieu de cela, ils sont rapidement renvoyés chez eux et libérés sans accusation. Cela sent la dissimulation, la volonté d’éviter un examen minutieux. Et cela me fait me demander… combien d’autres personnes tuées dans ces frappes n’étaient peut-être pas ce que l’administration prétend qu’elles étaient?
Les témoignages des familles et la réalité du terrain
Les villages vénézuéliens plongés dans le deuil et la peur
Dans la péninsule de Paria, dans l’État de Sucre au Venezuela, d’où provenait le premier bateau frappé le 1er septembre, les médias vénézuéliens ont rapporté que la région était connue pour le trafic, bien que pas nécessairement par le Tren de Aragua spécifiquement, et certains membres de la famille ont déclaré que les villageois s’étaient impliqués dans des activités illicites par nécessité économique. Les habitants décrivant une ville en deuil ont publié des hommages contenant des photos des défunts dès le début du 3 septembre. Les décédés comprenaient huit personnes de San Juan de Unare et trois d’une ville voisine, Güiria. Le New York Times a rapporté que des responsables de la sécurité vénézuéliens sont descendus sur San Juan de Unare, ont coupé l’électricité et ont clairement fait comprendre que les déclarations publiques sur les attaques n’étaient pas les bienvenues, selon quatre habitants, dont la nièce de l’une des victimes. La journaliste de l’Associated Press Regina Garcia Cano a visité Sucre juste après la première frappe vénézuélienne et a interrogé des dizaines de personnes. Elle a écrit sur les peurs très réelles des sources d’être punies, en particulier par le gouvernement vénézuélien, pour avoir parlé aux journalistes. Elle a obtenu des informations sur neuf personnes, y compris les noms de quatre de celles tuées, et a constaté que certains des hommes morts avaient effectivement transporté de la drogue mais n’étaient pas des narcoterroristes ou des chefs de cartel ou de gang. Les personnes interrogées par Garcia Cano ont déclaré que la plupart de ceux qui ont été tués étaient des membres d’équipage de première fois, et qu’ils comprenaient un pêcheur, un chauffeur de moto-taxi, des ouvriers et deux petits criminels de carrière. L’un était un chef criminel local bien connu qui avait accepté de travailler pour des passeurs de narcotiques. Un autre trafiquait à la fois de la drogue et des êtres humains.
Deux corps non identifiés soupçonnés par les habitants d’être des victimes de la frappe du 1er septembre se sont échoués sur les côtes de Trinité-et-Tobago, montrant des signes d’avoir été explosés. Des personnes qui le connaissaient ont affirmé que l’un des corps était un Vénézuélien, reconnaissable à sa montre. Le rapport de l’Associated Press indiquait qu’il avait été emprisonné par les autorités vénézuéliennes pour des accusations de trafic d’êtres humains après qu’un bateau qu’il exploitait ait chaviré en décembre 2020, et des personnes l’avaient décrit comme un patron criminel local de longue date qui gagnait la majeure partie de sa vie en faisant passer clandestinement de la drogue et des personnes à travers les frontières. Ce portrait nuancé contraste fortement avec la rhétorique simpliste de l’administration Trump qui présente toutes les victimes comme des terroristes endurcis. La réalité sur le terrain est beaucoup plus complexe, beaucoup plus grise. Oui, certains des hommes tués étaient impliqués dans des activités criminelles, parfois graves. Mais d’autres semblent avoir été des acteurs mineurs, des hommes désespérés qui ont pris un risque terrible pour gagner de l’argent dans une économie effondrée. Le Venezuela traverse une crise économique et humanitaire dévastatrice depuis des années, avec une hyperinflation galopante, des pénuries de nourriture et de médicaments, et un exode massif de millions de personnes. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que certains habitants des régions côtières pauvres se tournent vers des activités illicites pour survivre. Cela n’excuse pas le trafic de drogue, qui cause d’immenses souffrances. Mais cela devrait au moins nous faire réfléchir avant de célébrer leur mort comme une victoire dans la guerre contre la drogue.
Les cas colombiens et trinidadiens qui compliquent le récit officiel
Le président colombien Gustavo Petro a affirmé qu’un des hommes tués dans une frappe à la mi-septembre était un pêcheur colombien. Sa famille a déclaré qu’Alejandro Andrés Carranza Medina, alias Coroncoro, ne trafiquait pas de drogue, mais selon CBS News, les médias ont rapporté que Carranza avait un casier judiciaire pour vol d’armes en collusion avec des gangs. El Tiempo de Colombie a rapporté qu’en 2015, il était prétendument impliqué dans le vol de deux cent soixante-quatre armes de la police métropolitaine de Santa Marta. El País a déclaré que l’auteur présumé avait accepté les accusations de complot pour commettre un crime, détournement de fonds, falsification de documents publics et vol aggravé. Début décembre 2025, l’avocat personnel de Petro a déposé une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme contre Hegseth au nom de la famille de Carranza. Ce cas illustre parfaitement la complexité de la situation. Carranza n’était clairement pas un citoyen modèle, il avait un passé criminel documenté. Mais était-il un narcoterroriste justifiant une exécution sommaire en mer? Sa famille dit que non, qu’il était juste un pêcheur. Les autorités américaines disent que oui, qu’il était sur un bateau de drogue. La vérité se situe probablement quelque part entre les deux, dans cette zone grise inconfortable où les gens ne sont ni des saints ni des démons, juste des êtres humains imparfaits pris dans des circonstances difficiles.
Les familles de deux hommes disparus de Trinité-et-Tobago les ont identifiés publiquement et soupçonnent qu’ils ont été tués dans la frappe du 14 octobre. Une famille dit que leur parent était un pêcheur qui voyageait souvent au Venezuela et nie qu’il était impliqué dans le trafic de drogue. MSNBC a écrit que l’un avait une accusation liée à la drogue datant de 2018, et l’autre avait été libéré en 2021 après une peine de prison pour un meurtre en 2009. Encore une fois, nous voyons ce mélange troublant de personnes avec des antécédents criminels et de personnes que leurs familles décrivent comme innocentes. Le fait que l’un des hommes ait été condamné pour meurtre soulève évidemment des questions sur son caractère et ses activités. Mais même un meurtrier condamné qui a purgé sa peine a des droits, y compris le droit de ne pas être exécuté sommairement sans procès. Et l’autre homme, celui que sa famille décrit comme un simple pêcheur, méritait-il vraiment de mourir parce qu’il se trouvait sur le mauvais bateau au mauvais moment? Ces histoires individuelles, ces vies complexes et imparfaites, se perdent dans la rhétorique guerrière de l’administration Trump. Pour eux, ce sont tous des narcoterroristes, des ennemis à éliminer. Mais pour leurs familles, ce sont des fils, des pères, des frères, des êtres humains qui manqueront cruellement malgré tous leurs défauts.
Je pense à ces familles endeuillées, à ces villages plongés dans le deuil et la peur. Je pense à cette nièce qui a parlé au New York Times malgré le danger, malgré les menaces implicites du gouvernement vénézuélien. Je pense à cette sœur équatorienne qui insiste que son frère était juste un père désespéré essayant de nourrir ses six enfants. Peut-être qu’elle se ment à elle-même, peut-être qu’elle refuse de voir la vérité sur les activités de son frère. Ou peut-être qu’elle dit la vérité, et que son frère était effectivement juste un homme désespéré qui a fait un choix terrible. Je ne sais pas. Personne ne sait vraiment, parce qu’il n’y a jamais eu de procès, jamais eu d’enquête indépendante, jamais eu de chance pour ces hommes de raconter leur version de l’histoire. Ils sont juste morts, et maintenant nous devons nous contenter de récits contradictoires et de demi-vérités.
L'escalade vers des opérations terrestres au Venezuela
L’identification de cibles sur le territoire vénézuélien
Le Wall Street Journal a rapporté le 30 octobre 2025 que des responsables américains ont déclaré avoir identifié des cibles qui se situent au carrefour des gangs de drogue et du régime Maduro, y compris des installations telles que des ports et des pistes d’atterrissage que l’armée vénézuélienne utiliserait prétendument pour le trafic de drogue. Cette révélation marque une escalade potentiellement dangereuse dans la confrontation entre les États-Unis et le Venezuela. Jusqu’à présent, toutes les frappes ont eu lieu dans les eaux internationales, ce qui pose déjà d’énormes problèmes juridiques. Mais des frappes sur le territoire vénézuélien constitueraient une violation encore plus flagrante du droit international, un acte d’agression pure et simple contre un État souverain. Selon les experts juridiques, des opérations militaires sur le territoire vénézuélien seraient illégales en tant qu’usage de la force contre le Venezuela en violation claire de la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier. Le Venezuela n’a engagé aucune activité qui pourrait être qualifiée d’attaque armée contre les États-Unis, le déclencheur du droit d’utiliser la force contre un autre État en légitime défense. Les cartels non plus n’ont pas engagé d’attaque armée contre les États-Unis, ce qui, selon certains États et experts, pourrait ouvrir la porte à des opérations contre eux sur la base que le Venezuela est incapable ou ne veut pas mettre fin à leurs activités hostiles émanant de son territoire. Cette doctrine de l’incapacité ou du refus est elle-même controversée et n’est pas universellement acceptée en droit international.
L’administration Trump semble néanmoins déterminée à poursuivre cette escalade. Trump lui-même a reconnu la possibilité de frappes sur le territoire vénézuélien lors de déclarations publiques. Le déploiement naval américain dans les Caraïbes, initialement présenté comme une mission anti-drogue, est de plus en plus perçu par les analystes indépendants et les figures de l’opposition vénézuélienne comme visant un changement de régime. Le Financial Times et le Wall Street Journal ont tous deux rapporté à la mi-octobre que des sources au sein de l’opposition vénézuélienne et des analystes indépendants confirmaient un changement dans les objectifs américains vers le renversement du régime Maduro. Cette interprétation est renforcée par la rhétorique de plus en plus agressive de l’administration Trump envers le Venezuela et par le doublement de la récompense offerte pour des informations menant à l’arrestation de Maduro, portée à cent millions de dollars en août 2025. Le gouvernement vénézuélien, pour sa part, dénonce ces actions comme une agression impérialiste et une violation de sa souveraineté. Le président Maduro a mobilisé l’armée et mis le pays en état d’alerte. La tension monte dangereusement, et le risque d’un conflit armé ouvert entre les États-Unis et le Venezuela, avec toutes les conséquences catastrophiques que cela impliquerait pour la région, n’a jamais été aussi élevé depuis des décennies.
La démission forcée de l’amiral Holsey et les tensions au Pentagone
Le 16 octobre, l’amiral Alvin Holsey, commandant du Commandement sud des États-Unis, a annoncé qu’il prendrait sa retraite à la fin de l’année, moins d’un an après son placement dans ce qui est normalement un poste de trois ans. Des sources anonymes ont rapporté des tensions entre Holsey et l’administration Trump concernant le Venezuela. Deux responsables non identifiés ont déclaré au Wall Street Journal que la tension entre Hegseth et Holsey avait commencé tôt pendant l’administration Trump au sujet de la planification militaire impliquant le canal de Panama, Hegseth voulant remplacer Holsey, mais les différences se sont intensifiées lorsque Holsey était initialement préoccupé par l’autorité juridique floue pour la campagne de frappes sur les bateaux et s’est opposé au fait que certaines parties des opérations échappaient à son contrôle direct. Les sources ont déclaré qu’après des mois de tension, il y a eu une réunion conflictuelle en octobre, et la démission de Holsey a été annoncée le même jour. Cette histoire révèle des fissures importantes au sein de la hiérarchie militaire américaine concernant ces opérations. Holsey, un officier expérimenté et respecté, avait apparemment des réserves sérieuses sur la légalité et la sagesse de la campagne de frappes. Ses préoccupations concernant l’autorité juridique floue reflètent celles exprimées par de nombreux experts juridiques externes. Le fait qu’il se soit également opposé à ce que certaines parties des opérations échappent à son contrôle direct suggère que Hegseth et peut-être Trump lui-même court-circuitaient la chaîne de commandement normale, prenant des décisions opérationnelles sans consulter correctement le commandant responsable de la région.
La démission forcée de Holsey est profondément troublante pour plusieurs raisons. Premièrement, elle suggère que l’administration Trump ne tolère pas la dissidence ou même les questions légitimes au sein de l’appareil militaire. Deuxièmement, elle prive le Commandement sud d’un leader expérimenté à un moment critique où la situation avec le Venezuela devient de plus en plus volatile. Troisièmement, elle envoie un message glaçant aux autres officiers militaires qu’ils feraient mieux de suivre les ordres sans poser trop de questions, même s’ils ont des doutes sur la légalité ou la sagesse de ces ordres. C’est exactement le genre de dynamique qui peut conduire à des catastrophes militaires et à des violations graves du droit de la guerre. Les militaires américains ont une longue et fière tradition de professionnalisme et de respect de l’État de droit. Les officiers sont formés à comprendre qu’ils ont non seulement le droit mais le devoir de refuser d’obéir à des ordres manifestement illégaux. Mais cette tradition est mise à rude épreuve lorsque des officiers qui soulèvent des préoccupations légitimes sont poussés vers la sortie. Le remplacement de Holsey par quelqu’un de plus docile, plus disposé à exécuter les ordres de l’administration sans poser de questions, pourrait ouvrir la voie à une escalade encore plus dangereuse dans les semaines et les mois à venir.
La démission de l’amiral Holsey me hante. Voilà un homme qui a consacré sa vie au service de son pays, qui a gravi les échelons jusqu’à commander toute une région géographique pour l’armée américaine, et qui est poussé dehors parce qu’il a osé poser des questions sur la légalité des opérations qu’on lui demandait de superviser. C’est terrifiant. Parce que si même les généraux et les amiraux ne peuvent pas exprimer leurs préoccupations sans risquer leur carrière, qui le peut? Les jeunes officiers qui exécutent réellement les ordres sur le terrain? Les soldats et les marins qui appuient sur les boutons et tirent les missiles? Ils sont encore plus vulnérables, encore plus susceptibles d’être punis s’ils refusent un ordre qu’ils croient illégal. Et pourtant, c’est exactement ce que le droit militaire leur demande de faire. C’est un dilemme impossible, et l’administration Trump l’aggrave en punissant ceux qui osent poser des questions.
L'opération Southern Spear et l'institutionnalisation de la campagne
Le dévoilement officiel d’une task force permanente
Le 13 novembre 2025, Pete Hegseth a annoncé le dévoilement de l’opération Southern Spear, dirigée par la Joint Task Force Southern Spear et utilisant une flotte avec robotique et systèmes autonomes pour cibler le trafic de drogue latino-américain. Cette annonce marque une nouvelle étape dans l’institutionnalisation de cette campagne militaire controversée. Ce n’est plus une série de frappes ad hoc, c’est maintenant une opération nommée avec une structure de commandement dédiée, des ressources allouées, et apparemment une vision à long terme. Le nom lui-même, Southern Spear, évoque une arme offensive pointée vers le sud, vers l’Amérique latine. C’est un choix de nom révélateur qui suggère une posture agressive plutôt que défensive. L’utilisation de robotique et de systèmes autonomes est également préoccupante. Cela suggère que l’administration Trump envisage d’intensifier considérablement le rythme et l’échelle des opérations, en utilisant des drones et d’autres systèmes automatisés pour identifier et frapper des cibles avec une intervention humaine minimale. Cette automatisation de la guerre soulève d’énormes questions éthiques et juridiques. Les systèmes autonomes peuvent-ils vraiment distinguer entre un bateau de pêche innocent et un bateau de drogue? Peuvent-ils évaluer la proportionnalité d’une frappe, peser les dommages collatéraux potentiels contre l’avantage militaire anticipé? Peuvent-ils respecter les principes de distinction et de précaution qui sont au cœur du droit des conflits armés? La plupart des experts en éthique de l’intelligence artificielle et en droit de la guerre diraient que non, que ces jugements complexes nécessitent un discernement humain.
La première frappe après le dévoilement formel de l’opération Southern Spear a eu lieu le 15 novembre, tuant trois personnes dans le Pacifique. Le Commandement sud des États-Unis a annoncé dans un message sur X que la task force conjointe Southern Spear avait mené l’opération. Cette frappe, et celles qui ont suivi, semblent faire partie d’un effort coordonné et soutenu plutôt que de réponses ponctuelles à des renseignements spécifiques. Le rythme des frappes s’est maintenu, avec une autre le 4 décembre tuant quatre personnes supplémentaires. Au total, depuis le début de l’opération, le nombre de morts continue d’augmenter régulièrement, semaine après semaine. L’administration Trump ne montre aucun signe de ralentissement ou de reconsidération de cette politique malgré les critiques internationales croissantes. Au contraire, elle semble déterminée à poursuivre et même à intensifier la campagne. Hegseth, dans son discours du 6 décembre au Forum Reagan, a clairement indiqué que ces opérations continueraient et pourraient même s’étendre à des opérations terrestres au Venezuela. Il a également évoqué la nécessité de contenir la montée en puissance de la Chine par la force plutôt que par le conflit, et a réitéré la promesse de Trump de reprendre les essais nucléaires sur un pied d’égalité avec la Chine et la Russie, un objectif qui a déconcerté de nombreux experts en armement nucléaire. Cette rhétorique belliciste, cette glorification de la force militaire, cette volonté affichée d’utiliser la violence comme premier recours plutôt que comme dernier, marque un tournant inquiétant dans la politique étrangère américaine.
Les implications pour la région et l’ordre international
Les implications de l’opération Southern Spear vont bien au-delà des quatre-vingt-sept personnes déjà tuées. Cette campagne établit un précédent dangereux qui pourrait être imité par d’autres pays. Si les États-Unis peuvent unilatéralement décider que certains groupes criminels constituent une menace suffisante pour justifier des frappes militaires létales en haute mer, qu’est-ce qui empêche d’autres pays de faire de même? La Russie pourrait-elle invoquer ce précédent pour frapper des bateaux qu’elle prétend être impliqués dans le terrorisme tchétchène? La Chine pourrait-elle l’utiliser pour justifier des actions contre des groupes qu’elle qualifie de séparatistes ouïghours? La Turquie contre les Kurdes? Israël contre le Hezbollah ou le Hamas? Une fois que le principe est établi que les États peuvent utiliser la force militaire létale contre des acteurs non étatiques en dehors de tout cadre de conflit armé reconnu, les possibilités d’abus sont infinies. L’ordre international basé sur des règles, aussi imparfait soit-il, repose sur l’idée que l’usage de la force entre États est strictement limité et réglementé. La Charte des Nations Unies interdit l’usage de la force sauf en cas de légitime défense contre une attaque armée ou avec l’autorisation du Conseil de sécurité. Ces règles ont été établies après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale pour prévenir de futures guerres d’agression. Elles ne sont pas parfaites, elles sont souvent violées, mais elles existent et elles ont une valeur normative importante. Lorsque les États-Unis, la superpuissance mondiale, le pays qui se présente comme le champion de l’ordre international libéral, viole ouvertement ces règles, cela affaiblit tout le système.
Pour les pays d’Amérique latine, l’opération Southern Spear est perçue comme une résurgence de l’interventionnisme américain qui a marqué la région pendant la guerre froide et au-delà. Les souvenirs des invasions, des coups d’État soutenus par la CIA, des escadrons de la mort formés par les États-Unis, sont encore vifs dans de nombreux pays de la région. La rhétorique de Trump et Hegseth sur le droit du président américain d’utiliser la force comme il l’entend pour défendre les intérêts nationaux résonne de manière sinistre avec la doctrine Monroe et ses interprétations ultérieures qui traitaient l’Amérique latine comme l’arrière-cour des États-Unis où Washington pouvait intervenir à volonté. Cette attitude néocoloniale alimente le ressentiment anti-américain et renforce les gouvernements autoritaires comme celui de Maduro au Venezuela qui peuvent se présenter comme des résistants à l’impérialisme yankee. Ironiquement, la politique agressive de Trump pourrait finir par consolider le régime qu’elle prétend vouloir affaiblir. Les Vénézuéliens qui pourraient autrement être critiques envers Maduro peuvent se rallier derrière lui face à ce qu’ils perçoivent comme une menace extérieure. Les pays voisins qui pourraient autrement coopérer avec les États-Unis sur les questions de drogue peuvent devenir plus réticents s’ils craignent que cette coopération ne soit utilisée pour justifier des actions militaires unilatérales américaines. La Colombie, traditionnellement l’allié le plus proche des États-Unis dans la région, a déjà exprimé des réserves sérieuses, le président Petro accusant les États-Unis de meurtre extrajudiciaire et déposant une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
L’opération Southern Spear. Même le nom me donne froid dans le dos. Une lance pointée vers le sud, vers nos voisins latino-américains. C’est tellement révélateur de la mentalité qui sous-tend toute cette entreprise. Pas de coopération, pas de partenariat, pas de respect mutuel. Juste la force brute, la menace de violence, l’arrogance de la puissance. Je pense à tous les pays d’Amérique latine qui ont souffert sous les interventions américaines au cours du siècle dernier. Le Guatemala en 1954. Le Chili en 1973. Le Nicaragua dans les années 1980. Panama en 1989. Et maintenant ça. Nous n’avons rien appris. Nous répétons les mêmes erreurs, les mêmes péchés, encore et encore. Et nous nous demandons pourquoi tant de gens dans le monde nous détestent.
Les réactions du Congrès américain et le débat sur les pouvoirs de guerre
Les résolutions rejetées pour limiter l’autorité présidentielle
Le Congrès américain a eu deux occasions de limiter l’autorité de Trump de continuer l’action militaire contre le Venezuela ou les frappes aériennes contre les navires de drogue présumés, et les deux fois, le Sénat a rejeté ces résolutions. La première résolution a été rejetée le 6 novembre, et quelques heures plus tard, une nouvelle frappe dans les Caraïbes a tué trois personnes supplémentaires, comme si l’administration voulait souligner son mépris pour toute tentative de contrôle législatif. Ces votes au Sénat révèlent une division profonde au sein du Congrès et du pays sur ces opérations. D’un côté, il y a ceux qui soutiennent l’approche agressive de Trump, qui croient que les cartels de drogue constituent une menace existentielle pour les États-Unis justifiant l’usage de la force militaire. De l’autre, il y a ceux qui s’inquiètent des implications juridiques et éthiques de ces frappes, qui craignent une escalade incontrôlée, qui veulent que le Congrès exerce son rôle constitutionnel dans les décisions de guerre et de paix. Le fait que les résolutions aient été rejetées suggère que la première faction est actuellement dominante, du moins au Sénat. Mais les marges étaient relativement serrées, et le débat est loin d’être terminé. Des membres du Congrès, en particulier des démocrates mais aussi quelques républicains, continuent de demander des réponses sur les circonstances exactes des frappes, sur l’autorité juridique invoquée, sur les preuves que les personnes tuées étaient effectivement des narcoterroristes.
La question des pouvoirs de guerre est au cœur de ce débat. La Constitution américaine donne au Congrès le pouvoir de déclarer la guerre, mais le président est le commandant en chef des forces armées. Cette division des pouvoirs a toujours créé des tensions, en particulier à l’ère moderne où les guerres ne sont plus formellement déclarées mais où les États-Unis se retrouvent néanmoins engagés dans des conflits prolongés. La résolution sur les pouvoirs de guerre de 1973, adoptée après la guerre du Vietnam, exige que le président consulte le Congrès dans la mesure du possible avant d’introduire les forces armées américaines dans des hostilités et limite à soixante jours l’engagement militaire sans autorisation du Congrès. Mais cette loi a été largement ignorée par les présidents successifs des deux partis, et son applicabilité à la situation actuelle est contestée. Le département de la Justice a déclaré en novembre 2025 que la limite de soixante jours de la résolution sur les pouvoirs de guerre ne s’appliquait pas à ces opérations, bien que les raisons exactes de cette conclusion n’aient pas été rendues publiques. L’administration Trump soutient que le président a l’autorité constitutionnelle inhérente d’utiliser la force militaire pour défendre la nation contre les menaces, et que les cartels de drogue constituent une telle menace. Mais cette interprétation expansive des pouvoirs présidentiels est rejetée par de nombreux experts constitutionnels qui soutiennent que le trafic de drogue, aussi grave soit-il, ne constitue pas le type d’attaque armée qui justifierait l’usage unilatéral de la force militaire par le président sans autorisation du Congrès.
Les briefings classifiés et la frustration des législateurs
Des membres du Congrès ont reçu des briefings classifiés sur les frappes, mais beaucoup en sont ressortis frustrés par le manque d’informations fournies. Hegseth a informé les dirigeants du Congrès qu’il envisageait de publier des vidéos des frappes sur les bateaux, mais cette promesse n’a pas encore été tenue. Les législateurs veulent voir les preuves que les bateaux frappés transportaient effectivement de la drogue, que les personnes à bord étaient des narcoterroristes, que toutes les précautions ont été prises pour éviter de tuer des innocents. Ils veulent comprendre la chaîne de commandement exacte, qui a autorisé chaque frappe, sur quelle base juridique. Ils veulent savoir ce qui s’est réellement passé lors de la frappe du 1er septembre, s’il y a eu un ordre de ne laisser aucun survivant, pourquoi deux hommes qui avaient survécu à la première frappe ont été tués dans une seconde. Mais l’administration Trump a été remarquablement opaque, fournissant un minimum d’informations et invoquant la sécurité nationale pour justifier le secret. Cette opacité est profondément problématique dans une démocratie. Le Congrès a le droit et le devoir de superviser les actions de l’exécutif, en particulier lorsqu’il s’agit de l’usage de la force militaire. Les législateurs ne peuvent pas exercer ce rôle de surveillance s’ils n’ont pas accès aux informations nécessaires. Et le public américain a le droit de savoir ce qui est fait en son nom, avec son argent, par son gouvernement.
L’amiral Bradley, qui a dirigé la première frappe, a témoigné lors de briefings à huis clos le 4 décembre, affirmant qu’il n’y avait pas eu d’ordre de tous les tuer ou de ne faire aucun quartier. Mais son témoignage n’a pas dissipé toutes les préoccupations. Des sources anonymes continuent d’affirmer à divers médias que Hegseth avait effectivement donné un tel ordre, ou du moins avait créé une atmosphère où les commandants sur le terrain comprenaient qu’aucun survivant n’était attendu. La contradiction entre ces récits et le témoignage officiel de Bradley suggère soit que quelqu’un ment, soit qu’il y a eu un grave malentendu dans la chaîne de commandement. Dans les deux cas, c’est extrêmement préoccupant. Si Hegseth a effectivement donné un ordre illégal, il devrait être tenu responsable. Si les commandants sur le terrain ont mal interprété ses intentions et ont tué des survivants sans ordre explicite de le faire, cela suggère un échec catastrophique de la communication et du commandement. Et si Bradley ment au Congrès pour protéger Hegseth ou l’administration, c’est un crime fédéral. Le Congrès devrait insister pour obtenir toutes les communications pertinentes, tous les enregistrements, toutes les preuves qui pourraient clarifier ce qui s’est réellement passé. Mais jusqu’à présent, l’administration Trump a résisté à ces demandes, et la majorité républicaine au Sénat ne semble pas disposée à forcer la question.
Le secret. Toujours le secret. C’est le refuge des coupables, le bouclier des lâches. Si ces opérations sont vraiment légales, si elles sont vraiment justifiées, si les personnes tuées étaient vraiment toutes des narcoterroristes dangereux, alors pourquoi ne pas le prouver? Pourquoi ne pas publier les preuves, montrer les vidéos, ouvrir les livres? La transparence devrait être la norme dans une démocratie, le secret l’exception réservée aux cas où la sécurité nationale est véritablement en jeu. Mais ici, le secret semble être utilisé non pas pour protéger la sécurité nationale, mais pour protéger l’administration de l’embarras et de la responsabilité. C’est inacceptable. Le peuple américain mérite de savoir. Le Congrès a le droit de savoir. Et si l’administration refuse de coopérer, cela devrait nous dire tout ce que nous devons savoir sur ce qu’ils cachent.
Les implications pour le droit international et l'ordre mondial
L’érosion des normes établies après 1945
Les frappes américaines contre les bateaux de drogue présumés représentent une érosion dangereuse des normes internationales établies après la Seconde Guerre mondiale. Ces normes, codifiées dans la Charte des Nations Unies, les Conventions de Genève, et d’autres traités internationaux, ont été créées dans le but explicite de prévenir les horreurs de la guerre totale qui avait ravagé le monde entre 1939 et 1945. L’idée centrale était que l’usage de la force entre États devait être strictement limité et réglementé, que les civils devaient être protégés même en temps de guerre, que certaines méthodes de combat étaient inacceptables même contre des ennemis. Ces principes n’ont jamais été parfaitement respectés, bien sûr. Il y a eu de nombreuses violations au cours des décennies suivantes. Mais les normes elles-mêmes conservaient une force morale et juridique. Les pays qui les violaient étaient critiqués, parfois sanctionnés, parfois même poursuivis devant des tribunaux internationaux. Il y avait au moins une reconnaissance que ces règles existaient et qu’elles avaient de l’importance. Mais lorsque les États-Unis, la superpuissance mondiale, le pays qui a joué un rôle central dans la création de cet ordre international basé sur des règles, viole ouvertement ces normes et affirme son droit de le faire, cela affaiblit tout le système. Si les États-Unis peuvent décider unilatéralement que certains groupes criminels constituent une menace suffisante pour justifier des exécutions extrajudiciaires en haute mer, pourquoi d’autres pays ne pourraient-ils pas faire de même? Si les États-Unis peuvent ignorer les Conventions de Genève en tuant des naufragés, pourquoi d’autres pays devraient-ils les respecter?
Le précédent établi par l’opération Southern Spear pourrait avoir des répercussions pendant des décennies. D’autres pays pourraient l’invoquer pour justifier leurs propres actions militaires unilatérales contre des acteurs non étatiques qu’ils qualifient de terroristes ou de criminels. La distinction entre application de la loi et guerre, déjà floue dans de nombreux contextes, pourrait s’effacer complètement. Nous pourrions entrer dans une ère où les États se sentent libres d’utiliser la force militaire létale contre quiconque ils perçoivent comme une menace, sans avoir à se soucier des contraintes du droit international. Ce serait un retour à la loi de la jungle, où la force fait le droit, où les puissants peuvent faire ce qu’ils veulent aux faibles. Les petits pays, les pays pauvres, les pays sans armées puissantes seraient les plus vulnérables dans un tel monde. Mais même les pays riches et puissants ne seraient pas à l’abri. Une fois que les normes contre l’usage arbitraire de la force sont affaiblies, personne n’est en sécurité. Les États-Unis eux-mêmes pourraient un jour se retrouver victimes de ce précédent qu’ils établissent aujourd’hui. Un pays pourrait décider que des groupes américains, peut-être des entreprises accusées de crimes environnementaux ou des organisations accusées de soutenir des mouvements séparatistes, constituent une menace justifiant l’usage de la force militaire. Les États-Unis protesteraient, invoqueraient le droit international, exigeraient le respect de leur souveraineté. Mais comment pourraient-ils le faire de manière crédible après avoir eux-mêmes violé ces mêmes principes?
La réaction de la communauté internationale et des organisations de défense des droits
La réaction de la communauté internationale aux frappes américaines a été largement critique, bien que pas universellement. Les Nations Unies, par l’intermédiaire de son Haut-Commissaire aux droits de l’homme Volker Türk, a appelé les États-Unis à arrêter les frappes et à enquêter sur celles qui ont déjà eu lieu. Un groupe d’experts des droits humains de l’ONU a qualifié les frappes d’exécutions extrajudiciaires et a averti que des actions militaires contre le Venezuela constitueraient une violation encore plus grave de la Charte des Nations Unies. Human Rights Watch, Amnesty International, et d’autres organisations de défense des droits humains ont toutes condamné les frappes. Plusieurs pays d’Amérique latine ont exprimé leurs préoccupations, bien que beaucoup aient été prudents dans leurs critiques publiques par crainte de représailles américaines. La Colombie, sous le président Gustavo Petro, a été la plus franche, accusant les États-Unis de meurtre extrajudiciaire et déposant une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Le Venezuela, bien sûr, a dénoncé les frappes comme une agression impérialiste et a mobilisé son armée en réponse. Même certains alliés traditionnels des États-Unis ont exprimé des réserves en privé, bien que peu aient été disposés à critiquer publiquement Washington. Cette réticence à critiquer ouvertement reflète la réalité du pouvoir dans le système international. Les États-Unis restent de loin la puissance militaire et économique la plus importante du monde, et peu de pays sont prêts à risquer leur relation avec Washington sur cette question.
Mais le silence public ne signifie pas l’approbation. De nombreux pays sont profondément mal à l’aise avec ce que les États-Unis font, même s’ils ne le disent pas ouvertement. Cette gêne pourrait avoir des conséquences à long terme pour l’influence et la crédibilité américaines dans le monde. Les États-Unis ont longtemps prétendu être le champion de l’ordre international basé sur des règles, le défenseur des droits humains, le modèle de démocratie et d’État de droit. Mais comment peuvent-ils maintenir cette prétention tout en violant ouvertement les normes internationales qu’ils prétendent défendre? Cette hypocrisie n’est pas perdue sur le reste du monde. Les pays qui ont été critiqués par les États-Unis pour leurs violations des droits humains peuvent maintenant pointer du doigt l’opération Southern Spear et dire, regardez, les Américains font la même chose. Cette dynamique affaiblit la capacité des États-Unis à exercer un leadership moral sur la scène mondiale. Elle renforce également les narratives des adversaires des États-Unis, comme la Chine et la Russie, qui ont longtemps accusé Washington d’hypocrisie et d’application sélective des normes internationales. La Chine, en particulier, a été prompte à souligner les contradictions entre la rhétorique américaine sur les droits humains et les actions américaines dans des endroits comme les Caraïbes. Cette critique résonne auprès de nombreux pays du Sud global qui ont leurs propres griefs historiques contre l’interventionnisme américain.
Je regarde le monde réagir à ces frappes, et je ressens une profonde tristesse. Pas seulement pour les quatre-vingt-sept personnes tuées, aussi tragique que cela soit. Mais pour ce que cela représente, pour ce que cela signifie pour l’avenir. Nous sommes en train de détruire quelque chose de précieux, quelque chose qui a été construit péniblement au cours de décennies. L’idée qu’il existe des règles, des normes, des limites à ce que les États peuvent faire les uns aux autres et à leurs propres citoyens. Cette idée n’a jamais été parfaitement réalisée, mais elle existait, elle avait du poids, elle faisait une différence. Et maintenant, nous la jetons par-dessus bord pour quoi? Pour tuer quelques trafiquants de drogue présumés? Pour faire une déclaration politique? Pour satisfaire l’ego d’un président? Le prix est trop élevé. Beaucoup trop élevé.
Les alternatives ignorées à l'usage de la force létale
Les méthodes traditionnelles d’interdiction qui fonctionnaient
Pendant des décennies avant l’opération Southern Spear, les États-Unis ont mené des efforts d’interdiction des drogues en mer en utilisant principalement les garde-côtes américains et d’autres agences d’application de la loi. Ces opérations impliquaient l’interception des navires suspects, l’arraisonnement et la fouille, l’arrestation des suspects, et la saisie des drogues. Les personnes arrêtées étaient ensuite poursuivies devant les tribunaux américains en vertu de la loi sur l’application de la loi sur les drogues maritimes. Ce système n’était pas parfait, bien sûr. De nombreux navires échappaient à la détection, et même ceux qui étaient interceptés ne transportaient pas toujours de la drogue ou les preuves étaient insuffisantes pour obtenir une condamnation. Mais c’était un système qui respectait l’État de droit, qui donnait aux accusés le droit à un procès équitable, qui permettait un examen judiciaire des preuves. Et il fonctionnait raisonnablement bien. Des milliers de trafiquants de drogue ont été arrêtés et condamnés au fil des ans grâce à ces opérations d’interdiction. Des tonnes de drogues ont été saisies avant d’atteindre les côtes américaines. Alors pourquoi abandonner cette approche au profit de frappes aériennes létales? L’administration Trump affirme que les méthodes traditionnelles ne sont plus suffisantes, que les cartels sont devenus trop puissants, trop violents, trop menaçants pour être traités comme de simples criminels. Mais cette affirmation est contestable. Les cartels de drogue ont toujours été violents et puissants. Ce n’est pas nouveau. Et pourtant, pendant des décennies, les États-Unis ont réussi à les combattre en utilisant des méthodes d’application de la loi plutôt que des frappes militaires.
Il existe également d’autres alternatives qui n’ont pas été sérieusement explorées. La coopération internationale renforcée, par exemple. Travailler avec les gouvernements d’Amérique latine pour renforcer leurs capacités d’application de la loi, partager des renseignements, coordonner les opérations. Cela nécessite de la patience, de la diplomatie, du respect mutuel, toutes choses qui semblent être en pénurie dans l’administration Trump actuelle. Mais cela pourrait être beaucoup plus efficace à long terme que des frappes unilatérales qui aliènent les alliés potentiels et renforcent les narratives anti-américaines. Il y a aussi l’approche de réduction de la demande, s’attaquer au problème de la consommation de drogue aux États-Unis plutôt que de se concentrer uniquement sur l’offre. Investir dans la prévention, le traitement, la réduction des méfaits. Cela ne résoudrait pas le problème du jour au lendemain, mais cela pourrait avoir un impact significatif à long terme en réduisant le marché pour les drogues illicites. Et puis il y a la question de la légalisation et de la réglementation de certaines drogues, une approche qui a été adoptée avec succès par plusieurs pays et États américains pour le cannabis. Cette approche est controversée, bien sûr, et ne serait pas appropriée pour toutes les drogues. Mais elle mérite au moins d’être considérée dans le cadre d’une stratégie globale de lutte contre la drogue. Au lieu de cela, l’administration Trump a choisi la voie la plus simple, la plus spectaculaire, la plus violente. Tuer les trafiquants présumés et espérer que cela dissuadera les autres. C’est une approche qui a échoué encore et encore dans la guerre contre la drogue, mais qui continue d’être poursuivie parce qu’elle est politiquement populaire et qu’elle donne l’impression de faire quelque chose.
Les leçons non apprises de décennies de guerre contre la drogue
La guerre contre la drogue a maintenant plus de cinquante ans, lancée par le président Richard Nixon en 1971. Au cours de ces cinq décennies, les États-Unis ont dépensé des centaines de milliards de dollars, arrêté des millions de personnes, mené d’innombrables opérations militaires et paramilitaires en Amérique latine et ailleurs. Et quel a été le résultat? Les drogues sont plus disponibles, plus puissantes, et moins chères qu’elles ne l’ont jamais été. Les cartels sont plus riches et plus puissants que jamais. La violence liée à la drogue continue de ravager des communautés aux États-Unis et en Amérique latine. Par presque toutes les mesures objectives, la guerre contre la drogue a été un échec catastrophique. Et pourtant, au lieu de réévaluer cette approche, au lieu d’essayer quelque chose de différent, l’administration Trump double la mise avec l’opération Southern Spear. C’est la définition de la folie, faire la même chose encore et encore en espérant des résultats différents. Les experts en politique des drogues, les criminologues, les professionnels de la santé publique, tous s’accordent largement sur le fait que l’approche militarisée de la lutte contre la drogue ne fonctionne pas. Elle ne réduit pas la disponibilité des drogues, elle ne réduit pas la consommation, elle ne réduit pas les décès par overdose. Ce qu’elle fait, c’est créer plus de violence, plus d’instabilité, plus de violations des droits humains. Elle enrichit les cartels en maintenant les prix élevés. Elle remplit les prisons de délinquants non violents. Elle détruit des communautés et des familles. Et maintenant, avec l’opération Southern Spear, elle tue des gens en haute mer sans procès ni jugement.
Il y a des leçons à tirer de l’histoire de la guerre contre la drogue, mais elles semblent être systématiquement ignorées. La prohibition ne fonctionne pas. Elle n’a pas fonctionné pour l’alcool dans les années 1920, et elle ne fonctionne pas pour les drogues aujourd’hui. Tant qu’il y aura une demande pour ces substances, il y aura quelqu’un prêt à prendre le risque de les fournir, peu importe les conséquences. Tuer un trafiquant ne fait que créer une opportunité pour un autre de prendre sa place. Détruire un cartel ne fait que créer un vide de pouvoir que d’autres cartels se précipitent pour remplir. C’est un jeu de taupe sans fin, et les États-Unis le perdent depuis cinquante ans. La seule façon de vraiment s’attaquer au problème de la drogue est de réduire la demande, de traiter la consommation de drogue comme un problème de santé publique plutôt que comme un problème criminel, de réglementer et de contrôler le marché plutôt que de le laisser aux mains des criminels. Mais cette approche nécessite de la nuance, de la patience, une volonté d’expérimenter et d’apprendre de ses erreurs. Elle ne produit pas de résultats spectaculaires instantanés qui peuvent être utilisés dans des campagnes politiques. Elle ne permet pas aux politiciens de se présenter comme des guerriers durs contre le crime. Et donc, elle est ignorée au profit d’approches plus simples, plus violentes, plus spectaculaires qui ne fonctionnent pas mais qui ont l’air bien à la télévision.
Cinquante ans. Cinquante ans de guerre contre la drogue, et nous n’avons rien appris. Absolument rien. Nous continuons à faire les mêmes erreurs, à poursuivre les mêmes politiques ratées, à espérer que cette fois, d’une manière ou d’une autre, ce sera différent. C’est de la folie pure. Et le pire, c’est que nous savons que ça ne marche pas. Les preuves sont accablantes, irréfutables. Mais nous continuons quand même, parce que c’est politiquement plus facile que d’admettre l’échec et d’essayer quelque chose de nouveau. Combien de personnes doivent encore mourir avant que nous acceptions enfin la réalité? Combien de milliards de dollars doivent encore être gaspillés? Combien de communautés doivent encore être détruites? Je suis fatigué. Tellement fatigué de voir la même tragédie se répéter encore et encore.
Les questions éthiques et morales soulevées par ces opérations
Le dilemme de la fin et des moyens dans la lutte contre la drogue
Au cœur de la controverse sur l’opération Southern Spear se trouve une question éthique fondamentale, la fin justifie-t-elle les moyens? L’administration Trump soutient que oui, que la menace posée par les cartels de drogue est si grave, si existentielle, qu’elle justifie l’usage de la force létale même en dehors des cadres juridiques traditionnels. Selon cette logique, sauver des vies américaines de la mort par overdose justifie de tuer des trafiquants présumés en mer sans procès. Mais cette logique est profondément défectueuse sur plusieurs plans. Premièrement, elle suppose que tuer ces trafiquants particuliers sauvera effectivement des vies américaines, une supposition qui n’est étayée par aucune preuve. Comme nous l’avons vu au cours de cinquante ans de guerre contre la drogue, tuer ou arrêter des trafiquants individuels n’a pratiquement aucun impact sur la disponibilité globale des drogues. D’autres prennent simplement leur place. Deuxièmement, elle ignore complètement la valeur intrinsèque des vies des personnes tuées. Même si elles étaient toutes des trafiquants de drogue, ce qui est contesté, elles restent des êtres humains avec des droits, des familles, une dignité inhérente. Leur tuer sans procès, sans leur donner la moindre chance de se défendre, est une violation fondamentale de leurs droits humains. Troisièmement, elle établit un précédent dangereux qui pourrait être utilisé pour justifier toutes sortes d’abus. Si nous acceptons que le gouvernement peut tuer des gens sans procès parce qu’il les soupçonne d’être des criminels, où traçons-nous la ligne? Qui décide qui mérite de vivre et qui mérite de mourir? Et comment pouvons-nous être sûrs que ces décisions sont prises correctement?
Il y a aussi la question de la proportionnalité. Même si nous acceptons que les cartels de drogue constituent une menace sérieuse, est-ce que cette menace justifie vraiment l’usage de la force militaire létale? Les États-Unis font face à de nombreuses menaces sérieuses, le terrorisme, la cybercriminalité, le crime organisé, la corruption. Mais nous ne répondons pas à toutes ces menaces en tuant les suspects sans procès. Nous utilisons les forces de l’ordre, les tribunaux, le système de justice pénale. Pourquoi le trafic de drogue devrait-il être traité différemment? L’administration Trump affirme que c’est parce que les cartels sont des organisations terroristes, mais cette désignation est elle-même contestable. Les cartels sont certainement violents et dangereux, mais leur objectif principal est le profit, pas la terreur politique. Ils ne cherchent pas à renverser des gouvernements ou à imposer une idéologie. Ils veulent juste faire de l’argent. Les traiter comme des terroristes est une extension dangereuse du concept de terrorisme qui pourrait être utilisée pour justifier toutes sortes d’actions contre toutes sortes de groupes criminels. Et puis il y a la question de l’efficacité. Même si nous mettons de côté toutes les préoccupations juridiques et éthiques, est-ce que l’opération Southern Spear fonctionne réellement? Y a-t-il des preuves que ces frappes réduisent le flux de drogue vers les États-Unis? Jusqu’à présent, l’administration Trump n’a fourni aucune preuve de ce genre. Ils affirment simplement que chaque bateau détruit sauve des vies américaines, mais c’est une affirmation invérifiable et probablement fausse.
La déshumanisation des victimes et la rhétorique de la guerre
Un aspect particulièrement troublant de l’opération Southern Spear est la façon dont elle déshumanise les victimes. Dans la rhétorique de l’administration Trump, les personnes tuées ne sont pas des êtres humains avec des histoires, des familles, des rêves. Ce sont des narcoterroristes, des combattants illégaux, des ennemis à éliminer. Cette déshumanisation est nécessaire pour rendre les tueries acceptables, pour éviter que les gens ne se posent trop de questions sur ce qui est fait en leur nom. Si nous pensions à ces personnes comme à des êtres humains, si nous imaginions leurs derniers moments de terreur alors qu’un missile se dirigeait vers leur bateau, si nous pensions à leurs familles attendant en vain leur retour, ce serait beaucoup plus difficile d’accepter leur mort. Mais en les réduisant à des étiquettes, des catégories, des menaces abstraites, il devient plus facile de justifier leur élimination. Cette déshumanisation n’est pas nouvelle, bien sûr. C’est une tactique qui a été utilisée dans presque tous les conflits de l’histoire humaine. Les ennemis sont toujours dépeints comme moins qu’humains, comme des monstres, des barbares, des sauvages. Cela rend plus facile de les tuer, de justifier les atrocités commises contre eux. Mais nous devrions être vigilants contre cette tendance, la reconnaître pour ce qu’elle est, une manipulation psychologique conçue pour contourner notre empathie naturelle et notre répugnance à tuer d’autres êtres humains.
La rhétorique de la guerre elle-même est problématique. Parler d’une guerre contre la drogue, d’une guerre contre les cartels, crée un cadre mental où les règles normales ne s’appliquent pas. En guerre, on tue l’ennemi. En guerre, les dommages collatéraux sont acceptables. En guerre, la fin justifie les moyens. Mais le trafic de drogue n’est pas une guerre au sens traditionnel. C’est un problème criminel complexe avec des racines profondes dans la pauvreté, l’inégalité, la demande de substances psychoactives, et les politiques de prohibition ratées. Le traiter comme une guerre ne fait qu’aggraver le problème en créant plus de violence, plus d’instabilité, plus de souffrance. Et pourtant, la métaphore de la guerre persiste parce qu’elle est politiquement utile. Elle permet aux politiciens de se présenter comme des guerriers courageux défendant la nation contre une menace existentielle. Elle justifie des budgets militaires et policiers gonflés. Elle détourne l’attention des échecs politiques en créant un ennemi externe à blâmer. Mais c’est une métaphore dangereuse qui a causé d’immenses dommages au cours des cinquante dernières années. Il est temps de l’abandonner et de commencer à parler du trafic de drogue en termes plus précis et plus utiles, comme un problème de santé publique, un problème de développement économique, un problème de justice sociale. Cela ne signifie pas ignorer les aspects criminels ou la violence associée au trafic de drogue. Mais cela signifie reconnaître que les solutions militaires ne fonctionnent pas et que nous avons besoin d’approches plus nuancées et plus humaines.
La déshumanisation. C’est peut-être l’aspect le plus effrayant de toute cette affaire. La facilité avec laquelle nous pouvons réduire des êtres humains à des étiquettes, à des catégories, à des menaces abstraites. Narcoterroristes. Combattants illégaux. Ennemis. Ces mots créent une distance psychologique qui rend le meurtre acceptable. Mais derrière chaque étiquette, il y a une personne. Une personne qui est née, qui a grandi, qui a aimé et été aimée, qui avait des espoirs et des peurs, qui riait et pleurait. Une personne qui est maintenant morte, tuée par un missile tiré depuis un drone ou un hélicoptère, son corps déchiqueté, coulé au fond de l’océan ou échoué sur une plage. Et nous sommes censés ne pas nous en soucier parce qu’ils étaient des criminels? Parce qu’ils transportaient de la drogue? Je ne peux pas accepter ça. Je refuse d’accepter ça. Chaque vie a de la valeur, même les vies imparfaites, même les vies criminelles. Et chaque mort devrait nous troubler, nous faire réfléchir, nous pousser à chercher de meilleures solutions.
Conclusion : un tournant dangereux dans la politique américaine
Les conséquences à long terme d’une doctrine de la force sans limite
L’opération Southern Spear et les déclarations de Pete Hegseth sur le droit du président Trump d’utiliser la force comme il l’entend représentent un tournant dangereux dans la politique étrangère américaine. Nous assistons à l’émergence d’une doctrine qui rejette les contraintes du droit international, qui méprise les institutions multilatérales, qui glorifie l’usage unilatéral de la force. Cette doctrine n’est pas entièrement nouvelle, bien sûr. Les États-Unis ont une longue histoire d’interventionnisme, de violations du droit international, d’actions unilatérales. Mais il y avait généralement au moins une tentative de justifier ces actions dans le cadre du droit international existant, de prétendre que les règles étaient respectées même lorsqu’elles ne l’étaient pas. L’administration Trump, en revanche, semble fière de rejeter ouvertement ces contraintes. Hegseth ne prétend pas que les frappes sont légales selon le droit international. Il affirme simplement que les États-Unis ont le droit de les mener parce que le président le dit. C’est une affirmation de pouvoir brut, non tempéré par le droit ou la morale. Et c’est profondément inquiétant pour l’avenir de l’ordre international. Si cette doctrine devient la norme, si d’autres pays commencent à l’imiter, nous pourrions entrer dans une ère de chaos et de violence où la force fait le droit, où les puissants peuvent faire ce qu’ils veulent aux faibles sans conséquence. Ce serait un retour au monde d’avant 1945, un monde de guerre constante et de souffrance massive.
Les conséquences à long terme de cette approche sont difficiles à prédire avec précision, mais elles sont presque certainement négatives. À court terme, l’opération Southern Spear pourrait produire quelques succès tactiques, quelques bateaux de drogue détruits, quelques trafiquants tués. Mais à long terme, elle est susceptible d’aggraver les problèmes qu’elle prétend résoudre. Elle aliénera les alliés des États-Unis en Amérique latine et ailleurs. Elle renforcera les narratives anti-américaines et aidera les régimes autoritaires comme celui de Maduro à se présenter comme des victimes de l’agression impérialiste. Elle établira des précédents dangereux qui pourront être exploités par d’autres pays pour justifier leurs propres violations du droit international. Elle minera la crédibilité morale des États-Unis et leur capacité à exercer un leadership sur la scène mondiale. Et elle ne résoudra pas le problème de la drogue. Les drogues continueront de couler vers les États-Unis, les cartels continueront de prospérer, les Américains continueront de mourir d’overdoses. Parce que le problème fondamental n’est pas un manque de force militaire ou de volonté de tuer. Le problème est que nous avons une demande massive de drogues illicites aux États-Unis, et tant que cette demande existera, quelqu’un trouvera un moyen de la satisfaire, peu importe combien de bateaux nous coulons ou de trafiquants nous tuons. La seule solution réelle est de s’attaquer à la demande, de traiter la consommation de drogue comme un problème de santé publique, de réglementer et de contrôler le marché. Mais cela nécessite du courage politique, de la patience, une volonté d’admettre que les politiques passées ont échoué. Et malheureusement, ces qualités semblent être en pénurie dans l’administration Trump actuelle.
Un appel à la raison et au respect de l’État de droit
Face à cette situation alarmante, il est impératif que les voix de la raison se fassent entendre. Le Congrès américain doit exercer son rôle constitutionnel de contrôle sur l’exécutif et exiger des réponses complètes sur l’opération Southern Spear. Les législateurs doivent insister pour voir toutes les preuves, tous les ordres, toutes les communications pertinentes. Ils doivent tenir des audiences publiques où les responsables de l’administration peuvent être interrogés sous serment. Ils doivent envisager sérieusement d’adopter une législation limitant l’autorité du président d’utiliser la force militaire sans autorisation du Congrès. Les tribunaux américains doivent également jouer leur rôle. Des poursuites judiciaires contestant la légalité de ces opérations devraient être encouragées et prises au sérieux. Les juges doivent être prêts à affirmer que même le président n’est pas au-dessus de la loi, que même en matière de sécurité nationale, il existe des limites constitutionnelles et légales à ce que l’exécutif peut faire. La société civile américaine, les organisations de défense des droits humains, les groupes religieux, les universitaires, les journalistes, tous ont un rôle à jouer en maintenant la pression sur l’administration, en documentant les abus, en éduquant le public, en défendant les principes de l’État de droit et des droits humains. Et le public américain lui-même doit s’engager avec ces questions, aussi inconfortables soient-elles. Il est facile de détourner le regard, de faire confiance au gouvernement, de supposer que les personnes tuées devaient le mériter d’une manière ou d’une autre. Mais c’est exactement ce genre de complaisance qui permet aux abus de se produire et de s’aggraver.
Au niveau international, la communauté mondiale doit continuer à faire pression sur les États-Unis pour qu’ils respectent le droit international. Les Nations Unies, la Cour pénale internationale, la Commission interaméricaine des droits de l’homme, toutes ces institutions ont un rôle à jouer en documentant les violations, en demandant des comptes, en maintenant les normes internationales. Les pays d’Amérique latine, en particulier, doivent trouver le courage de parler plus fort contre ces actions, malgré les risques de représailles américaines. Ils doivent se rappeler que leur silence aujourd’hui pourrait revenir les hanter demain, lorsque les précédents établis par l’opération Southern Spear seront utilisés pour justifier d’autres violations de leur souveraineté. Les alliés traditionnels des États-Unis en Europe et ailleurs doivent également faire entendre leur voix, en privé si nécessaire, mais de préférence en public. Ils doivent rappeler à Washington que l’ordre international basé sur des règles qu’ils ont construit ensemble après 1945 est dans l’intérêt de tous, y compris des États-Unis eux-mêmes. Abandonner cet ordre au profit d’une politique de la force brute ne rendra personne plus sûr à long terme. Il est encore temps de changer de cap, de revenir à une approche plus mesurée et plus respectueuse du droit. Mais le temps presse. Chaque jour qui passe, chaque nouvelle frappe, chaque nouvelle vie perdue, rend plus difficile de revenir en arrière. Les précédents s’enracinent, les habitudes se forment, les normes s’érodent. Nous devons agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard, avant que le dommage ne devienne irréparable.
Je termine cet article avec un sentiment de profonde inquiétude pour l’avenir. Pas seulement pour les quatre-vingt-sept personnes déjà tuées, aussi tragique que cela soit. Pas seulement pour les centaines ou les milliers qui pourraient encore mourir si cette campagne se poursuit et s’intensifie. Mais pour ce que tout cela signifie pour le monde dans lequel nous vivons, pour les valeurs que nous prétendons défendre, pour le type de société que nous voulons être. Sommes-nous vraiment prêts à accepter un monde où les puissants peuvent tuer qui ils veulent, quand ils veulent, sans avoir à répondre de leurs actes? Sommes-nous vraiment prêts à abandonner les principes de l’État de droit et des droits humains qui ont été si durement gagnés? Je ne le suis pas. Je refuse de l’accepter. Et j’espère que vous non plus. Parce que si nous restons silencieux maintenant, si nous laissons cela se produire sans protester, nous serons tous complices. Et nous devrons vivre avec cette complicité pour le reste de nos vies. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je ne peux pas. Je ne veux pas. Alors je parle. J’écris. Je témoigne. Et j’espère que d’autres feront de même. Parce que c’est tout ce que nous pouvons faire. Parler, témoigner, résister. Et espérer que cela fera une différence.
Sources
Sources primaires
Federal Register, « Agency Information Collection Activities; Revision; Arrival and Departure Record (Form I-94) and Electronic System for Travel Authorization (ESTA) », Document Number 2025-22461, publié le 10 décembre 2025. U.S. Customs and Border Protection, Department of Homeland Security. Executive Order 14161, « Protecting the United States From Foreign Terrorists and Other National Security and Public Safety Threats », signé en janvier 2025 par le président Donald Trump. Mémorandum du 4 avril 2025, « Updating All Forms to Collect Baseline Biographic Data », Department of Homeland Security.
Sources secondaires
The Washington Post, « U.S. plans to ask visitors to disclose 5 years of social media history », par Frances Vinall, publié le 10 décembre 2025. BBC News, « US could ask tourists for five-year social media history before entry », publié le 10 décembre 2025. The New York Times, « U.S. Plans to Scrutinize Foreign Tourists’ Social Media History », publié le 9 décembre 2025. Le Figaro, « Les États-Unis veulent obliger les touristes à dévoiler leurs activités sur les réseaux sociaux », par Yan Bernard-Guilbaud avec AFP, publié le 10 décembre 2025. Fragomen Immigration Law Firm, « United States: CBP Plans Changes to the ESTA Application Process Including Social Media Review », publié en décembre 2025. Electronic Frontier Foundation, déclarations de Sophia Cope citées dans divers médias, décembre 2025.
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