Un grondement sourd traverse Washington. Donald Trump, candidat républicain de nouveau en campagne, a laissé exploser une menace qui glace la colonne vertébrale du système démocratique américain : retirer purement et simplement les licences de diffusion de deux mastodontes médiatiques, ABC et NBC News. Ce n’est pas une citation isolée, une exagération de meeting. Non. C’est un avertissement explicite, brut, lancé directement au cœur des chaînes qui — selon lui — pollueraient le débat public par leur partialité et leurs mensonges. La guerre ouverte entre Trump et les médias américains prend un tournant incandescent.
L’onde de choc est immédiate. Les analystes politiques parlent d’un « moment critique », d’une mise à nu d’un projet de domination totale de la parole publique. D’autres voient un calcul stratégique : exploiter la méfiance viscérale d’une partie de l’électorat envers les médias traditionnels, pour marteler son propre récit, écraser le contre-discours et imposer sa logique brutale à l’espace démocratique. Le spectre de la censure d’État, autrefois relégué aux régimes autoritaires, s’installe désormais dans le débat présidentiel américain.
Une attaque frontale contre le quatrième pouvoir

Le rôle sacré des licences de diffusion
Aux États-Unis, les licences de diffusion sont régies par la FCC (Federal Communications Commission). Leur octroi repose sur un principe fondateur : protéger l’intérêt public. Elles garantissent un accès médiatique pluraliste, équilibré, traversé de contradictions essentielles au fonctionnement démocratique. Or, pour un président ou un candidat majeur à la présidence, menacer d’intervenir politiquement sur ces licences, c’est ouvrir la boîte de Pandore d’un pouvoir exécutif se transformant en arbitre de la vérité, en juge suprême de qui a le droit de parler.
Trump ne le cache pas. Il ne supporte pas que ces géants médiatiques s’érigent en contre-pouvoir. Pour lui, NBC et ABC incarnent un « ennemi du peuple ». Cette rhétorique, héritée de régimes où la presse libre était étranglée au nom de la stabilité, ressurgit brutalement sur le sol américain. Le choc n’est pas seulement juridique : il est symbolique, philosophique, presque existentiel pour une nation qui a bâti son mythe sur la libre circulation des idées.
La mémoire brûlante de ses batailles passées
Ce n’est pas la première fois que Trump brandit cette menace. En 2017 déjà, il avait envisagé le retrait de licences à NBC après des reportages jugés défavorables. L’idée avait alors été perçue comme une hyperbole, une provocation, une sortie sans lendemain. Mais en 2025, dans un climat de polarisation extrême, la répétition du geste prend une résonance effrayante. Cette fois, les avertissements sont concrets, réfléchis et portés à l’échelle nationale.
L’opinion publique américaine a changé. Elle se divise, davantage encore qu’en 2016. Pour certains, l’acharnement de Trump n’est que la réponse légitime à des médias devenus eux-mêmes partisans, véritables machines propagandistes d’une idéologie progressiste. Pour d’autres, c’est l’effondrement d’un garde-fou indispensable, la glissade vers la censure institutionnalisée. Entre ces deux visions, la fracture s’élargit comme une faille tectonique.
La peur d’un précédent irréversible
Imaginez la mécanique infernale : si un président parvient à retirer une licence à des géants comme NBC ou ABC, rien n’empêcherait ensuite d’autres dirigeants de cibler CNN, Fox News, voire des médias régionaux critiques de leurs administrations. Le précédent créé deviendrait un outil redoutable de domination politique. Même si un tel geste est légalement complexe — car la FCC est, en théorie, indépendante de l’exécutif —, l’idée seule injecte un poison dans l’équilibre fragile entre presse et pouvoir.
La menace pèse comme une épée de Damoclès. Elle n’est pas simplement rhétorique : elle déplace le curseur du possible, redéfinit le champ de bataille politique. Plus qu’une déclaration incendiaire, c’est un assaut direct contre l’architecture de la démocratie américaine.
Le calcul politique derrière la menace

Un électorat qui déteste les médias traditionnels
Trump n’ignore rien des ressentiments profonds qui traversent l’Amérique rurale, industrielle, déclassée. Depuis des décennies, des millions d’Américains accusent les grands médias de mépriser leurs valeurs, d’imposer un récit élitiste, urbain, progressiste. En brandissant la menace de retirer les licences, Trump flatte ce ressentiment viscéral. Il transforme sa rage personnelle contre les journalistes en un combat collectif qu’il partage avec sa base électorale.
Ces électeurs, déjà convaincus que les médias sont biaisés jusqu’à la moelle, accueillent la menace comme une revanche. Non pas un geste anti-démocratique, mais une correction nécessaire. Pour eux, Trump ne censure pas : il rééquilibre. Ce renversement rhétorique est son arme la plus puissante dans la campagne électorale.
La mise en scène d’un combat titanesque
Chaque déclaration de Trump est pensée comme une bataille symbolique. Lorsqu’il s’attaque directement à NBC ou ABC, il ne vise pas seulement des logos médiatiques : il incarne David affrontant Goliath. Les chaînes deviennent l’ennemi colossal, omniprésent, et lui se positionne en guerrier solitaire, armé seulement de sa voix et du soutien populaire.
Ce personnage mythologique qu’il s’invente a une fonction électorale redoutable. Il transforme un candidat sulfureux, persécuté par la justice et incapable de compromis, en héros de la liberté populaire. C’est ce que comprennent mal beaucoup de ses adversaires : plus ils crient « dictature », plus il s’affermit en sauveur de la plèbe contre les élites corrompues.
Stratégie ou instinct ?
Certains analystes le disent stratège, manipulateur génial des émotions collectives. D’autres le voient comme un bouillonnement permanent, un intuitif qui parle avant de calculer, un animal politique brut. La vérité se situe peut-être dans un mélange féroce des deux. Peu importe, en réalité : le résultat est là. Ses sorties provoquent toujours une onde gigantesque, qui occupe l’agenda médiatique et politique pendant des semaines.
Cette menace contre les licences n’échappe pas à cette logique. Elle survient dans une période où Trump cherchait à écraser l’élan de ses adversaires démocrates. Elle détourne l’attention des procès qui l’assaillent. Elle recentre le débat… sur lui. Encore. Toujours lui. L’hypnose continue.
Un climat américain prêt à basculer

La polarisation extrême
Jamais depuis la Guerre de Sécession les États-Unis n’ont été aussi fracturés. La menace de Trump contre ABC et NBC n’est pas isolée : elle traverse une nation déjà au bord de l’implosion. Les débats sur le rôle des médias, les accusations de mensonge, les guerres culturelles sur l’avortement, l’immigration, les armes à feu, tout contribue à figer les Américains dans deux camps irréconciliables. Pour l’un, Trump est un dictateur en devenir. Pour l’autre, un libérateur qui brise le monopole de l’élite médiatique.
Le problème est que la vérité — ou plutôt la perception de la vérité — n’a plus de terrain commun. Les faits eux-mêmes semblent se dérober face au récit. Qu’importe la vérification journalistique, qu’importe la logique : c’est l’émotion pure qui structure désormais les camps. Dans cette atmosphère irrespirable, la menace contre les chaînes résonne comme un écho pré-apocalyptique.
Une Amérique en miroir déformant
Lorsque Trump s’attaque aux médias, il crée un miroir tordu dans lequel l’Amérique se regarde avec horreur. L’image est déformée, mais chacun finit par s’y reconnaître : ceux qui craignent la dictature voient leurs cauchemars se réaliser ; ceux qui fantasment une revanche voient leur champion brandir son glaive. La télévision devient elle-même théâtre d’une guerre immatérielle où chaque image, chaque éditorial, chaque mot compte plus que la réalité matérielle.
Les médias américains, pris dans cette tempête, deviennent paradoxalement l’arme et la cible. Ils couvrent Trump. Ils dénoncent Trump. Mais ce faisant, ils nourrissent encore son personnage. Cercle vicieux. Prison rhétorique. Tout se renverse. La menace contre les licences n’est pas seulement une attaque. C’est une pièce d’échec maîtrisée — quel que soit son objectif final.
Réactions et mise en garde
Face à cette déclaration, de nombreuses voix s’élèvent déjà. Des juristes rappellent que l’indépendance de la FCC constitue un barrage légal. Des associations de défense de la presse alertent sur une spirale dangereuse. Et même certains républicains, en privé, redoutent l’existence d’un précédent qu’un futur président démocrate pourrait exploiter. Pourtant, ce chœur critique semble impuissant. L’Amérique s’habitue à entendre l’impensable.
C’est là le danger ultime : la banalisation. Une fois énoncée, la menace perd son côté choquant. Elle devient sujet de débat, puis option sérieuse. Lentement, ce qui devrait être impossible devient envisageable. Et l’Amérique, fascinée et épuisée, peut s’y laisser glisser.
Conclusion : quand les mots préparent le terrain des ruptures

Trump ne fait jamais que parler… mais ses mots façonnent la réalité. En brandissant la menace de retirer les licences d’ABC et de NBC, il teste la solidité d’une architecture institutionnelle déjà Ébranlée. Qu’il aille au bout ou non importe presque moins que l’existence de la menace : car chaque tabou brisé, chaque limite franchie élargit le champ des possibles pour l’avenir. Le futur président, quel qu’il soit, ne gouvernera plus dans le même cadre.
La guerre ouverte entre Trump et les médias n’est pas un simple épisode. C’est un moment de bascule. Un instant où l’Amérique affronte la tentation de rompre avec un principe fondateur : la liberté de la presse comme pilier de la démocratie. Qu’on l’admire ou qu’on le maudisse, Trump a réussi une chose terrible : faire trembler les fondations mêmes d’une nation en jouant du chaos comme on joue du feu. Et le feu, parfois, brûle tout ce qu’il touche.