L’alarme vient de sonner à Washington
Un démocrate vient de lâcher une bombe. Pas une petite remarque politique de couloir, non. Une prédiction apocalyptique sur l’avenir du ministère de la Justice américain. Selon lui — un élu expérimenté qui a vu défiler plusieurs administrations — les dégâts causés par Pam Bondi à la tête du département ne se répareront pas en quelques années. Pas même en une décennie. Non, il parle de « décennies » nécessaires pour rétablir l’intégrité institutionnelle massacrée sous sa direction. Des décennies. Laissez ce mot résonner un instant. Nous ne parlons pas d’une passade politique, d’un mauvais moment à traverser. Nous parlons d’une destruction systémique si profonde que les enfants qui naissent aujourd’hui seront adultes avant que le ministère de la Justice ne retrouve sa crédibilité. Bondi, ancienne procureure générale de Floride et fidèle parmi les fidèles de Trump, a été confirmée à ce poste clé au printemps 2025 après le retrait controversé de la première nomination présidentielle. Depuis, elle transforme méthodiquement le département en bras armé politique de la Maison-Blanche. Et selon ce démocrate — qui refuse que son institution soit ainsi prostituée — les conséquences dépasseront largement le mandat Trump.
Bondi n’est pas une juriste ordinaire
Pam Bondi n’arrive pas au ministère de la Justice avec un CV neutre. Cette femme a construit toute sa carrière politique sur une loyauté absolue envers Donald Trump. Procureure générale de Floride de 2011 à 2019, elle s’est illustrée par son refus catégorique d’enquêter sur les pratiques frauduleuses présumées de Trump University dans son État, alors même que d’autres procureurs généraux poursuivaient l’affaire. Coïncidence étrange : la fondation de Trump avait versé vingt-cinq mille dollars à son comité de réélection peu avant cette décision. Bondi a toujours nié tout lien. Pendant le premier mandat de Trump, elle a défendu le président lors de sa première procédure de destitution, déployant une rhétorique combative qui a ravi la base républicaine. Elle est ensuite devenue lobbyiste pour des clients aux intérêts parfois troubles. Bref, elle n’incarne pas exactement l’indépendance judiciaire. Son profil hurle militante partisane plutôt que gardienne impartiale de la loi. Et c’est précisément pour cela que Trump l’a choisie. Il ne voulait pas un procureur général indépendant qui pourrait le contraindre ou le freiner. Il voulait un soldat loyal qui exécuterait ses ordres sans états d’âme.
Le ministère de la Justice comme arme politique
Traditionnellement — du moins en théorie — le ministère de la Justice américain maintient une certaine distance avec la Maison-Blanche. Les procureurs fédéraux sont censés suivre les preuves où qu’elles mènent, y compris potentiellement vers le président lui-même ou ses alliés. Cette indépendance relative constitue un pilier de l’État de droit démocratique. Mais Trump a toujours considéré cette tradition comme une absurdité. Pour lui, le procureur général est « son » avocat, le département de la Justice « son » outil pour poursuivre ses ennemis et protéger ses amis. Il l’a dit explicitement à plusieurs reprises, comparant sa situation à celle de présidents précédents dont les procureurs généraux étaient, selon lui, plus « loyaux ». Avec Bondi aux commandes, cette vision devient réalité. Le département lance des enquêtes contre les adversaires politiques de Trump — procureurs qui l’ont poursuivi, juges qui l’ont condamné, responsables électoraux qui ont certifié sa défaite en 2020. Simultanément, il abandonne discrètement des poursuites contre des alliés du président. La politisation est totale, assumée, revendiquée. Et selon ce démocrate qui tire la sonnette d’alarme, les dommages seront irréversibles pendant des générations.
Les premières décisions qui ont fait basculer l'institution

Le grand nettoyage des procureurs indépendants
Dès sa confirmation, Bondi a lancé ce que ses partisans appellent une « réorganisation nécessaire » et que ses détracteurs qualifient de purge politique. Des dizaines de procureurs fédéraux nommés sous l’administration Biden ont été limogés ou poussés vers la sortie. Pas pour incompétence. Pas pour faute professionnelle. Simplement parce qu’ils étaient perçus comme insuffisamment loyaux envers Trump. Certains de ces procureurs menaient des enquêtes sensibles — corruption, criminalité en col blanc, violations des droits civiques. Leurs départs ont provoqué l’effondrement ou le gel de dossiers importants. Les enquêtes sur les groupes d’extrême droite impliqués dans l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 ? Ralenties drastiquement. Les poursuites contre des entreprises polluantes ? Abandonnées. Les investigations sur des fraudes électorales présumées commises par des républicains ? Classées sans suite. À la place, Bondi a nommé des procureurs triés sur le volet pour leur alignement idéologique. Beaucoup viennent de cabinets privés ayant défendu Trump ou ses associés. D’autres ont des historiques de militantisme républicain explicite. L’idée même d’une magistrature professionnelle apolitique est méthodiquement détruite.
La création d’une unité spéciale contre les « abus électoraux »
Bondi a annoncé en juin 2025 la création d’une nouvelle division au sein du ministère, dédiée à enquêter sur les « irrégularités électorales » de 2020 et 2024. Officiellement, l’objectif est de restaurer la confiance dans le système électoral. En réalité, il s’agit de donner une apparence légale aux théories du complot trumpistes sur des élections prétendument volées. Cette unité cible exclusivement des juridictions démocrates — Michigan, Pennsylvanie, Arizona, Géorgie — où Trump a perdu et refuse toujours d’accepter sa défaite. Les procureurs et responsables électoraux qui ont certifié les résultats font face à des assignations, des audits intrusifs, des menaces voilées de poursuites. Aucune fraude substantielle n’a été découverte — comme lors des dizaines de procès perdus par Trump après 2020 — mais peu importe. Le processus est la punition. L’objectif n’est pas de trouver des preuves mais d’intimider, de créer un climat de peur où tout responsable électoral réfléchira à deux fois avant de certifier une victoire démocrate. La démocratie américaine repose sur des milliers de fonctionnaires locaux qui administrent honnêtement les élections malgré les pressions. Bondi détruit systématiquement cette infrastructure humaine de l’intégrité électorale.
L’abandon des poursuites pour crimes civils
Sous les administrations précédentes — républicaines comme démocrates — le ministère de la Justice poursuivait vigoureusement les violations des droits civiques. Discrimination raciale, brutalité policière, violations des droits de vote, crimes de haine… ces dossiers constituaient une priorité. Bondi a décapité cette mission. La division des droits civiques a vu son budget et ses effectifs dramatiquement réduits. Les enquêtes sur les services de police ayant des pratiques discriminatoires systémiques — comme celles initiées après plusieurs meurtres de civils noirs non armés — ont été abandonnées ou édulcorées. Les accords de consentement négociés avec des villes pour réformer leurs forces de police sont dénoncés unilatéralement. Bondi justifie ces décisions en affirmant que le ministère doit soutenir les forces de l’ordre plutôt que de les « harceler ». Traduction : les flics peuvent tuer des civils minoritaires sans craindre de surveillance fédérale sérieuse. Cette orientation a des conséquences mortelles. Les services de police qui se savaient sous surveillance fédérale modifiaient leurs pratiques. Maintenant, la laisse est lâchée. Et les communautés racisées paieront le prix en vies humaines pendant des années.
Le démantèlement de l'indépendance institutionnelle

La fin de la règle concernant les communications Maison-Blanche
Depuis le scandale du Watergate, une norme non écrite mais scrupuleusement respectée limite les communications directes entre la Maison-Blanche et le ministère de la Justice sur les enquêtes en cours. Cette muraille de Chine protège l’intégrité des investigations, empêchant le président d’interférer dans les poursuites pour des raisons politiques. Bondi a pulvérisé cette norme. Elle s’entretient régulièrement et directement avec Trump sur des dossiers sensibles. Des journalistes ont documenté des réunions hebdomadaires où le président donne littéralement ses instructions sur qui poursuivre et qui épargner. Bondi ne s’en cache même pas, affirmant que le président a le droit constitutionnel de diriger le pouvoir exécutif, dont le ministère de la Justice fait partie. Techniquement, elle n’a pas tort. Mais des décennies de tradition démocratique avaient établi une séparation pratique pour éviter les abus. Cette séparation n’existe plus. Trump gère le ministère de la Justice comme il gérait son entreprise : en patron autoritaire dont les ordres sont exécutés sans discussion. Les conséquences vont bien au-delà de cas individuels. C’est toute la perception de l’impartialité judiciaire qui s’effondre.
Les départs massifs de carrière juridique
Le ministère de la Justice emploie des milliers de juristes de carrière — avocats, procureurs, analystes — qui traversent les changements d’administration en maintenant la continuité institutionnelle. Ces professionnels apolitiques constituent l’épine dorsale du département. Mais depuis l’arrivée de Bondi, ils démissionnent en masse. Les chiffres sont alarmants : le taux de départ volontaire a triplé par rapport à la moyenne historique. Les procureurs les plus expérimentés partent vers le secteur privé, les universités, les ONG, n’importe où plutôt que de participer à ce qu’ils considèrent comme une trahison de leurs principes professionnels. Ceux qui restent sont souvent les moins qualifiés, ceux qui n’ont pas d’options ailleurs, ou les idéologues qui soutiennent activement la transformation trumpiste. Cette hémorragie de talents crée un vide d’expertise qui prendra effectivement des décennies à combler. Former un procureur fédéral compétent demande des années. Reconstruire une culture institutionnelle de professionnalisme et d’indépendance demande des générations. Bondi brûle en quelques mois un capital humain accumulé sur un siècle.
La corruption ouverte des processus de nomination
Les nominations aux postes judiciaires fédéraux passent traditionnellement par un processus rigoureux impliquant l’American Bar Association, qui évalue les candidats selon des critères de compétence professionnelle. Bondi a court-circuité ce système. Elle recommande directement à Trump des candidats choisis pour leur loyauté idéologique plutôt que leurs qualifications juridiques. Résultat : des juges fédéraux de moins de quarante ans, à peine quelques années de pratique, aucune expérience de la magistrature, mais un historique irréprochable de militantisme conservateur. Ces nominations sont à vie. Les juges nommés en 2025 siégeront encore en 2060, 2070, imposant leur vision idéologique pendant des décennies après la fin de l’ère Trump. Certains de ces candidats ont été jugés « non qualifiés » par l’ordre des avocats, mais qu’importe. Le Sénat républicain les confirme en bloc. Bondi construit méthodiquement une magistrature parallèle qui sera imperméable à toute réforme future, assurant que même si les démocrates reprennent le pouvoir, la machine judiciaire trumpiste continuera de tourner.
Les enquêtes politisées contre les adversaires

Les procureurs qui ont osé poursuivre Trump dans le viseur
Fani Willis en Géorgie, Letitia James à New York, Alvin Bragg à Manhattan… ces procureurs locaux ont eu l’audace de poursuivre pénalement Trump pour diverses infractions présumées. Willis pour l’affaire d’interférence électorale en Géorgie. James pour fraude fiscale et financière. Bragg pour les paiements illégaux à Stormy Daniels. Tous ont désormais une cible sur le dos. Le ministère de la Justice de Bondi a lancé des contre-enquêtes les accusant d’abus de pouvoir, de persécution politique, voire de corruption. Ces investigations fédérales sont clairement des représailles, une tentative d’intimider quiconque oserait toucher à Trump. L’effet dissuasif est puissant : quel procureur local voudra désormais poursuivre un allié présidentiel sachant qu’il risque de voir sa carrière détruite par une enquête fédérale punitive ? Cette dynamique crée une impunité de facto pour l’élite politique trumpiste. Le système de checks and balances — où différents niveaux de gouvernement se surveillent mutuellement — s’effondre lorsque le pouvoir fédéral devient un bouclier protecteur pour ses amis et une épée vengeresse contre ses ennemis.
Les journalistes et lanceurs d’alerte menacés
Plusieurs journalistes ayant révélé des scandales liés à l’administration Trump font face à des assignations agressives du ministère de la Justice exigeant qu’ils révèlent leurs sources. Cette pratique viole les normes établies de protection de la liberté de presse. Bondi justifie ces actions en invoquant la sécurité nationale — apparemment, critiquer Trump met en danger l’Amérique — mais personne n’est dupe. L’objectif est de terroriser les sources potentielles, de faire comprendre que divulguer des informations embarrassantes pour l’administration entraînera des conséquences légales graves. Plusieurs lanceurs d’alerte qui avaient témoigné devant le Congrès concernant des irrégularités durant le premier mandat de Trump ont vu leurs clearances de sécurité révoquées et font face à des enquêtes pour violations présumées de protocoles de confidentialité. Certains ont perdu leur emploi, d’autres sont ruinés par les frais juridiques. Le message est clair : parler contre Trump détruira votre vie. Cette culture de la peur garantit que les prochains scandales resteront cachés, que les prochaines malversations ne seront pas dénoncées. La transparence démocratique meurt dans le silence forcé.
L’instrumentalisation du FBI contre les manifestants
Le FBI, sous la direction d’un loyaliste nommé par Trump et supervisé par Bondi, a intensifié sa surveillance et ses poursuites contre les mouvements progressistes. Les militants pour le climat qui organisent des manifestations contre les infrastructures pétrolières sont accusés de terrorisme domestique. Les organisateurs de Black Lives Matter font face à des enquêtes pour incitation à l’émeute basées sur des preuves ténues. Les groupes pro-immigration sont infiltrés par des informateurs. Pendant ce temps, les milices d’extrême droite — dont certaines ont participé à l’assaut du Capitole — bénéficient d’une clémence remarquable. Leurs procès sont retardés indéfiniment ou aboutissent à des peines légères. Certains condamnés ont même été graciés par Trump. Le FBI devient ainsi un outil de répression sélective : sévère contre la gauche, indulgent avec la droite. Cette asymétrie transforme une agence censément neutre en police politique partisane. Et comme le FBI dispose de pouvoirs d’enquête extraordinaires — surveillance électronique, infiltration, mandats secrets — cette politisation constitue une menace existentielle pour la dissidence démocratique.
Les répercussions internationales du chaos américain

La crédibilité américaine sur l’État de droit s’effondre
Pendant des décennies, les États-Unis ont donné des leçons au monde entier sur l’importance de l’État de droit, l’indépendance judiciaire, la séparation des pouvoirs. Les diplomates américains critiquaient les régimes autoritaires où les procureurs poursuivaient les opposants politiques sur ordre du chef de l’État. Washington conditionnait son aide au respect de standards démocratiques incluant un système judiciaire impartial. Cette autorité morale est désormais pulvérisée. Comment les États-Unis peuvent-ils encore critiquer la Turquie, la Hongrie, le Venezuela ou la Russie pour leurs dérives autoritaires alors que leur propre ministère de la Justice fonctionne exactement selon les mêmes logiques ? Les autocrates du monde entier jubilent. Chaque nouvelle révélation sur la politisation du département américain leur fournit des munitions rhétoriques. « Vous voyez ? Les Américains font exactement ce qu’ils nous reprochent ! Leur moralisme n’était qu’hypocrisie ! » Cette perte de soft power affaiblit l’influence américaine globale de manières qu’aucun déficit commercial ou retrait militaire ne pourrait accomplir.
Les alliés démocratiques prennent leurs distances
Les chefs d’État européens, canadiens, australiens observent avec horreur la transformation du système judiciaire américain. Certains l’expriment publiquement, risquant des tensions diplomatiques. D’autres murmurent en privé leur inquiétude croissante : peut-on encore faire confiance aux États-Unis comme garant de l’ordre démocratique libéral ? Cette méfiance a des conséquences pratiques. Plusieurs pays européens ont suspendu ou limité leur coopération judiciaire avec les États-Unis, craignant que les informations partagées soient utilisées à des fins politiques plutôt que légitimement criminelles. Les extraditions vers les États-Unis sont examinées avec plus de scepticisme, certains tribunaux refusant de livrer des suspects par crainte qu’ils ne reçoivent pas un procès équitable dans un système aussi politisé. Les alliances de renseignement — comme les Five Eyes — fonctionnent avec plus de friction, les partenaires américains étant perçus comme potentiellement compromis par des considérations partisanes. Cette érosion de confiance entre démocraties alliées bénéficie directement à la Chine et à la Russie, qui n’attendent qu’une occasion de diviser l’Occident.
Le modèle trumpiste inspire d’autres autocrates
Les techniques de Bondi — purger les institutions, nommer des loyalistes, utiliser le système judiciaire contre les opposants tout en maintenant une façade de légalité — deviennent un manuel d’instructions pour les aspirants autocrates mondiaux. Des dirigeants en Amérique latine, en Afrique, en Asie observent attentivement et répliquent les méthodes. Pourquoi se donner la peine d’un coup d’État militaire avec tous ses risques quand on peut simplement coloniser les institutions de l’intérieur, légalement, constitutionnellement ? Le modèle trumpiste montre qu’on peut détruire la démocratie en utilisant ses propres mécanismes, transformant élections et tribunaux en théâtre de légitimation pour un pouvoir autoritaire. Cette contagion autocratique constitue peut-être le dommage le plus durable de l’ère Bondi. Même si les États-Unis se redressent éventuellement, les dizaines de pays qui auront adopté ces techniques entre-temps resteront enfermés dans des systèmes hybrides — élections sans choix réel, tribunaux sans indépendance, démocraties de façade masquant des dictatures de substance. L’Amérique de Trump et Bondi aura exporté l’autoritarisme comme virus global.
Pourquoi la réparation prendra effectivement des décennies

La destruction de la culture institutionnelle
Les institutions ne sont pas seulement des structures formelles définies par des lois et des organigrammes. Elles sont aussi — surtout — des cultures, des ensembles de normes non écrites, de pratiques transmises de génération en génération de fonctionnaires, de valeurs partagées qui définissent ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Cette culture institutionnelle du ministère de la Justice a été méthodiquement détruite. Les jeunes juristes qui entrent maintenant dans le département apprennent que la loyauté politique compte plus que l’excellence juridique. Ils observent que les carrières progressent en servant l’agenda présidentiel plutôt qu’en suivant les preuves. Ils intériorisent que l’indépendance judiciaire est un mythe naïf. Ces leçons ne s’effaceront pas facilement. Même si une future administration tente de restaurer les anciennes normes, elle se heurtera à une génération entière de juristes formés dans le cynisme trumpiste. Reconstruire une culture prend du temps, des efforts soutenus, des modèles exemplaires répétés année après année. C’est pourquoi ce démocrate parle de décennies, pas d’années.
Les nominations judiciaires à vie verrouilleront le système
Les juges que Bondi et Trump nomment en ce moment siégeront pendant trente, quarante, cinquante ans. Ils rendront des décisions jusqu’en 2060, 2070. Ces décisions façonneront le droit américain sur des questions fondamentales — droits civiques, environnement, régulation économique, liberté d’expression. Une majorité conservatrice verrouillée dans les cours fédérales garantit que même si les démocrates contrôlent la Maison-Blanche et le Congrès pendant les prochaines décennies, leurs lois seront systématiquement invalidées par des juges nommés à vie par Trump. Cette asymétrie structurelle rend la réforme presque impossible. Changer une loi est relativement facile quand on gagne des élections. Mais changer la composition de la magistrature fédérale quand les juges ont des mandats à vie ? C’est un processus qui prend littéralement des générations, attendant que les juges actuels meurent ou prennent leur retraite. Bondi crée un verrou constitutionnel qui survivra à Trump, à elle-même, probablement à nous tous. Les dégâts seront encore visibles en 2075.
La confiance publique ne se restaure pas par décret
Une fois que les citoyens ont perdu confiance dans l’impartialité de leur système judiciaire, reconquérir cette confiance est un travail de titan. Des sondages montrent que la perception du ministère de la Justice comme institution politisée a explosé depuis l’arrivée de Bondi. Les démocrates le voient comme bras armé trumpiste. Mais paradoxalement, beaucoup de républicains le voient toujours comme un « État profond » hostile à leurs intérêts, malgré sa capture complète par leur camp. Cette polarisation signifie qu’aucune décision du département ne sera plus perçue comme légitime par une portion significative de la population. Si le ministère poursuit un républicain, la droite hurlera à la persécution politique. S’il poursuit un démocrate, la gauche dénoncera la vendetta partisane. Cette situation sans issue délégitime fondamentalement l’administration de la justice. Et reconstruire la légitimité institutionnelle nécessite non seulement des changements concrets mais aussi des années — des décennies — de comportement institutionnel irréprochable, patient, cohérent. Un travail de fourmi qui ne produira des résultats visibles que pour les générations futures.
Les résistances et leurs limites

Les procureurs généraux des États tentent de compenser
Face au naufrage du ministère de la Justice fédéral, les procureurs généraux des États démocrates tentent de prendre le relais. Ils poursuivent les violations environnementales que le fédéral ignore désormais. Ils défendent les droits civiques abandonnés par Washington. Ils enquêtent sur les fraudes financières négligées par Bondi. Mais leurs ressources sont limitées comparées à la puissance du gouvernement fédéral. Et ils font face à des obstacles structurels : beaucoup de crimes relèvent de la juridiction fédérale exclusive, inaccessible aux États. Les crimes transfrontaliers, les fraudes complexes, les violations de lois fédérales ne peuvent être poursuivis qu’au niveau national. De plus, le ministère de la Justice de Bondi utilise sa préemption fédérale pour bloquer activement les enquêtes des États qui dérangent. Quand la Californie ou New York tentent de poursuivre certaines entreprises ou individus, le fédéral intervient en affirmant sa juridiction prioritaire puis… ne fait rien, laissant les affaires mourir. Cette tactique de juridiction-écran transforme le système fédéraliste américain en outil d’impunité.
Les organisations de défense des droits submergées
L’ACLU, le NAACP Legal Defense Fund, les groupes de défense de l’environnement multiplient les procès contre les actions du ministère de la Justice. Chaque décision controversée est contestée devant les tribunaux. Mais cette stratégie de résistance judiciaire a ses limites. D’abord, elle est coûteuse et épuisante, mobilisant des ressources qui pourraient servir ailleurs. Ensuite, les procès prennent des années, pendant lesquelles les dommages s’accumulent. Enfin — et surtout — les tribunaux saisis de ces affaires sont de plus en plus peuplés de juges nommés par Trump, peu enclins à contrarier l’administration. Les décisions favorables aux plaignants deviennent rares, et même quand elles surviennent, le ministère de la Justice ignore souvent les injonctions judiciaires, pariant que les mécanismes d’exécution sont trop faibles pour le forcer à obéir. Cette résistance asymétrique — société civile pauvre contre État puissant — ne peut pas compenser l’effondrement institutionnel. Au mieux, elle ralentit la dégradation. Elle ne l’arrête pas, encore moins ne l’inverse.
Les médias documentent mais ne peuvent empêcher
Les journalistes d’investigation font un travail remarquable, révélant les abus, documentant les purges, exposant les conflits d’intérêts. Chaque semaine apporte son lot de scandales minutieusement rapportés. Mais cette transparence ne produit plus les effets qu’elle aurait eus autrefois. Dans une ère de polarisation extrême et de méfiance médiatique cultivée par Trump, les révélations journalistiques sont immédiatement rejetées par une portion massive de la population comme « fake news ». Les supporters de Trump considèrent chaque enquête critique comme une preuve supplémentaire du complot médiatique contre leur champion. Cette dynamique désespérante transforme le journalisme d’investigation en prêche aux convertis : ceux qui sont déjà critiques de Bondi trouvent confirmation dans les reportages, mais ceux qui la soutiennent y voient de la propagande. Le quatrième pouvoir, censé tenir les puissants responsables, tourne à vide. Il informe sans influencer, révèle sans conséquence. Bondi peut commettre ses abus en pleine lumière, sachant que la moitié du pays applaudira et l’autre moitié, bien qu’horrifiée, est impuissante à l’arrêter.
Conclusion

Le diagnostic du démocrate est implacable
Ce démocrate qui a lancé l’alerte ne parlait pas en l’air. Il ne faisait pas de l’hyperbole partisane pour marquer des points politiques. Il posait un diagnostic clinique basé sur sa compréhension profonde des institutions et de leur fragilité. Les dégâts causés par Bondi au ministère de la Justice sont structurels, culturels, générationnels. Ils touchent simultanlement les personnes — via les purges et les départs massifs — les processus — via la politisation systématique — et la perception publique — via l’effondrement de la confiance. Réparer ces trois dimensions simultanément demandera effectivement des décennies d’efforts soutenus. Il faudra attendre que les juges trumpistes prennent leur retraite, que les juristes formés dans le cynisme partisan soient remplacés par une nouvelle génération élevée dans de meilleures valeurs, que les citoyens réapprennent lentement à faire confiance. Tout cela prend du temps. Un temps que nous ne récupérerons jamais. Les années 2025-2029 — et peut-être au-delà si Trump obtient un autre mandat — seront perdues. Une génération sacrifiée à l’autel de l’autoritarisme trumpiste.
L’urgence absolue d’agir malgré tout
Mais reconnaître l’ampleur des dégâts ne signifie pas capituler. Au contraire, cela devrait galvaniser l’opposition. Chaque jour compte. Chaque abus documenté devient une preuve pour les futures poursuites quand — si — les États-Unis retrouvent un État de droit fonctionnel. Chaque juriste intègre qui refuse de démissionner préserve un peu de mémoire institutionnelle. Chaque procureur général d’État qui poursuit malgré tout maintient vivante l’idée qu’on peut tenir les puissants responsables. La résistance ne sera peut-être pas victorieuse à court terme, mais elle limite les dégâts. Elle empêche la transformation complète en autocratie. Elle préserve des espaces de dissidence et de vérité. Elle prépare le terrain pour la reconstruction éventuelle. L’alternative — l’acceptation passive, la normalisation de l’inacceptable — garantirait que même des décennies ne suffiraient pas à réparer. Car il ne resterait plus rien à réparer, plus personne se souvenant de ce qui a été perdu. La mémoire elle-même serait effacée.
Ce que nous devons faire collectivement
Nous — citoyens, juristes, élus, journalistes — devons refuser de nous habituer. Refuser de considérer cette situation comme normale ou acceptable. Chaque nouvelle révélation sur les abus de Bondi devrait provoquer la même indignation que la première. Nous devons soutenir matériellement les organisations qui résistent, voter systématiquement pour les candidats qui s’engagent à restaurer l’indépendance judiciaire, témoigner pour l’histoire de ce qui se passe réellement. Parce que Bondi et Trump comptent sur l’épuisement moral, sur le fait que les scandales quotidiens nous désensibiliseront jusqu’à l’apathie. Ils gagnent si nous cessons d’être choqués. Ils gagnent si nous acceptons le nouveau normal. Notre responsabilité historique est de maintenir vivante la flamme de l’indignation, de transmettre aux générations futures la mémoire de ce qui existait avant et doit être reconstruit. Les décennies nécessaires à la réparation commencent aujourd’hui, par notre refus collectif d’oublier ou de pardonner. Le ministère de la Justice est en ruines. Mais les ruines contiennent toujours les plans de reconstruction, si nous prenons soin de les préserver.