Le message qui a fait trembler les marchés mondiaux
Vendredi 10 octobre 2025, 10 h 37 du matin. Donald Trump publie un message sur Truth Social. Quelques phrases. Quelques mots tranchants. Et soudain, Wall Street s’effondre. Le Dow Jones plonge de 530 points. Le Nasdaq perd 2,34%. Le S&P 500 dévisse de 1,71%. À Paris, le CAC40 clôture à moins 1,53%. En quelques minutes, des milliards de dollars de capitalisation boursière s’évaporent comme de la fumée dans un ciel d’orage. Le président américain ne mâche pas ses mots : la Chine devient « très hostile », elle tente de tenir le monde « en otage », et lui, Trump, n’a désormais plus aucune raison de rencontrer Xi Jinping dans deux semaines lors du sommet de l’APEC en Corée du Sud. L’option sur la table ? Une augmentation « massive » des droits de douane sur les produits chinois, auxquels s’ajouteraient « beaucoup d’autres contre-mesures sérieusement à l’étude ». Ce qui devait être une période de détente commerciale vient de se transformer en menace d’apocalypse économique. La trêve commerciale conclue en mai, celle qui devait expirer le 10 novembre après avoir déjà été prolongée une fois en août, se retrouve brutalement suspendue dans un vide vertigineux.
L’étincelle qui ravive la guerre commerciale
Mais qu’est-ce qui a déclenché cette furie présidentielle un vendredi matin ? Les terres rares. Ces dix-sept éléments chimiques aux noms exotiques — néodyme, dysprosium, terbium, praséodyme — dont personne ne parle jamais mais qui constituent l’épine dorsale invisible de notre civilisation technologique. Jeudi 9 octobre, le ministère chinois du Commerce a annoncé avec effet immédiat de nouveaux contrôles drastiques sur l’exportation des technologies liées à l’extraction, la fusion, l’assemblage et la maintenance des terres rares. Pékin détient 70% de la production mondiale de ces matériaux essentiels à la fabrication des semi-conducteurs, des batteries de véhicules électriques, des écrans de smartphones, des systèmes d’armement, des éoliennes. Washington, déjà nerveux face à cette domination écrasante, y voit une tentative délibérée de strangulation économique. Trump qualifie cette annonce de « vraie surprise », bien que les analystes géopolitiques observaient cette escalade depuis des mois. Les lettres que la Chine aurait envoyées à divers pays pour les menacer de sanctions sur les terres rares ajoutent une dimension mondiale à cette confrontation bilatérale. L’administration américaine interprète ces manœuvres comme une attaque frontale contre la sécurité nationale et l’indépendance technologique des États-Unis.
Une rencontre présidentielle annulée avant même d’être confirmée
L’ironie est presque comique. Cette réunion Trump-Xi que le président américain menace maintenant d’annuler n’avait jamais été officiellement confirmée par Pékin. Trump l’avait annoncée lui-même le 19 septembre après un appel téléphonique décrit comme « très productif » avec son homologue chinois — leur troisième conversation de l’année. À l’époque, le président américain évoquait même un voyage en Chine pour le début 2026 et une visite de Xi aux États-Unis. Les observateurs diplomatiques parlaient de dégel progressif des relations sino-américaines après les montagnes russes du premier semestre 2025. Mais aujourd’hui, cette perspective s’est volatilisée. Le sommet de l’APEC à Gyeongju, en Corée du Sud, devait offrir un cadre neutre pour une discussion en marge entre les deux dirigeants des plus grandes puissances économiques mondiales. Des rumeurs circulaient même suggérant que Trump pourrait ne rester qu’une seule journée en Corée, minimisant ainsi sa présence. Maintenant, l’incertitude règne. Pékin n’a pas réagi officiellement à la menace d’annulation. Xi Jinping ira-t-il quand même au sommet ? Trump y sera-t-il finalement ? Et si les deux s’y trouvent, comment éviter une confrontation qui pourrait envenimer davantage une situation déjà explosive ? Les chancelleries asiatiques retiennent leur souffle, craignant de se retrouver au centre d’un ouragan diplomatique imprévisible.
Le jeu dangereux des terres rares comme arme géopolitique

La domination écrasante de Pékin sur les minéraux critiques
Comprendre cette crise exige de saisir l’ampleur de la dépendance mondiale envers la Chine pour les terres rares. Pékin contrôle près de 70% de la production mondiale et possède pratiquement l’intégralité des capacités de raffinage et de transformation de ces minéraux. Les États-Unis, qui possédaient jadis leur propre industrie des terres rares, l’ont laissée mourir dans les années 1990-2000 face à la concurrence chinoise qui proposait des prix défiant toute logique économique — une stratégie délibérée de Pékin pour établir un monopole de fait. Aujourd’hui, même la seule mine américaine encore en activité, Mountain Pass en Californie, doit envoyer ses minerais en Chine pour le raffinage parce que les États-Unis n’ont plus l’infrastructure nécessaire. Cette situation crée une vulnérabilité stratégique terrifiante : sans terres rares, impossible de fabriquer les F-35, les missiles guidés, les systèmes de défense antimissile. Impossible également de produire les technologies civiles qui définissent l’économie moderne — smartphones, ordinateurs, véhicules électriques, éoliennes, panneaux solaires. La Chine le sait. Washington le sait. Et maintenant, Pékin joue cette carte avec une agressivité renouvelée. Les nouveaux contrôles annoncés jeudi ne se contentent pas de limiter l’exportation des terres rares elles-mêmes — ils ciblent les technologies et le savoir-faire nécessaires à leur extraction et transformation, empêchant ainsi d’autres pays de développer rapidement leurs propres capacités.
Les restrictions qui étranglent l’industrie américaine
Les mesures chinoises annoncées jeudi déploient un arsenal de restrictions à plusieurs niveaux. Premièrement, l’exportation de technologies liées à l’extraction et à la fusion des terres rares nécessite désormais une autorisation gouvernementale explicite — et les entreprises étrangères opérant dans les secteurs de la défense se verront « en principe » refuser toute licence. Deuxièmement, les demandes liées aux semi-conducteurs avancés ne seront approuvées qu’au « cas par cas », une formulation qui laisse à Pékin une latitude totale pour accepter ou refuser selon des critères politiques plutôt que commerciaux. Troisièmement, même les produits fabriqués à l’étranger mais contenant des terres rares chinoises ou produits avec des technologies chinoises feront face à des restrictions supplémentaires — une clause extraterritoriale qui étend le contrôle de Pékin bien au-delà de ses frontières. Quatrièmement, la Chine a confisqué les passeports des experts chinois spécialisés dans les terres rares pour les empêcher d’offrir leur expertise à l’étranger, une mesure de contrôle des connaissances digne de la Guerre froide. Enfin, Pékin a annoncé vendredi qu’elle imposerait des droits « spéciaux » aux navires américains dans ses ports, en représailles à des mesures similaires prises par Washington en avril. Ensemble, ces restrictions créent un écosystème de dépendance structurelle dont il sera extrêmement difficile et coûteux de s’extraire pour les États-Unis et leurs alliés. Les analystes de l’industrie estiment qu’il faudrait au minimum cinq à dix ans et des dizaines de milliards de dollars pour reconstruire une chaîne d’approvisionnement occidentale viable.
Le timing stratégique de Pékin avant le sommet de l’APEC
Ce n’est évidemment pas un hasard si ces annonces interviennent deux semaines avant le sommet de l’APEC où Trump et Xi devaient se rencontrer. Pékin accumule des jetons de négociation, empilant les leviers de pression avant une confrontation diplomatique cruciale. Le même jour, la Chine a également lancé une enquête antitrust contre Qualcomm, géant américain des semi-conducteurs qui avait déjà payé 975 millions de dollars d’amende en 2015 suite à une précédente investigation chinoise — une amende record qui avait forcé l’entreprise à baisser ses redevances sur les brevets utilisés en Chine. Cette nouvelle enquête vise apparemment l’acquisition par Qualcomm d’un autre fabricant de puces, une transaction qui nécessite l’approbation des régulateurs chinois. Le message est clair : si les États-Unis veulent jouer dur, la Chine peut paralyser les opérations des entreprises technologiques américaines qui dépendent massivement du marché chinois. Qualcomm réalise environ 60% de son chiffre d’affaires en Chine — une vulnérabilité que Pékin n’hésite pas à exploiter. Ces manœuvres chinoises surviennent également dans un contexte de négociations commerciales laborieuses qui patinent depuis des mois. La trêve de 90 jours conclue en mai avait ramené les tarifs douaniers de 145% à 30% côté américain et de 125% à 10% côté chinois. Prolongée une première fois en août jusqu’au 10 novembre, cette trêve devait permettre de négocier un accord commercial plus permanent. Mais les progrès sont minimes. Les Américains veulent des achats agricoles massifs et des réformes structurelles de l’économie chinoise. Les Chinois exigent la levée totale des tarifs et la fin des restrictions technologiques. L’impasse est totale. Et maintenant, cette nouvelle escalade sur les terres rares fait exploser le peu de bonne volonté qui subsistait entre les deux capitales.
Les tarifs douaniers comme arme de destruction économique mutuelle

L’escalade vertigineuse du premier semestre 2025
Pour mesurer l’ampleur de la menace proférée par Trump vendredi, il faut revisiter les montagnes russes tarifaires du premier semestre 2025. Tout commence le 2 avril, le fameux « jour de la libération » où Trump annonce des droits de douane punitifs contre une large partie des pays de la planète, avec 34% appliqués spécifiquement à la Chine — s’ajoutant aux 20% déjà imposés en mars dans le cadre de la lutte contre le trafic de fentanyl. Pékin riposte immédiatement avec 34% supplémentaires sur tous les produits américains. Trump contre-attaque en portant les surtaxes à 104%. La Chine répond en montant à 84%. Trump surenchérit à 125%, pour un total de 145% incluant les 20% liés au fentanyl. La Chine égalise à 125%. À ce stade, le commerce bilatéral entre les deux premières puissances économiques mondiales est pratiquement à l’arrêt — un embargo commercial de facto affectant des centaines de milliards de dollars d’échanges annuels. Les chaînes d’approvisionnement mondiales se grippent. Les entreprises américaines ne peuvent plus importer leurs composants chinois sans payer plus que le prix des marchandises elles-mêmes en taxes douanières. Les fabricants chinois perdent leur accès au marché américain, provoquant des fermetures d’usines et des licenciements massifs. Les consommateurs américains voient les prix exploser sur tout ce qui contient du « Made in China » — c’est-à-dire pratiquement tout. Cette spirale autodestructrice alerte finalement les conseillers économiques de Trump qui réalisent que les États-Unis sont en train de s’infliger une récession auto-induite. D’où la trêve de Genève en mai, négociée in extremis.
La trêve fragile qui expire dans un mois
Cette trêve de 90 jours conclue le 12 mai à Genève représentait un soulagement immense pour l’économie mondiale. Les tarifs américains redescendent de 145% à 30% (maintenant les 20% liés au fentanyl plus 10% supplémentaires), tandis que les tarifs chinois passent de 125% à 10%. Une baisse de 115 points de pourcentage des deux côtés — suffisante pour permettre la reprise des échanges commerciaux, même si les volumes restent inférieurs à la normale. Les exportations chinoises vers les États-Unis chutent néanmoins de 35% en mai-juin par rapport à l’année précédente, reflétant la destruction durable de confiance et la réorganisation des chaînes d’approvisionnement entreprise par les entreprises qui cherchent des sources alternatives au Vietnam, au Mexique, en Inde. La trêve devait initialement expirer le 12 août, mais les deux parties conviennent d’une prolongation de 90 jours supplémentaires jusqu’au 10 novembre — soit dans exactement un mois au moment où Trump publie son message incendiaire vendredi. Pendant ces mois de trêve, les négociateurs des deux camps se rencontrent régulièrement : à Stockholm en juillet, à Washington en août, à Pékin en septembre. Mais les progrès sont minimes. Chaque camp campe sur ses positions. Les Américains exigent que la Chine achète massivement des produits agricoles américains — soja, maïs, porc — pour réduire le déficit commercial, et qu’elle cesse ses pratiques de transfert forcé de technologie et de vol de propriété intellectuelle. Les Chinois demandent la levée complète et permanente des tarifs, la fin des restrictions sur les exportations de technologies avancées vers la Chine, et la levée des sanctions contre des entreprises chinoises comme Huawei et SMIC. L’écart entre les positions est si vaste qu’aucun observateur sérieux n’anticipait un accord définitif avant l’expiration de la trêve le 10 novembre. Au mieux, on espérait une nouvelle prolongation de 90 jours. Au pire, un retour aux tarifs de 145% et 125%. Mais après le message de Trump vendredi, même le scénario du pire semble optimiste.
La menace d’une augmentation massive et ses implications
Quand Trump menace d’une augmentation « massive » des tarifs, que signifie concrètement ce terme délibérément vague ? Certains analystes spéculent qu’il pourrait revenir aux 145% d’avril, annulant purement et simplement la trêve. D’autres craignent qu’il aille encore plus loin — 200%, 300% — des niveaux qui équivaudraient à une interdiction totale des importations chinoises. Le président américain a déclaré que cette mesure serait « potentiellement douloureuse » — un euphémisme remarquable. Une telle escalade tarifaire provoquerait des conséquences économiques dévastatrices des deux côtés du Pacifique. Côté américain : explosion des prix à la consommation, car les entreprises répercuteraient ces coûts sur les consommateurs ; pénuries de produits pour lesquels il n’existe pas d’alternative immédiate à la production chinoise ; paralysie de secteurs entiers comme l’électronique grand public, les jouets, les vêtements, les meubles ; faillites d’entreprises américaines dépendantes des importations chinoises ; destruction d’emplois dans les secteurs de distribution et de logistique. Côté chinois : effondrement des exportations, principal moteur de croissance économique ; licenciements massifs dans les provinces côtières industrielles ; tensions sociales potentiellement déstabilisantes pour le Parti communiste ; accélération de la recherche d’autres marchés, notamment en Europe, en Afrique et en Amérique latine. Et côté mondial : récession globale probable, les deux premières économies mondiales représentant ensemble 40% du PIB planétaire ; désorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales qui prendrait des années à reconfigurer ; risque accru de conflit militaire, l’histoire démontrant que les guerres commerciales dégénèrent souvent en affrontements plus directs. Les marchés financiers ont immédiatement saisi la gravité de cette menace vendredi, d’où l’effondrement boursier instantané suivant le message présidentiel.
La panique des marchés financiers et la fuite vers la sécurité

L’effondrement instantané de Wall Street
La réaction des marchés financiers vendredi fut aussi brutale qu’immédiate. À l’ouverture de la séance, Wall Street affichait des gains modestes — les indices montaient doucement, portés par de bons résultats d’entreprises et l’espoir que la saison des résultats du troisième trimestre démontrerait la résilience de l’économie américaine. Le Nasdaq et le S&P 500 avaient même atteint des sommets historiques lors des séances précédentes. Puis, à 10 h 37, le message de Trump tombe sur Truth Social. En quelques minutes, littéralement, les indices basculent du vert au rouge. Vers 11 h 30, heure de l’Est, le carnage est total : le Dow Jones Industrial Average plonge de 530 points soit 1,14%, terminant à 45 829 points ; le S&P 500 s’effondre de 115 points soit 1,71%, clôturant à 6 619 points ; le Nasdaq Composite dévisse de 539 points soit 2,34%, finissant à 22 485 points. Les secteurs les plus touchés sont prévisibles : l’indice des semi-conducteurs de Philadelphie perd 3,7%, reflétant l’extrême vulnérabilité de ce secteur aux tensions sino-américaines. Les entreprises chinoises cotées aux États-Unis subissent des pertes encore plus sévères — certaines actions individuelles plongeant de 5% à 8% dans la journée. Les constructeurs automobiles, dépendants des terres rares pour leurs véhicules électriques, reculent massivement. Apple, qui fabrique l’essentiel de ses produits en Chine, perd près de 3%. Ce qui effraie particulièrement les investisseurs, c’est que cette chute survient sans aucun avertissement préalable. Pas de fuite dans la presse. Pas de déclaration préparatoire de la Maison-Blanche. Juste un tweet matinal qui détruit des milliards de dollars de valeur boursière en quelques minutes. Cette volatilité extrême, directement liée aux humeurs imprévisibles du président, rappelle aux investisseurs les pires moments d’avril 2025 lors de l’escalade tarifaire initiale.
La fuite vers les valeurs refuges
Simultanément à l’effondrement des actions, les investisseurs se précipitent vers les actifs considérés comme refuges en période d’incertitude. Les obligations du Trésor américain voient leurs rendements chuter brutalement — signe que les investisseurs achètent massivement ces titres, faisant monter leurs prix et baisser mécaniquement leurs taux. Le rendement des bons du Trésor à dix ans passe de 4,14% jeudi soir à 4,06% vendredi matin, puis continue de glisser pour terminer autour de 3,98% en fin de journée. Le rendement à deux ans s’effondre de 3,60% à 3,51%. Ces mouvements peuvent sembler modestes en pourcentage, mais représentent des milliards de dollars de flux de capitaux cherchant la sécurité. L’or, éternel refuge en période de crise, bondit de 35 dollars l’once pour atteindre 2 687 dollars — un nouveau record historique. Les investisseurs achètent également massivement du franc suisse et du yen japonais, deux devises traditionnellement considérées comme des havres de stabilité. Le dollar américain, lui, connaît une journée mitigée : il monte face aux devises des marchés émergents, mais baisse face à ces monnaies refuges, reflétant l’incertitude quant à l’impact net de cette crise sur l’économie américaine. Les cryptomonnaies, que certains considèrent comme des alternatives aux systèmes financiers traditionnels, affichent également des performances contradictoires — Bitcoin monte légèrement tandis qu’Ethereum recule. En Europe, les bourses terminent également massivement dans le rouge : le CAC40 parisien perd 1,53%, le DAX allemand recule de 1,28%, le FTSE britannique abandonne 1,09%. En Asie, les marchés qui étaient déjà fermés au moment de l’annonce de Trump verront lundi matin l’impact complet de cette crise — et les analystes anticipent des ouvertures catastrophiques à Tokyo, Hong Kong, Shanghai et Séoul.
Les perspectives économiques assombries pour le quatrième trimestre
Au-delà de la panique immédiate de vendredi, cette crise jette une ombre inquiétante sur les perspectives économiques du quatrième trimestre 2025 et de l’année 2026. Les entreprises américaines qui avaient commencé à reconstituer leurs stocks en prévision de la période cruciale des fêtes de fin d’année — Thanksgiving, Black Friday, Noël — se retrouvent dans une incertitude paralysante. Doivent-elles continuer à importer massivement depuis la Chine tant que les tarifs restent à 30%, au risque de se retrouver avec des stocks invendables si les tarifs montent à 145% ou plus et font exploser les prix ? Ou doivent-elles cesser immédiatement leurs importations, au risque de ruptures de stocks pendant la période la plus profitable de l’année ? Cette paralysie décisionnelle affecte des géants de la distribution comme Walmart, Target, Costco, Amazon, qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires annuel entre novembre et décembre. Ross Mayfield, analyste chez Baird à Louisville dans le Kentucky, résume la situation : « Nous étions dans une position idéale pour que ce genre d’annonce fasse vraiment plonger le marché. Une réescalade avec la Chine est évidemment une mauvaise nouvelle. C’est inattendu. L’absence de nouvelles ces derniers mois semblait indiquer une poursuite de la désescalade ou un accord commercial avec la Chine. Clairement, cela remet en cause cette tendance. » Les économistes commencent à réviser à la baisse leurs prévisions de croissance pour le quatrième trimestre. Certains évoquent maintenant la possibilité d’une récession technique au premier trimestre 2026 si cette crise dégénère. La Réserve fédérale, qui envisageait de continuer à baisser ses taux d’intérêt progressivement pour soutenir l’économie, se retrouve dans une position impossible : baisser davantage pourrait alimenter l’inflation importée liée aux tarifs douaniers, mais maintenir les taux élevés risque d’aggraver le ralentissement économique. C’est le cauchemar des banquiers centraux — une stagflation potentielle où récession et inflation coexistent, rendant impossible toute politique monétaire efficace.
Les réactions diplomatiques et l'isolement croissant de Washington

Le silence assourdissant de Pékin
Face à l’explosion verbale de Trump vendredi matin, la Chine a adopté une stratégie de silence calculé. Aucune réaction officielle immédiate du ministère des Affaires étrangères. Aucun communiqué du ministère du Commerce. Aucune déclaration de l’ambassade de Chine à Washington. Ce mutisme délibéré contraste fortement avec les escalades précédentes où Pékin ripostait généralement dans les heures suivant une provocation américaine. Cette retenue suggère plusieurs possibilités. Première hypothèse : les dirigeants chinois considèrent que Trump bluffe, cherchant à créer une pression maximale avant d’éventuelles négociations, et qu’il ne faut donc pas tomber dans le piège en surréagissant. Deuxième hypothèse : Pékin prépare une réponse coordonnée et dévastatrice, mais préfère prendre le temps de la calibrer plutôt que de réagir impulsivement. Troisième hypothèse : la Chine a décidé de laisser les marchés financiers faire le travail à sa place — l’effondrement boursier et la panique économique aux États-Unis créant une pression politique sur Trump bien plus efficace que n’importe quelle déclaration diplomatique chinoise. Certains analystes notent également que Xi Jinping n’a peut-être aucun intérêt à sauver Trump de cette crise auto-infligée. Politiquement, le président chinois est en position de force domestiquement, ayant consolidé son pouvoir lors du dernier Congrès du Parti. Il peut se permettre d’absorber des dommages économiques temporaires si cela affaiblit son adversaire américain. Les seules réactions chinoises publiques viennent de médias d’État comme le Global Times, qui publie des éditoriaux accusant Washington de « chantage commercial » et d’« unilatéralisme destructeur », tout en prédisant que cette stratégie se retournera contre les États-Unis. Mais ce sont des porte-parole officieux, pas le gouvernement lui-même. Ce silence laisse Trump dans une position inconfortable : il a lancé une menace massive, mais sans réaction chinoise claire, difficile de savoir comment escalader ou déescalader la situation sans perdre la face.
L’inquiétude palpable des alliés américains
Les alliés traditionnels des États-Unis observent cette crise avec un mélange de consternation et d’exaspération. L’Union européenne, qui avait elle-même exprimé des préoccupations concernant les contrôles chinois sur les terres rares jeudi, se retrouve piégée au milieu d’une confrontation sino-américaine qu’elle ne contrôle pas. La Commission européenne a publié une déclaration prudente vendredi exprimant son « inquiétude » face aux restrictions chinoises tout en appelant à « la retenue et au dialogue » entre Washington et Pékin — une formule diplomatique qui évite soigneusement de prendre parti. Bruxelles craint que cette escalade ne déstabilise l’économie européenne déjà fragile, particulièrement l’industrie automobile allemande qui dépend massivement des terres rares chinoises pour ses véhicules électriques. Les ministres des finances du G7 devaient se réunir la semaine prochaine au Japon pour discuter de coopération économique ; cette réunion se transforme maintenant en session de gestion de crise. Le Japon et la Corée du Sud, alliés asiatiques des États-Unis mais aussi partenaires commerciaux majeurs de la Chine, sont particulièrement vulnérables. Tokyo a investi des milliards dans le développement de sources alternatives de terres rares — en Australie, au Vietnam, en Mongolie — mais ces projets prendront des années avant d’atteindre une capacité significative. Séoul, qui doit accueillir le sommet de l’APEC dans deux semaines, se retrouve dans la position embarrassante de potentiel hôte d’une débâcle diplomatique si Trump et Xi s’affrontent publiquement ou, pire, si l’un des deux annule sa venue, transformant le sommet en humiliation géopolitique. Les diplomates sud-coréens multiplient les contacts discrets avec Washington et Pékin pour essayer de sauver la rencontre, mais leurs efforts semblent de plus en plus vains.
Le Canada et le Québec comme alternative de stabilité
Pendant que Washington et Pékin s’affrontent, le Canada se positionne stratégiquement comme fournisseur alternatif de minéraux critiques pour les alliés occidentaux cherchant à réduire leur dépendance chinoise. Le Québec, en particulier, possède des gisements significatifs de terres rares dans le Grand Nord et en Abitibi-Témiscamingue. Des projets comme la mine Nechalacho dans les Territoires du Nord-Ouest et les gisements de la région du lac Strange au Québec pourraient fournir une source nord-américaine de ces minéraux essentiels. Mais le développement de ces ressources nécessite des investissements massifs et du temps — au minimum cinq à sept ans entre la découverte d’un gisement et la production commerciale, incluant les études environnementales, les consultations avec les communautés autochtones, la construction des infrastructures minières et des installations de raffinage. Le gouvernement fédéral canadien et le gouvernement québécois ont annoncé cette année des programmes de soutien totalisant plusieurs milliards de dollars pour accélérer ces projets. Ironiquement, la crise déclenchée par Trump vendredi pourrait accélérer ces investissements en rendant politiquement et économiquement urgent de sécuriser des sources non-chinoises. Des entreprises américaines commencent discrètement à explorer des partenariats avec des minières canadiennes, reconnaissant que la stabilité politique et réglementaire du Canada — exactement ce qui manque actuellement aux États-Unis — en fait un partenaire plus fiable que des alternatives comme le Vietnam ou le Kazakhstan. Pour le Québec, cette situation représente une opportunité économique majeure de devenir un acteur clé dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine des minéraux critiques, créant des milliers d’emplois en région et diversifiant l’économie au-delà des secteurs traditionnels comme l’hydroélectricité et la foresterie.
Les scénarios possibles pour les prochaines semaines

Le scénario de l’escalade maximale et ses conséquences
Dans le pire des scénarios, Trump met ses menaces à exécution. Les tarifs remontent à 145%, voire plus, dès la semaine prochaine ou à l’expiration de la trêve le 10 novembre. La Chine riposte immédiatement en portant ses propres tarifs à 150% ou 200%, et en activant d’autres leviers : interdiction complète d’exportation de certaines terres rares vers les États-Unis, sanctions contre des entreprises américaines opérant en Chine, ajout de sociétés américaines supplémentaires à la « liste noire » commerciale chinoise, restrictions bancaires rendant difficiles les transactions financières entre les deux pays. Le commerce bilatéral s’effondre à moins de 20% de son niveau historique — un découplage économique presque total entre les deux premières puissances mondiales. Les chaînes d’approvisionnement mondiales, déjà fragilisées, se désintègrent complètement. Les entreprises multinationales se retrouvent forcées de choisir un camp — opérer en Chine ou aux États-Unis, mais plus les deux simultanément. Cette fragmentation provoque une récession mondiale au premier trimestre 2026, avec une contraction du PIB global de 2% à 3% selon les estimations les plus sombres du FMI. L’inflation explose dans les deux pays — aux États-Unis à cause des prix importés qui décuplent, en Chine à cause de la dévaluation du yuan et des pénuries de composants américains essentiels. Les taux de chômage montent brutalement des deux côtés du Pacifique. Politiquement, cette crise pourrait déstabiliser Trump domestiquement, les républicains perdant potentiellement le Congrès lors des élections de mi-mandat de 2026. En Chine, Xi fait face à des tensions sociales croissantes liées au chômage de masse dans les provinces industrielles, forçant le Parti communiste à intensifier la répression. Le risque de conflit militaire augmente exponentiellement, l’histoire démontrant que les puissances en déclin économique cherchent souvent des diversions nationalistes — dans ce cas, autour de Taïwan ou de la mer de Chine méridionale. Ce scénario catastrophe, bien que peu probable en début de semaine, semble soudainement beaucoup plus plausible après les événements de vendredi.
Le scénario du recul tactique et de la prolongation de la trêve
Un scénario plus optimiste verrait Trump utiliser cette crise comme levier de négociation tactique plutôt que comme objectif stratégique. Dans cette version, les conseillers économiques de la Maison-Blanche — le secrétaire au Trésor Scott Bessent en tête — convainquent le président que mettre ses menaces à exécution provoquerait un désastre économique domestique à quelques mois des élections de mi-mandat. Trump adoucit progressivement son discours au cours des prochains jours. Peut-être qu’un appel téléphonique avec Xi est organisé en coulisses, les deux dirigeants trouvant une formule pour sauver la face mutuellement. La Chine pourrait accepter de suspendre temporairement l’application de ses nouvelles restrictions sur les terres rares pour les entreprises américaines « coopératives », tout en maintenant la menace pour l’avenir. Les États-Unis accepteraient de prolonger la trêve commerciale de 90 jours supplémentaires au-delà du 10 novembre, avec peut-être une réduction symbolique des tarifs de 30% à 25% comme geste de bonne volonté. La rencontre prévue à l’APEC aurait finalement lieu, les deux présidents posant pour une photo officielle et signant un vague « memorandum d’entente » promettant de continuer les négociations de bonne foi. Les marchés financiers se stabiliseraient immédiatement, récupérant une partie des pertes de vendredi. Les entreprises reprendraient leurs importations, rassurant les détaillants pour la période des fêtes. Ce scénario nécessite cependant que les deux camps acceptent de reculer simultanément sans que l’un paraisse céder à l’autre — un exercice diplomatique délicat qui exige des canaux de communication discrets et une volonté politique de compromis. Rien dans le comportement récent de Trump ou Xi ne suggère une telle flexibilité.
Le scénario intermédiaire de la confrontation contrôlée
Le scénario le plus probable se situe quelque part entre ces deux extrêmes — une confrontation prolongée mais calibrée pour éviter le pire. Trump met partiellement ses menaces à exécution : il augmente les tarifs, mais pas jusqu’à 145% — peut-être à 60% ou 75%, suffisamment pour démontrer sa détermination sans provoquer un effondrement économique total. La Chine riposte proportionnellement, montant ses propres tarifs à 40% ou 50%, et applique sélectivement ses restrictions sur les terres rares — interdisant les exportations vers les entreprises de défense américaines mais maintenant un accès limité pour les fabricants civils. La rencontre à l’APEC est officiellement annulée ou « reportée indéfiniment », mais des discussions au niveau des négociateurs commerciaux continuent en coulisses. Le commerce bilatéral diminue de 30% à 40% par rapport aux niveaux historiques, mais ne s’effondre pas complètement. Les entreprises multinationales accélèrent leur stratégie de « China plus one » — maintenir une présence en Chine mais développer également des capacités de production au Vietnam, au Mexique, en Inde, en Europe de l’Est. Cette fragmentation partielle des chaînes d’approvisionnement provoque un ralentissement économique mondial modéré plutôt qu’une récession totale — croissance mondiale de 1,5% à 2% en 2026 au lieu des 3% anticipés, mais pas de contraction. L’inflation reste élevée mais gérable. Les tensions persistent pendant des mois, voire des années, devenant la nouvelle normalité des relations sino-américaines — ni guerre totale ni paix véritable, mais un état permanent de compétition économique hostile. Ce scénario intermédiaire est probablement celui auquel se préparent actuellement les entreprises et les gouvernements, considérant que ni Washington ni Pékin ne peuvent se permettre l’escalade maximale mais qu’aucun n’est prêt aux compromis nécessaires pour une véritable détente.
Les leçons stratégiques d'une dépendance économique devenue arme

Le mythe de l’interdépendance pacificatrice
Cette crise pulvérise définitivement une illusion qui a dominé la pensée économique occidentale pendant trois décennies : l’idée que l’interdépendance commerciale garantit la paix entre nations. Depuis la fin de la Guerre froide, les économistes et les décideurs politiques ont répété comme un mantra que des pays profondément intégrés économiquement ne se feraient jamais la guerre — le coût serait trop élevé, les pertes mutuelles trop importantes. Cette théorie, popularisée par des penseurs comme Thomas Friedman avec sa « théorie des arches dorées » selon laquelle deux pays ayant des McDonald’s ne se font jamais la guerre, semblait confirmée par l’expansion du commerce mondial et la période de relative paix entre grandes puissances après 1991. Mais 2025 démontre la fausseté de ce postulat. Les États-Unis et la Chine sont les deux économies les plus interdépendantes de l’histoire humaine — des centaines de milliards de dollars d’échanges commerciaux annuels, des chaînes d’approvisionnement tellement imbriquées qu’il est pratiquement impossible de fabriquer un iPhone, une voiture électrique ou un ordinateur sans composants des deux pays. Et pourtant, cette interdépendance n’a pas empêché une guerre commerciale dévastatrice. Au contraire, elle est devenue l’arme elle-même. La Chine utilise son contrôle des terres rares comme instrument de coercition. Les États-Unis utilisent l’accès à leur marché comme moyen de pression. L’interdépendance n’a pas créé la paix — elle a créé des vulnérabilités mutuelles que chaque camp cherche maintenant à exploiter. La leçon stratégique est claire et douloureuse : dans un monde de compétition entre grandes puissances, toute dépendance économique peut se transformer en point de pression géopolitique. Les pays doivent désormais penser en termes de « sécurité économique » autant que de sécurité militaire — identifier leurs vulnérabilités critiques et investir massivement pour les éliminer, même si cela coûte plus cher à court terme.
La course à la souveraineté technologique et minérale
Cette crise accélère une tendance déjà visible : la déglobalisation partielle de l’économie mondiale et la course frénétique de chaque puissance pour sécuriser ses propres sources de technologies et de ressources critiques. Les États-Unis multiplient les programmes pour relocaliser la production de semi-conducteurs — le CHIPS Act de 2022 avait déjà alloué 52 milliards de dollars pour construire des usines de puces sur sol américain. Maintenant, Washington doit faire la même chose pour les terres rares, les batteries, les panneaux solaires, les produits pharmaceutiques essentiels. L’Union européenne poursuit sa propre stratégie de « souveraineté stratégique », investissant des centaines de milliards dans les technologies vertes, les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle. La Chine, de son côté, intensifie son programme de « circulation duale » visant à rendre l’économie chinoise autosuffisante dans tous les secteurs stratégiques tout en maintenant l’accès aux marchés étrangers. Cette course à la souveraineté représente un changement fondamental de paradigme économique. Pendant quarante ans, depuis les années 1980, l’économie mondiale s’est organisée selon le principe de l’avantage comparatif : chaque pays se spécialise dans ce qu’il fait le mieux, et tout le monde commerce librement pour maximiser l’efficacité globale. Ce modèle a généré une prospérité sans précédent mais aussi des dépendances structurelles. Le nouveau paradigme sacrifie délibérément l’efficacité économique au profit de la résilience et de l’autonomie stratégique. C’est moins efficace, plus coûteux, mais politiquement et géopolitiquement nécessaire dans un monde de compétition entre grandes puissances. Les consommateurs paieront des prix plus élevés. Les entreprises devront maintenir des chaînes d’approvisionnement redondantes et géographiquement diversifiées. Les gouvernements dépenseront des centaines de milliards en subventions industrielles. Mais l’alternative — rester vulnérable au chantage économique d’un rival géopolitique — est jugée inacceptable.
Le retour de la géoéconomie comme prolongement de la guerre
Ce que nous observons en 2025, c’est le retour de la géoéconomie comme instrument privilégié de compétition entre grandes puissances — une version moderne du mercantilisme du 17ème et 18ème siècle où le commerce et l’économie sont explicitement mobilisés au service d’objectifs stratégiques nationaux. Le théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz affirmait que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». La version contemporaine pourrait être : « l’économie est la continuation de la stratégie par d’autres moyens ». Les tarifs douaniers deviennent des armes. Les contrôles d’exportation deviennent des sièges économiques. Les investissements d’infrastructure à l’étranger (comme l’initiative chinoise Belt and Road) deviennent des outils d’influence géopolitique. Les alliances commerciales (comme le USMCA nord-américain ou le RCEP asiatique) deviennent des coalitions stratégiques. Cette réalité impose une refonte complète de la manière dont les gouvernements pensent la politique économique. Les décisions ne peuvent plus être prises uniquement sur la base de critères économiques — rentabilité, efficacité, croissance. Elles doivent intégrer des considérations stratégiques : ce secteur est-il critique pour la sécurité nationale ? Cette dépendance envers un pays rival crée-t-elle une vulnérabilité exploitable ? Cet investissement étranger dans notre infrastructure pourrait-il être utilisé contre nous en temps de crise ? Les ministères de l’Économie doivent travailler main dans la main avec les ministères de la Défense et des Affaires étrangères. Les entreprises doivent comprendre que leurs décisions commerciales ont des implications géopolitiques. Ce monde de géoéconomie est moins prévisible, moins efficace, mais probablement inévitable tant que persiste la compétition stratégique entre États-Unis et Chine — une compétition qui définira probablement le 21ème siècle comme la rivalité américano-soviétique a défini le 20ème.
Conclusion

Le point de non-retour d’une relation devenue toxique
Nous voici donc à un tournant historique. Ce qui s’est passé vendredi 10 octobre 2025 dépasse largement une simple crise diplomatique temporaire ou une escarmouche commerciale de plus dans la longue guerre tarifaire sino-américaine. C’est potentiellement le moment où la relation entre les deux premières puissances mondiales bascule définitivement dans une logique de confrontation structurelle dont il sera extrêmement difficile de sortir. Les mois précédents avaient créé une illusion de détente progressive — des appels téléphoniques entre Trump et Xi, des négociations commerciales laborieuses mais continues, une trêve tarifaire prolongée malgré les difficultés. Tout cela s’est évaporé en quelques phrases sur Truth Social. La menace chinoise sur les terres rares n’est pas une surprise tactique — c’est une carte que Pékin garde en réserve depuis des années et que tout analyste géopolitique sérieux anticipait. Ce qui est nouveau, c’est la brutalité de la réponse américaine, l’abandon immédiat de toute prétention diplomatique, la menace d’annuler une rencontre présidentielle qui n’avait même pas été confirmée. Cette séquence révèle que les deux camps ont abandonné l’espoir d’un retour à une relation normale. Nous entrons dans une ère de compétition permanente, d’hostilité structurelle, où chaque interaction devient un test de force plutôt qu’une opportunité de coopération. Les dommages collatéraux — marchés financiers effondrés, entreprises paralysées, travailleurs licenciés — ne sont plus considérés comme des coûts à éviter, mais comme des prix acceptables à payer dans une lutte existentielle pour la suprématie économique et technologique du 21ᵉ siècle.
Ce qui change dès maintenant pour l’économie mondiale
À partir de ce vendredi 10 octobre, les règles du jeu changent pour toute entreprise opérant dans l’économie mondiale. L’incertitude n’est plus une anomalie temporaire à gérer en attendant le retour à la normale — elle devient la condition permanente des affaires internationales. Les directeurs financiers doivent désormais intégrer dans leurs modèles de prévision la possibilité que les tarifs douaniers passent de 30% à 145% en quelques jours, sans préavis significatif. Les responsables de la chaîne d’approvisionnement ne peuvent plus optimiser uniquement pour l’efficacité et les coûts — ils doivent construire de la redondance géographique, maintenir des sources alternatives même si elles coûtent plus cher, accepter de payer une prime d’assurance contre la volatilité géopolitique. Les investisseurs institutionnels revoient leurs allocations d’actifs pour réduire l’exposition aux secteurs les plus vulnérables aux tensions sino-américaines — technologie, automobile, terres rares, semi-conducteurs. Les gouvernements alliés des États-Unis réalisent qu’ils ne peuvent plus compter sur Washington pour une politique prévisible et cohérente, et doivent développer leurs propres stratégies de sécurité économique. Le Canada et le Québec se positionnent comme alternatives stables pour les investissements en minéraux critiques. L’Europe accélère ses programmes de souveraineté technologique. Les pays d’Asie du Sud-Est tentent de naviguer entre les deux géants sans choisir définitivement un camp. Cette fragmentation de l’économie mondiale en blocs concurrents signifie des coûts plus élevés pour tout le monde, une croissance mondiale plus lente, mais aussi de nouvelles opportunités pour les pays et les régions capables de se positionner comme ponts entre les blocs ou comme fournisseurs alternatifs de ressources critiques.
Ce que je recommande face à cette tempête
Pour les entreprises : diversifiez immédiatement vos chaînes d’approvisionnement géographiquement, même si cela réduit vos marges à court terme. N’ayez jamais un seul fournisseur critique basé dans un seul pays, surtout s’il s’agit de la Chine ou d’un pays politiquement aligné avec elle. Constituez des stocks tampons de composants essentiels — la gestion en flux tendu (just-in-time) est un luxe qui n’existe plus dans un monde géopolitiquement volatile. Investissez dans l’intelligence géopolitique au même titre que dans l’intelligence de marché. Pour les investisseurs : réduisez votre exposition aux secteurs les plus vulnérables aux tensions commerciales, augmentez votre allocation aux actifs refuges (or, obligations gouvernementales de pays stables, immobilier dans des juridictions sûres), et considérez sérieusement les opportunités dans les pays intermédiaires qui bénéficieront de la fragmentation — Vietnam, Mexique, Pologne, Canada. Pour les travailleurs : développez des compétences transférables internationalement, particulièrement dans les secteurs moins dépendants du commerce sino-américain, et soyez prêts à la mobilité géographique si votre industrie se retrouve prise entre deux feux. Pour les gouvernements : investissez massivement maintenant dans la sécurité des approvisionnements critiques, même si cela coûte des milliards à court terme — le coût de la dépendance sera infiniment plus élevé à long terme. Et pour tous : préparez-vous psychologiquement à une décennie de volatilité, d’incertitude et de confrontations récurrentes entre les deux superpuissances. Ce n’est pas une crise temporaire qu’on peut attendre de voir passer. C’est la nouvelle normalité d’un monde où la compétition géopolitique a remplacé la coopération économique comme principe organisateur des relations internationales. Ceux qui s’adapteront rapidement à cette réalité survivront et prospéreront. Ceux qui continueront à espérer un retour au monde d’avant 2025 seront balayés par les tempêtes à venir.