La collecte tentaculaire des données personnelles
La proposition va bien au-delà des simples identifiants de réseaux sociaux. Elle établit un système de collecte de données d’une ampleur rarement vue dans le contexte du tourisme international. Les numéros de téléphone utilisés au cours des cinq dernières années devront être communiqués — pas seulement votre numéro actuel, mais tous ceux que vous avez possédés, y compris les numéros temporaires, les cartes SIM prépayées utilisées en voyage, les lignes professionnelles. Les adresses électroniques des dix dernières années — une décennie complète — devront être listées. Pensez à tous les comptes email que vous avez créés puis abandonnés. Cette vieille adresse Hotmail de l’adolescence. Ce compte Gmail professionnel d’un emploi que vous avez quitté. Ces adresses jetables utilisées pour éviter le spam. Toutes devront être déclarées sous peine de voir votre demande rejetée.
Mais la collecte ne s’arrête pas à vous. Vos proches deviennent également des cibles. La proposition exige des informations détaillées sur les membres de votre famille — parents, conjoint, frères et sœurs, enfants. Leurs noms complets, leurs dates de naissance, leurs lieux de naissance, leurs numéros de téléphone des cinq dernières années, leurs adresses de résidence. Même si ces personnes ne prévoient jamais de voyager aux États-Unis, même si elles n’ont aucun lien avec votre voyage, leurs données personnelles devront être transmises aux autorités américaines. Cette extension de la surveillance aux cercles familiaux crée un réseau de collecte qui dépasse largement le cadre du voyageur individuel. Chaque demande ESTA devient une opportunité pour les services de renseignement américains de cartographier des réseaux sociaux et familiaux à l’échelle mondiale. Les implications pour la vie privée sont vertigineuses.
Les technologies de vérification biométrique renforcées
La proposition introduit également des changements majeurs dans les méthodes de vérification d’identité. L’application mobile ESTA, qui deviendra bientôt le seul moyen de soumettre une demande après la fermeture prévue du site web, exigera désormais une photo « selfie » en direct. Cette image sera comparée en temps réel à la photo de votre passeport grâce à des algorithmes de reconnaissance faciale. Le système utilisera la technologie NFC — Near Field Communication — pour lire la puce électronique de votre passeport et vérifier son authenticité. Des logiciels de détection de « vivacité » analyseront votre selfie pour s’assurer qu’il s’agit bien d’une photo prise en direct et non d’une image téléchargée ou d’un écran montrant une photo existante. Ces technologies, présentées comme des mesures anti-fraude, constituent en réalité un système de surveillance biométrique sophistiqué qui crée des profils faciaux de millions de voyageurs.
Le Customs and Border Protection justifie ces mesures en citant des cas de fraude découverts sur l’ancien système web. Plus de deux mille quatre cents photos de passeport de mauvaise qualité et plus de huit mille photos invalides auraient permis à des demandeurs de contourner les vérifications de reconnaissance faciale. Des facilitateurs auraient créé des centaines de demandes ESTA frauduleuses en téléchargeant de fausses pages biographiques de passeports pour renforcer des demandes de visa. Ces abus sont réels et méritent d’être combattus. Mais la réponse proposée — une surveillance généralisée de millions de voyageurs honnêtes — semble disproportionnée. C’est comme si, pour empêcher quelques personnes de tricher aux examens, on décidait d’installer des caméras de surveillance dans toutes les chambres d’étudiants du pays. La logique sécuritaire pousse à des extrêmes qui sacrifient les libertés fondamentales sur l’autel d’une protection absolue impossible à atteindre.
Je pense à tous ces voyageurs qui ne comprendront pas vraiment ce qu’ils acceptent en cochant ces cases. Combien liront attentivement les conditions ? Combien réaliseront l’ampleur de ce qu’ils abandonnent ? La plupart voudront juste visiter Disney World avec leurs enfants, ou assister au mariage d’un ami à San Francisco. Ils rempliront le formulaire rapidement, pressés, distraits. Et sans le savoir, ils donneront aux autorités américaines un accès sans précédent à leur vie privée et à celle de leurs proches. C’est ça qui me terrifie le plus — pas la surveillance elle-même, mais son acceptation passive, son intégration silencieuse dans nos routines quotidiennes.
Les pays concernés et l'ampleur du dispositif
Une mesure qui touche les alliés les plus proches
La proposition concerne les quarante pays membres du Visa Waiver Program, ce programme d’exemption de visa qui symbolisait jusqu’ici la confiance entre les États-Unis et leurs alliés les plus proches. La France figure en tête de liste, avec plusieurs millions de voyageurs français visitant les États-Unis chaque année. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne — toutes les grandes nations européennes sont concernées. Le Japon, la Corée du Sud, Singapour, l’Australie, la Nouvelle-Zélande — les partenaires stratégiques de l’Amérique dans la région Asie-Pacifique devront eux aussi se soumettre à ce nouveau régime de surveillance. Israël, malgré ses liens privilégiés avec Washington, n’échappe pas à la règle. Cette liste révèle une réalité inconfortable : même les alliés les plus fidèles sont désormais traités comme des menaces potentielles.
L’ironie est cruelle. Ces pays ont soutenu les États-Unis dans leurs guerres, partagé des renseignements sensibles, coordonné leurs politiques de sécurité. Leurs citoyens ont admiré la culture américaine, investi dans l’économie américaine, étudié dans les universités américaines. Et maintenant, pour le privilège de visiter ce pays qu’ils considéraient comme un ami, ils devront accepter une surveillance qui rappelle davantage les pratiques de régimes autoritaires que celles d’une démocratie libérale. La proposition mentionne également l’ajout potentiel de nouveaux pays au programme au cours des trois prochaines années, ce qui étendrait encore la portée de cette collecte de données. Paradoxalement, le document note aussi le retrait de la Roumanie du Visa Waiver Program — une décision qui soulève des questions sur les critères réels d’inclusion et d’exclusion dans ce système.
Les chiffres vertigineux de la collecte
Les estimations officielles du Customs and Border Protection révèlent l’ampleur industrielle de cette opération de surveillance. Quatorze millions quatre cent quatre-vingt-quatre mille soixante-treize demandes ESTA sont attendues annuellement via l’application mobile. Deux millions deux cent soixante-dix-huit mille cinquante-quatre demandes supplémentaires via le site web avant sa fermeture prévue. Six cent mille utilisations de l’application CBP Home pour les déclarations de sortie volontaires. Au total, plus de dix-sept millions de transactions par an qui généreront chacune des dizaines de données personnelles. Si l’on considère que chaque demandeur devra fournir en moyenne cinq identifiants de réseaux sociaux, trois numéros de téléphone, quatre adresses email, et des informations sur quatre membres de sa famille, nous parlons de centaines de millions de points de données collectés chaque année. Une base de données d’une richesse inégalée pour les services de renseignement américains.
Le temps estimé pour remplir une demande ESTA passe de quelques minutes à vingt-deux minutes selon les calculs officiels. Vingt-deux minutes pour fouiller dans votre mémoire et retrouver tous ces comptes oubliés, ces numéros abandonnés, ces adresses périmées. Multipliez ce temps par quatorze millions de demandeurs, et vous obtenez plus de cinq millions d’heures de travail imposées aux voyageurs du monde entier. Cinq millions d’heures passées à compiler des informations personnelles pour satisfaire l’appétit insatiable de l’appareil sécuritaire américain. Le coût humain de cette bureaucratie de la surveillance est rarement comptabilisé dans les analyses officielles. Pourtant, il représente un fardeau considérable imposé à des millions de personnes qui ne cherchent qu’à voyager librement dans un monde qui prétend valoriser cette liberté.
Cinq millions d’heures. J’essaie de visualiser ce que cela représente. C’est cinq cent soixante-dix ans de vie humaine. Presque six siècles de temps collectif sacrifié chaque année sur l’autel de la sécurité nationale. Et pour quoi ? Pour détecter combien de véritables menaces ? Combien de terroristes seront réellement identifiés grâce à leurs posts Instagram ? Je ne nie pas l’existence de risques réels. Mais je questionne la proportionnalité de la réponse. À quel moment le remède devient-il pire que le mal ?
Les justifications invoquées par l'administration Trump
L’Executive Order 14161 comme fondement légal
L’administration Trump s’appuie sur l’Executive Order 14161, signé en janvier 2025, pour justifier cette expansion massive de la surveillance. Intitulé « Protecting the United States From Foreign Terrorists and Other National Security and Public Safety Threats », cet ordre exécutif établit un cadre juridique pour un contrôle renforcé des voyageurs étrangers. Le texte invoque la menace terroriste, les risques pour la sécurité publique, et la nécessité de protéger les citoyens américains contre des dangers extérieurs. Ces arguments résonnent puissamment dans un pays marqué par les attentats du 11 septembre et hanté par la peur d’une nouvelle attaque. Ils créent un climat où toute opposition à des mesures de sécurité, aussi intrusives soient-elles, peut être présentée comme une forme de naïveté dangereuse ou pire, de complicité avec l’ennemi.
Le mémorandum du 4 avril 2025 complète ce dispositif en exigeant la collecte de « données biographiques de base de haute valeur » sur tous les formulaires d’immigration. Cette expression bureaucratique — « haute valeur » — masque la réalité d’une intrusion profonde dans la vie privée. Quelles données ont une « haute valeur » pour les services de renseignement ? Apparemment, tout ce qui permet de tracer un profil complet d’un individu et de son réseau social et familial. Le document du Federal Register cite explicitement cet ordre exécutif et ce mémorandum comme justifications légales pour les changements proposés. Cette chaîne de références crée une apparence de légitimité bureaucratique qui rend difficile toute contestation. Comment s’opposer à une mesure présentée comme nécessaire à la protection contre le terrorisme sans paraître indifférent aux menaces réelles qui pèsent sur la sécurité nationale ?
Les cas de fraude comme prétexte
Le Customs and Border Protection documente plusieurs cas de fraude pour justifier le durcissement des contrôles. L’étude de cas du National Targeting Center révèle plus de deux mille quatre cents téléchargements de photos de passeport de mauvaise qualité et plus de huit mille photos invalides qui ont permis de contourner les systèmes de reconnaissance faciale. Des facilitateurs auraient créé des centaines de demandes ESTA frauduleuses en utilisant de fausses pages biographiques de passeports pour renforcer des demandes de visa. Ces abus sont présentés comme la preuve que le système actuel est vulnérable et doit être renforcé. L’argument semble logique en surface. Si des personnes exploitent les failles du système, il faut combler ces failles. Mais cette logique ignore une question fondamentale : combien de fraudes ont réellement été commises par rapport au nombre total de demandes ? Si cent cas de fraude sont détectés sur quatorze millions de demandes, cela représente un taux de 0,0007 pour cent. Est-il justifié d’imposer une surveillance généralisée à 99,9993 pour cent de voyageurs honnêtes pour contrer 0,0007 pour cent de fraudeurs ?
Les sites web frauduleux de tiers constituent une autre préoccupation légitime citée par les autorités. Ces sites facturent des frais exorbitants pour traiter des demandes ESTA, parfois sans jamais les soumettre réellement au CBP, laissant les voyageurs incapables d’embarquer sur leurs vols. Ce problème mérite effectivement une solution. Mais encore une fois, la réponse proposée — fermer le site web ESTA et forcer tout le monde à utiliser une application mobile — semble disproportionnée. Elle pénalise les personnes âgées moins à l’aise avec les smartphones, les voyageurs des pays où les smartphones haut de gamme capables de lire les puces NFC sont moins répandus, et tous ceux qui préfèrent la transparence d’un site web à l’opacité d’une application mobile. La lutte contre la fraude devient un prétexte pour imposer un système de contrôle plus intrusif qui va bien au-delà de ce qui serait nécessaire pour résoudre les problèmes identifiés.
Je comprends la nécessité de lutter contre la fraude. Vraiment. Mais il y a quelque chose de malhonnête dans cette rhétorique qui présente chaque abus isolé comme une justification pour une surveillance de masse. C’est une tactique éprouvée : trouver les pires exemples, les plus effrayants, et les utiliser pour légitimer des mesures qui affectent tout le monde. On nous montre le fraudeur, le criminel, le terroriste potentiel. Et on nous dit : « Voyez ? C’est pour ça que nous devons tous être surveillés. » Mais cette logique est un piège. Elle transforme l’exception en règle, la menace marginale en danger omniprésent.
Les implications pour la vie privée et les libertés individuelles
L’érosion progressive du droit à l’intimité
Cette proposition s’inscrit dans une tendance plus large d’érosion du droit à la vie privée au nom de la sécurité. Chaque nouvelle mesure grignote un peu plus l’espace d’intimité qui protégeait autrefois les individus du regard scrutateur de l’État. Il y a vingt ans, l’idée qu’un gouvernement puisse exiger l’accès à cinq années de publications sur les réseaux sociaux aurait semblé dystopique, digne d’un roman de science-fiction. Aujourd’hui, elle est présentée comme une évolution naturelle et nécessaire des contrôles de sécurité. Cette normalisation progressive de la surveillance est peut-être plus dangereuse que la surveillance elle-même. Elle modifie nos attentes, nos standards, notre compréhension de ce qui est acceptable. Nous nous habituons à l’idée que la vie privée est un luxe du passé, un concept dépassé à l’ère du terrorisme global et des menaces numériques.
Les réseaux sociaux ont déjà transformé notre rapport à l’intimité. Nous partageons volontairement des aspects de nos vies qui auraient été considérés comme strictement privés il y a une génération. Mais il existe une différence fondamentale entre choisir de partager certaines informations avec nos amis et être contraint de livrer l’intégralité de notre historique numérique à un gouvernement étranger. Le consentement fait toute la différence. Quand je poste une photo de vacances sur Instagram, je décide qui peut la voir, dans quel contexte, avec quelles restrictions. Quand un agent du CBP accède à cette même photo dans le cadre d’une vérification ESTA, le contexte change radicalement. L’image est extraite de son environnement social, analysée selon des critères que j’ignore, potentiellement mal interprétée, archivée dans des bases de données gouvernementales pour une durée indéterminée. Ce n’est plus le même acte de partage. C’est une forme de surveillance qui transforme rétroactivement la nature de tout ce que nous avons publié.
Le risque d’autocensure et de conformisme
La connaissance de cette surveillance future aura inévitablement un effet dissuasif sur l’expression en ligne. Si vous savez que chaque commentaire politique, chaque opinion controversée, chaque blague potentiellement mal comprise pourrait être examinée par des agents gouvernementaux et utilisée pour vous refuser l’entrée aux États-Unis, vous réfléchirez à deux fois avant de publier. Cette autocensure est insidieuse parce qu’elle opère silencieusement, sans interdiction explicite, sans censure visible. Personne ne vous empêche de critiquer la politique américaine sur Twitter. Mais si cette critique peut vous coûter votre voyage à New York, vous y penserez peut-être à deux fois. Le résultat est un appauvrissement du débat public, une homogénéisation des opinions exprimées en ligne, un conformisme rampant qui sape les fondements mêmes de la liberté d’expression.
Ce phénomène affectera particulièrement certaines catégories de personnes. Les journalistes qui couvrent des sujets sensibles liés aux États-Unis devront peser chaque mot, sachant que leurs articles pourraient être utilisés contre eux. Les militants des droits humains qui critiquent les politiques américaines au Moyen-Orient ou ailleurs risquent de voir leurs demandes ESTA rejetées. Les universitaires qui publient des recherches critiques sur la société américaine pourraient être empêchés d’assister à des conférences aux États-Unis. Les artistes dont les œuvres explorent des thèmes politiques controversés devront choisir entre leur intégrité créative et leur capacité à voyager. Cette sélection invisible mais efficace des personnes autorisées à entrer aux États-Unis créera une forme de filtrage idéologique qui contredit les valeurs démocratiques que l’Amérique prétend défendre.
J’imagine un futur où nous aurons tous deux personnalités en ligne. La vraie, celle que nous partageons avec nos proches dans des espaces privés et chiffrés. Et la fausse, celle que nous cultivons soigneusement pour les algorithmes de surveillance, lisse, inoffensive, politiquement neutre. Une façade numérique conçue pour passer les filtres, pour ne déclencher aucune alerte, pour nous permettre de continuer à voyager dans un monde qui exige de plus en plus de conformité. Est-ce vraiment le monde dans lequel nous voulons vivre ? Un monde où l’authenticité devient un luxe que seuls ceux qui n’ont pas besoin de voyager peuvent se permettre ?
Les réactions des défenseurs des libertés civiles
Les critiques de l’Electronic Frontier Foundation
Sophia Cope, de l’Electronic Frontier Foundation, une organisation de défense des droits numériques basée aux États-Unis, a exprimé des préoccupations sévères concernant cette proposition. Dans une déclaration au New York Times, elle a averti que ces mesures pourraient « exacerber les atteintes aux libertés civiles ». L’EFF, qui se bat depuis des décennies pour protéger la vie privée en ligne et limiter la surveillance gouvernementale, voit dans cette proposition une escalade dangereuse. L’organisation souligne que la collecte massive de données sur les réseaux sociaux crée des opportunités sans précédent pour des abus de pouvoir. Les algorithmes utilisés pour analyser ces données sont opaques, leurs critères de décision inconnus, leurs biais potentiels non documentés. Un système qui peut rejeter une demande ESTA sur la base d’une analyse automatisée de posts sur les réseaux sociaux est un système qui échappe à tout contrôle démocratique significatif.
L’EFF met également en garde contre l’effet de contagion de telles mesures. Quand les États-Unis, leader mondial autoproclamé de la démocratie et des libertés, adoptent des pratiques de surveillance aussi intrusives, ils donnent un signal aux autres pays. Si l’Amérique peut exiger cinq ans d’historique de réseaux sociaux, pourquoi la Chine, la Russie, ou n’importe quel régime autoritaire ne pourrait-il pas faire de même ? La proposition américaine risque de créer un précédent qui normalisera ce type de surveillance à l’échelle mondiale. Dans quelques années, nous pourrions nous retrouver dans un monde où chaque voyage international nécessite de livrer notre vie numérique complète à des gouvernements étrangers. Un monde où la liberté de mouvement devient conditionnelle à l’acceptation d’une surveillance totale. Un monde où les frontières numériques sont aussi hermétiques que les frontières physiques.
Les inquiétudes des professionnels du tourisme
L’industrie touristique américaine observe cette proposition avec une anxiété croissante. Après des mois de déclin des arrivées internationales, les professionnels du secteur craignent que ces nouvelles mesures n’aggravent encore la situation. Le World Travel & Tourism Council a identifié les États-Unis comme le seul pays parmi cent quatre-vingt-quatre économies analysées qui devrait connaître une baisse des dépenses des visiteurs internationaux en 2025. Cette tendance inquiétante s’explique en partie par les politiques de l’administration Trump perçues comme hostiles aux voyageurs étrangers. L’augmentation des prix d’entrée dans les parcs nationaux pour les visiteurs internationaux, présentée comme une mesure « America First », a déjà eu un impact négatif. L’US Travel Association prévoit une baisse de 6,3 pour cent des visiteurs étrangers en 2025 par rapport à 2024.
Les Canadiens, qui représentent traditionnellement environ un quart de tous les visiteurs internationaux aux États-Unis et dépensent plus de vingt milliards de dollars par an, ont réduit leurs voyages pendant dix mois consécutifs en 2025. Ce boycott informel, motivé par l’opposition aux tarifs douaniers de Trump et à ses politiques migratoires, illustre comment les décisions politiques peuvent avoir des conséquences économiques tangibles. L’ajout de nouvelles exigences intrusives pour les demandes ESTA risque d’accélérer cette tendance. Les voyageurs ont le choix. Ils peuvent visiter l’Europe, l’Asie, l’Amérique latine — des destinations qui ne leur demandent pas de livrer cinq ans de leur vie numérique. Face à des exigences perçues comme excessives, beaucoup choisiront simplement d’aller ailleurs. Le paradoxe est cruel : en cherchant à se protéger contre des menaces hypothétiques, les États-Unis risquent de s’isoler économiquement et culturellement.
Il y a une tristesse profonde dans tout ça. Les États-Unis ont longtemps été un symbole de liberté, d’ouverture, d’opportunité. Des générations de voyageurs ont rêvé de découvrir ce pays, fascinés par sa culture, son énergie, sa diversité. Et maintenant ? Maintenant, ce pays demande aux visiteurs de se soumettre à une surveillance qui aurait horrifié les fondateurs de la nation. Je pense à la Statue de la Liberté, à son inscription célèbre : « Donnez-moi vos masses fatiguées, vos pauvres, vos foules entassées aspirant à respirer librement. » Ces mots semblent appartenir à une autre époque, à une Amérique qui n’existe peut-être plus.
Les précédents historiques et les comparaisons internationales
L’évolution de la surveillance aux frontières américaines
La surveillance aux frontières américaines n’a cessé de s’intensifier depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le Patriot Act, adopté dans l’urgence six semaines après les attaques, a considérablement élargi les pouvoirs de surveillance du gouvernement fédéral. La création du Department of Homeland Security en 2002 a centralisé et renforcé les capacités de contrôle aux frontières. Le programme US-VISIT, lancé en 2004, a introduit la collecte systématique d’empreintes digitales et de photos pour les visiteurs étrangers. Chaque crise, chaque menace perçue a servi de justification pour une nouvelle expansion des pouvoirs de surveillance. Cette escalade progressive a normalisé des pratiques qui auraient été impensables avant 2001. La proposition actuelle s’inscrit dans cette trajectoire, mais elle représente un saut qualitatif significatif en étendant la surveillance au domaine numérique et aux réseaux sociaux.
L’administration Trump avait déjà commencé à collecter des informations sur les réseaux sociaux pour certaines catégories de visas. En 2025, le Département d’État a annoncé qu’il examinerait la « présence en ligne » des demandeurs de visas étudiants et de visas H1B pour travailleurs qualifiés. Les demandeurs devaient lister tous leurs identifiants de réseaux sociaux utilisés au cours des cinq dernières années et rendre publics leurs profils pour permettre cette vérification. L’avertissement était clair : toute omission pourrait entraîner le refus du visa actuel et de tous les visas futurs. Cette politique a suscité des inquiétudes parmi les universités américaines qui craignaient de voir diminuer le nombre d’étudiants internationaux. Mais elle est restée limitée à des catégories spécifiques de visas. La proposition actuelle étend cette surveillance à tous les voyageurs du Visa Waiver Program, multipliant par un facteur considérable le nombre de personnes affectées.
Les pratiques d’autres pays en matière de surveillance
Les États-Unis ne sont pas le seul pays à surveiller les réseaux sociaux des voyageurs, mais l’ampleur et la systématisation de la proposition actuelle sont sans précédent parmi les démocraties occidentales. La Chine exige depuis longtemps des informations détaillées sur les activités en ligne des visiteurs étrangers, particulièrement pour les visas de travail ou d’études. Les autorités chinoises peuvent demander l’accès aux comptes de réseaux sociaux et examiner l’historique des publications pour détecter toute critique du régime ou tout contenu jugé sensible. Mais la Chine est un régime autoritaire qui ne prétend pas respecter les standards démocratiques de protection de la vie privée. Quand les États-Unis adoptent des pratiques similaires, la comparaison devient embarrassante. Comment l’Amérique peut-elle critiquer la surveillance chinoise tout en mettant en place son propre système de contrôle des réseaux sociaux ?
L’Union européenne a adopté une approche différente, privilégiant la protection des données personnelles à travers le Règlement Général sur la Protection des Données. Le RGPD limite strictement la collecte et l’utilisation des données personnelles, y compris par les autorités gouvernementales. Les pays européens effectuent des contrôles de sécurité aux frontières, mais ils sont généralement moins intrusifs et plus respectueux de la vie privée que ce que propose maintenant l’administration Trump. Cette divergence reflète des philosophies politiques différentes. L’Europe tend à considérer la vie privée comme un droit fondamental qui doit être protégé même au prix d’une certaine efficacité sécuritaire. Les États-Unis, particulièrement sous Trump, semblent privilégier la sécurité absolue au détriment des libertés individuelles. Cette différence d’approche pourrait avoir des conséquences géopolitiques durables, renforçant l’attractivité de l’Europe comme destination pour les voyageurs soucieux de leur vie privée.
Nous vivons un moment étrange où les lignes se brouillent. Les démocraties adoptent des pratiques autoritaires. Les régimes autoritaires utilisent le langage de la sécurité pour justifier leur surveillance. Et nous, citoyens ordinaires, nous nous retrouvons pris entre ces systèmes qui se ressemblent de plus en plus. Je me demande si nos enfants comprendront même le concept de vie privée tel que nous l’avons connu. Pour eux, la surveillance sera peut-être aussi naturelle que l’air qu’ils respirent. Et cette pensée me glace.
Les enjeux technologiques et les risques de sécurité
Les vulnérabilités des bases de données massives
La création d’une base de données contenant les informations de réseaux sociaux de millions de voyageurs pose des risques de sécurité considérables. L’histoire récente regorge d’exemples de violations de données gouvernementales. En 2015, l’Office of Personnel Management américain a subi une cyberattaque qui a compromis les données personnelles de vingt-deux millions d’employés fédéraux actuels et anciens, incluant des informations sensibles sur leurs antécédents de sécurité. En 2017, Equifax, une agence de crédit majeure, a été piratée, exposant les données de cent quarante-sept millions d’Américains. Ces incidents démontrent que même les organisations disposant de ressources importantes et d’expertise en cybersécurité peuvent être vulnérables. Une base de données ESTA contenant cinq ans d’historique de réseaux sociaux pour des millions de personnes serait une cible extrêmement attractive pour les hackers, les gouvernements étrangers, et les organisations criminelles.
Les conséquences d’une violation de cette base de données seraient catastrophiques. Imaginez que des acteurs malveillants obtiennent l’accès à des années de publications sur les réseaux sociaux, de numéros de téléphone, d’adresses email, et d’informations familiales pour des millions de personnes. Ces données pourraient être utilisées pour du chantage, de l’usurpation d’identité, du harcèlement ciblé, ou des campagnes de désinformation sophistiquées. Les personnes occupant des postes sensibles — journalistes, militants, opposants politiques — seraient particulièrement vulnérables. Le gouvernement américain affirme qu’il mettra en place des mesures de sécurité robustes pour protéger ces données. Mais l’histoire suggère que ces assurances doivent être prises avec prudence. Aucun système n’est invulnérable. Plus la base de données est grande et précieuse, plus elle attire l’attention de ceux qui cherchent à l’exploiter.
Les biais algorithmiques et les erreurs de jugement
L’analyse automatisée de millions de profils de réseaux sociaux reposera nécessairement sur des algorithmes d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique. Ces systèmes sont connus pour reproduire et amplifier les biais présents dans leurs données d’entraînement. Un algorithme entraîné principalement sur des données en anglais pourrait mal interpréter des publications dans d’autres langues. Un système conçu pour détecter des contenus extrémistes pourrait confondre l’humour, l’ironie, ou la critique politique légitime avec de véritables menaces. Les faux positifs — des personnes innocentes identifiées à tort comme des risques — sont inévitables dans tout système de détection automatisée. Mais dans le contexte de l’ESTA, un faux positif peut signifier l’interdiction de voyager aux États-Unis sans explication claire ni possibilité de recours efficace.
Les recherches académiques sur les algorithmes de modération de contenu révèlent des taux d’erreur préoccupants. Des études ont montré que les systèmes automatisés de détection de discours haineux peuvent avoir des taux de faux positifs dépassant trente pour cent dans certains contextes. Appliqué aux quatorze millions de demandes ESTA annuelles, même un taux d’erreur de un pour cent signifierait cent quarante mille personnes injustement signalées ou rejetées chaque année. Ces personnes n’auront probablement jamais accès aux détails de l’analyse qui a conduit à leur rejet. Elles ne pourront pas contester l’interprétation erronée d’un post, expliquer le contexte d’un commentaire, ou corriger une traduction défectueuse. Le système sera opaque, ses décisions finales, ses erreurs invisibles. Cette opacité algorithmique est incompatible avec les principes de justice et de procédure équitable qui sont censés caractériser les démocraties libérales.
Je pense à toutes ces personnes qui seront rejetées par des algorithmes qu’elles ne comprendront jamais. Un professeur dont la recherche critique sur la politique étrangère américaine sera mal interprétée. Un adolescent dont les blagues stupides postées à quinze ans reviendront le hanter dix ans plus tard. Un militant des droits humains dont le travail légitime sera confondu avec de l’extrémisme. Chacun d’eux recevra un message impersonnel : « Votre demande ESTA a été refusée. » Aucune explication. Aucun recours. Juste une porte qui se ferme, définitivement peut-être. Et nous acceptons ça. Nous acceptons qu’un algorithme puisse détruire des opportunités, briser des rêves, séparer des familles, sans avoir à justifier ses décisions devant personne.
Les alternatives possibles et les solutions moins intrusives
Des approches ciblées plutôt que généralisées
Il existe des alternatives à la surveillance de masse qui pourraient atteindre les objectifs de sécurité sans sacrifier la vie privée de millions de voyageurs innocents. Une approche basée sur le renseignement et le ciblage sélectif permettrait de concentrer les ressources sur les individus présentant des indicateurs de risque réels plutôt que de soumettre tout le monde au même niveau de scrutin. Les services de renseignement américains disposent déjà de listes de surveillance, de bases de données sur les menaces connues, et de systèmes d’analyse des risques. Ces outils pourraient être utilisés pour identifier les demandes ESTA nécessitant un examen approfondi, incluant potentiellement une vérification des réseaux sociaux, tout en permettant à la grande majorité des voyageurs de passer par un processus simplifié respectueux de leur vie privée.
Le modèle de sécurité aéroportuaire offre un précédent intéressant. Les programmes comme TSA PreCheck aux États-Unis ou les voies rapides dans les aéroports européens permettent aux voyageurs fréquents et pré-vérifiés de bénéficier de contrôles allégés. Un système similaire pourrait être développé pour l’ESTA. Les voyageurs avec un historique de conformité — ceux qui ont respecté les conditions de leurs visites précédentes, qui n’ont jamais dépassé la durée autorisée, qui ont des liens établis avec leur pays d’origine — pourraient être éligibles à un processus simplifié. Les nouveaux demandeurs ou ceux présentant certains facteurs de risque feraient l’objet de vérifications plus approfondies. Cette approche différenciée serait plus efficace, moins coûteuse en ressources, et beaucoup plus respectueuse des libertés individuelles que la surveillance généralisée proposée.
Le renforcement de la coopération internationale
Une autre alternative consisterait à renforcer la coopération en matière de renseignement avec les pays du Visa Waiver Program plutôt que de surveiller individuellement leurs citoyens. Ces pays sont des alliés de longue date des États-Unis, avec des services de renseignement sophistiqués et des systèmes de sécurité robustes. Un partage d’informations plus efficace entre ces services permettrait d’identifier les menaces réelles sans imposer un fardeau bureaucratique et une intrusion dans la vie privée à des millions de voyageurs ordinaires. Les accords Five Eyes — l’alliance de renseignement entre les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande — démontrent qu’une coopération étroite en matière de sécurité est possible entre nations démocratiques. Ce modèle pourrait être étendu aux autres pays du VWP.
Cette approche collaborative présenterait plusieurs avantages. Elle respecterait la souveraineté des pays alliés en reconnaissant leur capacité à gérer leurs propres citoyens. Elle éviterait la duplication d’efforts — pourquoi les États-Unis devraient-ils analyser les réseaux sociaux de millions de Français si les services de renseignement français ont déjà des systèmes pour identifier les menaces potentielles parmi leurs citoyens ? Elle préserverait la confiance mutuelle qui est le fondement du Visa Waiver Program. Et surtout, elle protégerait la vie privée des citoyens ordinaires qui ne représentent aucune menace. Malheureusement, l’administration Trump semble préférer une approche unilatérale qui traite même les alliés les plus proches comme des sources potentielles de danger. Cette posture reflète une vision du monde profondément méfiante qui risque d’aliéner les partenaires dont les États-Unis ont besoin pour faire face aux menaces réelles.
Il y a tant de façons de faire les choses différemment. Tant d’approches qui équilibreraient sécurité et liberté. Mais elles nécessitent de la nuance, de la confiance, de la coopération. Elles demandent de reconnaître que la sécurité absolue est une illusion, que le risque zéro n’existe pas, que nous devons accepter un certain niveau d’incertitude pour préserver les libertés qui donnent un sens à nos vies. L’administration Trump ne semble pas intéressée par ces compromis. Elle préfère la simplicité brutale de la surveillance totale, l’illusion du contrôle absolu. Et nous en payerons tous le prix.
L'impact sur les relations transatlantiques
La détérioration de la confiance entre alliés
Cette proposition risque de causer des dommages durables aux relations entre les États-Unis et leurs alliés européens. Le Visa Waiver Program était un symbole de confiance mutuelle, une reconnaissance que les citoyens de ces pays ne représentaient pas une menace et méritaient un traitement privilégié. En imposant maintenant une surveillance aussi intrusive, l’administration Trump envoie un message clair : cette confiance n’existe plus. Les Européens sont désormais traités avec le même niveau de suspicion que les citoyens de pays avec lesquels les États-Unis n’ont pas de relations diplomatiques étroites. Cette dégradation du statut perçu des alliés européens ne passera pas inaperçue. Les gouvernements européens, déjà frustrés par les politiques commerciales et climatiques de Trump, pourraient être tentés de répondre par des mesures de réciprocité.
Imaginez que l’Union européenne décide d’imposer des exigences similaires aux voyageurs américains. Les citoyens américains souhaitant visiter Paris, Rome ou Berlin devraient fournir cinq ans d’historique de leurs réseaux sociaux, leurs numéros de téléphone, leurs adresses email, et des informations sur leurs familles. Cette perspective, qui aurait semblé absurde il y a quelques années, devient soudainement plausible. Une spirale de mesures et contre-mesures pourrait transformer le voyage international en un exercice bureaucratique cauchemardesque où chaque frontière exige une nouvelle reddition de votre vie privée. Le résultat serait une fragmentation du monde en zones de surveillance mutuelles, une balkanisation numérique qui minerait les échanges culturels, économiques et humains qui ont caractérisé l’ordre international d’après-guerre.
Les conséquences pour les échanges culturels et académiques
Les universités américaines, qui accueillent des centaines de milliers d’étudiants internationaux chaque année, s’inquiètent déjà de l’impact des politiques de Trump sur leur capacité à attirer les meilleurs talents mondiaux. L’extension de la surveillance des réseaux sociaux aux voyageurs du VWP pourrait aggraver cette tendance. Les professeurs européens hésiteront à accepter des invitations à des conférences aux États-Unis s’ils doivent livrer leur vie numérique. Les chercheurs travaillant sur des sujets sensibles — changement climatique, droits humains, politique étrangère — pourraient être particulièrement réticents. Cette auto-sélection appauvrira le débat académique américain, le privant de perspectives critiques et de voix dissidentes qui sont essentielles à la vitalité intellectuelle.
Les échanges culturels souffriront également. Les artistes, musiciens, écrivains et cinéastes européens qui ont traditionnellement vu les États-Unis comme un marché important et une source d’inspiration pourraient reconsidérer leurs relations avec ce pays. Les festivals, les expositions, les tournées — toutes ces activités qui enrichissent la vie culturelle américaine et maintiennent des liens entre les peuples — pourraient diminuer. À long terme, cet isolement culturel pourrait avoir des conséquences plus profondes que les impacts économiques immédiats. L’Amérique risque de perdre son statut de centre culturel mondial, de devenir une forteresse repliée sur elle-même, méfiante envers le monde extérieur. Cette transformation serait une tragédie non seulement pour les Américains, mais pour tous ceux qui ont vu dans ce pays un symbole d’ouverture et de possibilités.
Je pense aux amitiés qui ne se formeront pas. Aux collaborations qui n’auront jamais lieu. Aux idées qui ne seront pas échangées. Aux œuvres d’art qui ne seront pas créées. Tout ça perdu parce que nous avons choisi la peur plutôt que la confiance, la surveillance plutôt que l’ouverture. Les États-Unis ont été construits par des immigrants, enrichis par des échanges culturels, renforcés par leur capacité à attirer les talents du monde entier. Cette proposition représente un rejet de cet héritage. C’est un choix de fermeture qui appauvrit tout le monde.
Les questions juridiques et constitutionnelles
Les défis légaux potentiels
Cette proposition soulève de sérieuses questions juridiques qui pourraient faire l’objet de contestations judiciaires. Bien que les non-citoyens à l’extérieur des États-Unis n’aient généralement pas de droits constitutionnels américains, la collecte massive de données sur les réseaux sociaux pourrait violer les lois sur la protection de la vie privée dans les pays d’origine des demandeurs. Le Règlement Général sur la Protection des Données de l’Union européenne, par exemple, impose des restrictions strictes sur le transfert de données personnelles vers des pays tiers qui n’offrent pas un niveau de protection adéquat. Les autorités européennes de protection des données pourraient considérer que la collecte proposée par le CBP viole le RGPD, créant un conflit juridique entre les États-Unis et l’UE.
Aux États-Unis même, des organisations de défense des libertés civiles comme l’American Civil Liberties Union pourraient contester la légalité de cette collecte de données. Même si les demandeurs ESTA ne sont pas protégés par la Constitution américaine, les citoyens américains dont les informations seraient collectées indirectement — par exemple, ceux qui apparaissent dans les posts sur les réseaux sociaux des demandeurs ou qui sont listés comme membres de la famille — pourraient avoir des motifs de contestation. Le Quatrième Amendement protège contre les perquisitions et saisies abusives. La collecte de données sur les réseaux sociaux de citoyens américains sans mandat ni cause probable pourrait être considérée comme une violation de ces protections constitutionnelles. Ces questions juridiques complexes prendront probablement des années à résoudre dans les tribunaux.
La période de commentaires publics et les possibilités d’opposition
Le processus du Paperwork Reduction Act exige une période de soixante jours pour les commentaires publics avant que la proposition ne puisse être finalisée. Cette fenêtre, qui se termine le 9 février 2026, offre une opportunité pour les citoyens, les organisations, et les gouvernements étrangers d’exprimer leurs préoccupations. Les commentaires doivent être soumis par email à l’adresse CBP_PRA@cbp.dhs.gov avec le numéro de contrôle OMB 1651-0111 dans l’objet. L’agence est légalement tenue d’examiner tous les commentaires reçus et de répondre aux préoccupations substantielles soulevées. Cependant, l’histoire suggère que ces processus de commentaires publics aboutissent rarement à des changements majeurs dans les propositions gouvernementales, particulièrement sur des questions de sécurité nationale.
Néanmoins, une mobilisation massive pourrait avoir un impact. Si des centaines de milliers de personnes soumettent des commentaires détaillés expliquant pourquoi cette proposition est excessive, disproportionnée, et contre-productive, le CBP pourrait être contraint de reconsidérer ou au moins de modifier certains aspects. Les gouvernements des pays du VWP pourraient également intervenir diplomatiquement, exprimant leurs préoccupations concernant l’impact sur leurs citoyens et sur les relations bilatérales. Les entreprises technologiques — Facebook, Twitter, Instagram — pourraient s’opposer à la charge administrative que représenterait la réponse à des millions de demandes d’accès aux données. Cette coalition d’intérêts divers pourrait créer une pression suffisante pour forcer des changements. Mais le temps presse, et la mobilisation nécessaire n’a pas encore eu lieu.
Soixante jours. C’est tout ce que nous avons pour faire entendre nos voix. Soixante jours pour expliquer pourquoi cette proposition est une erreur. Soixante jours pour défendre notre droit à la vie privée contre un appareil sécuritaire qui ne connaît pas de limites. Je sais que beaucoup de gens se sentiront impuissants face à cette machine bureaucratique. Ils penseront que leurs commentaires ne changeront rien, que les décisions sont déjà prises. Et peut-être ont-ils raison. Mais peut-être pas. Peut-être qu’une vague de protestation suffisamment forte pourrait faire la différence. Nous ne le saurons jamais si nous n’essayons pas.
Les leçons de l'histoire et les avertissements ignorés
Les précédents de surveillance excessive
L’histoire offre de nombreux exemples de programmes de surveillance qui ont dépassé leurs objectifs initiaux et causé des dommages considérables. Le programme COINTELPRO du FBI, actif des années 1950 aux années 1970, a surveillé et harcelé des militants des droits civiques, des opposants à la guerre du Vietnam, et d’autres groupes considérés comme subversifs. Des figures comme Martin Luther King Jr. ont été espionnées, leurs communications interceptées, leurs réputations attaquées. Ces abus ont été révélés par la Commission Church dans les années 1970, conduisant à des réformes et à des excuses officielles. Mais les leçons n’ont pas été pleinement apprises. Après le 11 septembre, le programme de surveillance de la NSA révélé par Edward Snowden a montré que le gouvernement américain collectait massivement les communications de citoyens américains et étrangers sans mandat ni supervision judiciaire adéquate.
Ces précédents démontrent que les programmes de surveillance, une fois établis, tendent à s’étendre au-delà de leurs justifications initiales. Ce qui commence comme une mesure ciblée contre des menaces spécifiques devient progressivement un système de surveillance généralisée. Les garanties et les limitations promises au départ s’érodent avec le temps. Les données collectées pour un objectif sont réutilisées pour d’autres. Les abus deviennent inévitables. Et quand ces abus sont finalement révélés, les dommages sont déjà faits — des vies ruinées, des carrières détruites, des mouvements sociaux légitimes réprimés. La proposition actuelle de surveiller les réseaux sociaux des demandeurs ESTA suit ce schéma familier. Elle sera présentée comme une mesure temporaire et ciblée contre le terrorisme. Mais une fois le système en place, il sera utilisé pour d’autres objectifs, étendu à d’autres catégories de personnes, maintenu indéfiniment.
Les avertissements des lanceurs d’alerte
Edward Snowden et Julian Assange ont payé un prix énorme pour avoir révélé l’étendue de la surveillance gouvernementale. Snowden vit en exil en Russie, Assange a passé des années emprisonné. Leurs avertissements sur les dangers d’un État de surveillance ont été largement ignorés ou minimisés. Pourtant, leurs révélations ont montré que les gouvernements, y compris les démocraties occidentales, sont capables de mettre en place des systèmes de surveillance massive qui violent les droits fondamentaux de leurs citoyens et de personnes à travers le monde. Les documents Snowden ont révélé que la NSA collectait les métadonnées de milliards d’appels téléphoniques, interceptait les communications Internet, et coopérait avec des entreprises technologiques pour accéder aux données des utilisateurs. Ces programmes opéraient dans le secret, sans supervision démocratique significative, pendant des années.
Les leçons de ces révélations sont claires : nous ne pouvons pas faire confiance aux assurances gouvernementales concernant la protection de la vie privée. Les promesses de limitations et de garanties sont souvent illusoires. Les systèmes de surveillance, une fois créés, sont rarement démantelés. Ils persistent, s’étendent, et sont utilisés de manières que leurs créateurs n’avaient pas anticipées ou admises publiquement. La proposition actuelle de collecter cinq ans d’historique de réseaux sociaux devrait être évaluée à la lumière de cette histoire. Nous devons nous demander non pas comment ce système sera utilisé dans le meilleur des cas, avec les meilleures intentions, mais comment il pourrait être abusé dans le pire des cas. Parce que l’histoire nous enseigne que le pire des cas finit souvent par se produire.
Snowden et Assange ont sacrifié leur liberté pour nous avertir. Et qu’avons-nous fait de cet avertissement ? Nous avons continué à accepter de nouvelles intrusions, de nouvelles surveillances, de nouveaux abandons de notre vie privée. Nous avons traité ces lanceurs d’alerte comme des traîtres plutôt que comme des héros. Nous avons préféré le confort de l’ignorance à l’inconfort de la vérité. Et maintenant, nous nous retrouvons face à une proposition qui aurait horrifié les générations précédentes mais qui sera probablement acceptée avec un haussement d’épaules résigné. Quand avons-nous perdu notre capacité d’indignation ? Quand avons-nous décidé que la liberté était un prix acceptable à payer pour une illusion de sécurité ?
Conclusion : le choix qui nous attend
Un moment décisif pour les libertés numériques
Nous sommes à un tournant. Cette proposition n’est pas simplement une nouvelle formalité administrative, un formulaire un peu plus long à remplir. C’est un changement fondamental dans la nature de la relation entre les individus et l’État, entre la vie privée et la surveillance, entre la liberté et la sécurité. Si cette mesure est adoptée sans opposition significative, elle créera un précédent qui sera difficile à renverser. D’autres pays suivront. D’autres catégories de voyageurs seront ajoutées. D’autres types de données seront collectés. Dans dix ans, nous pourrions vivre dans un monde où chaque frontière exige une reddition complète de notre vie numérique, où le voyage international nécessite d’accepter une surveillance totale, où la liberté de mouvement est conditionnelle à l’abandon de toute intimité. Ce n’est pas un avenir inévitable. C’est un choix que nous faisons, collectivement, par notre action ou notre inaction.
Les soixante jours de commentaires publics représentent une opportunité rare d’influencer cette décision. Chaque voix compte. Chaque commentaire détaillé expliquant les dangers de cette proposition, chaque témoignage personnel sur l’importance de la vie privée, chaque argument juridique ou technique contestant la nécessité ou la proportionnalité de ces mesures — tout cela peut faire une différence. Les gouvernements des pays du VWP doivent également prendre position. Ils ne peuvent pas rester silencieux pendant que leurs citoyens sont soumis à une surveillance aussi intrusive. Les entreprises technologiques, les organisations de défense des libertés civiles, les universités, les associations professionnelles — tous ont un rôle à jouer dans cette bataille. Le silence sera interprété comme un consentement. L’inaction sera considérée comme une acceptation. Nous devons choisir de résister.
L’avenir que nous voulons construire
Au-delà de cette proposition spécifique, nous devons réfléchir au type de monde que nous voulons créer. Voulons-nous un monde où la sécurité est recherchée à tout prix, même au détriment des libertés fondamentales ? Ou voulons-nous un monde où nous acceptons un certain niveau de risque comme le prix de la liberté ? Voulons-nous un monde où chaque interaction, chaque publication, chaque pensée partagée en ligne peut être utilisée contre nous par des gouvernements étrangers ? Ou voulons-nous un monde où la vie privée est respectée comme un droit humain fondamental ? Ces questions ne sont pas abstraites. Elles détermineront la qualité de vie de nos enfants et petits-enfants. Elles façonneront le type de société dans laquelle nous vivrons. Et nous devons y répondre maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.
Il existe une alternative. Nous pouvons construire un monde où la sécurité et la liberté coexistent, où les menaces réelles sont combattues efficacement sans sacrifier les droits de millions d’innocents, où la coopération internationale remplace la méfiance généralisée. Cela nécessite du courage politique, de la nuance dans l’analyse des risques, et une volonté de résister aux appels simplistes à la sécurité absolue. Cela demande de reconnaître que la surveillance de masse n’est pas seulement inefficace — elle est contre-productive, créant plus de problèmes qu’elle n’en résout. Cela exige de placer les valeurs démocratiques au centre de nos politiques de sécurité plutôt que de les traiter comme des obstacles à surmonter. Ce chemin est plus difficile que celui de la surveillance totale. Mais c’est le seul qui préserve ce qui fait de nous des sociétés libres et ouvertes.
Je termine cet article avec un mélange d’espoir et de crainte. Espoir parce que je crois encore que les gens, quand ils comprennent vraiment ce qui est en jeu, peuvent se mobiliser et faire la différence. Crainte parce que je vois comment nous avons accepté tant d’autres intrusions, tant d’autres abandons de nos libertés. Je ne sais pas si cette fois sera différente. Je ne sais pas si nous trouverons le courage de dire non. Mais je sais que nous devons essayer. Parce que si nous ne le faisons pas maintenant, quand le ferons-nous ? À quel point la surveillance devra-t-elle devenir oppressante avant que nous décidions que c’est trop ? Combien de libertés devrons-nous sacrifier avant de réaliser que nous avons perdu ce qui rendait nos vies dignes d’être vécues ? Ces questions me hantent. Elles devraient nous hanter tous.
Sources
Sources primaires
Federal Register, « Agency Information Collection Activities; Revision; Arrival and Departure Record (Form I-94) and Electronic System for Travel Authorization (ESTA) », Document Number 2025-22461, publié le 10 décembre 2025. U.S. Customs and Border Protection, Department of Homeland Security. Executive Order 14161, « Protecting the United States From Foreign Terrorists and Other National Security and Public Safety Threats », signé en janvier 2025 par le président Donald Trump. Mémorandum du 4 avril 2025, « Updating All Forms to Collect Baseline Biographic Data », Department of Homeland Security.
Sources secondaires
The Washington Post, « U.S. plans to ask visitors to disclose 5 years of social media history », par Frances Vinall, publié le 10 décembre 2025. BBC News, « US could ask tourists for five-year social media history before entry », publié le 10 décembre 2025. The New York Times, « U.S. Plans to Scrutinize Foreign Tourists’ Social Media History », publié le 9 décembre 2025. Le Figaro, « Les États-Unis veulent obliger les touristes à dévoiler leurs activités sur les réseaux sociaux », par Yan Bernard-Guilbaud avec AFP, publié le 10 décembre 2025. Fragomen Immigration Law Firm, « United States: CBP Plans Changes to the ESTA Application Process Including Social Media Review », publié en décembre 2025. Electronic Frontier Foundation, déclarations de Sophia Cope citées dans divers médias, décembre 2025.
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