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Des quotas qui favorisent l’Est

Les mesures annoncées par Mark Carney en novembre 2025 sont présentées comme une réponse nécessaire aux tarifs américains et comme un moyen de renforcer l’industrie sidérurgique canadienne. Le gouvernement fédéral a resserré ses importations de produits d’acier provenant de pays avec lesquels le Canada n’a pas d’accord de libre-échange, les réduisant de cinquante pour cent à vingt pour cent des niveaux de 2024. Les importations en provenance des pays ayant conclu un accord de libre-échange ont également été réduites, passant de cent pour cent à soixante-quinze pour cent. Tout acier importé au-delà de ces seuils sera soumis à une surtaxe de cinquante pour cent. Le Canada impose également des tarifs douaniers généraux de vingt-cinq pour cent sur certains produits dérivés de l’acier, comme les tours éoliennes, les bâtiments préfabriqués, les attaches et les fils métalliques. L’ensemble de ces mesures devrait générer une demande intérieure estimée à huit cent cinquante-quatre millions de dollars, selon les estimations du gouvernement. Sur le papier, ces chiffres semblent impressionnants. Dans la réalité, ils cachent une vérité beaucoup moins reluisante — ces mesures bénéficient principalement aux producteurs d’acier de l’Ontario et du Québec, au détriment des consommateurs et des industries de l’Ouest canadien.

Pour comprendre pourquoi ces mesures sont si problématiques pour l’Ouest, il faut examiner la structure de l’industrie sidérurgique canadienne. La production d’acier au Canada est fortement concentrée dans le centre du pays, particulièrement en Ontario où se trouvent les grandes aciéries comme celles de Hamilton et de Sault Sainte-Marie. Le Québec abrite également plusieurs producteurs importants. En revanche, l’Alberta et la Saskatchewan ont très peu de capacité de production d’acier — elles sont essentiellement des consommatrices nettes d’acier, qu’elles utilisent pour leurs projets d’infrastructure, leurs pipelines, leurs installations pétrolières et gazières. Avant les quotas, ces provinces pouvaient s’approvisionner en acier auprès de divers fournisseurs internationaux, bénéficiant ainsi de prix compétitifs et d’une disponibilité constante. Maintenant, avec les quotas drastiquement réduits et les surtaxes punitives, elles sont forcées de se tourner vers les producteurs canadiens — qui peuvent désormais augmenter leurs prix en toute impunité, sachant que la concurrence étrangère est artificiellement limitée. C’est un transfert de richesse déguisé, une subvention cachée aux producteurs de l’Est financée par les consommateurs de l’Ouest. Et personne à Ottawa ne semble trouver cela problématique.

Appelons les choses par leur nom : c’est du protectionnisme régional déguisé en politique nationale. C’est une redistribution forcée de la richesse de l’Ouest vers l’Est. C’est une trahison des principes mêmes du fédéralisme canadien. Et le plus révoltant, c’est l’hypocrisie avec laquelle tout cela est présenté. On nous parle d’unité nationale, de solidarité canadienne, de protection de nos industries. Mais en réalité, on protège certaines industries dans certaines régions, au détriment d’autres industries dans d’autres régions. C’est du favoritisme institutionnalisé, et c’est inacceptable.

L’industrie pétrolière prise en otage

L’impact des quotas sur l’acier est particulièrement dévastateur pour l’industrie pétrolière et gazière de l’Alberta et de la Saskatchewan. Cette industrie, qui représente trente pour cent des émissions de gaz à effet de serre du Canada mais aussi une part massive de son produit intérieur brut, dépend énormément de l’acier pour ses opérations quotidiennes. Les pipelines, les plateformes de forage, les installations de traitement, les réservoirs de stockage — tout cela nécessite d’énormes quantités d’acier de haute qualité. Avant les quotas, les compagnies pétrolières pouvaient s’approvisionner auprès de fournisseurs internationaux offrant des prix compétitifs et des délais de livraison raisonnables. Maintenant, elles sont coincées. Les quotas ont créé une pénurie artificielle d’acier sur le marché canadien, faisant grimper les prix de manière vertigineuse. Les délais de livraison se sont allongés de manière dramatique, retardant des projets cruciaux et augmentant les coûts de manière exponentielle. Pour une industrie déjà sous pression en raison des tarifs américains, des réglementations environnementales de plus en plus strictes et de la volatilité des prix du pétrole, ces contraintes supplémentaires sont presque insupportables.

Mais ce qui rend la situation encore plus frustrante, c’est le timing. Au moment même où Ottawa impose ces quotas sur l’acier, le gouvernement Carney négocie avec l’Alberta pour faciliter la construction d’un nouvel oléoduc vers la Colombie-Britannique. En novembre 2025, Mark Carney et la première ministre albertaine Danielle Smith ont signé un protocole d’entente visant à favoriser la construction de cet oléoduc, qui transporterait au moins un million de barils de pétrole par jour vers les marchés asiatiques. Pour obtenir l’accord de l’Alberta, Ottawa a accepté d’abandonner plusieurs politiques climatiques, notamment le plafond sur les émissions du secteur pétrolier et gazier et certaines dispositions du Règlement sur l’électricité propre. C’est un revirement spectaculaire de la part d’un gouvernement qui, il y a quelques mois encore, faisait de la lutte contre les changements climatiques sa priorité absolue. Mais voilà le paradoxe : comment peut-on faciliter la construction d’un oléoduc tout en rendant l’acier nécessaire à sa construction plus cher et plus difficile à obtenir ? Comment peut-on prétendre soutenir l’industrie pétrolière albertaine tout en imposant des mesures qui augmentent ses coûts de production ? C’est une incohérence flagrante qui révèle soit une incompétence profonde, soit une mauvaise foi délibérée.

Je ne sais pas ce qui est pire — l’incompétence ou la mauvaise foi. L’incompétence, au moins, peut être corrigée. On peut apprendre, s’améliorer, faire mieux la prochaine fois. Mais la mauvaise foi, elle, est corrosive. Elle détruit la confiance, empoisonne les relations, rend impossible toute collaboration future. Et quand je regarde les actions d’Ottawa, je ne peux m’empêcher de pencher vers la deuxième hypothèse. Parce qu’il est difficile de croire qu’un gouvernement puisse être aussi aveugle aux conséquences de ses propres politiques. Il est plus facile de croire qu’il s’en fiche simplement.

Sources

Sources primaires

Gouvernement du Canada, Ministère des Finances. Canada responds to unjustified U.S. tariffs on Canadian steel and aluminum products. 12 mars 2025. https://www.canada.ca/en/department-finance/news/2025/03/canada-responds-to-unjustified-us-tariffs-on-canadian-steel-and-aluminum-products.html

Gouvernement du Canada, Ministère des Finances. Le ministre Ali annonce de nouvelles mesures pour protéger et transformer les industries canadiennes de l’acier et du bois d’œuvre. 26 novembre 2025. https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/nouvelles/2025/12/le-ministre-ali-annonce-de-nouvelles-mesures-pour-proteger-et-transformer-les-industries-canadiennes-de-lacier-et-du-bois-duvre.html

Gazette du Canada. Décret imposant une surtaxe aux États-Unis (acier et aluminium, 2025). 26 mars 2025. https://gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2025/2025-03-26/html/sor-dors95-fra.html

Bureau du Premier ministre du Canada. Le premier ministre Carney annonce de nouvelles mesures pour protéger et transformer les industries canadiennes de l’acier et du bois d’œuvre. 26 novembre 2025. https://www.pm.gc.ca/fr/nouvelles/discours/2025/11/26/premier-ministre-carney-annonce-de-nouvelles-mesures-proteger-et

Sources secondaires

CO24. Protestation contre les tarifs sur l’acier canadien en 2025 : Pression sur les députés pour une action sur les tarifs américains. 5 juin 2025. https://co24.ca/fr/protestation-tarifs-acier-canadien-pression-deputes/

Le Devoir. Mark Carney annonce de l’aide pour l’acier et le bois, faute d’entente. 26 novembre 2025. https://www.ledevoir.com/economie/936771/mark-carney-annonce-aide-secteur-acier-canada-guerre-commerciale

La Presse. Entente entre Ottawa et l’Alberta : Ottawa abandonne des politiques climatiques pour favoriser un projet d’oléoduc. 27 novembre 2025. https://www.lapresse.ca/affaires/2025-11-27/entente-entre-ottawa-et-l-alberta/ottawa-abandonne-des-politiques-climatiques-pour-favoriser-un-projet-d-oleoduc.php

Radio-Canada. Tarifs : les mesures pour l’acier et le bois d’œuvre coûteront plus de 500 millions. 26 novembre 2025. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2209964/tarifs-mesures-acier-bois-oeuvre-millions

PwC Canada. Point de vue fiscal : Tarifs douaniers des États-Unis sur l’acier et l’aluminium. Mars 2025. https://www.pwc.com/ca/fr/services/tax/publications/tax-insights/us-impose-tariffs-steel-aluminum-imports-2025.html

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