Une règle unique pour les gouverner tous
L’ordre exécutif que Trump s’apprête à signer porte un nom qui sonne comme un slogan marketing : « ONE RULE ». Une règle. Une seule. Pour tout le pays. L’idée, sur le papier, paraît séduisante. Fini le casse-tête pour les entreprises qui doivent jongler entre les législations de la Californie, du Colorado, de New York ou du Texas. Fini les coûts de conformité qui explosent. Fini les délais interminables pour obtenir des autorisations dans chaque État. Une règle nationale, claire, uniforme, qui permettrait aux États-Unis de rester compétitifs face à la Chine dans la course à l’intelligence artificielle. Voilà le discours officiel. Mais creusons un peu. Que signifie vraiment cette « règle unique » ? Trump l’a écrit noir sur blanc sur Truth Social : « Nous battons TOUS LES PAYS à ce stade de la course, mais cela ne durera pas longtemps si nous allons avoir cinquante États, dont beaucoup sont de mauvais acteurs, impliqués dans les RÈGLES et le PROCESSUS D’APPROBATION. » Cinquante États, « dont beaucoup sont de mauvais acteurs ». Traduisez : des États qui osent vouloir protéger leurs citoyens contre les dérives potentielles de l’IA. Des États comme la Californie, qui a tenté de mettre en place des réglementations sur l’utilisation de l’IA dans le recrutement, la justice pénale, ou encore la surveillance. Des États comme le Colorado, qui a voté une loi pionnière sur la responsabilité des systèmes d’IA en cas de discrimination.
Ces initiatives, Trump les voit comme des obstacles. Des freins à l’innovation. Des entraves à la compétitivité américaine. Mais sont-elles vraiment cela ? Ou sont-elles au contraire des tentatives légitimes de poser des garde-fous avant qu’il ne soit trop tard ? L’histoire de la technologie nous a appris une chose : quand on laisse les entreprises s’autoréguler, ça finit rarement bien. Les réseaux sociaux en sont l’exemple parfait. Pendant des années, Facebook, Twitter, YouTube ont fonctionné sans véritable régulation. Le résultat ? Désinformation massive, manipulation électorale, atteintes à la vie privée, harcèlement en ligne, radicalisation. Il a fallu des scandales à répétition, des témoignages devant le Congrès, des amendes colossales pour que les choses commencent à bouger. Et encore, le mal était déjà fait. Avec l’intelligence artificielle, les enjeux sont encore plus élevés. On ne parle plus seulement de posts Facebook ou de tweets. On parle de systèmes qui peuvent décider qui obtient un prêt bancaire, qui est embauché, qui est arrêté par la police, qui reçoit des soins médicaux. On parle de technologies qui peuvent créer des deepfakes indétectables, manipuler des élections à une échelle jamais vue, automatiser des cyberattaques, voire contrôler des armes autonomes. Et Trump veut que tout cela se développe sans que les États puissent intervenir.
Le vide réglementaire comme stratégie
Mais alors, quelle est l’alternative proposée par Trump ? Quelle est cette fameuse « règle unique » qui doit remplacer les législations étatiques ? C’est là que le bât blesse. Car pour l’instant, cette règle n’existe pas. Trump parle d’un « sommet sur l’IA », de discussions à venir, de consultations avec l’industrie. Mais rien de concret. Aucun projet de loi fédérale. Aucun cadre réglementaire détaillé. Juste des promesses vagues et un ordre exécutif qui interdit aux États d’agir. Le résultat ? Un vide réglementaire. Un no man’s land juridique où les entreprises peuvent faire ce qu’elles veulent, sans contraintes, sans supervision, sans responsabilité. C’est exactement ce que craignent les experts en sécurité nationale et les défenseurs des droits civiques. Elizabeth Warren, sénatrice démocrate du Massachusetts, a été l’une des premières à tirer la sonnette d’alarme. « Cela risque de turbocharger la course de la Chine vers la domination technologique et militaire et de saper la sécurité économique et nationale des États-Unis », a-t-elle déclaré dans un communiqué. Warren n’est pas seule. Chuck Schumer, le leader démocrate au Sénat, a été encore plus direct : « Donald Trump est en train de vendre l’Amérique pour son propre ego et son propre gain. »
Ces accusations sont graves. Mais sont-elles fondées ? Regardons les faits. Trump a autorisé Nvidia à vendre ses puces H200 à la Chine. Ces puces sont parmi les plus puissantes au monde pour l’entraînement de modèles d’intelligence artificielle. Elles offrent 32% de puissance de traitement en plus et 50% de bande passante mémoire supplémentaire par rapport aux meilleures puces chinoises. En d’autres termes, elles donnent à la Chine un avantage technologique considérable. Certes, Trump a négocié une part de 25% des revenus pour les États-Unis. Mais est-ce suffisant ? Est-ce que quelques milliards de dollars valent le risque de voir la Chine rattraper son retard dans la course à l’IA ? Chris McGuire, expert de la Chine au Council on Foreign Relations, ne mâche pas ses mots : « C’est une grosse blessure auto-infligée qui pourrait finalement faire perdre aux États-Unis leur leadership en IA. » McGuire a travaillé au Conseil de sécurité nationale sous Biden et au Département d’État sous Trump. Il sait de quoi il parle. Et son verdict est sans appel : cette décision est une erreur stratégique majeure. Elle donne à la Chine exactement ce dont elle a besoin pour combler son retard technologique. Et une fois que la Chine aura ces puces, elle les copiera, les reproduira en masse, et finira par éliminer Nvidia comme concurrent. C’est le playbook chinois, répété dans tous les secteurs critiques.
Je me demande parfois si Trump comprend vraiment ce qu’il fait. Ou s’il s’en fiche. L’intelligence artificielle n’est pas un jeu. Ce n’est pas un terrain où on peut improviser, négocier au coup par coup, faire des deals à la va-vite. C’est une technologie qui va redéfinir le monde dans lequel nous vivons. Et nous sommes en train de la brader pour quelques points de pourcentage et un tweet triomphaliste. Graham le voit. Warren le voit. Schumer le voit. Même des républicains commencent à le voir. Mais Trump, lui, reste sourd. Aveuglé par son besoin de victoires rapides, de deals spectaculaires, de headlines flatteuses. Et pendant ce temps, la Chine sourit. Elle reçoit les puces dont elle a besoin, elle étudie la technologie, elle prépare sa riposte. Et dans quelques années, quand elle dominera le marché de l’IA, nous nous demanderons comment nous avons pu être aussi naïfs.
Nvidia au cœur de la tempête
Le géant des puces face à un dilemme impossible
Nvidia se retrouve dans une position délicate. D’un côté, l’entreprise dirigée par Jensen Huang a tout intérêt à vendre ses puces au marché chinois. La Chine représente un marché colossal, avec des entreprises technologiques affamées de puissance de calcul pour développer leurs propres systèmes d’intelligence artificielle. Les revenus potentiels se chiffrent en milliards de dollars. De l’autre côté, Nvidia sait que chaque puce vendue à la Chine pourrait finir par renforcer un concurrent stratégique des États-Unis. Les puces H200 ne sont pas de simples composants électroniques. Ce sont des merveilles technologiques, capables de traiter des quantités astronomiques de données à une vitesse fulgurante. Elles sont le cœur des systèmes d’IA les plus avancés au monde, ceux qui alimentent les chatbots comme ChatGPT, les systèmes de reconnaissance faciale, les véhicules autonomes, et potentiellement, les systèmes d’armes militaires. Jensen Huang, le PDG de Nvidia, a construit une relation étroite avec Trump depuis l’élection de 2024. Il a multiplié les visites au Capitole, les rencontres avec des élus, les arguments pour assouplir les restrictions à l’exportation. Son message est simple : si les États-Unis imposent des restrictions trop strictes, ils ne feront que renforcer les concurrents chinois comme Huawei. Mieux vaut vendre des puces américaines à la Chine que de laisser la Chine développer ses propres alternatives.
L’argument a du poids. Mais il repose sur une hypothèse fragile : que la Chine ne copiera pas la technologie de Nvidia. Or, l’histoire récente nous montre que c’est exactement ce que fait la Chine. Dans tous les secteurs stratégiques, le schéma est le même. D’abord, la Chine achète la technologie étrangère. Ensuite, elle l’étudie, la décortique, la comprend. Puis elle la reproduit, souvent en violant les brevets et la propriété intellectuelle. Enfin, elle inonde le marché avec ses propres versions, moins chères, et élimine progressivement les concurrents étrangers. C’est ce qui s’est passé avec les trains à grande vitesse, les panneaux solaires, les batteries électriques, les télécommunications 5G. Pourquoi l’intelligence artificielle serait-elle différente ? Craig Singleton, expert de la Chine à la Foundation for Defense of Democracies, est catégorique : « Les entreprises chinoises veulent des H200, mais l’État chinois est guidé par la paranoïa et la fierté. Paranoïa concernant les portes dérobées et la dépendance aux puces américaines, et fierté de promouvoir des alternatives domestiques. » En d’autres termes, même si la Chine achète les puces de Nvidia aujourd’hui, elle travaille déjà sur ses propres versions. Et une fois qu’elle les aura développées, elle n’aura plus besoin de Nvidia. Pire, elle deviendra un concurrent direct.
Le précédent inquiétant des puces H20
Cette situation n’est pas nouvelle. Plus tôt en 2025, Trump avait déjà autorisé Nvidia à vendre ses puces H20 à la Chine. Ces puces, moins puissantes que les H200, avaient été spécialement conçues pour contourner les restrictions à l’exportation imposées par l’administration Biden. À l’époque, la décision avait déjà suscité des critiques. Mais Trump avait balayé les objections, arguant que les États-Unis devaient rester compétitifs et que les restrictions ne faisaient que pousser la Chine à développer ses propres alternatives. Quelques mois plus tard, les craintes se sont confirmées. La Chine a commencé à produire ses propres puces d’IA, certes moins performantes que celles de Nvidia, mais suffisamment puissantes pour alimenter de nombreuses applications. Huawei, le géant chinois des télécommunications, a lancé sa propre gamme de processeurs d’IA, les Ascend. Ces puces ne rivalisent pas encore avec les H200 de Nvidia, mais elles progressent rapidement. Et chaque vente de puces américaines à la Chine donne aux ingénieurs chinois une référence, un modèle à étudier, à comprendre, à reproduire. L’Institute for Progress, un think tank spécialisé dans les questions technologiques, estime que les puces H200 offrent près de six fois les performances des puces H20. C’est un bond technologique considérable. Et c’est exactement ce dont la Chine a besoin pour rattraper son retard.
Mais il y a un autre aspect, souvent négligé, dans cette histoire. Les puces vendues à la Chine ne vont pas seulement servir à développer des chatbots ou des systèmes de recommandation. Elles vont aussi alimenter des applications militaires et de surveillance. La Chine utilise déjà massivement l’intelligence artificielle pour surveiller sa population, notamment dans la région du Xinjiang où vivent les Ouïghours. Les systèmes de reconnaissance faciale, alimentés par des puces d’IA, permettent au gouvernement chinois de suivre les mouvements de millions de personnes en temps réel. Les puces H200, avec leur puissance de calcul accrue, vont rendre ces systèmes encore plus efficaces, encore plus intrusifs. Et ce n’est pas tout. L’armée chinoise développe également des systèmes d’armes autonomes, des drones capables de prendre des décisions sans intervention humaine, des missiles guidés par IA. Les puces de Nvidia pourraient finir par alimenter ces systèmes. Le House Select Committee on the Chinese Communist Party, un comité bipartisan du Congrès, a publié un communiqué cinglant après l’annonce de Trump. « En ce moment, la Chine est loin derrière les États-Unis dans les puces qui alimentent la course à l’IA. Parce que les H200 sont bien meilleures que ce que la Chine peut produire domestiquement, tant en capacité qu’en échelle, Nvidia vendant ces puces à la Chine pourrait l’aider à rattraper l’Amérique en puissance de calcul totale. Le PCC utilisera ces puces hautement avancées pour renforcer ses capacités militaires et sa surveillance totalitaire. »
Il y a quelque chose de profondément cynique dans cette affaire. Nvidia sait. Trump sait. Tout le monde sait que ces puces vont finir par servir des objectifs que nous condamnons publiquement. Surveillance de masse, répression politique, développement d’armes autonomes. Mais l’appât du gain est trop fort. Les milliards de dollars en jeu sont trop tentants. Alors on ferme les yeux. On se dit que de toute façon, si ce n’est pas nous, ce sera quelqu’un d’autre. On se convainc que c’est dans l’intérêt national, que ça crée des emplois, que ça maintient la compétitivité américaine. Mais au fond, on sait. On sait qu’on est en train de vendre la corde qui servira à nous pendre. Et on le fait quand même.
La Chine, grande gagnante de la discorde américaine
Pékin observe et capitalise
Pendant que Washington se déchire sur la question de la régulation de l’intelligence artificielle, Pékin observe. Et sourit. La Chine a une stratégie claire, cohérente, à long terme. Elle sait qu’elle est en retard sur les États-Unis dans le domaine de l’IA. Elle sait que ses entreprises ne peuvent pas encore rivaliser avec les géants américains comme Nvidia, Google, ou OpenAI. Mais elle sait aussi que le temps joue en sa faveur. Pourquoi ? Parce que la Chine a quelque chose que les États-Unis n’ont pas : une vision unifiée. Quand le Parti communiste chinois décide d’une stratégie, tout le pays se met en marche. Les entreprises, les universités, les laboratoires de recherche, tous travaillent dans la même direction. Il n’y a pas de débats interminables au Congrès, pas de batailles juridiques entre États et gouvernement fédéral, pas de lobbying d’entreprises qui cherchent à maximiser leurs profits à court terme. Juste une machine bien huilée qui avance, implacablement, vers son objectif. Et cet objectif, c’est de dominer le monde de l’intelligence artificielle d’ici 2030. La Chine a investi des centaines de milliards de dollars dans la recherche et le développement de l’IA. Elle a créé des centres de recherche de classe mondiale, attiré les meilleurs talents, construit des infrastructures massives de calcul. Elle a également mis en place un cadre réglementaire qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’étouffe pas l’innovation mais la canalise vers des objectifs stratégiques.
La Chine régule l’IA, oui. Mais elle le fait de manière à servir ses intérêts nationaux. Les algorithmes de recommandation doivent promouvoir les « valeurs socialistes ». Les systèmes de reconnaissance faciale doivent aider à maintenir l’ordre public. Les technologies d’IA doivent renforcer la puissance militaire du pays. C’est une approche autoritaire, certes, mais c’est une approche cohérente. Et pendant que les États-Unis se demandent s’ils doivent ou non réguler l’IA, la Chine avance. Elle développe ses propres puces, ses propres modèles de langage, ses propres systèmes d’IA. Et maintenant, grâce à Trump, elle va avoir accès aux puces les plus puissantes du monde. Les H200 de Nvidia vont donner à la Chine un coup de pouce technologique considérable. Elles vont permettre aux entreprises chinoises d’entraîner des modèles d’IA plus rapidement, plus efficacement. Elles vont accélérer le développement de technologies qui, dans quelques années, pourraient surpasser celles des États-Unis. Et le plus ironique dans tout ça ? C’est que les États-Unis sont en train de financer leur propre déclin. Chaque puce vendue à la Chine rapporte de l’argent à Nvidia, certes. Mais elle rapporte aussi du savoir-faire, de l’expérience, des données à la Chine. Et ces actifs immatériels valent bien plus que les quelques milliards de dollars de revenus à court terme.
Le piège de la dépendance technologique
Mais il y a un autre aspect, plus subtil, dans cette histoire. En vendant ses puces à la Chine, Nvidia crée une forme de dépendance. Les entreprises chinoises qui utilisent les H200 deviennent dépendantes de la technologie américaine. Elles ne peuvent pas simplement passer à une alternative chinoise du jour au lendemain. Cela prend du temps, des investissements, de la recherche. Et pendant ce temps, Nvidia continue à vendre, à engranger des profits, à maintenir sa position dominante. C’est l’argument que Jensen Huang a utilisé pour convaincre Trump. « Si nous ne vendons pas à la Chine, nous allons perdre le marché. Et une fois que nous l’aurons perdu, nous ne le récupérerons jamais. » L’argument semble logique. Mais il repose sur une hypothèse dangereuse : que la Chine restera dépendante de la technologie américaine. Or, l’histoire nous montre que c’est rarement le cas. La Chine a une capacité remarquable à absorber la technologie étrangère, à la comprendre, à la reproduire, et finalement à la dépasser. C’est ce qui s’est passé avec les trains à grande vitesse. Au début des années 2000, la Chine importait la technologie japonaise et allemande. Aujourd’hui, elle exporte ses propres trains à grande vitesse dans le monde entier. C’est ce qui s’est passé avec les panneaux solaires. La Chine a commencé par acheter la technologie occidentale. Aujourd’hui, elle domine le marché mondial, produisant plus de 80% des panneaux solaires de la planète.
Pourquoi l’intelligence artificielle serait-elle différente ? Pourquoi la Chine ne suivrait-elle pas le même schéma ? Acheter la technologie américaine aujourd’hui, la copier demain, la dépasser après-demain. C’est exactement ce que craignent les experts en sécurité nationale. Et c’est exactement ce que Graham essaie de faire comprendre à Trump. Mais le président semble sourd à ces avertissements. Il est focalisé sur les gains à court terme, sur les revenus immédiats, sur les tweets triomphalistes annonçant des deals spectaculaires. Il ne voit pas, ou ne veut pas voir, les conséquences à long terme de ses décisions. Et pendant ce temps, la Chine continue d’avancer. Elle développe ses propres puces, certes moins performantes pour l’instant, mais qui progressent rapidement. Elle investit massivement dans la recherche fondamentale en IA. Elle forme des milliers d’ingénieurs et de chercheurs. Elle construit des infrastructures de calcul gigantesques. Et elle attend patiemment le moment où elle n’aura plus besoin de la technologie américaine. Ce moment viendra. C’est inévitable. La seule question est de savoir combien de temps il faudra. Et si, d’ici là, les États-Unis auront réussi à mettre en place un cadre réglementaire cohérent qui protège leurs intérêts stratégiques tout en encourageant l’innovation.
Je pense à cette phrase de Sun Tzu : « Toute guerre est fondée sur la tromperie. » La Chine ne nous fait pas la guerre au sens traditionnel. Pas de bombes, pas de missiles, pas d’invasion. Juste une stratégie patiente, méthodique, implacable. Elle achète notre technologie, elle étudie nos méthodes, elle copie nos innovations. Et nous, nous lui vendons tout ça avec le sourire, en nous félicitant de nos profits trimestriels. C’est d’une ironie tragique. Nous sommes en train de perdre la guerre la plus importante du XXIe siècle, celle de la domination technologique, et nous ne nous en rendons même pas compte. Ou pire, nous nous en rendons compte mais nous choisissons de l’ignorer. Parce que c’est plus confortable. Parce que ça rapporte de l’argent. Parce que les conséquences ne se feront sentir que dans quelques années, quand ce sera trop tard.
Les démocrates montent au créneau
Warren et Schumer sonnent l’alarme
Face à la décision de Trump d’autoriser la vente de puces H200 à la Chine, les démocrates ne sont pas restés silencieux. Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts et membre influente de la commission bancaire du Sénat, a été l’une des premières à réagir. Son communiqué est cinglant : « Cela risque de turbocharger la course de la Chine vers la domination technologique et militaire et de saper la sécurité économique et nationale des États-Unis. » Warren ne se contente pas de critiquer. Elle appelle le Congrès à agir, à passer une législation bipartisane pour encadrer les décisions de l’administration. Elle demande également que Jensen Huang, le PDG de Nvidia, témoigne publiquement sous serment devant le Congrès. L’objectif est clair : mettre la pression sur l’administration Trump, forcer la transparence, obliger les acteurs concernés à justifier leurs décisions devant les représentants du peuple américain. Chuck Schumer, le leader démocrate au Sénat, va encore plus loin. Lors d’une intervention mardi 9 décembre, il accuse directement Trump de « vendre l’Amérique pour son propre ego et son propre gain ». « Vous ne pouvez pas prétendre être dur avec la Chine si vous leur vendez volontairement certaines des puces les plus avancées au monde, pour qu’ils puissent les utiliser pour renforcer leur armée », lance Schumer. Ses mots sont durs, sans équivoque. Ils reflètent une frustration croissante au sein du Parti démocrate face à ce qu’ils perçoivent comme une capitulation devant les intérêts économiques à court terme.
Mais les démocrates ne sont pas les seuls à s’inquiéter. Au sein même du Parti républicain, des voix commencent à s’élever. Le House Select Committee on the Chinese Communist Party, un comité bipartisan, a publié un communiqué qui ne laisse aucune place au doute. « En ce moment, la Chine est loin derrière les États-Unis dans les puces qui alimentent la course à l’intelligence artificielle. Parce que les H200 sont bien meilleures que ce que la Chine peut produire domestiquement, tant en capacité qu’en échelle, Nvidia vendant ces puces à la Chine pourrait l’aider à rattraper l’Amérique en puissance de calcul totale. » Le comité ajoute : « Le PCC utilisera ces puces hautement avancées pour renforcer ses capacités militaires et sa surveillance totalitaire. Enfin, Nvidia ne devrait se faire aucune illusion : la Chine copiera sa technologie, la produira en masse elle-même, et cherchera à éliminer Nvidia comme concurrent. C’est le playbook de la Chine et elle l’utilise dans tous les secteurs critiques. » Ces mots, venant d’un comité bipartisan, ont un poids considérable. Ils montrent que l’inquiétude dépasse les clivages politiques traditionnels. Républicains et démocrates, pour une fois, semblent d’accord sur un point : la décision de Trump est dangereuse. Elle met en péril la sécurité nationale des États-Unis. Elle donne à la Chine un avantage stratégique qui pourrait s’avérer décisif dans les années à venir.
Un appel à la responsabilité du Congrès
Mais au-delà des déclarations et des communiqués, que peuvent vraiment faire les démocrates ? Le Congrès a-t-il le pouvoir de bloquer cette décision ? La réponse est complexe. Techniquement, oui. Le Congrès pourrait passer une législation qui interdirait l’exportation de certaines technologies sensibles vers la Chine. Mais cela nécessiterait un soutien bipartisan, et pour l’instant, les républicains restent largement alignés sur Trump. Certes, des voix comme celle de Lindsey Graham commencent à se faire entendre. Mais elles restent minoritaires. La majorité des républicains au Congrès soutiennent la ligne de Trump : moins de régulation, plus de liberté pour les entreprises, confiance dans le marché pour réguler lui-même les excès. C’est une philosophie qui a ses mérites dans certains domaines. Mais dans le cas de l’intelligence artificielle, elle est dangereusement inadaptée. L’IA n’est pas un produit de consommation ordinaire. C’est une technologie stratégique, avec des implications profondes pour la sécurité nationale, la stabilité économique, et même la démocratie elle-même. Laisser le marché décider, c’est abdiquer la responsabilité politique. C’est laisser les entreprises, guidées par la recherche du profit à court terme, prendre des décisions qui auront des conséquences à long terme pour toute la société. Warren et Schumer le comprennent. Graham aussi, apparemment. Mais Trump, lui, reste sourd à ces arguments.
Il y a cependant un précédent intéressant. En 2020, sous l’administration Trump elle-même, le Congrès avait passé une législation bipartisane pour restreindre les exportations de technologies sensibles vers la Chine. Cette législation, soutenue par des républicains et des démocrates, avait été motivée par des préoccupations similaires : la Chine utilisait la technologie américaine pour renforcer son armée et sa surveillance intérieure. Pourquoi ce qui était possible en 2020 ne le serait-il pas en 2025 ? La différence, c’est que Trump est maintenant président. Et il a fait de la déréglementation et de la compétitivité économique ses priorités absolues. Il voit les restrictions à l’exportation comme des obstacles à la croissance, des freins à l’innovation, des cadeaux faits aux concurrents chinois. Il ne voit pas, ou ne veut pas voir, les risques stratégiques à long terme. Et tant qu’il restera dans cette position, il sera difficile pour le Congrès d’agir. Mais les démocrates ne baissent pas les bras. Ils préparent une législation qui obligerait l’administration à justifier chaque autorisation d’exportation de technologies sensibles. Ils veulent créer un mécanisme de supervision, un contre-pouvoir qui empêcherait le président de prendre des décisions unilatérales sur des sujets aussi critiques. Reste à voir si cette législation pourra passer. Et si elle le peut, si elle sera suffisante pour inverser la tendance.
Il y a quelque chose de profondément frustrant dans cette situation. Nous savons ce qu’il faut faire. Nous savons que nous devons réguler l’intelligence artificielle, que nous devons protéger nos technologies stratégiques, que nous devons empêcher la Chine de nous rattraper. Nous le savons. Mais nous ne le faisons pas. Parce que c’est compliqué. Parce que ça demande du courage politique. Parce que ça implique de dire non à des entreprises puissantes, de renoncer à des profits à court terme, de penser au-delà du prochain cycle électoral. Et ça, c’est apparemment trop demander à nos dirigeants. Alors on continue. On vend nos puces. On signe nos deals. On se félicite de notre compétitivité. Et on ignore le précipice qui se rapproche.
Le précédent californien et la bataille des États
Quand la Californie ose légiférer
La Californie a toujours été à l’avant-garde de la régulation technologique aux États-Unis. C’est elle qui a imposé les premières normes d’émission pour les véhicules, obligeant l’industrie automobile à innover. C’est elle qui a passé les premières lois sur la protection de la vie privée en ligne, inspirant ensuite le RGPD européen. Et c’est elle qui, aujourd’hui, tente de mettre en place un cadre réglementaire pour l’intelligence artificielle. En 2025, la Californie a adopté plusieurs lois pionnières sur l’IA. L’une d’elles interdit l’utilisation de systèmes d’IA discriminatoires dans le recrutement. Une autre impose des audits réguliers des algorithmes utilisés dans la justice pénale pour s’assurer qu’ils ne reproduisent pas les biais raciaux. Une troisième réglemente l’utilisation de la reconnaissance faciale par les forces de l’ordre, exigeant des mandats judiciaires et une supervision stricte. Ces lois ne sont pas parfaites. Elles ont été critiquées par certains comme étant trop restrictives, par d’autres comme n’allant pas assez loin. Mais elles représentent une tentative sérieuse de poser des garde-fous, de s’assurer que l’IA se développe de manière responsable, éthique, au service de l’intérêt public plutôt que du seul profit des entreprises. Et c’est précisément ce que Trump veut empêcher. Son ordre exécutif « ONE RULE » vise à préempter ces lois étatiques, à les rendre caduques, à empêcher les États de légiférer sur l’IA. L’argument officiel est celui de l’efficacité : une règle nationale unique serait plus simple, plus cohérente, plus favorable à l’innovation. Mais la réalité est plus complexe.
En empêchant les États de légiférer, Trump ne crée pas automatiquement une règle nationale. Il crée un vide. Un espace où aucune règle ne s’applique. Et dans ce vide, les entreprises peuvent faire ce qu’elles veulent. C’est exactement ce que craignent les défenseurs des droits civiques et les experts en sécurité. Sans régulation étatique et sans régulation fédérale solide, l’IA se développera sans contraintes, sans supervision, sans responsabilité. Les algorithmes discriminatoires continueront à être utilisés dans le recrutement, refusant des emplois à des candidats qualifiés sur la base de leur race, leur genre, ou leur code postal. Les systèmes de justice prédictive continueront à recommander des peines plus lourdes pour les minorités. Les technologies de surveillance continueront à être déployées sans supervision démocratique. Et tout cela au nom de l’innovation et de la compétitivité. Le Colorado a également tenté de légiférer sur l’IA. En 2025, l’État a adopté une loi pionnière sur la responsabilité des systèmes d’IA. Cette loi établit que les entreprises qui développent ou déploient des systèmes d’IA peuvent être tenues responsables si ces systèmes causent des dommages. C’est une approche de bon sens : si votre algorithme refuse injustement un prêt à quelqu’un, si votre système de reconnaissance faciale identifie à tort une personne innocente comme criminelle, vous devez en répondre. Mais cette loi, comme celles de la Californie, est maintenant menacée par l’ordre exécutif de Trump.
Le modèle européen comme alternative
Face à cette situation, certains regardent vers l’Europe. L’Union européenne a adopté en 2024 l’AI Act, la première législation complète au monde sur l’intelligence artificielle. Cette loi établit un cadre réglementaire basé sur le risque. Les systèmes d’IA sont classés en quatre catégories : risque inacceptable (interdits), risque élevé (fortement réglementés), risque limité (obligations de transparence), et risque minimal (pas de régulation spécifique). Les systèmes à risque inacceptable incluent la notation sociale par les gouvernements, la manipulation subliminale, et l’exploitation des vulnérabilités de groupes spécifiques. Ces systèmes sont purement et simplement interdits. Les systèmes à risque élevé, comme ceux utilisés dans le recrutement, la justice, ou les infrastructures critiques, doivent respecter des exigences strictes : évaluation des risques, qualité des données, documentation, supervision humaine, robustesse et précision. L’AI Act n’est pas parfait. Il a été critiqué pour sa complexité, pour les charges qu’il impose aux entreprises, pour son approche parfois trop bureaucratique. Mais il a un mérite indéniable : il existe. Il pose des règles claires, applicables, vérifiables. Il crée un cadre dans lequel l’innovation peut se développer tout en protégeant les droits fondamentaux des citoyens. Et il envoie un message fort : l’IA n’est pas une zone de non-droit, elle doit être soumise à des règles démocratiques.
Certains États américains s’inspirent de ce modèle. New York, par exemple, a adopté en 2025 une loi qui impose des audits réguliers des systèmes d’IA utilisés dans le recrutement. Ces audits doivent être réalisés par des tiers indépendants et leurs résultats doivent être rendus publics. L’objectif est de détecter et de corriger les biais avant qu’ils ne causent des dommages. C’est une approche pragmatique, qui reconnaît que l’IA peut être utile mais qu’elle doit être encadrée. Mais là encore, cette loi est menacée par l’ordre exécutif de Trump. Si l’ordre est mis en œuvre, New York ne pourra plus imposer ces audits. Les entreprises pourront utiliser des algorithmes de recrutement sans supervision, sans transparence, sans responsabilité. Et les candidats discriminés n’auront aucun recours. C’est un retour en arrière considérable, une régression qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour des millions d’Américains. Et c’est exactement ce que Graham essaie d’éviter. Quand il dit « vous allez rendre tout le monde fou », il ne parle pas seulement de la complexité administrative. Il parle du chaos qui résultera de l’absence de règles claires. Il parle de la confusion, de l’incertitude, de l’injustice qui découleront d’un système où chacun fait ce qu’il veut. Et il a raison.
L’Europe nous montre qu’une autre voie est possible. Qu’on peut réguler l’intelligence artificielle sans tuer l’innovation. Qu’on peut protéger les droits des citoyens tout en permettant aux entreprises de se développer. Mais pour ça, il faut du courage politique. Il faut accepter de dire non aux lobbies, de résister aux pressions, de penser au-delà des profits trimestriels. Et ça, c’est apparemment trop demander à nos dirigeants américains. Alors on continue sur notre lancée. On refuse de réguler. On laisse les États se débrouiller seuls. Et quand ils essaient de le faire, on les empêche. C’est une stratégie suicidaire. Et nous le savons. Mais nous le faisons quand même.
Les enjeux de sécurité nationale ignorés
Quand l’IA devient une arme
L’intelligence artificielle n’est pas qu’une technologie commerciale. C’est aussi, et peut-être surtout, une technologie militaire. Les armées du monde entier investissent massivement dans l’IA pour développer des systèmes d’armes autonomes, des drones capables de prendre des décisions sans intervention humaine, des missiles guidés par des algorithmes, des systèmes de cyberattaque automatisés. La Chine est à la pointe de cette course aux armements. Elle a développé des drones kamikazes capables de détecter et d’attaquer des cibles de manière autonome. Elle a créé des systèmes de guerre électronique alimentés par l’IA, capables de brouiller les communications ennemies et de prendre le contrôle de systèmes informatiques à distance. Elle a même commencé à expérimenter des essaims de drones, des centaines de petits appareils qui agissent de manière coordonnée, comme un seul organisme, pour submerger les défenses adverses. Et maintenant, grâce aux puces H200 de Nvidia, elle va pouvoir accélérer le développement de ces technologies. Les puces H200 ne sont pas conçues spécifiquement pour des applications militaires. Mais leur puissance de calcul les rend idéales pour entraîner des modèles d’IA complexes, y compris ceux utilisés dans les systèmes d’armes. Un drone autonome, par exemple, doit être capable de reconnaître des cibles, de distinguer un civil d’un combattant, de naviguer dans un environnement complexe, de prendre des décisions en une fraction de seconde. Tout cela nécessite une puissance de calcul considérable. Et c’est exactement ce que les H200 offrent.
Les experts en sécurité nationale sont unanimes : vendre ces puces à la Chine est une erreur stratégique majeure. Chris McGuire, du Council on Foreign Relations, l’a dit clairement : « C’est une grosse blessure auto-infligée. » Mais il n’est pas le seul. Des dizaines d’anciens responsables de la sécurité nationale, des généraux à la retraite, des experts en cybersécurité, tous tirent la sonnette d’alarme. Ils savent que la Chine utilise déjà l’IA pour renforcer ses capacités militaires. Ils savent que chaque avancée technologique chinoise réduit l’avantage stratégique américain. Et ils savent que les puces H200 vont donner à la Chine un coup de pouce considérable dans cette course. Mais leurs avertissements tombent dans l’oreille d’un sourd. Trump est focalisé sur les aspects économiques. Il voit les milliards de dollars de revenus pour Nvidia. Il voit les emplois créés dans l’industrie des semi-conducteurs. Il voit les tweets triomphalistes qu’il pourra publier pour vanter ses deals. Il ne voit pas, ou ne veut pas voir, les implications à long terme pour la sécurité nationale. Et c’est là que réside le vrai danger. Parce que les décisions prises aujourd’hui auront des conséquences dans dix, vingt, trente ans. Quand la Chine aura développé des systèmes d’armes autonomes plus avancés que les nôtres. Quand elle aura la capacité de mener des cyberattaques dévastatrices contre nos infrastructures critiques. Quand elle dominera le cyberespace et pourra dicter ses règles au reste du monde.
La surveillance de masse comme modèle d’exportation
Mais les implications militaires ne sont qu’une partie du problème. L’autre partie, tout aussi inquiétante, concerne la surveillance de masse. La Chine a développé le système de surveillance le plus sophistiqué au monde. Des caméras de reconnaissance faciale dans toutes les villes. Des algorithmes qui analysent les comportements, détectent les « anomalies », prédisent les « risques ». Un système de crédit social qui note les citoyens en fonction de leur comportement, de leurs achats, de leurs relations, de leurs opinions. Et tout cela alimenté par l’intelligence artificielle. Les puces H200 vont rendre ce système encore plus puissant, encore plus intrusif. Elles vont permettre d’analyser des quantités de données encore plus massives, de détecter des patterns encore plus subtils, de prédire des comportements avec encore plus de précision. Le résultat ? Un contrôle social total, une société où chaque mouvement, chaque parole, chaque pensée est surveillée, analysée, évaluée. C’est le cauchemar orwellien devenu réalité. Et nous sommes en train de le financer. Mais il y a pire. La Chine n’utilise pas ce système seulement sur son propre territoire. Elle l’exporte. Des dizaines de pays, en Afrique, en Asie, en Amérique latine, achètent la technologie chinoise de surveillance. Ils installent des caméras Huawei dans leurs villes. Ils déploient des systèmes de reconnaissance faciale développés par des entreprises chinoises. Ils créent leurs propres versions du crédit social. Et tout cela avec l’aide de la Chine.
C’est ce qu’on appelle le « modèle chinois » de gouvernance numérique. Un modèle autoritaire, où la technologie est utilisée pour contrôler la population plutôt que pour la servir. Et ce modèle se répand. Parce qu’il est efficace. Parce qu’il permet aux régimes autoritaires de maintenir leur pouvoir. Parce qu’il offre une alternative au modèle occidental, basé sur les droits individuels et la démocratie. Et les puces H200 vont renforcer ce modèle. Elles vont permettre à la Chine de développer des systèmes de surveillance encore plus sophistiqués, qu’elle pourra ensuite exporter dans le monde entier. Le résultat ? Une planète où de plus en plus de gens vivent sous surveillance constante, où la liberté d’expression est étouffée, où la dissidence est réprimée avant même d’avoir pu s’exprimer. C’est un futur dystopique. Et nous sommes en train de le construire, puce par puce, deal par deal. Graham le comprend. C’est pour ça qu’il tire la sonnette d’alarme. C’est pour ça qu’il ose contredire Trump. Parce qu’il sait que les enjeux dépassent de loin les petites querelles politiques. Il sait que nous sommes à un moment charnière, où les décisions que nous prenons aujourd’hui vont façonner le monde de demain. Et il sait que nous sommes en train de prendre les mauvaises décisions.
Il y a des moments où je me demande si nous méritons ce qui nous arrive. Nous avons toutes les informations. Nous savons ce que fait la Chine avec l’intelligence artificielle. Nous savons comment elle l’utilise pour surveiller, contrôler, réprimer. Nous savons qu’elle exporte ce modèle dans le monde entier. Et pourtant, nous continuons à lui vendre la technologie dont elle a besoin. Nous continuons à fermer les yeux. Nous continuons à nous dire que ce n’est pas notre problème, que c’est juste du business, que de toute façon on ne peut rien y faire. C’est du défaitisme. C’est de la lâcheté. Et c’est en train de nous coûter notre âme.
Le sommet fantôme sur l'IA
Des promesses sans substance
Lors de son intervention au Wall Street Journal, Lindsey Graham a mentionné que Trump voulait organiser un « sommet sur l’IA ». Une grande réunion où seraient conviés les leaders de l’industrie, les experts, les régulateurs, pour discuter de l’avenir de l’intelligence artificielle aux États-Unis. L’idée, sur le papier, semble bonne. Un dialogue constructif entre toutes les parties prenantes pourrait effectivement aider à définir une stratégie cohérente. Mais voilà le problème : ce sommet n’existe pas. Enfin, pas vraiment. Trump en a parlé vaguement, sans donner de date, sans préciser qui serait invité, sans définir d’agenda. C’est une promesse dans le vent, une annonce sans substance, un effet d’annonce destiné à calmer les critiques sans rien changer au fond. Et pendant ce temps, l’ordre exécutif « ONE RULE » avance. Le décret qui interdit aux États de réguler l’IA est prêt à être signé. Les puces H200 sont autorisées à l’exportation vers la Chine. Les décisions concrètes sont prises, les faits accomplis s’accumulent. Mais le fameux sommet, lui, reste dans les limbes. C’est une tactique classique de Trump. Promettre beaucoup, livrer peu. Créer l’illusion du mouvement sans vraiment bouger. Donner l’impression d’agir tout en maintenant le statu quo. Et ça marche. Parce que les gens veulent croire. Ils veulent croire qu’il y a un plan, une stratégie, une vision. Ils veulent croire que leurs dirigeants savent ce qu’ils font. Alors ils acceptent les promesses vagues, les annonces sans suite, les sommets fantômes.
Mais Graham, lui, ne se laisse pas berner. Il sait que sans cadre réglementaire concret, sans législation claire, sans mécanismes d’application, un sommet ne sert à rien. C’est du théâtre. C’est de la communication. Ce n’est pas de la politique. Et c’est exactement ce qu’il essaie de faire comprendre. « Il faudra avoir des normes nationales », insiste-t-il. Pas des discussions. Pas des promesses. Des normes. Des règles. Des lois. Quelque chose de tangible, d’applicable, de vérifiable. Quelque chose qui protège vraiment les intérêts américains au lieu de simplement donner l’illusion de le faire. Mais pour l’instant, ces normes n’existent pas. Et rien n’indique qu’elles verront le jour prochainement. Trump a montré à maintes reprises qu’il préfère la déréglementation à la régulation. Il croit que le marché se régule lui-même, que les entreprises feront naturellement les bons choix, que l’innovation ne peut prospérer que dans un environnement de liberté totale. C’est une philosophie qui a ses mérites dans certains domaines. Mais dans le cas de l’intelligence artificielle, elle est dangereusement inadaptée. L’IA n’est pas un produit de consommation ordinaire. C’est une technologie qui peut transformer la société, pour le meilleur ou pour le pire. Et laisser cette transformation se faire sans supervision, sans règles, sans garde-fous, c’est jouer avec le feu.
L’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard
Graham a raison sur un point crucial : le temps presse. « Ça bouge vraiment vite, vraiment vite », dit-il lors de son intervention. « Vous n’êtes pas d’accord ? Donc je pense que nous devons nous organiser. » L’intelligence artificielle se développe à une vitesse vertigineuse. Chaque mois apporte son lot de nouvelles avancées, de nouveaux modèles, de nouvelles applications. GPT-4, Claude, Gemini, les modèles de langage deviennent de plus en plus puissants. Les systèmes de génération d’images créent des visuels indiscernables de photos réelles. Les deepfakes deviennent impossibles à détecter. Les algorithmes de recommandation façonnent nos opinions, nos choix, nos comportements. Et tout cela se passe maintenant, pas dans un futur lointain. Nous sommes déjà dans l’ère de l’IA. Et nous n’avons toujours pas de cadre réglementaire adapté. C’est comme si nous avions inventé l’automobile sans jamais penser à créer le code de la route. Ou comme si nous avions développé l’énergie nucléaire sans mettre en place de protocoles de sécurité. C’est de l’inconscience. Et les conséquences pourraient être catastrophiques. Graham le sait. C’est pour ça qu’il insiste : « Si nous ne commençons pas à prendre ces décisions maintenant, nous allons être laissés pour compte. » Laissés pour compte par qui ? Par la Chine, évidemment. Mais aussi par l’Europe, qui a déjà mis en place son AI Act. Par tous les pays qui ont compris que l’IA doit être régulée et qui agissent en conséquence.
Les États-Unis risquent de se retrouver dans une position paradoxale. Ils ont les meilleures entreprises d’IA au monde. Ils ont les meilleurs chercheurs, les meilleures universités, les meilleures infrastructures. Mais ils n’ont pas de cadre réglementaire. Et sans ce cadre, ils risquent de perdre leur avantage. Parce que les entreprises américaines devront se conformer aux règles européennes si elles veulent opérer en Europe. Elles devront se conformer aux règles chinoises si elles veulent opérer en Chine. Elles devront naviguer dans un patchwork de réglementations internationales, sans avoir de base solide aux États-Unis. C’est exactement le scénario que Graham veut éviter. Et c’est exactement le scénario vers lequel nous nous dirigeons si Trump continue sur sa lancée. Le sommet fantôme sur l’IA n’est qu’un symptôme d’un problème plus large : l’absence de vision stratégique. Trump réagit au coup par coup, prend des décisions en fonction des pressions du moment, des lobbies les plus influents, des tweets les plus viraux. Il n’y a pas de plan d’ensemble, pas de stratégie à long terme, pas de vision cohérente de ce que devrait être l’avenir de l’IA aux États-Unis. Et dans ce vide stratégique, les intérêts particuliers prospèrent. Les entreprises technologiques poussent pour moins de régulation. Les États essaient de combler le vide avec leurs propres lois. Les experts tirent la sonnette d’alarme. Et au milieu de tout ça, personne ne pilote vraiment le navire.
Je pense à cette phrase de Martin Luther King : « Il y a un moment où le silence devient trahison. » Graham a rompu le silence. Il a osé dire ce que beaucoup pensent tout bas. Mais sera-ce suffisant ? Un homme seul, même un sénateur influent, peut-il vraiment changer le cours des choses ? Ou sommes-nous condamnés à regarder le train foncer vers le précipice, impuissants, sachant ce qui va se passer mais incapables de l’arrêter ? Je veux croire que non. Je veux croire qu’il n’est pas trop tard. Que nous pouvons encore redresser la barre, mettre en place les garde-fous nécessaires, protéger nos intérêts stratégiques tout en encourageant l’innovation. Mais pour ça, il faudrait du courage. Du vrai courage politique. Pas celui qui consiste à suivre les sondages ou à plaire aux lobbies. Celui qui consiste à faire ce qui est juste, même quand c’est difficile, même quand c’est impopulaire, même quand ça vous coûte politiquement. Et ce courage, je ne suis pas sûr que nous l’ayons.
Les voix qui s'élèvent dans le désert
Les experts ignorés
Chris McGuire n’est pas le seul expert à tirer la sonnette d’alarme. Des dizaines de spécialistes de la Chine, de la sécurité nationale, de l’intelligence artificielle, tous disent la même chose : la décision de Trump est dangereuse. Mais leurs voix se perdent dans le bruit médiatique, noyées sous les tweets présidentiels, les polémiques du jour, les scandales à répétition. Craig Singleton, de la Foundation for Defense of Democracies, a été particulièrement clair. « Les entreprises chinoises veulent des H200, mais l’État chinois est guidé par la paranoïa et la fierté. Paranoïa concernant les portes dérobées et la dépendance aux puces américaines, et fierté de promouvoir des alternatives domestiques. » En d’autres termes, même si la Chine achète les puces américaines aujourd’hui, elle travaille déjà sur ses propres versions. Et une fois qu’elle les aura développées, elle n’aura plus besoin de nous. Pire, elle deviendra un concurrent direct, capable de produire des puces aussi performantes que les nôtres, mais à moindre coût. C’est le scénario qui s’est répété dans tous les secteurs stratégiques. Et c’est exactement ce qui va se passer avec l’IA si nous ne changeons pas de cap. Mais qui écoute Craig Singleton ? Qui lit ses analyses ? Qui prend ses avertissements au sérieux ? Pas Trump, manifestement. Pas les dirigeants de Nvidia, trop occupés à compter leurs profits. Pas même le grand public, trop distrait par les mille et une polémiques qui agitent Washington chaque jour.
Il y a quelque chose de profondément frustrant dans cette situation. Nous avons les experts. Nous avons les connaissances. Nous avons les analyses. Tout est là, disponible, accessible. Mais nous choisissons de l’ignorer. Parce que c’est plus confortable. Parce que ça ne cadre pas avec nos préjugés. Parce que ça nous obligerait à remettre en question nos certitudes. L’Institute for Progress a publié une étude détaillée sur les implications de la vente des puces H200 à la Chine. L’étude montre que ces puces offrent près de six fois les performances des H20, les puces que Trump avait déjà autorisées plus tôt dans l’année. C’est un bond technologique considérable. Et c’est exactement ce dont la Chine a besoin pour rattraper son retard dans la course à l’IA. L’étude recommande une approche plus prudente : autoriser la vente de puces moins performantes, maintenir les restrictions sur les technologies les plus avancées, investir massivement dans la recherche américaine pour maintenir l’avance technologique. C’est une approche équilibrée, qui reconnaît les réalités économiques tout en protégeant les intérêts stratégiques. Mais là encore, qui écoute ? Qui lit ces études ? Qui les prend en compte dans les décisions politiques ? Personne, ou presque. Parce que dans le Washington de Trump, les experts sont vus comme des obstacles, des empêcheurs de tourner en rond, des pessimistes qui ne comprennent pas le génie du deal.
Le Congrès divisé et impuissant
Le Congrès devrait être le contre-pouvoir. C’est son rôle constitutionnel. Mais il est divisé, paralysé par les querelles partisanes, incapable d’agir de manière décisive. Les démocrates veulent réguler l’intelligence artificielle, mais ils n’ont pas la majorité. Les républicains sont divisés entre ceux qui soutiennent aveuglément Trump et ceux qui, comme Graham, commencent à avoir des doutes. Le résultat ? Une paralysie totale. Rien ne bouge. Aucune législation n’avance. Aucune décision n’est prise. Et pendant ce temps, Trump agit par décrets exécutifs, contournant le Congrès, imposant sa vision sans débat démocratique. C’est une dérive autoritaire qui devrait inquiéter tout le monde, républicains comme démocrates. Mais elle est acceptée, normalisée, banalisée. Parce que c’est plus facile. Parce que ça évite les débats difficiles, les compromis douloureux, les décisions impopulaires. Le House Select Committee on the Chinese Communist Party a publié un communiqué cinglant après l’annonce de Trump. Mais que peut faire un comité bipartisan face à un président déterminé ? Publier des communiqués, organiser des auditions, faire des recommandations. Tout cela est important, certes. Mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait une législation. Il faudrait des lois contraignantes, des mécanismes d’application, des sanctions pour ceux qui ne respectent pas les règles. Et pour ça, il faudrait que le Congrès agisse. Mais le Congrès est bloqué.
Il y a eu des tentatives. En novembre 2025, le leadership républicain de la Chambre a essayé d’inclure un langage de préemption de l’IA dans le projet de loi de défense annuel, le NDAA. L’idée était d’empêcher les États de réguler l’IA, exactement comme le veut Trump. Mais l’effort a échoué. Steve Scalise, le leader de la majorité à la Chambre, a déclaré que « le NDAA n’était pas le meilleur endroit pour ça ». Traduisez : il n’y avait pas assez de soutien, même parmi les républicains, pour faire passer cette mesure. C’est un signe encourageant. Cela montre que même au sein du Parti républicain, il y a des réticences. Que tout le monde n’est pas prêt à suivre Trump aveuglément sur cette question. Mais c’est aussi un signe de faiblesse. Si le Congrès n’arrive même pas à se mettre d’accord sur ce qu’il ne faut pas faire, comment pourrait-il se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire ? Comment pourrait-il élaborer une stratégie cohérente, une vision à long terme, un cadre réglementaire adapté ? La réponse, pour l’instant, est qu’il ne le peut pas. Et tant qu’il ne le pourra pas, Trump aura les mains libres. Il pourra continuer à prendre des décisions unilatérales, à signer des décrets exécutifs, à autoriser des ventes de technologies sensibles sans véritable supervision. Et les conséquences de ces décisions, nous les paierons pendant des décennies.
Il y a quelque chose de tragique dans cette impuissance. Nous avons un système démocratique, avec des contre-pouvoirs, des mécanismes de contrôle, des institutions censées nous protéger contre les dérives. Mais tout cela ne fonctionne que si les gens qui occupent ces institutions ont le courage de les utiliser. Et ce courage, il semble faire défaut. Alors on assiste, impuissants, à la lente dérive. On voit les mauvaises décisions s’accumuler. On entend les avertissements des experts. On lit les analyses alarmantes. Mais rien ne change. Parce que changer nécessiterait du courage. Et le courage, c’est la denrée la plus rare à Washington.
L'innovation contre la régulation : un faux dilemme
Le mythe de la régulation tueuse d’innovation
L’un des arguments les plus fréquemment utilisés contre la régulation de l’intelligence artificielle est qu’elle tuerait l’innovation. Que les entreprises, étouffées par les règles et les contraintes, ne pourraient plus innover, ne pourraient plus prendre de risques, ne pourraient plus développer les technologies de demain. C’est un argument séduisant. Il fait appel à notre instinct de liberté, à notre méfiance envers la bureaucratie, à notre désir de voir l’Amérique rester à la pointe de la technologie. Mais c’est aussi un argument fallacieux. Parce qu’il repose sur une fausse dichotomie : soit on régule et on tue l’innovation, soit on ne régule pas et on laisse l’innovation prospérer. La réalité est bien plus nuancée. L’histoire nous montre que la régulation, quand elle est bien conçue, peut en fait stimuler l’innovation. Prenons l’exemple de l’industrie automobile. Dans les années 1970, les États-Unis ont imposé des normes d’émission strictes. L’industrie a crié au scandale, prédisant la fin de l’automobile américaine. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Les constructeurs ont innové. Ils ont développé des moteurs plus efficaces, des systèmes de contrôle des émissions, des technologies hybrides. Et aujourd’hui, ces innovations sont devenues la norme mondiale. La régulation n’a pas tué l’innovation. Elle l’a orientée, canalisée vers des objectifs socialement désirables. C’est exactement ce qui pourrait se passer avec l’IA.
Une régulation intelligente de l’intelligence artificielle ne consisterait pas à interdire le développement de nouvelles technologies. Elle consisterait à s’assurer que ces technologies sont développées de manière responsable, éthique, au service de l’intérêt public. Elle imposerait des standards de transparence, de responsabilité, de non-discrimination. Elle exigerait que les systèmes d’IA soient testés, audités, supervisés. Elle créerait un cadre dans lequel l’innovation peut prospérer tout en protégeant les droits fondamentaux des citoyens. L’Europe l’a compris. L’AI Act n’interdit pas l’IA. Il crée un cadre réglementaire basé sur le risque, qui permet aux entreprises de développer des technologies à faible risque sans contraintes excessives, tout en imposant des règles strictes pour les technologies à haut risque. C’est une approche équilibrée, pragmatique, qui reconnaît à la fois le potentiel de l’IA et ses dangers. Et contrairement à ce que prédisaient les pessimistes, l’AI Act n’a pas tué l’innovation européenne. Au contraire, il a créé un environnement de confiance, où les citoyens savent que leurs droits sont protégés, où les entreprises savent quelles règles elles doivent respecter, où l’innovation peut se développer de manière durable. Mais aux États-Unis, nous restons bloqués dans ce faux dilemme. Régulation ou innovation. Comme s’il fallait choisir. Comme si les deux étaient incompatibles. Et pendant ce temps, nous perdons du terrain.
Les garde-fous nécessaires pour un développement responsable
Alors, à quoi ressemblerait une régulation intelligente de l’intelligence artificielle aux États-Unis ? Quels seraient les garde-fous nécessaires pour s’assurer que l’IA se développe de manière responsable ? Premièrement, la transparence. Les systèmes d’IA ne devraient pas être des boîtes noires. Les entreprises qui les développent devraient être obligées d’expliquer comment ils fonctionnent, sur quelles données ils sont entraînés, quels biais ils pourraient contenir. Cette transparence est essentielle pour permettre une supervision démocratique, pour détecter les problèmes avant qu’ils ne causent des dommages, pour responsabiliser les acteurs. Deuxièmement, la responsabilité. Si un système d’IA cause un dommage, quelqu’un doit en répondre. Ce ne peut pas être « la faute de l’algorithme ». Il faut établir des chaînes de responsabilité claires, des mécanismes de recours pour les victimes, des sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas les règles. C’est exactement ce que le Colorado a essayé de faire avec sa loi sur la responsabilité des systèmes d’IA. Et c’est exactement ce que Trump veut empêcher. Troisièmement, la non-discrimination. Les systèmes d’IA ne doivent pas reproduire ou amplifier les biais existants dans la société. Ils ne doivent pas discriminer sur la base de la race, du genre, de l’âge, de l’orientation sexuelle, ou de toute autre caractéristique protégée. Cela nécessite des audits réguliers, des tests rigoureux, une supervision continue.
Quatrièmement, la supervision humaine. Les décisions importantes ne devraient jamais être entièrement déléguées à des algorithmes. Il devrait toujours y avoir un humain dans la boucle, capable d’intervenir, de corriger, de prendre la décision finale. C’est particulièrement important dans des domaines sensibles comme la justice pénale, les soins de santé, ou les décisions d’embauche. Cinquièmement, la sécurité. Les systèmes d’IA doivent être robustes, résistants aux attaques, incapables d’être détournés à des fins malveillantes. Cela nécessite des standards de sécurité stricts, des tests de pénétration, une surveillance continue des vulnérabilités. Ces cinq principes, transparence, responsabilité, non-discrimination, supervision humaine, et sécurité, pourraient former la base d’un cadre réglementaire américain pour l’intelligence artificielle. Ils ne sont pas révolutionnaires. Ils ne sont pas excessivement contraignants. Ils sont simplement du bon sens. Mais pour l’instant, ils n’existent pas. Et tant qu’ils n’existeront pas, l’IA se développera dans un vide réglementaire, avec tous les risques que cela comporte. Graham le comprend. C’est pour ça qu’il insiste sur la nécessité de « normes nationales ». Pas pour étouffer l’innovation, mais pour la canaliser, pour s’assurer qu’elle se développe de manière responsable, au service de l’intérêt public plutôt que du seul profit des entreprises.
Je suis fatigué de ce faux débat. Fatigué d’entendre qu’on ne peut pas réguler sans tuer l’innovation. C’est faux. C’est un mensonge propagé par ceux qui ont intérêt à ce qu’il n’y ait pas de règles. L’innovation n’a pas besoin d’un Far West sans loi pour prospérer. Elle a besoin d’un cadre stable, prévisible, équitable. Elle a besoin de règles claires qui protègent les droits fondamentaux tout en laissant de l’espace pour l’expérimentation. L’Europe l’a compris. Pourquoi pas nous ? Qu’est-ce qui nous empêche de faire preuve du même pragmatisme, de la même vision à long terme ? L’ego de Trump ? Les lobbies des entreprises technologiques ? Notre incapacité collective à penser au-delà du prochain trimestre ? Quelle que soit la raison, elle n’est pas suffisante. Parce que l’enjeu est trop important. L’intelligence artificielle va transformer notre monde. Et nous avons le choix de la manière dont elle le fera. Nous pouvons choisir une transformation responsable, éthique, au service de l’humanité. Ou nous pouvons laisser faire, et espérer que tout se passera bien. Mais l’espoir n’est pas une stratégie.
Le coût humain de l'inaction
Les victimes invisibles de l’IA non régulée
Derrière les débats techniques sur les puces, les algorithmes, et les réglementations, il y a des êtres humains. Des gens dont les vies sont affectées, parfois détruites, par des systèmes d’intelligence artificielle défaillants ou biaisés. Ces victimes sont souvent invisibles, leurs histoires rarement racontées, leurs souffrances ignorées. Mais elles existent. Prenons l’exemple des algorithmes de recrutement. De nombreuses entreprises utilisent désormais des systèmes d’IA pour trier les CV, sélectionner les candidats, parfois même mener les premiers entretiens. Ces systèmes sont censés être objectifs, impartiaux, plus justes que les recruteurs humains avec leurs biais inconscients. Mais la réalité est bien différente. Des études ont montré que ces algorithmes reproduisent et amplifient souvent les biais existants. Ils discriminent contre les femmes, contre les minorités, contre les personnes âgées. Ils rejettent des candidats qualifiés sur la base de critères arbitraires, comme le code postal ou le nom de l’université. Et les victimes de ces discriminations n’ont souvent aucun recours. Elles ne savent même pas qu’elles ont été rejetées par un algorithme. Elles pensent simplement qu’elles n’étaient pas assez qualifiées, qu’elles n’avaient pas le bon profil. Elles intériorisent l’échec, sans jamais savoir qu’elles ont été victimes d’un système biaisé. C’est une injustice silencieuse, invisible, mais dévastatrice.
Ou prenons l’exemple de la justice prédictive. Aux États-Unis, de nombreux tribunaux utilisent des algorithmes pour évaluer le risque de récidive des prévenus. Ces algorithmes sont censés aider les juges à prendre des décisions plus éclairées sur la libération sous caution ou la durée des peines. Mais là encore, la réalité est plus sombre. Une enquête de ProPublica a révélé que l’un de ces algorithmes, COMPAS, était deux fois plus susceptible de classer à tort les prévenus noirs comme à haut risque de récidive par rapport aux prévenus blancs. Le résultat ? Des personnes innocentes restent en prison plus longtemps. Des familles sont séparées. Des vies sont brisées. Et tout cela à cause d’un algorithme biaisé. Ces exemples ne sont pas des cas isolés. Ils sont la norme dans un monde où l’intelligence artificielle se développe sans régulation, sans supervision, sans responsabilité. Et ils vont se multiplier si nous ne faisons rien. Parce que l’IA est de plus en plus utilisée dans des domaines critiques : santé, éducation, logement, crédit, emploi. Chaque fois qu’un algorithme prend une décision, il y a un risque d’erreur, de biais, d’injustice. Et sans régulation, ces risques se matérialisent, encore et encore, créant des victimes invisibles dont personne ne parle. C’est le coût humain de l’inaction. C’est ce que Graham essaie de faire comprendre quand il parle de la nécessité de normes nationales. Ce n’est pas une question abstraite de politique technologique. C’est une question de justice, d’équité, de protection des droits fondamentaux.
L’urgence d’agir pour protéger les plus vulnérables
Les victimes de l’intelligence artificielle non régulée ne sont pas réparties uniformément dans la société. Ce sont souvent les plus vulnérables qui paient le prix le plus lourd. Les minorités, les femmes, les personnes âgées, les pauvres. Ceux qui ont le moins de pouvoir, le moins de ressources, le moins de moyens de se défendre. Prenons l’exemple des systèmes de notation de crédit basés sur l’IA. Ces systèmes utilisent des milliers de points de données pour évaluer la solvabilité d’une personne. Mais parmi ces points de données, il y en a qui n’ont rien à voir avec la capacité réelle à rembourser un prêt. Le code postal, par exemple. Ou les amis sur les réseaux sociaux. Ou les sites web visités. Ces données peuvent sembler neutres, mais elles sont en réalité des proxies pour la race, la classe sociale, le statut économique. Le résultat ? Des personnes pauvres se voient refuser des prêts, non pas parce qu’elles ne peuvent pas rembourser, mais parce qu’elles vivent dans le mauvais quartier ou qu’elles ont les mauvais amis. C’est une forme de discrimination systémique, rendue invisible par la complexité des algorithmes. Et sans régulation, elle continuera. Ou prenons l’exemple de la surveillance par reconnaissance faciale. Ces systèmes sont de plus en plus utilisés par les forces de l’ordre pour identifier des suspects. Mais ils sont notoirement moins précis pour les personnes à la peau foncée. Le résultat ? Des arrestations injustifiées, des vies ruinées, des familles détruites. Et tout cela parce qu’un algorithme a fait une erreur.
Ces exemples montrent que l’intelligence artificielle, sans régulation, peut devenir un outil d’oppression. Elle peut renforcer les inégalités existantes, créer de nouvelles formes de discrimination, marginaliser encore plus ceux qui sont déjà marginalisés. Et c’est exactement ce qui se passe en Chine. Le système de crédit social chinois utilise l’IA pour noter les citoyens en fonction de leur comportement. Ceux qui ont de mauvaises notes se voient refuser l’accès à certains services, à certains emplois, à certaines opportunités. C’est un système de contrôle social total, qui utilise la technologie pour maintenir l’ordre et réprimer la dissidence. Et ce système, la Chine l’exporte. Des dizaines de pays adoptent des versions similaires, créant un monde où de plus en plus de gens vivent sous surveillance constante, où la liberté est étouffée, où la dissidence est réprimée. C’est le futur qui nous attend si nous ne régulons pas l’IA. Un futur où la technologie, au lieu de nous libérer, nous asservit. Où les algorithmes, au lieu de nous servir, nous contrôlent. Où l’innovation, au lieu d’améliorer nos vies, les rend plus difficiles, plus injustes, plus oppressives. Graham le voit. C’est pour ça qu’il tire la sonnette d’alarme. C’est pour ça qu’il ose contredire Trump. Parce qu’il comprend que les enjeux dépassent de loin les petites querelles politiques. Il comprend que nous sommes à un moment charnière, où les décisions que nous prenons aujourd’hui vont façonner le monde de demain. Et il comprend que nous sommes en train de prendre les mauvaises décisions.
Je pense à toutes ces victimes invisibles. À tous ces gens dont les vies ont été affectées par des algorithmes biaisés, par des systèmes défaillants, par une technologie développée sans considération pour ses conséquences humaines. Je pense à cette femme qui s’est vu refuser un emploi à cause d’un algorithme de recrutement discriminatoire. À cet homme qui est resté en prison plus longtemps à cause d’un système de justice prédictive biaisé. À ces familles qui ont été séparées à cause d’une erreur de reconnaissance faciale. Ils ne font pas les gros titres. Leurs histoires ne sont pas racontées. Mais ils existent. Et ils sont nombreux. Et leur nombre va augmenter si nous ne faisons rien. C’est ça, le vrai coût de l’inaction. Pas les milliards de dollars perdus dans la compétition avec la Chine. Pas les parts de marché cédées aux concurrents européens. Mais les vies humaines brisées, les injustices perpétuées, les droits fondamentaux bafoués. C’est ça qui devrait nous révolter. C’est ça qui devrait nous pousser à agir.
Conclusion : le moment de vérité
Un tournant historique pour l’Amérique
Nous sommes à un tournant. Un de ces moments rares dans l’histoire où les décisions prises aujourd’hui vont déterminer le cours des décennies à venir. L’intelligence artificielle n’est pas une technologie comme les autres. C’est une révolution comparable à l’invention de l’imprimerie, de l’électricité, ou d’Internet. Elle va transformer tous les aspects de nos vies : notre façon de travailler, de communiquer, de nous soigner, de nous divertir, de nous gouverner. Et la manière dont nous gérons cette transformation va définir le monde dans lequel vivront nos enfants et nos petits-enfants. Lindsey Graham l’a compris. C’est pour ça qu’il a osé contredire Trump publiquement, risquant la colère du président et de ses supporters. « Vous allez rendre tout le monde fou », a-t-il dit. Ces mots, apparemment simples, cachent une vérité profonde. Sans normes nationales claires, sans cadre réglementaire cohérent, sans vision stratégique à long terme, nous allons droit dans le mur. Les États vont continuer à légiférer de leur côté, créant un patchwork de règles contradictoires. Les entreprises vont continuer à développer des technologies sans supervision, sans responsabilité, sans considération pour les conséquences. La Chine va continuer à avancer, à copier notre technologie, à développer ses propres alternatives, à nous rattraper puis à nous dépasser. Et nous, nous allons continuer à nous disputer, à nous diviser, à perdre du temps pendant que le monde change autour de nous. C’est ce scénario que Graham essaie d’éviter. Et il a raison.
Mais sera-t-il entendu ? Trump a montré à maintes reprises qu’il préfère les victoires rapides aux stratégies à long terme. Il aime les deals spectaculaires, les tweets triomphalistes, les headlines flatteuses. Il n’aime pas les débats complexes, les compromis difficiles, les décisions qui ne rapportent des bénéfices que dans plusieurs années. Et c’est exactement le problème. Parce que l’intelligence artificielle nécessite une vision à long terme. Elle nécessite de la patience, de la réflexion, de la prudence. Elle nécessite de penser aux conséquences, de peser les risques, de mettre en place des garde-fous avant qu’il ne soit trop tard. Mais Trump n’a pas cette patience. Il veut des résultats maintenant. Il veut pouvoir annoncer des victoires, signer des deals, montrer qu’il est le maître du jeu. Et tant qu’il restera dans cette logique, nous continuerons à prendre les mauvaises décisions. Nous continuerons à vendre nos technologies stratégiques à la Chine. Nous continuerons à empêcher les États de réguler l’IA. Nous continuerons à ignorer les avertissements des experts. Et nous paierons le prix de ces erreurs pendant des décennies. Le moment de vérité est maintenant. Nous pouvons encore changer de cap. Nous pouvons encore mettre en place un cadre réglementaire cohérent, protéger nos intérêts stratégiques, encourager une innovation responsable. Mais pour ça, il faut du courage. Du vrai courage politique. Celui de dire non aux lobbies, de résister aux pressions, de penser au-delà du prochain cycle électoral.
L’appel à l’action avant qu’il ne soit trop tard
Alors, que faire ? Comment sortir de cette impasse ? Comment s’assurer que l’intelligence artificielle se développe de manière responsable, au service de l’intérêt public plutôt que du seul profit des entreprises ? Premièrement, le Congrès doit agir. Il doit passer une législation bipartisane qui établit un cadre réglementaire national pour l’IA. Cette législation doit être basée sur les principes de transparence, responsabilité, non-discrimination, supervision humaine, et sécurité. Elle doit créer des mécanismes d’application, des sanctions pour ceux qui ne respectent pas les règles, des recours pour les victimes. Et elle doit le faire maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Deuxièmement, les États doivent continuer à légiférer. Malgré l’ordre exécutif de Trump, malgré les pressions des lobbies, malgré les menaces de poursuites judiciaires. Parce que les États sont souvent les laboratoires de la démocratie, les endroits où les innovations politiques sont testées avant d’être adoptées au niveau national. La Californie, le Colorado, New York, tous ces États qui ont commencé à réguler l’IA doivent continuer. Ils doivent résister, se battre, défendre leurs lois devant les tribunaux si nécessaire. Parce que sans eux, il n’y aura aucune régulation du tout. Troisièmement, les citoyens doivent se mobiliser. Ils doivent exiger de leurs élus qu’ils agissent, qu’ils protègent leurs droits, qu’ils mettent en place les garde-fous nécessaires. Ils doivent soutenir les organisations qui se battent pour une IA responsable, qui dénoncent les abus, qui proposent des alternatives. Parce que sans pression citoyenne, rien ne changera.
Quatrièmement, les entreprises technologiques doivent prendre leurs responsabilités. Elles ne peuvent pas continuer à développer des technologies puissantes sans se soucier de leurs conséquences. Elles doivent investir dans la recherche sur la sécurité de l’IA, sur l’équité des algorithmes, sur la protection de la vie privée. Elles doivent être transparentes sur leurs pratiques, accepter la supervision, reconnaître leurs erreurs quand elles en font. Et elles doivent comprendre que leur intérêt à long terme est aligné avec l’intérêt public. Qu’une IA responsable, éthique, au service de l’humanité, est aussi une IA qui sera acceptée, adoptée, soutenue par la société. Cinquièmement, les experts doivent continuer à tirer la sonnette d’alarme. Ils doivent continuer à publier leurs analyses, à partager leurs connaissances, à avertir des dangers. Même si personne ne semble les écouter. Même si leurs voix se perdent dans le bruit médiatique. Parce que la vérité finit toujours par émerger. Les faits finissent toujours par s’imposer. Et quand le public réalisera l’ampleur du problème, il se tournera vers ceux qui avaient raison depuis le début. Graham a ouvert une brèche. Il a montré qu’il était possible de contredire Trump, de s’opposer à sa vision, de proposer une alternative. D’autres doivent suivre. D’autres républicains, d’autres démocrates, d’autres voix doivent s’élever. Parce que c’est seulement ensemble, au-delà des clivages partisans, que nous pourrons relever ce défi. L’intelligence artificielle n’est pas une question républicaine ou démocrate. C’est une question américaine. Une question humaine. Et elle nécessite une réponse collective.
Je termine cette chronique avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. Espoir parce que des voix comme celle de Graham commencent à s’élever. Parce que la prise de conscience progresse. Parce que de plus en plus de gens comprennent l’urgence d’agir. Mais inquiétude aussi. Parce que le temps presse. Parce que chaque jour qui passe sans régulation est un jour de perdu. Parce que la Chine avance, l’Europe avance, et nous, nous restons bloqués dans nos querelles stériles. Je ne sais pas comment cette histoire va se terminer. Je ne sais pas si nous aurons le courage de faire ce qui est nécessaire. Je ne sais pas si nous saurons mettre de côté nos différences pour affronter ensemble ce défi historique. Mais je sais une chose : nous n’avons pas le choix. L’intelligence artificielle va transformer notre monde, que nous le voulions ou non. La seule question est de savoir si nous allons guider cette transformation ou la subir. Si nous allons être les architectes de notre futur ou ses victimes. Le moment de choisir est maintenant. Et j’espère, de tout mon cœur, que nous ferons le bon choix.
Sources
Sources primaires
Raw Story, « You’ll drive everybody crazy! Trump ally undercuts him on key regulation issue », 8 décembre 2025. Politico, « Trump says AI executive order limiting state rules coming this week », 8 décembre 2025. Politico, « US to allow powerful AI chip sales to China, Trump says », 8 décembre 2025. Fox Business, « Schumer accuses Trump of ‘selling out America’ after greenlighting Nvidia AI chip exports to China », 9 décembre 2025. Wall Street Journal, entretien avec le sénateur Lindsey Graham, 8 décembre 2025. Truth Social, publications du président Donald Trump, 8 décembre 2025.
Sources secondaires
Council on Foreign Relations, analyses de Chris McGuire sur la politique technologique américaine vis-à-vis de la Chine, décembre 2025. Foundation for Defense of Democracies, analyses de Craig Singleton sur les exportations de technologies sensibles, décembre 2025. Institute for Progress, étude sur les implications de la vente des puces H200 à la Chine, décembre 2025. Senate Banking Committee, communiqués de la sénatrice Elizabeth Warren sur les exportations de puces vers la Chine, décembre 2025. House Select Committee on the Chinese Communist Party, communiqué sur la décision d’autoriser les ventes de puces H200, 9 décembre 2025. Nvidia Corporation, déclarations officielles sur les autorisations d’exportation, décembre 2025. Union européenne, AI Act (Artificial Intelligence Act), adopté en 2024. États de Californie, Colorado et New York, législations sur l’intelligence artificielle adoptées en 2025.
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