La guerre en Ukraine n’est plus seulement une suite de batailles, elle est devenue une lente et brutale danse avec la survie. Alors que certains gouvernements continuent d’évoquer des discussions, voire des arrangements de façade pour réduire l’intensité du conflit, la réalité est toute autre sur le terrain. Les Ukrainiens, épuisés mais déterminés, « tiennent la ligne » avec une obstination qui dépasse le militaire. C’est une résistance qui s’écrit dans le sang, dans la boue, dans les ruines fumantes des villages éventrés par l’artillerie. Cette ligne de défense est à la fois fragile et inviolable, instable et irréductible, véritable frontière entre deux mondes : celui qui croit encore aux traités et celui qui s’agenouille devant la puissance brutale des armes.
Ce n’est plus l’affaire de simples stratégies ou de calculs géopolitiques. C’est une lutte épidermique, presque animale, où chaque mètre de terre se transforme en gage d’honneur et de survie. Les discussions de paix, brandies comme des étendards diplomatiques, sonnent creuses lorsqu’elles se heurtent au fracas des missiles. Car sur cette ligne torturée, chaque soldat sait que céder reviendrait à disparaître : une nation avalée, dissoute, réduite au silence par la violence d’un empire qui n’entend rien d’autre que sa propre loi. Là, au front, les mots s’éteignent et seuls les cris étouffés des combats persistent, imprints d’une vérité implacable : l’Ukraine tient, et elle continue de tenir.
La guerre figée mais jamais terminée

L’épuisement des corps et des âmes
Les soldats ukrainiens ne sont pas des machines. Chaque heure passée dans les tranchées les brûle de fatigue, les creuse, les érode. Leurs visages n’ont plus l’éclat des premiers jours de mobilisation : ce sont des regards cernés, traversés de mémoire et d’effroi. Pourtant, malgré cette usure quotidienne, ils continuent à scruter l’horizon, méfiants, fébriles, bercés par le grondement permanent de l’artillerie. Il existe une frontière invisible entre la résignation et l’obstination ; c’est sur cette brèche que l’Ukraine s’accroche depuis plus de mille jours de guerre.
Et il faut le dire sans détour : le prix payé est inhumain. La chair s’use, l’esprit flanche, les familles se divisent entre l’espoir et la perte. Pourtant, l’armée ukrainienne reste debout, tissée d’une étrange énergie qui ne vient pas seulement de l’entraînement ou des livraisons d’armes. C’est une force plus sourde, plus intime : le refus d’être effacé, d’être rayé de la carte. Comme un souffle primal qui traverse une nation entière et se condense au front, dans la gadoue et les flammes.
Une ligne mouvante qui refuse de céder
Cette « ligne » tant mentionnée par les stratèges est tout sauf stable. C’est une cicatrice vivante qui s’étire, se contracte, recule parfois d’un souffle, pour mieux se raffermir une heure plus tard. Les offensives russes se succèdent comme des vagues, souvent féroces, parfois improvisées, mais rien n’y fait : la digue ukrainienne tient. Certes, au prix de pertes effroyables, mais chaque recul est réinvesti avec une vitesse qui effraie, chaque brèche est colmatée avec des hommes prêts à mourir pour que rien ne passe. La géographie se transforme en théâtre d’acharnement, où chaque colline, chaque croisement de routes prend une dimension quasi sacrée.
Ceux qui imaginent encore une percée décisive ignorent cette réalité. Le front n’est pas figé mais mouvant, perforé de blessures qui se referment en permanence. Cette souplesse paradoxale est la raison même de la survie ukrainienne : elle absorbe le choc, plie comme le roseau mais ne casse pas. Et derrière cette flexibilité, il y a un message brutal, lancé comme un crachat aux visages des envahisseurs : « Vous ne passerez pas ».
Le coût politique du statu quo
À Kiev, mais aussi à Moscou et dans les capitales occidentales, cette guerre « suspendue » a un coût presque insoutenable. L’Ukraine, malgré les aides massives, se trouve prise au piège d’une économie affaiblie, d’un territoire mutilé, d’une jeunesse envoyée au front. Pourtant, cette ligne qui tient encore protège plus que Kharkiv ou le Donbass : elle protège l’équilibre de l’Europe entière. Le Kremlin le sait, et joue d’usure ; l’Occident le sait, mais s’impatiente. La ligne de défense devient plus qu’un front militaire : elle est une ligne diplomatique, une ligne psychologique, une ligne qui sépare l’idée d’un effondrement global d’un sursaut collectif.
Et dans ce jeu pervers, aucune des parties ne veut céder l’avantage. Moscou attend que l’Occident se lasse, Kiev attend de nouvelles armes, Bruxelles attend un miracle. Et pourtant, là-bas, sur le terrain, personne n’attend : chaque minute est vécue, chaque seconde est arrachée au destin. Les calculs politiques s’écrasent contre la réalité nue des tranchées.
La géographie transformée en piège

Les villes qui ne sont plus que des coquilles
Marioupol, Bakhmout, Avdiïvka… autant de noms devenus symboles de ruines. Ces villes, jadis habitées par des rires d’enfants et des foules ordinaires, sont désormais des squelettes minéraux. Habiter ces lieux est devenu impossible, tant les destructions sont irréversibles. Pourtant, paradoxalement, c’est dans ces carcasses béantes que s’incruste la bataille, comme si chaque brique effondrée, chaque immeuble éventré, portait l’empreinte d’une volonté de fer. Ces villes fantômes ne sont pas abandonnées : elles sont défendues jusqu’au bout, comme des forteresses de poussière.
Et c’est là que se joue une partie essentielle : l’urbanisation transformée en piège mortel. Les murs déchiquetés masquent les tireurs, les caves se métamorphosent en bunkers improvisés, les rues effondrées deviennent des fossés de défense. À chaque pas, le béton fracassé avale les soldats comme pour les retenir. La ville, défigurée, devient une arme en elle-même. Et l’Ukraine, malgré la douleur de ses pertes, sait manier cette arme mieux que quiconque.
Les routes coupées comme artères vitales
Dans une guerre longue, les routes sont des veines. Couper une route principale, c’est couper le sang qui nourrit le front. Les Russes le savent, les Ukrainiens aussi. Et c’est pourquoi chaque voie, chaque carrefour, chaque pont de campagne devient un enjeu capital. Au-delà de simples kilomètres d’asphalte, il s’agit de lignes de survie. Car derrière la ligne de front, il y a la logistique, et sans logistique aucune défense n’existe.
Les convois ukrainiens circulent encore malgré les drones, malgré les frappes incessantes. Un camion qui parvient à livrer quelques caisses d’obus dans une ville assiégée vaut parfois plus qu’une victoire symbolique. Et ce défi logistique est quotidien, harassant, absurde dans sa répétition. Mais c’est aussi là que l’Ukraine montre son intelligence de survie : la capacité à se faufiler, à contourner, à réinventer des chemins là où tout semble détruit.
Les forêts et les champs minés
L’Ukraine est une terre de richesses agricoles, de champs étendus à perte de vue, de forêts denses. Aujourd’hui, ces paysages sont traqués par des milliers de mines, transformés en pièges invisibles. Le danger est constant – un pas, et c’est la fin. L’armée russe, obsédée par la saturation du terrain, a quadrillé d’explosifs des kilomètres entiers, rendant la moindre avancée suicidaire. Face à cela, l’inventivité ukrainienne rivalise : détecteurs de fortune, couloirs nettoyés, patience d’horloger pour éviter d’être réduit en éclats par ces semences de mort.
Ce paysage miné, paradoxalement, devient aussi un allié. Car il ralentit l’ennemi, l’épuise, lui impose une progression lente et incertaine. L’Ukraine transforme sa propre terre mutilée en instrument de résistance. Comme si chaque hectare blessé murmurait à ses enfants : « Je souffre, mais je vous protège encore ».
Le facteur humain : tenir malgré la peur

La peur comme compagne constante
Dans les tranchées ukrainiennes, la peur n’est jamais absente. Elle se glisse dans chaque respiration, colle à la peau, s’infiltre même dans les rares moments de silence. Mais ce qui frappe, c’est que cette peur n’immobilise pas. Elle devient un moteur, paradoxal et brutal, qui aiguise les réflexes et rend chaque homme plus attentif. Loin d’être un frein, elle nourrit une vigilance effrayante : le moindre bruissement, la moindre variation dans l’horizon peut signaler la mort. On apprend à vivre avec cette terreur, comme avec un animal sauvage qui rôde sans cesse à la lisière du campement. Elle n’est pas niée, elle est apprivoisée à coups de volonté et de nécessité.
Cette gestion de la peur forge une solidarité étrange entre soldats. Un regard échangé, un geste bref, suffisent à traduire ce que les mots n’osent plus dire. Lorsque la peur est partagée, elle ne détruit plus : elle soude. Chaque combattant devient l’ombre de l’autre, chacun vit pour protéger ce frère d’armes qui veille à son tour. La ligne de front devient alors un tissu humain, tremblant, mais extraordinairement résistant, qui tient là où toute logique militaire aurait dit qu’il craquerait depuis longtemps.
L’improvisation comme deuxième arme
Les manuels militaires ne suffisent plus en Ukraine. Trop rigides, trop académiques, trop lents face à un ennemi qui varie ses tactiques sans cesse. Alors les soldats ukrainiens inventent. Ils bricolent des drones de consommation en armes redoutables, modifient des véhicules civils pour en faire des engins blindés, adaptent des lance-roquettes improvisés. Cette créativité désespérée a quelque chose d’admirable mais aussi de glaçant. Elle prouve que la guerre n’est pas menée seulement avec ce qui est fourni par l’étranger : elle est nourrie de débrouillardise, d’ingéniosité populaire, de l’instinct de survie.
Chaque innovation naît d’un manque. Lorsque le matériel promis tarde, lorsque les stocks s’épuisent, les Ukrainiens ne cessent de tordre la réalité à leur avantage. C’est ce recours permanent à l’improvisation qui empêche l’effondrement et qui ridiculise la certitude des stratèges russes persuadés que la logistique imposera tôt ou tard une défaite à Kiev. Sur le terrain, les équations théoriques se déchirent : la créativité humaine, imprévisible, balaie les prédictions froides.
L’endurance psychologique comme véritable bastion
La guerre est une question de ressources, certes. Mais surtout, elle est une guerre des nerfs. Et sur ce terrain invisible, l’Ukraine tient comme un mur. Si les obus détruisent les blindés, si les missiles pulvérisent les infrastructures, l’âme du peuple refuse de céder. Les Russes peuvent tabasser les villes, brûler les campagnes, découper les infrastructures électriques : l’esprit de résistance renaît à chaque fois, plus dur, plus acéré. Cela dépasse l’orgueil. Cela s’ancre dans une foi simple : « Nous n’avons pas le droit de perdre ». L’endurance mentale devient alors le blindage véritable, celui qui ne rouille pas et ne casse pas sous la pluie de feu.
Cette force psychologique ne vient pas seulement des militaires. Elle vient aussi des civils, des familles qui continuent d’envoyer des messages, de coudre des uniformes, de préparer du pain, de tenir debout au milieu des sirènes. Ce réseau invisible de volontés imbriquées est ce qui soutient réellement la ligne de défense. La capacité de tenir est moins militaire qu’humaine, enracinée dans une obstination collective.
La guerre de l’information et des illusions

Le brouillard numérique du conflit
Jamais une guerre n’aura été autant filtrée par les réseaux sociaux, les canaux cryptés, les images filmées par des drones. L’information circule en temps réel, brûlante, mais aussi profondément instable. Une victoire annoncée sur Telegram devient une défaite démentie une heure plus tard. Les Ukrainiens, eux, manipulent ce brouillard avec habileté. Vidéos poignantes, récits soigneusement diffusés, images d’exploits héroïques : la communication devient une arme presque aussi décisive que les obus. Elle galvanise les alliés, fait pression sur les chancelleries occidentales, et sape le moral d’un adversaire obligé, lui aussi, de justifier ses morts.
Mais ce flux continu a un revers : il brouille la perception de la guerre pour ceux qui la regardent de loin. À Paris, Berlin, Montréal, les internautes croient parfois à des fronts figés qui n’existent pas, à des victoires décisives qui ne le sont jamais vraiment. Le front est mouvant, indéchiffrable : il ne se résume ni à des pixels ni à des slogans. Derrière les vidéos virales, il y a des cadavres et des villes rasées. La guerre numérique est une illusion permanente : elle masque autant qu’elle révèle.
La propagande russe et ses fissures
Du côté russe, la propagande est une machine d’acier. Elle martèle sans cesse les mêmes refrains : « libération », « lutte contre le nazisme », « protection de la patrie ». Mais cette mécanique semble de plus en plus grippée. Car malgré la maîtrise des chaînes officielles, les témoignages de soldats en fuite, les vidéos d’hommes mobilisés de force et mal équipés, percent les murs du discours officiel. Le Kremlin continue de mentir avec constance, mais chaque faille est amplifiée par internet. Et ces fissures, accumulées, forment peu à peu un gouffre de méfiance dans la société russe elle-même.
Là où autrefois la parole du pouvoir suffisait, aujourd’hui le doute gronde. Les mères de soldats, notamment, commencent à exiger des réponses. La machine de propagande n’a pas encore cédé, mais elle craque. Ce détail, apparemment secondaire, influe en réalité sur la guerre elle-même : un soldat russe convaincu n’est pas le même qu’un soldat russe qui doute. La bataille des esprits est une bataille ouverte, et l’Ukraine le sait.
Occident : spectateurs sous pression
En Europe et en Amérique, l’information devient une pression politique. Chaque vidéo de destruction, chaque image d’enfant réfugié pousse les opinions publiques à exiger des actions. Mais dans le même temps, la lassitude s’installe. Deux ans de guerre et plus ont entraîné un paradoxe : certains réclament plus d’aide, d’autres veulent couper net les soutiens. Cette tension fragilise les gouvernements occidentaux, qui naviguent entre compassion grandiloquente et calcul budgétaire froid. Là encore, la ligne de front ukrainienne n’est pas seulement militaire : elle fracture la cohésion des alliances qui la soutiennent.
Et c’est cette ambiguïté qui fait trembler Kiev : saura-t-on maintenir l’effort, ou finira-t-on par murmurer qu’il faut accepter une paix au rabais ? Chaque image qui circule sur nos écrans n’est donc pas un simple spectacle : elle est un levier de décision, une arme pernicieuse agissant dans nos capitales.
L’ombre de Moscou qui s’étire

La machine militaire toujours vorace
Moscou n’a jamais cessé d’avancer, même au ralenti. Chaque mois, de nouveaux bataillons sont rallongés à la chaîne de front, nourris par des mobilisations forcées et des tactiques d’attrition. La Russie consomme ses hommes comme on consomme du carburant, avec la froideur mécanique d’une usine. Ce n’est pas une armée classique, c’est une broyeuse. Mais elle avance, parfois d’un kilomètre, parfois d’un simple bosquet, et transforme ces micro-victoires en slogans monstrueux de propagande. Et pourtant… malgré ces efforts titanesques, l’Ukraine n’a jamais été écrasée. Le Kremlin espérait un effondrement brutal, il affronte une résistance granitique qu’il n’avait pas prévue.
Cette persistance russe montre que la guerre ne peut s’interpréter à travers des cartes colorées ou des flèches animées. Elle prouve que Moscou a fait le choix de l’épuisement, du temps long, de la guerre industrielle. Car pour Poutine, il ne s’agit plus seulement de conquérir un territoire mais de réduire l’ennemi à l’os, de le vider de son énergie, de le faire craquer intérieurement. La véritable offensive russe n’est pas géographique : elle est psychologique.
L’économie russe sous tension mais obstinée
Les sanctions économiques pesant sur la Russie auraient dû suffire à faire chuter son appareil militaire. Or, il n’en est rien. Le Kremlin a trouvé mille chemins pour contourner l’étau : partenariats masqués avec des puissances non occidentales, commerce clandestin de pétrole, détournements par des pays tiers. La Russie s’étouffe mais ne meurt pas. Elle s’adapte comme une bête blessée qui refuse de céder, et ce jeu d’endurance économique devient l’une des clés du conflit. Car si Moscou saigne mais continue d’avancer, Kiev, de son côté, dépend totalement de perfusions occidentales.
Cette asymétrie rend la guerre inégale : la Russie, immense, peut brûler ses ressources plus longtemps. L’Ukraine, plus fragile, doit compenser sa petitesse par la rage, l’innovation et le soutien extérieur. C’est là que la ligne de défense prend une dimension tragique : ce n’est pas seulement un combat de soldats, mais de trésoriers, de diplomates, d’alliances fragiles qu’un souffle peut briser.
Poutine et l’arme du temps
Le président russe a choisi son arme secrète : le temps. Il le polit, l’épaissit, le traîne contre l’Ukraine comme on use une pierre contre du métal. Pour lui, chaque mois est une victoire silencieuse : il croit que l’Occident se lassera, que les fissures apparaîtront, que Kiev n’aura plus la force de recruter, de former, d’armer. Cette lenteur est une stratégie aussi meurtrière que les missiles. Car une guerre sans horizon est une guerre qui fragmente les âmes. Qu’arrive-t-il à une population qui lutte sans fin, sans date de victoire ? Elle souffre, elle se consume, elle doute.
Et pourtant, c’est ici que le paradoxe est éclatant : Poutine croyait briser la détermination ukrainienne, mais il l’a consolidée. Le temps ne joue pas contre Kiev comme il l’imaginait. Chaque jour de survie supplémentaire est une humiliation pour Moscou. Chaque semaine où la ligne tient est une gifle contre cette prétendue invincibilité russe. L’arme du temps est donc un boomerang, qui menace de revenir frapper son propre maître.
Une Europe au bord de la fracture

Les divisions internes se creusent
À Bruxelles, à Varsovie, à Berlin, les discussions sur l’Ukraine sont devenues des champs de bataille politiques. Certains pays veulent renforcer encore et encore les livraisons d’armes. D’autres plaident pour une « paix raisonnable », un euphémisme qui signifie souvent abandonner une partie du territoire ukrainien. Cette fracture s’élargit avec la durée du conflit, car chaque milliard dépensé en soutien militaire est un milliard qui ne finance pas les besoins sociaux internes. Les extrêmes droites exploitent cela, promettant « la paix par la soumission » ; les gouvernements modérés hésitent, jonglent, tergiversent. L’Europe tremble, non pas sous les coups russes, mais sous ses propres contradictions.
Et derrière cette tension, une question brûle : combien de temps l’Europe tiendra-t-elle avant de céder aux sirènes d’un cessez-le-feu falsifié ? L’Ukraine sait que ce danger existe. Car si l’Europe flanche, la ligne de défense s’effondre. Le front ne se situe pas seulement dans le Donbass mais dans les hémicycles européens, dans les urnes des électeurs fatigués, dans les journaux télévisés qui répètent sans fin le coût de l’aide militaire.
Les États-Unis : allié clé mais versatile
Washington est le pilier incontournable de la défense ukrainienne. Sans les armes américaines, sans les financements colossaux, sans les systèmes Patriot ou les blindés fournis, Kiev serait déjà à genoux. Mais la politique intérieure américaine est une tempête imprévisible. Les élections divisent, les populistes dénoncent le « chèque en blanc » à Kiev, les diplomates promettent un soutien éternel tout en négociant en coulisse. L’Ukraine vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : celle d’un basculement brutal dans la politique américaine. Et ce basculement, s’il arrivait, serait un cataclysme stratégique.
Car derrière les grandes phrases, une réalité inquiète : que vaut une alliance militaire si elle dépend d’un changement de majorité électorale ? C’est cette fragilité insoutenable qui inquiète les stratèges européens. Et c’est ce qui fait trembler la ligne ukrainienne, qui sait pouvoir compter sur l’ingéniosité de ses hommes mais pas sur la fidélité éternelle de ses alliés.
Le risque d’un élargissement incontrôlé
Ce que craignent les généraux de l’OTAN, c’est que la ligne de défense ukrainienne, trop sollicitée, se brise un jour. Car si Kiev cédait, si une percée russe massive ouvrait la route du centre du pays, la question d’une implication directe de l’Alliance ne serait plus théorique. Une chute brutale plongerait l’Europe dans l’inconnu : basculer dans un affrontement direct avec Moscou ou laisser l’Ukraine sombrer ? Les discussions confidentielles évoquent déjà des scénarios terrifiants, où des troupes occidentales interviendraient en « mission de stabilisation » ou pour « sécuriser les frontières ». Autrement dit : la peur d’un engrenage mondial reste bel et bien là.
C’est pourquoi chaque jour où la ligne tient n’est pas seulement une victoire ukrainienne, mais une suspension miraculeuse d’un risque bien plus large. Car un front qui cède à Kharkiv pourrait signifier demain des ruines en Pologne, en Roumanie, ou plus loin encore. L’Ukraine, en absorbant cette brutalité, protège toute l’Europe. Et cette vérité dérange, car elle place les alliés face à leur propre lâcheté potentielle.
Vers l’inconnu : la victoire impossible ou le sursis éternel

L’absence de fin claire
Lorsque l’on regarde la guerre en Ukraine, une évidence glaçante surgit : il n’y a pas de fin prévisible. Ni une victoire totale ukrainienne, ni une victoire écrasante russe ne semblent à portée de main. Alors, que reste-t-il ? Une guerre interminable, suspendue entre plusieurs avenirs, où chaque hypothèse est plus terrible que l’autre. Le sursis est permanent : tenir un jour de plus, encore un jour, encore une saison, espérer une bascule qui ne vient jamais. Le tragique de cette guerre est son absence de résolution. C’est un puits sans fond.
Et dans ce gouffre, les vies s’usent. Chaque famille ukrainienne, chaque village, chaque soldat réduit en poussière alimente ce cercle infernal. Les diplomates parlent de couloirs humanitaires, de propositions de cessez-le-feu, mais tout cela ressemble à des pansements sur un corps qui continue de saigner de partout. L’absence de fin est une défaite pour tout le monde, même pour ceux qui croient l’ignorer.
L’éventualité d’un basculement brutal
Pourtant, la guerre moderne se nourrit de surprises. Un effondrement soudain d’une armée, une décision imprévisible d’un chef d’État, un événement déclencheur imprévu – et la carte peut être renversée en une nuit. L’Ukraine et la Russie le savent. Elles avancent avec cette peur constante de l’accident stratégique, de l’embrasement qui viendrait tout bouleverser. Et c’est cette instabilité qui rend la guerre encore plus effrayante : rien n’est garanti, tout est fragile, tout peut exploser.
Le futur de l’Europe et du monde entier pourrait basculer en une heure, un missile mal intercepté, une décision d’engagement de l’OTAN, une frappe hors de contrôle. La guerre ukrainienne est ainsi : une équation où chaque variable peut être transformée en apocalypse.
L’espoir malgré tout
Et pourtant… malgré l’horreur, malgré l’absurdité, un espoir demeure. Car la ligne tient encore. Elle ne tient pas seulement avec des armes, mais avec la conviction d’un peuple qui refuse l’anéantissement. Cet espoir est irrationnel, insensé, presque naïf. Mais il est là. Il suffit d’un enfant qui retourne à l’école sous un ciel troué de drones, d’une femme qui recoud un drapeau, d’un vieillard qui plante encore quelques pommes de terre entre deux cratères. Cet espoir absurde est peut-être la seule arme qui dépasse toutes les autres, celle qu’aucun char russe ne peut écraser.
Alors l’Ukraine continue. Et en continuant, elle rappelle au monde entier une vérité qu’on tente d’oublier : résister, même quand tout paraît perdu, peut suffire à défier un empire. Tenir la ligne, même au prix du sang et des larmes, ce n’est pas seulement survivre. C’est écrire l’Histoire.
Conclusion : la ligne comme symbole de survie

L’Ukraine ne s’est pas effondrée. Contre toute logique, contre toutes les prédictions, contre la force brutale d’un empire immense, elle tient encore. Ce front, cette cicatrice ouverte au milieu de l’Europe, est devenu bien plus qu’une simple ligne militaire : c’est le symbole d’une survie collective. Derrière les ruines et les pertes, il y a une certitude brûlante : tant que la ligne ne cède pas, l’Ukraine existe. Et tant que l’Ukraine existe, l’illusion d’une Russie toute-puissante est brisée. Chaque jour gagné, chaque nuit de résistance, chaque défense acharnée écrit un chapitre de défi et de courage. La ligne ukrainienne n’est pas seulement une barrière : elle est une promesse. Promesse que parfois, même face à l’impossible, l’homme refuse de disparaître.
Et c’est sans doute cela que l’histoire retiendra : pas seulement les destructions, pas seulement les massacres, mais ce refus obstiné d’être balayé. La ligne ukrainienne, douloureuse et sublime, restera dans les mémoires comme l’une de ces rares frontières qui transcendent la géographie. Une frontière humaine, faite de sang, de peur, de rage et d’espérance. Une frontière qui dit au monde entier : « Nous sommes encore là ».