Une nommée qui sentait le soufre
Qui est donc Bari Weiss pour s’autoriser à ainsi mutiler le journalisme d’investigation ? La réponse se trouve dans son parcours et dans les circonstances de sa nomination. En octobre 2025, Skydance Media, une entreprise dirigée par David Ellison et financée par son père Larry Ellison (le milliardaire fondateur d’Oracle et soutien notoire de Donald Trump), a racheté Paramount, la maison-mère de CBS. Dans la foulée, Skydance a acquis pour 150 millions de dollars The Free Press, le site d’information créé par Bari Weiss, avant de nommer cette dernière rédactrice en chef de CBS News. Un conflit d’intérêts monumental que personne n’a semblé trouver choquant à l’époque. Bari Weiss, connue pour ses critiques virulentes contre ce qu’elle qualifie de « conformisme intellectuel des médias progressistes », s’est toujours présentée comme une guerrière de la pensée libre. Une guerrière qui, curieusement, trouve toujours le moyen de défendre les positions les plus conservatrices.
Son arrivée à CBS a été immédiatement marquée par des signes avant-coureurs. Dès sa prise de fonction, elle a commencé à s’immiscer personnellement dans les sujets politiques traités par « 60 Minutes », une pratique inhabituelle pour une rédactrice en chef qui est censée faire confiance à ses équipes éditoriales. Plus révélateur encore, elle a voyagé à Mar-a-Lago en octobre lorsque la journaliste Norah O’Donnell a interviewé Donald Trump pour « 60 Minutes ». Trump lui-même avait publiquement salué Weiss pendant cet entretien, affirmant ne pas la connaître personnellement mais avoir entendu dire qu’elle était « une grande personne ». Une déclaration en forme de blanc-seing. Les liens entre les nouveaux propriétaires de CBS et Trump sont si évidents qu’ils en deviennent grotesques. Larry Ellison n’est pas seulement un soutien financier, il est conseiller du président. David Ellison, son fils, a dû faire des promesses à la FCC, le régulateur américain des télécommunications, pour que le rachat de Paramount soit validé : CBS deviendrait « plus accueillante pour les conservateurs ». Une promesse que Bari Weiss semble déterminée à tenir, même si pour cela, elle doit trahir les principes les plus fondamentaux du journalisme.
La stratégie de l’équilibre au service du pouvoir
Le discours officiel de Bari Weiss séduit par son apparente modération. Elle prétend vouloir « ramener les Américains au centre » en explorant les débats entre le centre-droit et le centre-gauche plutôt que les extrêmes polarisés. Un bel objectif sur le papier. Dans la pratique, cela se traduit par une démission intellectuelle face aux abus de pouvoir. Quand on examine attentivement ses actions, on découvre que sa vision de « l’équilibre » consiste à donner autant de légitimité à la vérité qu’au mensonge, autant de poids aux preuves qu’aux dénis, autant de crédibilité aux victimes qu’à leurs bourreaux. C’est une forme de relativisme journalistique qui, en pratique, sert toujours les plus forts.
Le cas du reportage sur CECOT est particulièrement révélateur. Selon des sources internes citées par CNN et NPR, Weiss a initialement objecté au fait que les hommes déportés soient appelés « migrants vénézuéliens » plutôt que « immigrants illégaux », un terminologie préférée par l’administration Trump. Beaucoup de ces personnes n’étaient pourtant pas dans le pays illégalement et avaient demandé l’asile, attendant une décision sur leur demande. Mais pour Weiss, cette précision juridique et humaine semblait moins importante que de ne pas heurter la sensibilité trumpiste. Elle a ensuite exigé que l’émission obtienne une interview de Stephen Miller, le conseiller principal de Trump et architecte de la politique d’immigration la plus dure de l’histoire américaine récente. Quand les journalistes lui ont expliqué que l’administration refusait de coopérer, elle a fourni le numéro personnel de Miller, comme si un simple appel téléphonique pouvait effacer des mois d’enquête et des dizaines de témoignages accablants.
Cette femme me terrifie. Pas parce qu’elle est brillante ou maligne, mais parce qu’elle représente cette nouvelle génération de journalistes qui ont transformé leur lâcheté en vertu. Elle se présente comme une courageuse combattante contre le « conformisme intellectuel », mais en réalité, elle est le parangon de la soumission au pouvoir établi. Son « équilibre » n’est qu’un euphémisme pour désigner la neutralisation de la vérité. Elle veut que nous traitions sur un pied d’égalité les personnes qui torturent et celles qui sont torturées. Elle demande aux victimes d’attendre patiemment que leurs bourreaux daignent donner leur version des faits avant de pouvoir être entendues. C’est une perversion du journalisme. Une perversion dangereuse car elle légitime l’inacceptable sous prétexte d’objectivité.
Section 3 : CECOT, l'enfer salvadorien où Trump exile ses indésirables
Les coulisses d’une déportation inhumaine
Pour comprendre la gravité de la censure exercée par CBS, il faut connaître la nature exacte du reportage qui a été étouffé. L’enquête de Sharyn Alfonsi portait sur CECOT (Centro de Confinimiento del Terrorista), cette prison de haute sécurité construite par le gouvernement salvadorien sous la présidence de Nayib Bukele. Initialement conçue pour emprisonner les membres de gangs salvadoriens, CECOT est rapidement devenue l’outil privilégié de l’administration Trump pour se débarrasser des migrants qu’elle qualifiait de « membres de gangs » sans fournir la moindre preuve. En mars 2025, des centaines de Vénézuéliens qui avaient demandé l’asile aux États-Unis ont été arrêtés, embarqués de force dans des avions militaires et expédiés au Salvador sans aucun processus légal approprié.
Le reportage de « 60 Minutes » avait réussi l’exploit d’obtenir des témoignages de certains de ces hommes, depuis leur libération. Leurs récits, qui devaient être diffusés dans l’émission du dimanche 22 décembre, sont absolument horrifiants. Ils décrivent des conditions de détention inhumaines : cellules surpeuplées sans ventilation, torture systématique, absence de soins médicaux, viols et agressions sexuelles commises par les gardiens ou d’autres détenus. Plusieurs témoins racontent avoir été maintenus à l’isolement pendant des semaines, privés de nourriture et d’eau, forcés de signer des documents en espagnol qu’ils ne comprenaient pas. Le plus révoltant dans cette histoire, c’est que beaucoup de ces Vénézuéliens n’étaient absolument pas des membres de gangs. Des familles ont été séparées, des vies détruites, sur la base de simples soupçons ou de dénonciations anonymes. Le gouvernement salvadorien, quant à lui, a été plus que coopératif avec cette politique d’expulsion, y voyant une opportunité de remplir ses prisons et d’obtenir la faveur de l’administration Trump.
Un mensonge d’État qui s’effondre
Ce que le reportage de CBS révélait également, c’est l’étendue du mensonge d’État qui sous-tend cette politique. L’administration Trump a constamment affirmé que toutes les personnes expédiées à CECOT étaient des « criminels dangereux » et des « membres de gangs confirmés ». Les documents obtenus par les journalistes de CBS prouvent le contraire. Des échanges internes entre le Department of Homeland Security (DHS) et les agences salvadoriennes montrent que les autorités américaines étaient parfaitement conscientes que bon nombre de ces personnes n’avaient aucun lien avec des activités criminelles. Mais cela n’a pas arrêté la machine bureaucratique.
Plus préoccupant encore, le reportage mettait en lumière l’existence d’un programme clandestin d’échanges de prisonniers entre les États-Unis et le Salvador. En échange de l’accueil des migrants « indésirables », Washington aurait offert à San Salvador des avantages commerciaux et militaires conséquents. Une sorte de diplomatie carcérale qui viole les conventions internationales les plus élémentaires sur les droits humains. Les avocats qui ont défendu certaines de ces victimes devant les tribunaux américains ont été systématiquement bloqués par des arguments de « sécurité nationale » et de « secret défense ». Le reportage de CBS était d’autant plus important qu’il donnait enfin une voix à ces personnes qui ont été littéralement effacées du paysage juridique et médiatique américain.
Chaque fois que j’entends parler de CECOT, mon sang se glace. Pas seulement à cause des horreurs qui s’y déroulent, mais à cause de ce que cette prison représente : la négation absolue de l’humanité. Trump n’a pas inventé l’expulsion forcée, mais il l’a industrialisée, banalisée, transformée en outil de politique étrangère. Et le plus cynique dans tout ça, c’est l’hypocrisie salvadorienne. Nayib Bukele se présente comme le sauveur de son peuple en emprisonnant les gangs, alors qu’il accepte de devenir le bourreau d’autres pays pour quelques avantages diplomatiques. C’est une cascade de lâchetés. Celles des politiciens américains qui ferment les yeux. Celles des journalistes qui se taisent. Celles des citoyens qui détournent le regard. Et maintenant, CBS s’ajoute à cette longue liste de complices passifs.
Section 4 : Sharyn Alfonsi, le visage du journalisme résistant
Une correspondante au courage exceptionnel
Au milieu de cette tempête médiatique, une figure se détache avec une force rare : Sharyn Alfonsi. Cette journaliste chevronnée de CBS n’est pas une débutante dans le métier. Avec plus de vingt ans d’expérience, elle a couvert certains des conflits les plus dangereux du monde, de l’Irak à l’Afghanistan, en passant par la Syrie. Son travail a été récompensé par de nombreux prix, dont plusieurs Emmy Awards pour ses reportages d’investigation. Ce qui la caractérise, c’est son approche méthodique et sa ténacité. Elle ne se contente jamais des déclarations officielles, elle creuse, vérifie, recoupe. C’est précisément cette rigueur qui a rendu son reportage sur CECOT si puissant et si dangereux pour l’administration Trump.
Lorsque Bari Weiss a annoncé son intention de bloquer la diffusion du reportage, Sharyn Alfonsi n’a pas baissé les bras. Au contraire, elle a immédiatement rédigé cet email interne qui a fuité dans la presse, prenant le risque de sa carrière pour défendre un principe fondamental du journalisme. Dans ce message, elle détaille avec une précision chirurgicale toutes les étapes de vérification par lesquelles le reportage est passé : cinq écrans complets, validation par les avocats de CBS, approbation du département des standards et pratiques. Elle insiste sur le fait que l’équipe avait sollicité des commentaires de toutes les agences gouvernementales concernées : DHS, Maison Blanche, Département d’État. Le silence de ces administrations, écrit-elle, « est un déclaration, pas un veto ». Cette phrase résume parfaitement l’éthique journalistique qu’elle défend.
Une lettre ouverte qui secoue CBS
Ce qui est le plus frappant dans la réaction de Sharyn Alfonsi, c’est sa lucidité sur les motivations réelles derrière la décision de Bari Weiss. Elle ne se contente pas de dénoncer la censure, elle analyse froidement les implications politiques de cette décision. « Si le standard pour diffuser une histoire devient ‘le gouvernement doit accepter d’être interviewé’, alors le gouvernement obtient effectivement le contrôle sur les diffusions de 60 Minutes », écrit-elle. « Nous passons d’une puissance d’investigation à un sténographe de l’État ». Ces mots ont profondément résonné au sein de CBS, où de nombreux journalistes partagent son inquiétude.
Les sources internes citées par CNN rapportent que l’ambiance au sein de la rédaction de « 60 Minutes » est « explosive ». Plusieurs journalistes auraient menacé de démissionner si le reportage n’était pas finalement diffusé. Certains évoquent même la possibilité d’une action collective pour protester contre cette ingérence politique sans précédent. La position de Sharyn Alfonsi est d’autant plus courageuse qu’elle sait parfaitement qu’elle met en danger sa carrière dans un milieu médiatique de plus en plus soumis aux pressions politiques et économiques. Mais pour elle, comme pour de nombreux journalistes de sa génération, il y a des lignes qui ne peuvent être franchies sans trahir la mission même du journalisme.
Sharyn Alfonsi me donne espoir. Dans ce paysage médiatique de plus en plus uniformisé, formaté, aseptisé, elle représente ce que le journalisme devrait toujours être : un contre-pouvoir courageux, indépendant, implacable. Je ne la connais pas personnellement, mais je ressens une profonde admiration pour cette femme qui refuse de plier. Son email n’est pas seulement un acte de résistance professionnelle, c’est un manifeste pour l’intégrité du métier. Elle comprend quelque chose que beaucoup semblent avoir oublié : que la première responsabilité d’un journaliste n’est pas envers son employeur, ni envers le pouvoir, mais envers la vérité et les citoyens. Et parfois, cette responsabilité implique de prendre des risques, de mettre sa carrière en jeu, de devenir la voix de ceux qui n’en ont pas.
Section 5 : Paramount, Skydance et les millions qui achètent le silence
La prise de contrôle qui a tout changé
Pour comprendre les événements du 22 décembre, il faut remonter à l’été 2025 et au rachat de Paramount par Skydance Media. Cette opération financière, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, n’était pas une simple transaction commerciale. C’était un changement de paradigme politique pour l’un des plus grands groupes médiatiques américains. David Ellison, le patron de Skydance, n’a jamais caché ses intentions. Pendant les négociations avec la FCC pour obtenir l’approbation du rachat, il a multiplié les promesses : CBS deviendrait plus « équilibrée », plus « respectueuse des différentes perspectives politiques », moins « monolithique dans ses opinions ». En langage clair : CBS arrêterait de déranger Trump.
Les liens entre la famille Ellison et Donald Trump sont publics et notoires. Larry Ellison, le père de David, organise régulièrement des événements de collecte de fonds pour le président républicain. Il le conseille sur les questions technologiques et économiques. Plusieurs sources proches du dossier affirment que c’est Larry Ellison qui a suggéré à son fils d’acquérir The Free Press, le site de Bari Weiss, pour en faire la pierre angulaire de la nouvelle stratégie éditoriale de CBS News. L’opération a coûté 150 millions de dollars, une somme considérable pour un site qui ne génère que peu de revenus. Mais l’objectif n’était pas économique, il était politique. En installant Bari Weiss à la tête de CBS News, les Ellison s’assuraient que la chaîne ne serait plus jamais un problème pour Trump.
Les 16 millions de la reddition
Un autre élément crucial du contexte : le règlement de 16 millions de dollars que Paramount a dû verser à Donald Trump à l’automne 2025. Trump avait poursuivi CBS et Paramount en justice, accusant « 60 Minutes » d’avoir modifié de manière trompeuse une interview de Kamala Harris, sa rivale démocrate lors de l’élection présidentielle. La plupart des experts juridiques s’accordaient à dire que cette plainte avait peu de chances d’aboutir. Mais Trump ne cherchait pas vraiment un jugement, il cherchait un effet de levier. Et il l’a obtenu. En acceptant de payer 16 millions de dollars sans reconnaître aucune faute, l’ancienne direction de Paramount a ouvert la voie au rachat par Skydance et à la nomination de Bari Weiss.
Cette transaction est devenue un précédent dangereux. Elle démontre que menacer judiciairement les médias peut rapporter gros, même lorsque les accusations sont infondées. Elle montre aussi que les grands groupes médiatiques sont prêts à payer pour éviter les ennuis avec un pouvoir exécutif de plus en plus vindicatif. Les 16 millions versés à Trump ne sont pas une simple compensation, c’est un acompte sur la future docilité de CBS. Un investissement dans la soumission. Et le premier dividende de cet investissement, c’est l’annulation du reportage sur CECOT.
Ces chiffres me donnent la nausée. 16 millions pour acheter le silence. 150 millions pour mettre en place une machine de propagande déguisée en journalisme « équilibré ». Nous assistons à la marchandisation de la vérité. Les propriétaires de médias traitent l’information comme n’importe quelle autre marchandise, soumise aux lois de l’offre et de la demande. Sauf que la vérité ne devrait pas être négociable. Elle ne devrait pas avoir de prix. En normalisant ces arrangements financiers qui lient les médias au pouvoir, nous créons un précédent terrifiant. Aujourd’hui, c’est CBS. Demain, ce seront tous les autres. La pression sera immense sur les autres groupes médiatiques pour qu’ils « s’adaptent » à cette nouvelle réalité. Une réalité où les dérangeants sont muselés et les complices récompensés.
Section 6 : La réaction des journalistes, une colère contenue mais réelle
Une crise majeure au sein de CBS News
La décision de Bari Weiss a provoqué un séisme au sein de CBS News. Selon des informations recueillies par CNN et NPR, l’ambiance à la rédaction est « explosive ». Plusieurs journalistes vétérans de « 60 Minutes » ont menacé de démissionner immédiatement après avoir appris que leur reportage allait être retiré de l’antenne. Ce n’est pas une simple contestation hiérarchique, c’est une crise existentielle pour une équipe qui a bâti sa réputation sur son indépendance et son courage.
La réaction de Sharyn Alfonsi n’est qu’une partie d’un mouvement de résistance plus large. D’autres correspondants de l’émission, qui ont demandé à rester anonymes par crainte de représailles, ont exprimé leur profond désaccord avec la décision de Weiss. « Ceci n’est plus le ’60 Minutes’ que nous avons rejoint », a confié l’un d’eux. « Nous sommes en train de devenir les porte-parole non officiels de l’administration Trump ». La colère est d’autant plus forte que le reportage sur CECOT représentait des mois de travail acharné, de risques personnels pour les journalistes qui se sont rendus au Salvador, et un investissement financier considérable pour CBS.
Les menaces de départ qui se confirment
Les informations les plus préoccupantes pour la direction de CBS concernent les départs potentiels. Plusieurs journalistes importants de la chaîne auraient déjà entamé des négociations avec des concurrents. CNN, MSNBC et même certains médias internationaux comme la BBC ou Al Jazeera seraient très intéressés par recruter des talents de CBS qui cherchent à préserver leur intégrité journalistique. La menace la plus sérieuse pour CBS serait le départ de l’équipe entière de « 60 Minutes », un scénario que certains considèrent comme de plus en plus probable.
Cette fuite des cerveaux journalistique pourrait avoir des conséquences désastreuses pour CBS. « 60 Minutes » n’est pas seulement une émission, c’est une marque, une institution. La perdre signifierait non seulement une perte de crédibilité immédiate, mais aussi une perte économique considérable. Les annonceurs, déjà méfiants face à la politisation croissante de CBS, pourraient se retirer en masse s’ils sentent que la chaîne a perdu son indépendance éditoriale. C’est ce dilemme que Bari Weiss et la direction de CBS doivent maintenant affronter : à court terme, ils ont évité un conflit avec Trump, mais à long terme, ils risquent de détruire ce qui faisait la valeur de leur entreprise.
Ce qui se passe à CBS en ce moment est à la fois tragique et espoirant. Tragique parce que nous assistons à la destruction lente d’une grande institution journalistique. Mais espoirant parce que la réaction des journalistes montre que l’esprit de résistance n’est pas mort. Ces hommes et ces femmes qui menacent de tout quitter plutôt que de se soumettre sont les véritables héros de cette histoire. Ils comprennent que leur carrière, leur salaire, leur confort matériel ne valent rien comparés à leur intégrité. Je suis bouleversé par ce courage. Dans un monde où tout est devenu transactionnel, où les principes se négocient, ces journalistes rappellent qu’il y a des choses qui n’ont pas de prix. La vérité. La dignité. Le respect de soi.
Section 7 : Trump et les médias, une guerre permanente
La stratégie de l’intimidation systématique
Ce qui s’est produit à CBS doit être compris dans le cadre plus large de la relation entre Donald Trump et les médias depuis son retour au pouvoir. L’administration Trump a développé une stratégie sophistiquée et particulièrement efficace pour neutraliser les voix critiques dans les médias. Cette stratégie repose sur plusieurs piliers : la menace judiciaire constante, la pression économique via les régulateurs, et la personnalisation des attaques contre les journalistes individuels.
L’affaire de « 60 Minutes » avec Kamala Harris n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Depuis janvier 2025, Trump ou ses alliés ont intenté plus de cinquante actions en justice contre des médias ou des journalistes individuels. La plupart de ces poursuites sont vouées à l’échec sur le fond, mais leur but n’est pas de gagner, c’est d’épuiser financièrement et moralement les défendeurs. Chaque poursuite coûte des centaines de milliers de dollars en frais juridiques, sans parler du temps et de l’énergie qu’elle consomme. Plusieurs médias locaux, aux ressources financières limitées, ont dû fermer leurs portes ou autocensurer leur couverture pour éviter des poursuites coûteuses.
Les régulateurs comme armes politiques
La deuxième composante de la stratégie trumpiste est l’utilisation des agences gouvernementales comme instruments de pression. La FCC, sous sa nouvelle direction nommée par Trump, est devenue particulièrement active dans le « régulation » des médias. Des menaces implicites de non-renouvellement des licences de diffusion ont été utilisées pour faire pression sur des chaînes locales affiliées aux grands réseaux. La FTC (Federal Trade Commission) a lancé des enquêtes antitrust contre des groupes médiatiques critiques de l’administration, citant des préoccupations de « concurrence » qui n’avaient jamais été soulevées par le passé.
Cette pression réglementaire est particulièrement efficace car elle crée un climat d’incertitude qui pousse à l’autocensure. Même lorsque les menaces ne sont pas explicites, les dirigeants des médias comprennent le message : coopérez ou risquez des problèmes réglementaires qui pourraient menacer l’existence même de leur entreprise. C’est exactement ce qui s’est passé avec Paramount lors du rachat par Skydance. Les Ellison ont compris que pour obtenir l’approbation de la FCC, ils devaient garantir un « changement d’attitude » éditorial de CBS.
Je suis terrifié par l’efficacité de cette stratégie. Trump a compris quelque chose que les précédents régimes autoritaires avaient mis du temps à saisir : il n’est pas nécessaire d’envoyer des journalistes en prison pour neutraliser la presse libre. Il suffit de rendre le journalisme indépendant si coûteux, si risqué, si compliqué que la plupart finissent par abandonner ou se soumettre. Chaque poursuite judiciaire, chaque menace réglementaire, chaque attaque personnelle crée un effet dissuasif qui s’étend bien au-delà de la cible initiale. C’est une mort par mille coupures. Une asphyxie lente mais inexorable de la liberté de la presse. Et le plus pervers, c’est que tout cela se fait au nom de la « liberté d’expression » et de la « lutte contre les fake news ». L’ironie est absolument déchirante.
Section 8 : Les précédents historiques, quand les médias plient devant le pouvoir
Les heures sombres du journalisme américain
La capitulation de CBS devant Trump n’est malheureusement pas sans précédent dans l’histoire du journalisme américain. D’autres moments ont marqué la soumission des médias face au pouvoir, chacun avec ses particularités mais tous avec cette même trahison fondamentale de la mission journalistique. Le plus célèbre reste sans doute la période du maccarthysme dans les années 1950, où de nombreux journaux et chaînes de télévision ont participé à la chasse aux sorcières anticommmuniste, publiant des accusations sans vérification et ruinant des carrières sur la base de simples soupçons.
Plus récemment, après les attentats du 11 septembre 2001, la plupart des grands médias américains ont abandonné leur esprit critique pour devenir des porte-paroles quasi-officiels de la « guerre contre le terrorisme » de l’administration Bush. Très peu ont osé remettre en question la version officielle des événements, encore moins s’interroger sur la légitimité de l’invasion de l’Irak en 2003. Le New York Times a dû présenter des excuses publiques des années plus tard pour sa couverture trop complaisante des allégations d’armes de destruction massive irakiennes.
La différence Trump : une personnalisation sans précédent
Cependant, la situation actuelle présente une différence fondamentale avec ces précédents historiques. La soumission à Trump n’est pas idéologique, elle est purement transactionnelle et personnelle. Contrairement au maccarthysme ou à la guerre contre le terrorisme, où les médias ont souvent cru sincèrement à la justesse de la cause qu’ils soutenaient, la capitulation face à Trump est consciente et cynique. Les dirigeants de CBS savent parfaitement que ce qu’ils font est contraire à l’éthique journalistique, mais ils choisissent délibérément de privilégier leurs intérêts économiques et politiques.
De plus, la pression trumpiste est permanente et omniprésente. Le maccarthysme a duré quelques années, la paranoïa post-11 septembre s’est estompée avec le temps. Mais l’hostilité de Trump envers les médias critiques semble constitutive de son projet politique. C’est un élément central de sa stratégie de communication, une façon permanente de mobiliser sa base en désignant des ennemis intérieurs. Cette constance crée une pression continue qui rend la résistance encore plus difficile.
Ce qui me frappe le plus en analysant ces précédents, c’est la facilité avec laquelle les médias peuvent se perdre. Comment des institutions qui ont été construites sur des décennies d’intégrité peuvent-elles abandonner leurs principes si rapidement ? La réponse est malheureusement simple : parce que les médias sont aussi des entreprises, avec des actionnaires, des dirigeants, des employés. Et lorsque la pression devient suffisamment forte, la survie économique l’emporte sur l’intégrité journalistique. Ce qui est différent avec Trump, c’est l’absence totale de scrupules. Il ne propose même pas une idéologie qui pourrait séduire certains journalistes. Il propose simplement un deal : « Soyez gentils avec moi et je serai gentil avec vous. Dérangez-moi et je vous détruirai ». Et beaucoup acceptent ce deal.
Section 9 : La réaction du public, entre indignation et résignation
Une vague de colère sur les réseaux sociaux
L’annonce de l’annulation du reportage de « 60 Minutes » a provoqué une réaction immédiate et massive sur les réseaux sociaux. Dans les heures qui ont suivi la divulgation de l’information, des hashtags comme #CBSBetrayal, #Free60Minutes et #JournalismMatters sont devenus tendance aux États-Unis. Des milliers de journalistes, d’universitaires et de citoyens ordinaires ont exprimé leur colère et leur déception face à cette capitulation éditoriale.
Plusieurs organisations de défense de la liberté de la presse ont publié des communiqués sévères. Le Committee to Protect Journalists (CPJ) a qualifié la décision de CBS de « précédent dangereux pour le journalisme d’investigation en Amérique ». Reporters Without Borders a appelé à des manifestations devant les studios de CBS à New York et Los Angeles. Même des associations professionnelles généralement plus modérées, comme la Society of Professional Journalists, ont condamné l’ingurrence politique dans les décisions éditoriales.
La fatigue démocratique qui s’installe
Cependant, cette vague d’indignation cache une réalité plus préoccupante : une certaine fatigue démocratique parmi une partie du public. Après des années d’attaques constantes contre la presse, nombreux sont ceux qui commencent à accepter cette nouvelle normalité où les médias sont soit alliés du pouvoir, soit étouffés par lui. Des sondages récents montrent qu’une majorité d’Américains considèrent maintenant que « tous les médias sont partisans », une perception qui bénéficie directement à Trump et à sa stratégie de délégitimation de toute presse indépendante.
Cette résignation est particulièrement visible chez les jeunes générations. Beaucoup considèrent que la bataille pour une presse libre est déjà perdue et se tournent vers des sources d’information alternatives, souvent moins fiables mais plus « authentiques » à leurs yeux. La fragmentation du paysage médiatique américain rend d’autant plus difficile la mobilisation d’une large coalition citoyenne en faveur du journalisme indépendant.
La réaction du public me déchire. D’un côté, je vois cette colère magnifique, cette indignation pure qui montre que l’esprit démocratique n’est pas mort. Mais de l’autre, je sens cette fatigue terrible, cette résignation qui gagne. Ce qui me fait le plus peur, c’est que nous soyons en train de normaliser l’anormal. Que chaque nouvelle capitulation, chaque nouvelle censure, chaque nouvelle attaque contre la presse devienne un peu plus banale, un peu plus attendue. C’est ainsi que les démocraties meurent. Non avec un coup d’éclat, mais avec une lente érosion des standards, une gradualité de la compromission, une banalisation de l’inacceptable. Et je crains que nous soyons déjà bien avancés sur ce chemin.
Section 10 : Les conséquences internationales, un exemple qui fait des émules
Autocrates du monde entier en inspiration
La capitulation de CBS face à Trump ne se limite pas aux frontières américaines. Elle a des répercussions immédiates à l’échelle internationale, servant de modèle aux dirigeants autoritaires du monde entier qui cherchent à contrôler leur médias. Dans les jours qui ont suivi l’annonce du blocage du reportage, plusieurs gouvernements ont cité l’exemple américain pour justifier leurs propres restrictions contre la presse indépendante.
En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orbán a publié un communiqué soulignant que « même aux États-Unis, les médias comprennent la nécessité de coopérer avec les autorités pour maintenir l’ordre public ». En Turquie, des proches du président Erdoğan ont utilisé l’affaire CBS pour critiquer les médias occidentaux « qui prêchent la liberté de presse tout en pratiquant l’autocensure quand cela les arrange ». Même en Russie, des officiels ont ironisé sur l’hypocrisie américaine, notant que « la censure existe partout, y compris dans la patrie autoproclamée de la liberté d’expression ».
L’érosion de l’influence morale américaine
Ces attaques sont d’autant plus efficaces qu’elles touchent un point faible réel de la politique américaine actuelle. Pendant des décennies, les États-Unis ont pu critiquer les violations de la liberté de la presse dans d’autres pays en se positionnant comme un modèle de journalisme indépendant. Cette position morale est aujourd’hui considérablement affaiblie. Comment condamner la censure en Hongrie ou en Turquie lorsque l’une des chaînes les plus prestigieuses des États-Unis s’autocensure pour plaire à son propre gouvernement ?
Cette érosion de l’autorité morale américaine a des conséquences géopolitiques concrètes. Elle rend plus difficile pour Washington de mobiliser des coalitions internationales en faveur de la démocratie et des droits humains. Elle affaiblit la capacité des États-Unis à défendre leurs journalistes emprisonnés ou harcelés à l’étranger. Et elle donne des arguments à ceux qui, dans le monde, affirment que les valeurs occidentales ne sont qu’un paravent hypocrite pour des intérêts géopolitiques.
Cette dimension internationale de l’affaire me bouleverse profondément. Parce que je comprends que ce qui se passe à CBS n’est pas seulement une affaire américaine, c’est une tragédie mondiale. Chaque fois que les États-Unis compromettent leurs principes démocratiques, ce sont des millions de personnes à travers le monde qui en subissent les conséquences. Les activistes pro-démocratie en Hongrie, les journalistes courageux en Turquie, les opposants politiques en Russie… tous perdent un peu de leur marge de manœuvre quand l’Amérique renonce à être la citadelle de la liberté qu’elle prétendait être. Et cette responsabilité pèse lourdement. Très lourdement.
Section 11 : L'avenir du journalisme d'investigation, un combat qui continue
Les nouvelles formes de résistance journalistique
Face à cette pression grandissante, le journalisme d’investigation ne disparaît pas, il se transforme. De nouveaux modèles émergent, basés sur des structures plus légères, plus agiles, moins vulnérables aux pressions économiques et politiques. Les médias indépendants à but non lucratif comme ProPublica, The Intercept ou le Center for Investigative Reporting connaissent une croissance significative, financés par des fondations et des dons de citoyens plutôt que par des annonceurs commerciaux.
Parallèlement, des formes de journalisme collaboratif se développent. Des journalistes indépendants se regroupent en collectifs pour partager des ressources et des risques. Des consortiums internationaux comme l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) permettent de répartir les coûts et les dangers des enquêtes complexes sur plusieurs pays et plusieurs médias. Ces nouvelles structures sont plus difficiles à intimider car elles n’ont pas d’actifs physiques importants ni de grands actionnaires sensibles aux pressions gouvernementales.
La technologie comme alliée et comme menace
La technologie joue un rôle ambivalent dans cette évolution. D’un côté, elle offre de nouveaux outils aux journalistes d’investigation : cryptage avancé pour protéger les sources, plateformes sécurisées pour partager des documents, outils d’analyse de données pour traiter des masses d’information. L’utilisation de la blockchain pour vérifier l’authenticité des documents et des enregistrements rend plus difficile la contestation des preuves présentées par les journalistes.
Mais d’un autre côté, la technologie fournit aussi des outils redoutables aux gouvernements qui cherchent à contrôler l’information. La surveillance de masse, l’intelligence artificielle pour détecter les « comportements suspects » chez les journalistes, les campagnes de désinformation coordonnées pour discréditer les enquêtes gênantes… ces techniques deviennent de plus en plus sophistiquées. La bataille entre la technologie de la liberté et la technologie du contrôle devient un front central dans la guerre pour l’information.
Je reste fondamentalement optimiste, malgré tout. Parce que je vois cette créativité magnifique, cette résilience incroyable du journalisme face à l’adversité. Chaque fois qu’une porte se ferme, les journalistes en trouvent dix autres qui s’ouvrent. Oui, CBS a failli. Oui, d’autres médias suivront probablement. Mais en parallèle, des milliers de journalistes continuent leur travail, souvent dans des conditions difficiles, parfois au péril de leur vie. Ils créent des sites indépendants, des newsletters payantes, des podcasts, des chaînes YouTube. Ils expérimentent de nouveaux modèles économiques, nouvelles formes d’organisation. C’est cette capacité d’adaptation, cette refus de mourir, qui me donne espoir. Le journalisme ne disparaîtra pas. Il se réinventera.
Conclusion : la bataille pour l'âme du journalisme américain
Un moment de vérité pour la profession
L’affaire du reportage censuré de CBS représente bien plus qu’un simple désaccord éditorial. C’est un moment de vérité pour l’ensemble de la profession journalistique américaine. Chaque journaliste, chaque rédaction, chaque groupe de média est maintenant confronté à un choix fondamental : continuer à servir le public et la vérité, ou se soumettre aux exigences du pouvoir politique et économique.
Les conséquences de ce choix dépassent largement le cadre de la simple déontologie professionnelle. Elles détermineront si les citoyens américains continueront à avoir accès à une information fiable et indépendante, s’ils pourront tenir leurs dirigeants pour responsables de leurs actions, si la démocratie elle-même pourra survivre dans un environnement où la vérité devient une marchandise négociable.
Le prix de la liberté et le coût de la soumission
Les événements de ces derniers jours ont démontré cruellement que la liberté a un prix, mais que la soumission a un coût encore plus élevé. Le prix de la liberté, c’est le risque de perdre des contrats publicitaires, de subir des poursuites judiciaires coûteuses, de voir des licences menacées. Le coût de la soumission, c’est la perte de crédibilité, la trahison de la confiance du public, la complicité avec des politiques qui peuvent détruire des vies humaines.
Sharyn Alfonsi et ses collègues de « 60 Minutes » ont choisi de payer le prix de la liberté. Bari Weiss et la direction de CBS ont opté pour le coût de la soumission. L’histoire jugera sévèrement ceux qui ont pris la mauvaise décision. Mais elle honorera ceux qui, dans ces moments sombres, ont eu le courage de résister.
Alors que j’écris ces lignes, je pense à toutes ces personnes dont les voix ont été étouffées par la décision de CBS. Ces Vénézuéliens torturés à CECOT. Ces familles séparées. Ces vies brisées. Je pense à Sharyn Alfonsi et aux journalistes qui risquent leur carrière pour défendre un principe. Je pense à tous ces citoyens ordinaires qui, ce matin-là, se sont réveillés en réalisant que l’une de leurs grandes institutions les avait trahis. Et malgré tout, malgré cette colère et cette tristesse immenses, je refuse le désespoir. Parce que chaque jour, quelque part dans le monde, un journaliste continue de faire son travail. Un journaliste qui refuse de se taire. Un journaliste qui préfère la difficulté à la compromission. Ces gens sont l’espoir. Ils sont la preuve que même dans les ténèbres les plus épaisses, la lumière du journalisme libre continue de briller. Et tant que cette lumière existera, il y aura de l’espoir pour la démocratie.
Sources
Sources primaires
CBS News, « 60 Minutes » segment announcement retraction, 22 décembre 2025. Email interne de Sharyn Alfonsi aux collègues de CBS News, 21 décembre 2025. Déclaration de Bari Weiss à The New York Times, 22 décembre 2025. Documents du Department of Homeland Security sur les expulsions vers CECOT, mars-novembre 2025. Témoignages d’anciens détenus de CECOT recueillis par l’équipe de « 60 Minutes », septembre-novembre 2025.
Sources secondaires
TVA Nouvelles, « CBS bloque un reportage sur les expulsions de Trump, la journaliste fustige une ‘censure' », 22 décembre 2025. CNN Business, « CBS shelves ’60 Minutes’ story on Trump deportees at the last minute », Brian Stelter, 21 décembre 2025. NPR, « CBS News chief Bari Weiss pulls ’60 Minutes’ story, sparking outcry », David Folkenflik, 22 décembre 2025. The New Republic, « 60 Minutes Staff in Uproar After CBS Kills Story on Trump Deportations », Edith Olmsted, 22 décembre 2025. The Washington Post, « ’60 Minutes’ EP faces fallout after Bari Weiss shelves story », 21 décembre 2025. Deadline, « Correspondent Slams CBS Pulling ’60 Minutes’ Segment », 22 décembre 2025. Politico, « CBS’ controversial call », 22 décembre 2025. Economic Times, « Why was the 60 minutes CECOT segment pulled out », 22 décembre 2025.
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