Il y a des rituels internationaux qui hypnotisent, un ballet de puissants qui fait miroiter la paix dans ses habits neufs. L’Alaska incarne ce vendredi un décor d’exception, prêté à l’histoire et à la communication. Donald Trump rêve d’un Nobel, Poutine revendique le retour en force, les caméras s’allument — mais la guerre d’Ukraine, elle, poursuit sa course ignorée sous la lumière crue des discours. En promettant de régler le drame ukrainien sans le consentement réel de Kyiv, ce tête-à-tête phénoménal épouse les contours d’un gigantesque trompe-l’œil. La paix ne surgira pas d’une poignée de main glacée. Et l’espoir d’un miracle alaskien ressemble trop à l’ombre d’un chantage programmé.
La grande absente du sommet : l’Ukraine sacrifiée sur l’autel des négociations

Kyiv mise à distance, la société civile dans l’angoisse
Dès le départ, le sommet d’Anchorage porte un vice fondamental : Zelensky, le président ukrainien, ne siège pas à la table, relégué au rang de spectateur inquiété. En coulisses, la société civile ukrainienne s’agite, redoute la possible signature d’un compromis négocié derrière son dos. Les analystes à Kiev martèlent : la guerre ne saurait s’arrêter sans que la voix ukrainienne ne soit centrale, sans validation massive des Ukrainiens eux-mêmes. Or, l’absence même de Kyiv permet à Moscou d’imposer son tempo, à Washington d’inventer une paix « importée », à l’Europe… de serrer les poings, impuissante.
L’Europe divisée, entre crainte de trahison et lassitude
Les chancelleries européennes observent en spectatrice inquiète. Partagées entre le désir d’une paix rapide et la peur d’un marchandage territorial, leurs dirigeants dénoncent l’éventualité d’un accord qui graverait les conquêtes russes sans garantir la sécurité future, ni des frontières ni des peuples. La France avertit que la recomposition à huis clos de l’espace ukrainien serait une victoire empoisonnée ; l’Allemagne s’inquiète d’un schéma Minsk bis, qui n’a fait que préparer les offensives suivantes. L’absence d’unité européenne affaiblit encore le rapport de force.
Trump, facilitateur autoproclamé, sans moyens de coercition
A la veille de la rencontre, Trump tempère ses ambitions : “Je veux un cessez-le-feu, mais ce sera à Kyiv de trancher si des concessions sont consenties”. S’il affirme ne pas négocier à la place de l’Ukraine, il propose de “préparer la table” pour un sommet tripartite. Réalité : Washington arrive sans plan d’engagement durable ni pression significative sur Moscou. La parole de Trump, sans l’adhésion concrète de Kyiv, reste un coup d’éclat médiatique plus qu’une avancée stratégique.
Poutine en terrain conquis, la diplomatie du statu quo

Le sommet, une manœuvre de réhabilitation internationale
Pour Poutine, l’enjeu est partiellement déjà gagné. Assis à la table américaine, il efface symboliquement l’isolement que lui avait imposé l’Ouest depuis l’invasion de 2022. Moscou exhibe l’image d’un retour en majesté : “Regardez, même Trump doit compter avec nous !”. Pour le Kremlin, la tenue du sommet, indépendamment de son issue, prouve déjà l’échec du containment occidental. La Russie, par ce geste, fait valoir sa patience et son endurance.
Le calendrier militaire de Moscou prime sur l’urgence diplomatique
Sur le terrain, la chronologie alaskienne ne change rien aux objectifs russes. Les assauts continuent, les gains sur la ligne de front sont consolidés à chaque jour, rendant tout cessez-le-feu précaire. Les responsables russes affichent publiquement qu’aucun document ne sera signé pendant le sommet. Un gel du conflit bénéficierait in fine au Kremlin, en lui laissant l’opportunité de préparer un nouvel élan offensif dès l’essoufflement occidental.
La politique du “donnant-donnant” : une paix provisoire, non un règlement
Les interlocuteurs américains et russes évoquent un compromis “donnant-donnant”, traduction d’un marchandage de territoires contre l’arrêt temporaire des combats. Mais l’histoire récente l’enseigne : chaque trêve de ce genre se solde par un renforcement, non une pacification durable. L’absence de garanties internationales, de justice pour les crimes, de calendrier précis rend tout accord foncièrement instable.
Trump et la “solution miracle”, une illusion politique

Promesses de paix face à la dureté du réel
Trump a promis pendant sa campagne de mettre fin au conflit “en un clin d’œil”. Aujourd’hui, il rectifie, parle d’“exercice d’écoute”, évoque l’idée d’une seconde réunion tripartite avec Zelensky. La rhétorique du deal absolu s’effondre devant la complexité réelle du conflit. L’idée d’un cessez-le-feu immédiat n’intègre ni la profondeur des fractures nationales, ni le traumatisme des familles dispersées sur les routes de l’exil, ni la peur persistante d’une nouvelle invasion.
Des garanties absentes, un espoir en trompe-l’œil
Sans engagement sur le retour des territoires occupés, sur l’intégrité pleine de l’Ukraine, ni consensus occidental sur les suites, nulle paix viable ne pourra émerger. Toute suspension des hostilités ratifiée sans voix ukrainienne n’offrira qu’un répit technique, propice à la future revanche. L’armée de Moscou, elle, se prépare déjà à durer – ou à relancer la machine quand le rapport de force le permettra.
La table des puissants, le piège de l’absence populaire
En dehors des halls de négociation, la colère monte : familles de disparus, réfugiés, volontaires se méfient des solutions top-down. La croyance en un “sauveur extérieur” ne résiste pas à la force de l’expérience : rien n’est fait pour les Ukrainiens sans les Ukrainiens. L’histoire vire au tragique chaque fois que les survivants servent de lignes à une carte négociée dans l’entre-soi des puissants.
Un cessez-le-feu creux, un avenir d’incertitude

Trêves temporaires et accumulation des blessures
L’expérience de 2014, les Accords de Minsk, et tous les armistices “techniques” l’avaient déjà démontré. Les arrangements sans suivi strict, sans contrôle tiers, aboutissent à des fronts gelés et, bientôt, à un retour aux armes. L’Ukraine, pressée de négocier sous la contrainte, ne gagnera qu’un moment de répit, jamais la sécurité espérée.
La gestion du risque, pas la restauration de la confiance
On parle de “préparer la table” pour l’avenir, mais personne n’envisage aujourd’hui le retour sécuritaire des millions de déplacés, ni la restauration des infrastructures, ni la viralité du traumatisme social. La paix est un processus, pas une pause ; le sommet, un décor, pas la fondation d’un futur stable.
L’ambiguïté comme arme, la confiance comme dommage collatéral
Le résultat le plus probable de ce sommet sera une confusion accrue : pas de ligne claire, pas de sortie réelle, mais une “fausse paix” destinée à rassurer la galerie et à entériner la domination du plus fort. Tant que la vérité des souffrances ukrainiennes restera minorée, la page ne sera jamais vraiment tournée.
Conclusion : Caméra sur les puissants, silence sur les victimes

Il reste l’image, la pose, un communiqué triomphant. Mais la guerre, elle, n’écoute que la férocité du réel. Tant que les discussions ne s’enracinent pas dans la volonté, la mémoire et la justice du peuple ukrainien, l’effet Alaska ne sera qu’un énième mirage. Pas de solution rapide, pas de théâtre salutaire — seulement la conviction, amère, que la paix exige une centralité des victimes, pas des vainqueurs du décor.