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Quand les cuirassés régnaient sur les océans

Pour comprendre l’absurdité du projet Trump, il faut remonter dans l’histoire. Le mot « cuirassé » vient de l’expression « navire de ligne de bataille », ces vaisseaux de guerre à voiles qui, aux dix-septième et dix-huitième siècles, étaient assez puissants pour tenir leur place dans la ligne de bataille lors des grands affrontements navals. Le HMS Victory, le navire amiral de l’amiral Nelson à Trafalgar, en est l’exemple parfait : trois ponts de canons, cent quatre pièces d’artillerie, un monstre de bois et de fer qui pouvait pulvériser n’importe quel adversaire à portée de tir. Les frégates, plus petites et plus rapides, ne pouvaient pas tenir la ligne. Elles n’étaient pas des cuirassés. Puis vint l’ère de la vapeur, de l’acier, et des tourelles blindées. Les nouveaux cuirassés portaient des armures épaisses et consacraient l’essentiel de leur capacité de charge aux plus gros canons possibles. Le HMS Dreadnought, lancé en mille neuf cent six, révolutionna la guerre navale avec son concept « tout gros calibre » : dix canons de douze pouces dans cinq tourelles, une vitesse de vingt et un nœuds, et un blindage qui le rendait pratiquement invulnérable aux navires plus anciens.

Cette philosophie de conception perdura jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les calibres des canons escaladèrent de douze pouces à quinze, puis seize, et finalement dix-huit pouces sur les super-cuirassés japonais Yamato et Musashi. Ces monstres déplaçaient soixante-douze mille tonnes à pleine charge, portaient des canons capables de tirer des obus d’une tonne et demie à quarante-deux kilomètres, et étaient protégés par un blindage de seize pouces d’épaisseur. Ils étaient censés être invincibles. Ils furent coulés par des avions. Le Musashi a été envoyé par le fond par dix-neuf torpilles et dix-sept bombes lors de la bataille du golfe de Leyte. Le Yamato a été détruit par au moins onze torpilles et six bombes lors de l’opération Ten-Go. Les cuirassés, ces symboles ultimes de la puissance navale, étaient devenus obsolètes avant même la fin de la guerre. L’aviation avait changé les règles du jeu. Un porte-avions pouvait projeter sa puissance à des centaines de kilomètres. Un cuirassé devait s’approcher à quelques dizaines de kilomètres pour utiliser ses canons. La portée l’emportait sur l’armure.

Et pourtant, nous voilà, quatre-vingts ans plus tard, à ressusciter un concept mort. Pas parce qu’il a du sens militairement. Pas parce que la technologie a changé la donne. Mais parce qu’un président trouve ça joli. Parce que les cuirassés évoquent une époque où l’Amérique dominait les mers sans partage, où la puissance se mesurait en tonnes d’acier et en calibre de canons. C’est de la nostalgie militarisée. Du fantasme stratégique. Une tentative de recréer une grandeur passée en ignorant complètement les réalités du présent. Les Japonais ont appris cette leçon de la manière la plus brutale qui soit : leurs super-cuirassés, ces merveilles d’ingénierie qui avaient coûté des fortunes et mobilisé des ressources immenses, ont été envoyés par le fond par des avions qui coûtaient une fraction de leur prix. La concentration de puissance sur quelques plateformes géantes est une vulnérabilité, pas un atout. C’est mettre tous ses œufs dans le même panier. Et quand ce panier coule, il emporte avec lui des milliards de dollars et des centaines de vies.

Le crépuscule des titans d’acier

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont conservé leurs cuirassés de classe Iowa en service actif, mais leur rôle avait fondamentalement changé. Ils n’étaient plus les maîtres des océans. Ils étaient devenus des plateformes de soutien au feu naval, bombardant les côtes ennemies avec leurs canons de seize pouces lors des guerres de Corée et du Vietnam. Le USS Missouri a été réactivé dans les années quatre-vingt sous Reagan, modernisé avec des missiles de croisière Tomahawk et des missiles anti-navires Harpoon, et a participé à la guerre du Golfe en mille neuf cent quatre-vingt-onze. Mais même alors, tout le monde savait que c’était un anachronisme. Un vestige d’une époque révolue. Le Missouri a été définitivement retiré du service en mille neuf cent quatre-vingt-douze. Depuis, aucun cuirassé n’a navigué sous pavillon américain. La marine s’est tournée vers les porte-avions, les sous-marins nucléaires, et les destroyers lance-missiles. Des plateformes plus flexibles, plus polyvalentes, plus adaptées aux réalités de la guerre moderne.

Le dernier grand navire de surface américain à approcher la taille d’un cuirassé était le croiseur nucléaire USS Long Beach, mis en service en mille neuf cent soixante-et-un et retiré en mille neuf cent quatre-vingt-quinze. Il déplaçait dix-sept mille tonnes à pleine charge, était propulsé par deux réacteurs nucléaires, et portait des missiles guidés plutôt que des canons lourds. C’était un navire révolutionnaire pour son époque, le premier croiseur lance-missiles à propulsion nucléaire au monde. Mais il était aussi horriblement coûteux à exploiter et à maintenir. Sa propulsion nucléaire, censée lui donner une autonomie illimitée, s’est révélée être un fardeau financier. Son équipage de plus de mille marins était difficile à recruter et à former. À la fin de sa carrière, le Long Beach était considéré comme un échec économique, un exemple de ce qu’il ne fallait pas faire. Et maintenant, Trump veut construire quelque chose de deux fois plus gros, avec des systèmes d’armes encore plus complexes, dans une industrie qui a perdu toute capacité à produire de tels navires. C’est comme si nous n’avions rien appris.

L’histoire nous crie ses avertissements, mais nous refusons d’écouter. Chaque grande puissance navale a eu son moment de folie, son projet pharaonique qui devait changer la donne et qui s’est révélé être un gouffre financier. Les Britanniques avec leurs cuirassés de classe Vanguard. Les Allemands avec le Bismarck et le Tirpitz. Les Japonais avec le Yamato et le Musashi. Tous ont appris, à leurs dépens, que la taille n’est pas synonyme de succès. Que la complexité est l’ennemie de la fiabilité. Que concentrer des ressources massives sur quelques plateformes géantes est une stratégie perdante face à un adversaire qui peut produire des dizaines de menaces plus petites et moins chères. Mais nous, Américains, nous pensons toujours que nous sommes différents. Que nos ingénieurs sont meilleurs. Que notre technologie est supérieure. Que nous pouvons défier les lois de l’économie et de la stratégie militaire par la seule force de notre volonté. C’est de l’hubris. De l’arrogance. Et cela va nous coûter cher.

Sources

Sources primaires

The Age, « Trump’s ‘Golden Fleet’ battleship plan a disaster waiting to happen » par Tom Sharpe, publié le 28 décembre 2025. CNN, « Trump’s new battleship plan could transform the US Navy – or sink it » par Brad Lendon, publié le 23 décembre 2025. USNI News, « Trump Unveils New Battleship Class; Proposed USS Defiant Will Be Largest U.S. Surface Combatant Since WWII » par Mallory Shelbourne et Sam LaGrone, publié le 22 décembre 2025.

Sources secondaires

Annonce officielle de la Maison Blanche sur le projet Golden Fleet, Mar-a-Lago, 22 décembre 2025. Fiche technique de la marine américaine sur la classe Trump, Naval Sea Systems Command, décembre 2025. Témoignage du secrétaire à la Marine John Phelan devant le Congrès américain, juin 2025. Rapports du Pentagone sur les capacités navales chinoises, 2025. Analyses de la construction navale sud-coréenne et japonaise, diverses sources industrielles, 2025.

Ce contenu a été créé avec l'aide de l'IA.

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