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Le diagnostic implacable des observateurs de la démocratie

Nous y sommes. L’Amérique de 2025 franchit sous nos yeux le seuil de l’autocratie, et nous regardons ailleurs. Les politologues Steven Levitsky, Lucan Way et Daniel Ziblatt l’ont écrit noir sur blanc dans le New York Times en mai dernier : les États-Unis ont basculé dans ce qu’ils appellent l’« autoritarisme compétitif » — un système où les élections existent encore, mais où s’opposer au gouvernement devient dangereux, coûteux, parfois mortel. Plus de 500 politologues interrogés par l’enquête Bright Line Watch confirment cette descente aux enfers : la note de la démocratie américaine a chuté de 67 à 55 en quelques semaines, soit la plus forte dégringolade jamais enregistrée depuis 2017.

Cette chute vertigineuse n’est pas une abstraction académique. Elle se matérialise dans le quotidien de millions d’Américains qui commencent à peser leurs mots, à surveiller leurs réseaux sociaux, à réfléchir deux fois avant de critiquer ouvertement le Président. Ray Dalio, milliardaire fondateur de Bridgewater Associates, a osé briser le silence en septembre : « La plupart des gens se taisent par peur des représailles. » Cette peur collective, cette auto-censure qui s’installe comme une gangrène, constitue précisément le symptôme que Levitsky et ses collègues utilisent pour diagnostiquer l’autoritarisme compétitif. Quand la liberté de critiquer devient un luxe que peu osent s’offrir, la démocratie n’est déjà plus qu’un théâtre d’ombres.

Les signaux d’alarme que nous ignorons obstinément

Les indicateurs clignotent rouge depuis des mois, mais nous préférons fermer les yeux. Freedom House, l’organisation qui mesure la liberté dans le monde, a déclassé les États-Unis pour la cinquième année consécutive, citant explicitement « l’augmentation de la violence politique, les menaces contre les politiciens, le refus d’accepter les résultats d’une élection démocratique ». Cette dégradation s’accélère sous le second mandat Trump : purges massives dans l’administration, instrumentalisation du ministère de la Justice contre les opposants, intimidation systématique des médias et des universités. Chaque jour apporte son lot de transgressions qui auraient provoqué des crises constitutionnelles majeures il y a encore dix ans.

Le plus terrifiant reste cette normalisation de l’anormal. Quand Pete Hegseth convoque en urgence 800 généraux et amiraux à Quantico sans explication — du jamais vu dans l’histoire militaire américaine —, nous haussons les épaules. Quand Trump menace de déployer l’armée dans les villes américaines, nous parlons de « rhétorique ». Quand son administration lance des enquêtes contre des donateurs démocrates, des médias critiques et des universités récalcitrantes, nous évoquons de la « polarisation ». Cette euphémisation systématique du basculement autoritaire révèle notre incapacité collective à nommer ce qui nous arrive : la mort programmée de la démocratie américaine telle que nous la connaissions.

L’anatomie d’un coup d’État institutionnel

Trump n’a pas besoin de chars dans les rues pour détruire la démocratie. Il utilise une méthode bien plus sophistiquée : l’« aggrandissement exécutif » selon l’expression de la Carnegie Endowment. Cette stratégie consiste à concentrer méthodiquement tous les pouvoirs dans les mains du président tout en préservant les apparences démocratiques. Première étape : placer l’exécutif sous contrôle absolu du président en affaiblissant les institutions de contrôle, en nommant des loyalistes aux postes clés, en éliminant l’indépendance de la fonction publique. Hegseth a déjà limogé des dizaines de généraux, d’amiraux et de hauts fonctionnaires jugés insuffisamment loyaux.

Deuxième étape : dominer les autres branches du gouvernement. Trump a tenté de saper l’indépendance judiciaire en attaquant personnellement les juges qui lui résistent, en nommant des partisans inconditionnels à la Cour suprême, en instrumentalisant le ministère de la Justice contre ses ennemis politiques. Le Congrès républicain, transformé en chambre d’enregistrement, valide systématiquement ses décisions les plus controversées. Troisième étape : neutraliser la société civile en intimidant les médias indépendants, en poursuivant les cabinets d’avocats qui s’opposent à lui, en menaçant les organisations éducatives et associatives. Cette stratégie tripartite, copiée sur les manuels d’Orban, d’Erdogan et de Modi, transforme progressivement l’Amérique en démocratie de façade.

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