Donald Trump se pose en artisan de la paix sur la scène mondiale. Il annonce triomphalement des cessez-le-feu, libère des otages, orchestre des sommets diplomatiques à Charm el-Cheikh et Jérusalem. Devant la Knesset, il parle d’un triomphe incroyable, de la fin d’un long cauchemar, de l’aube historique d’un nouveau Moyen-Orient. Les médias internationaux évoquent même un prix Nobel de la paix pour lui — ce président qui négocie avec Israël et les pays arabes, qui promet la renaissance d’une région en feu depuis des décennies. Mais pendant ce temps, sur le sol américain, une réalité bien différente se dessine. Chicago est décrit par son administration comme une zone de guerre. Portland devient le théâtre d’affrontements entre la Garde nationale et des manifestants. Los Angeles, Washington, Memphis — toutes ces villes américaines subissent des déploiements militaires sans précédent en temps de paix. Le président qui prétend apporter l’harmonie au monde transforme son propre pays en champ de bataille. Ce paradoxe n’en est peut-être pas un… C’est une stratégie.
La militarisation de l’Amérique urbaine
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Trump a autorisé le déploiement de plus de dix mille militaires dans des villes américaines sous des prétextes variés — criminalité, immigration, terrorisme intérieur. La ministre de la Sécurité intérieure Kristi Noem affirme que des gangs, cartels et organisations terroristes connues offrent des primes aux manifestants contre les agents de l’ICE. Mais les chiffres contredisent ce discours apocalyptique. Les taux de criminalité dans ces villes ne justifient pas de telles interventions militaires. Washington, après le déploiement de la Garde nationale, a vu Trump affirmer que la ville était devenue une zone sûre avec une baisse de criminalité de quatre-vingt-sept pour cent. Pourtant, il a ensuite minimisé les violences conjugales en les décrivant comme des délits moins graves qui ne devraient pas figurer dans les statistiques — une déclaration qui a suscité l’indignation des défenseurs des droits des femmes. Environ quarante-et-un pour cent des femmes américaines sont confrontées à des violences de la part de leurs partenaires intimes au cours de leur vie. Mais pour Trump, une petite dispute avec sa femme ne devrait pas compter.
Le double discours qui révèle une stratégie
Ce double discours — paix à l’étranger, guerre à l’intérieur — n’est pas une contradiction. C’est une politique délibérée. En se posant comme président de la paix au Moyen-Orient, Trump consolide son image internationale et détourne l’attention de ses actions domestiques. Pendant qu’il serre la main de dirigeants arabes et israéliens, il réprime violemment l’opposition intérieure. Le vingt-deux septembre 2025, il a désigné le mouvement antifa comme organisation terroriste — bien qu’il s’agisse d’un mouvement décentralisé sans structure hiérarchique. La ministre de la justice Pam Bondi a promis de détruire l’organisation entière du sommet à la base. Cette désignation permet à l’administration d’utiliser des outils juridiques exceptionnels pour réprimer toute opposition de gauche, transformant des manifestants en ennemis de l’État. Pendant ce temps, Trump menace de recourir à l’Insurrection Act — une compilation de lois des dix-huitième et dix-neuvième siècles — pour déployer l’armée contre des citoyens américains, une mesure normalement interdite en temps de paix. Le chaos domestique n’est pas un échec de sa politique… c’est son instrument.
Le plan Trump au Moyen-Orient: une paix en trompe-l'œil

Un cessez-le-feu qui ne règle rien
Le plan Trump pour Gaza, annoncé le vingt-neuf septembre 2025 avec le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, prévoit un cessez-le-feu immédiat, la libération des otages israéliens et de certains prisonniers palestiniens, le démantèlement du Hamas et l’arrêt des bombardements. Sur le papier, c’est une victoire diplomatique. Les vingt derniers otages encore vivants ont été libérés début octobre. Les bombardements sur Gaza ont cessé. Trump a été ovationné à la Knesset, où il a salué Netanyahou comme un homme au courage exceptionnel. Mais ce plan ne mentionne jamais la Cisjordanie, ne définit pas les frontières d’un futur État palestinien — décrit comme un simple horizon vague — et ne dit rien sur la colonisation israélienne. Les États-Unis ne reconnaissent pas la Palestine. Netanyahou a précisé qu’Israël ne se retirerait pas de Gaza. Aucun calendrier n’est esquissé, sauf pour le retour des otages. Le droit international n’est jamais mentionné. Ce n’est pas un plan de paix… c’est un cessez-le-feu temporaire qui ne résout aucune des causes profondes du conflit.
Le plan Blair: un protectorat déguisé
Au plan Trump s’ajoute celui de Tony Blair pour Gaza, élaboré en collaboration avec Jared Kushner et Steven Witkoff, l’envoyé de Trump au Moyen-Orient. Ce plan, surnommé Gaza Riviera, propose la création d’une Autorité internationale de transition de Gaza qui superviserait une autorité technocratique palestinienne. Les Palestiniens n’auraient qu’un rôle de supplétif, gérant les questions locales comme la santé, l’éducation et la police civile, mais sans pouvoir réel sur la sécurité ou l’économie. Une Autorité de Promotion des Investissements et du Développement économique de Gaza fonctionnerait comme une entreprise autonome dirigée sans les Palestiniens. Le vrai pouvoir sécuritaire serait entre les mains d’une Force internationale de sécurité — mais les Américains ont déjà annoncé qu’ils n’enverraient pas de troupes. Résultat: un protectorat américano-israélo-golfiote où Gaza devient une zone d’investissement contrôlée de l’extérieur. Quatre-vingts ans après la fin du mandat britannique, un nouveau protectorat voit le jour. Et personne ne semble s’en offusquer.
Les Palestiniens toujours absents de leur propre avenir
Trump ne s’est rencontré avec aucun dirigeant palestinien depuis son retour à la Maison-Blanche jusqu’au sommet de Charm el-Cheikh le treize octobre, où Emmanuel Macron a dû lui amener Mahmoud Abbas. Il ne s’est évidemment pas déplacé à Ramallah. Comment faire la paix quand l’un des deux peuples concernés est systématiquement exclu des négociations? Le Hamas, pressé de toutes parts, a accueilli le plan avec prudence — refusant le désarmement complet et exigeant des garanties sur le retrait israélien, la levée du blocus et la sécurité des populations. Il a déjà commencé à régler des comptes avec des Gazaouis qui n’étaient pas sur sa ligne. Comment désarmer réellement le Hamas sans consensus palestinien? Comment éviter que d’autres groupes armés surgissent sur les ruines de Gaza? Ces questions existentielles pour la paix ne sont même pas effleurées. Netanyahou et Trump croient que dire la paix à leurs conditions, c’est la faire. Cette manière de procéder ne conduira pas à la paix… mais à la poursuite de la guerre.
La guerre intérieure: quand Trump transforme ses villes en zones d'occupation

Chicago, Portland, Los Angeles: des villes assiégées
Le cinq octobre 2025, Trump a signé un décret pour l’envoi de trois cents gardes nationaux à Chicago afin de protéger les agents et biens fédéraux. L’administration Trump décrit Chicago comme une zone de guerre et une capitale mondiale du meurtre justifiant l’envoi de troupes. Le maire Brandon Johnson, démocrate, a dénoncé des mesures anticonstitutionnelles. Le gouverneur de l’Illinois JB Pritzker a affirmé que ce sont les troupes fédérales qui transforment la ville en zone de guerre, décrivant de multiples raids. Le sénateur Dick Durbin estime que Trump ne cherche pas à combattre la criminalité, mais à répandre la peur. Chicago est la cinquième ville démocrate où Trump a ordonné le déploiement de la Garde nationale — après Los Angeles, Washington, Memphis et Portland. À Portland, des membres de la Garde nationale ont été déployés malgré la décision d’un juge bloquant temporairement cette mesure. Des dizaines de manifestants se rassemblent régulièrement devant un bâtiment de l’ICE pour protester jour et nuit. Après minuit, des agents fédéraux sortent pour affronter les manifestants, créant des échauffourées. Trump envoie l’armée, prétendument pour mettre fin aux actions de l’antifa.
L’Insurrection Act comme arme politique
Le quatorze octobre 2025, Trump a réitéré sa menace de recourir à l’Insurrection Act pour déployer la Garde nationale dans des villes dirigées par des démocrates. J’ai le droit d’utiliser l’Insurrection Act, a-t-il assuré dans l’avion le ramenant à Washington après le sommet en Égypte. Je pourrais l’utiliser si je le voulais, a-t-il insisté, soulignant que cette prérogative présidentielle ne pouvait pas être contestée. L’Insurrection Act est une compilation de lois des dix-huitième et dix-neuvième siècles permettant de proclamer l’état d’urgence et d’autoriser l’usage des forces armées contre des citoyens américains, interdit en temps normal. Lors d’une réunion du cabinet le vingt-six août 2025, Trump a affirmé: J’ai le droit de faire tout ce que je veux. Je suis le président des États-Unis. Si je pense que notre pays est en danger, et il l’est dans ces villes, je peux le faire. Cette logique transforme la dissidence politique en menace existentielle justifiant l’intervention militaire. Le Pentagone a dévoilé en septembre une Stratégie nationale de défense qui, dans un changement dramatique par rapport aux plans précédents, priorise les missions domestiques et régionales plutôt que la confrontation avec la Russie et la Chine.
Habituer les Américains à voir des soldats dans leurs rues
Des anciens officiels militaires et experts en relations civilo-militaires décrivent cette expansion de l’usage domestique de l’armée comme une tentative d’habituer les Américains à voir des troupes dans les grandes villes et de permettre à Trump de réprimer plus agressivement les troubles et la dissidence. En août 2025, Trump a signé un décret ordonnant à la Garde nationale de créer des unités militaires spécialisées pour réprimer les troubles civils dans les États américains, déployables à son commandement. Lors d’une réunion avec plus de huit cents généraux et amiraux le trente septembre, Trump a déclaré que ces déploiements devaient servir de terrains d’entraînement pour notre armée et a décrit l’Amérique comme menant une guerre de l’intérieur. L’Amérique est sous invasion de l’intérieur, a-t-il dit. Pas différent d’un ennemi étranger, mais plus difficile à bien des égards parce qu’ils ne portent pas d’uniformes. Cette militarisation de la vie civique américaine constitue une rupture historique… et un danger immense pour la démocratie.
La désignation d'antifa comme terrorisme: une répression idéologique

L’assassinat de Charlie Kirk comme prétexte
Le dix septembre 2025, Charlie Kirk — militant conservateur et fondateur de Turning Point USA — était assassiné par Tyler Robinson lors d’une conférence à l’Université de Utah Valley. Cet assassinat a immédiatement été instrumentalisé par l’administration Trump. Le vice-président JD Vance a dénoncé l’extrémisme de gauche incurablement destructeur et appelé à une répression sévère. Une semaine après, le vingt-deux septembre, Trump a annoncé la désignation du mouvement antifa comme organisation terroriste. J’ai le plaisir d’informer nos nombreux patriotes américains que je désigne ANTIFA, UNE CATASTROPHE DE LA GAUCHE RADICALE, MALADE ET DANGEREUSE, COMME ORGANISATION TERRORISTE, a-t-il déclaré sur Truth Social. Il a également recommandé que les personnes finançant antifa fassent l’objet d’une enquête approfondie, conformément aux normes et pratiques juridiques les plus strictes. Tyler Robinson est présenté par la droite comme un tueur d’extrême gauche car il avait dénoncé la haine véhiculée selon lui par Charlie Kirk et utilisé des munitions gravées d’inscription à tonalité antifasciste. Il a été formellement inculpé et les autorités ont requis la peine capitale.
Antifa: un mouvement décentralisé transformé en ennemi public
Le décret présidentiel du vingt-deux septembre dénonce une volonté de renversement du gouvernement des États-Unis, des autorités chargées d’appliquer la loi et de notre système judiciaire. Mais antifa n’est pas une organisation centralisée avec une hiérarchie — c’est un mouvement décentralisé regroupant divers collectifs autonomes. Certains s’engagent dans des actions violentes, notamment lors de manifestations contre l’extrême droite, mais la majorité des militants antifa se concentrent sur des actions non-violentes. Il n’existe pas davantage d’organisation antifa unifiée que de qualification juridique de terrorisme national aux États-Unis. Cette désignation comme organisation terroriste permet à l’administration de réprimer largement toute opposition de gauche en utilisant des outils juridiques exceptionnels comme le USA Patriot Act. Le huit octobre 2025, Trump a réuni une table ronde sur la mouvance antifa, désormais devenue l’ennemi public numéro un. Autour de lui: des journalistes patriotes documentant son existence. Cette rhétorique diabolise toute la gauche radicale, amalgamant des militants pacifiques avec des extrémistes violents.
La répression des opposants politiques
Trump utilise le ministère de la Justice pour poursuivre ses ennemis politiques. Il a licencié les avocats du ministère qui refusaient de faire passer ses ordres avant la loi et les a remplacés par des laquais. Il a promis des représailles à ses adversaires de haut niveau et il est en train de les mettre en œuvre. L’ennemi numéro un de Trump est actuellement James B. Comey, ancien directeur du FBI nommé par Barack Obama, qui était chargé d’enquêter sur la première campagne de Trump et sur une éventuelle coordination avec l’ingérence russe. Trump a licencié Comey en 2017 et cherche depuis à se venger. La Maison-Blanche a accusé Comey d’avoir fait une fausse déclaration devant le Congrès et d’avoir entravé une procédure parlementaire, ce qui lui fait encourir une peine de dix ans de prison. Le ministère de la Justice s’en prend également à George Soros, milliardaire donateur du Parti démocrate. Soros n’a pas encore été inculpé mais une note interne indique qu’il pourrait être accusé de crimes allant de l’incendie criminel au soutien matériel au terrorisme. Mark Bray, professeur à l’université Rutgers et historien de l’antifascisme, a été contraint de quitter les États-Unis en octobre 2025 après avoir fait l’objet de menaces de mort suite au décret de Trump.
La stratégie de la peur: créer le chaos pour justifier l'autorité

Exagérer la menace pour légitimer la répression
À écouter Donald Trump, les villes américaines — surtout démocrates — seraient ravagées par la violence. Une apocalypse urbaine mettrait leurs habitants au supplice, nécessitant l’intervention de l’armée. Mais cette surenchère verbale ne correspond pas à une détérioration sur le terrain, même si des problèmes de sécurité publique sont identifiés de longue date. Elle permet de justifier les moyens employés — contestés de toutes parts en justice — et d’y apposer une grille de lecture idéologique, confondant criminalité, immigration et extrême gauche. Le sénateur Alex Padilla a déclaré que Donald Trump crée intentionnellement le chaos et sème la division dans nos communautés. C’est une distraction de son agenda raté. La gouverneure démocrate de Portland Tina Kotek et le maire Keith Wilson affirment qu’il n’y a pas de rébellion — la seule justification légale pour l’envoi de la Garde nationale. Kotek a déclaré: Il n’y a pas de menace pour la sécurité nationale à Portland. Nos communautés sont sûres et calmes. Elle a ajouté que tout déploiement serait un abus de pouvoir. Mais Trump ignore ces protestations et continue sa militarisation de l’Amérique, ville après ville.
Instrumentaliser l’immigration pour attiser les tensions
L’administration Trump confond délibérément les questions de criminalité, d’immigration et d’extrémisme politique pour créer un narratif de menace existentielle. Les raids de l’ICE — la police de l’immigration — ont été intensifiés dans les villes démocrates, déclenchant des manifestations. Trump décrit ces manifestants comme des agents de l’antifa financés par des organisations terroristes. En réalité, il s’agit souvent de citoyens ordinaires protestant contre les politiques d’immigration jugées inhumaines. Trump a également élargi la définition de charge publique — une règle permettant de refuser des visas ou cartes vertes aux personnes dépendantes financièrement du gouvernement — pour inclure des programmes non monétaires comme les bons alimentaires et le logement social. Cette expansion a un impact particulier sur les victimes de violences conjugales. Bien que la règle ne s’applique pas aux personnes avec un visa U ou T — disponible pour les victimes de trafic humain et de crimes violents comme les violences conjugales — le changement de définition a créé de la confusion et de la peur, dissuadant ces victimes d’accéder à des programmes auxquels elles ont droit. L’assistance au logement ou alimentaire peut faire la différence entre rester ou quitter une situation abusive.
Minimiser les violences domestiques pour gonfler les statistiques
Le huit septembre 2025, lors d’un discours consacré à la liberté de religion, Trump a déclaré que les violences conjugales étaient des délits moins graves ne devant pas apparaître dans les statistiques. Des choses beaucoup moins graves, des choses qui se passent à la maison, ils appellent ça des crimes, a-t-il dit. Si un homme a une petite dispute avec sa femme, ils disent que c’est un crime, a-t-il ajouté, suscitant quelques rires dans l’assistance. Kim Villanueva, présidente de NOW — un collectif d’associations de défense des droits des femmes — lui a reproché d’être aveugle au problème. Kris Mayes, procureure générale démocrate de l’Arizona, a écrit sur X: Si, Monsieur le président, les violences conjugales sont un crime. Selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, environ quarante-et-un pour cent des femmes et vingt-six pour cent des hommes aux États-Unis sont confrontés dans leur vie à des violences sexuelles, physiques ou du harcèlement de la part de leurs partenaires intimes. En minimisant ces violences, Trump cherche à gonfler artificiellement les statistiques de baisse de criminalité pour justifier ses déploiements militaires comme des succès.
Les conséquences de cette schizophrénie politique

L’érosion de la confiance démocratique
Cette double politique — pacificateur à l’étranger, répresseur à l’intérieur — érode profondément la confiance démocratique aux États-Unis. Les citoyens assistent à un président qui se félicite de ses succès diplomatiques au Moyen-Orient tout en déployant l’armée contre eux. Les institutions sont affaiblies. Les juges qui tentent de bloquer les déploiements militaires sont ignorés. Trump affirme que l’Insurrection Act ne peut pas être contestée, plaçant son autorité au-dessus du système judiciaire. Les élus démocrates sont décrits comme des ennemis de l’intérieur, des complices de l’antifa, des obstacles à la sécurité nationale. Cette rhétorique de guerre civile normalise la violence politique en présentant les adversaires politiques comme des traîtres. Les villes dirigées par des démocrates sont systématiquement ciblées, transformant la sécurité publique en arme partisane. Le fossé entre républicains et démocrates se creuse dangereusement. La polarisation affective — cette haine viscérale de l’autre camp — atteint des sommets historiques.
La normalisation de la militarisation
En multipliant les déploiements militaires dans les villes américaines, Trump normalise une présence qui devrait être exceptionnelle. Les Américains s’habituent progressivement à voir des soldats dans leurs rues, des véhicules blindés devant les bâtiments fédéraux, des patrouilles militaires dans leurs quartiers. Cette normalisation est dangereuse car elle abaisse le seuil de résistance psychologique à une intervention militaire domestique. Lorsque les soldats deviennent un élément permanent du paysage urbain, l’idée même d’utiliser l’armée contre les citoyens cesse de choquer. C’est exactement ce que cherche Trump: créer un environnement où l’usage de la force militaire contre les Américains devient banal, accepté, voire souhaité par ceux qui croient au narratif de la menace existentielle. Les experts en relations civilo-militaires mettent en garde contre cette dérive autoritaire. Amnesty International a publié un rapport en mai 2025 documentant les attaques de Trump contre les droits humains domestiques et internationaux durant ses cent premiers jours. Mais ces avertissements sont noyés dans le vacarme de la propagande.
L’hypocrisie révélée sur la scène internationale
Cette politique schizophrénique révèle une hypocrisie fondamentale. Comment Trump peut-il se présenter comme artisan de la paix au Moyen-Orient tout en militarisant son propre pays? Comment peut-il parler d’harmonie, d’opportunité et d’espoir à Jérusalem et Charm el-Cheikh tout en décrivant ses concitoyens comme des ennemis sans uniformes? Cette contradiction n’échappe pas aux observateurs internationaux. Les alliés européens regardent avec inquiétude cette Amérique qui se déchire. Les experts diplomatiques du Golfe — rencontrés récemment par des analystes — ne croient pas à la pérennité du plan Trump pour Gaza. Ils savent que cette paix est une illusion, un cessez-le-feu temporaire qui ne résout rien. Pendant ce temps, Trump utilise ses succès diplomatiques comme couverture pour ses dérives autoritaires domestiques. Il capitalise sur l’attention médiatique portée à ses négociations au Moyen-Orient pour détourner le regard de sa répression intérieure. C’est une stratégie de distraction… et elle fonctionne.
La politique étrangère de Trump: pragmatisme ou chaos?

Le pivot asiatique et l’abandon de l’Europe
La politique étrangère de Trump, vue d’Europe et de France, peut sembler tour à tour confuse, erratique et inquiétante. Mais elle obéit à une logique claire: la priorisation. Trump a identifié la Chine comme la première menace et refuse de laisser celle-ci prendre le contrôle de Taiwan — l’objectif explicite de Pékin. Pour se concentrer sur l’Asie, Trump doit se désengager d’autres théâtres. L’Europe en fait les frais. Il a menacé d’annexer le Canada, le Groenland et Panama. Il a augmenté les tarifs douaniers de manière drastique et critique acerbement ses alliés traditionnels. Sa volonté de faire cesser la guerre en Ukraine n’a rien à voir avec une bienveillance envers l’Europe — il s’agit de se débarrasser d’un problème qui pollue sa politique étrangère et de réorienter l’Europe comme pare-feu de la Russie. Trump estime que c’est à l’Europe de traiter la Russie, qui n’est plus pour lui une vraie rivale. La divergence entre les États-Unis et l’Europe sur l’Ukraine et la Russie n’est pas politique mais purement de priorité stratégique. Cette approche pragmatique déstabilise les alliés mais sert les intérêts américains tels que Trump les conçoit.
Le Moyen-Orient comme vitrine diplomatique
Le Moyen-Orient offre à Trump une opportunité unique de se poser en président de la paix. La libération des otages israéliens, le cessez-le-feu à Gaza et les sommets diplomatiques à Charm el-Cheikh et Jérusalem lui permettent de capitaliser sur des victoires symboliques. Lors de son discours en Égypte, Trump a pris le rôle du maître de cérémonie, appelant successivement différents dirigeants — donnant parfois la parole pour qu’ils le louent, comme le Pakistan, ou simplement pour les humilier, comme une séquence particulièrement dure pour le Premier ministre britannique Keir Starmer, convoqué puis renvoyé sans ménagement. Dans une énumération décousue, Trump s’est enthousiasmé de la renaissance américaine après la pire administration que le pays ait connue, sans toutefois se cacher d’avoir dû faire usage de la force pour asseoir à nouveau la puissance américaine dans la région. Cette approche curiale — où Trump s’adresse directement aux chefs d’État comme un suzerain à ses vassaux — révèle sa conception des relations internationales: des rapports de domination, pas de partenariat.
Une paix américaine imposée, pas négociée
Le plan Trump pour Gaza traduit une vision de la paix issue de la droite israélienne, qui considère que la paix n’adviendra que le jour où Israël sera suffisamment fort pour imposer ses conditions. C’est la paix du plus fort. Cette proposition transforme Gaza en protectorat américano-israélo-golfiote, avec Tony Blair comme cheville exécutive et un gouvernement local transformé en conseil d’administration de Gaza Inc. Son modèle est peut-être celui préconisé par Curtis Yarvin, un idéologue trumpiste, et est inspiré par les acteurs du Golfe qui mélangent allègrement la politique et les affaires. Les Émirats se pensent comme une grande entreprise dirigée par Mohamed Ben Zayed, et Dubaï Inc. est inspiré et dirigé par le cheikh Mohamed Ben Rachid Al Maktoum. Ce que proposent Trump et Blair, c’est de transformer Gaza en une zone économique sous contrôle externe, où les Palestiniens n’auront qu’un rôle de gestionnaires subalternes. Pendant ce temps, l’annexion rampante de la Cisjordanie se poursuit. Cette paix imposée ne résoudra rien… mais elle offre à Trump une belle photo de groupe pour son album présidentiel.
Au nom de quoi cette hypocrisie est-elle acceptable?

Le double standard moral de l’administration
L’administration Trump applique des standards moraux radicalement différents selon qu’il s’agit de politique étrangère ou domestique. À l’étranger, Trump se présente comme défenseur de la paix, de l’harmonie et de l’opportunité. Il négocie des cessez-le-feu, libère des otages, organise des sommets diplomatiques. Mais à l’intérieur, il déploie l’armée contre ses concitoyens, désigne des mouvements politiques comme terroristes, réprime violemment les manifestations et poursuit ses ennemis politiques. Cette dissonance cognitive est troublante. Elle révèle que pour Trump, la paix n’est pas un principe universel mais un outil politique qu’on utilise quand il sert ses intérêts. Au Moyen-Orient, la paix améliore son image et renforce la position américaine. Aux États-Unis, le chaos domestique justifie l’autoritarisme et consolide son pouvoir. Le double standard n’est pas un bug… c’est une fonctionnalité. Trump ne croit pas aux principes — il croit à l’efficacité pragmatique. Et dans cette logique, l’hypocrisie devient une vertu stratégique.
La fabrication d’une réalité alternative
Trump fabrique deux réalités parallèles et incompatibles. Dans la première, il est le grand pacificateur, l’homme qui a mis fin aux guerres au Moyen-Orient et apporté l’espoir à des millions de personnes. Dans la seconde, il est le défenseur héroïque de l’Amérique contre les hordes de terroristes intérieurs qui menacent de détruire le pays. Ces deux narratifs coexistent sans jamais se rencontrer. Les médias qui soutiennent Trump — qu’il appelle les journalistes patriotes — relaient ces histoires sans jamais questionner la cohérence d’ensemble. Ses supporters acceptent cette dissonance parce qu’elle correspond à leur vision du monde: Trump est le sauveur, et tout ce qu’il fait est justifié par cette mission supérieure. Les faits n’ont plus d’importance. Les contradictions sont ignorées. Seule compte la loyauté au narratif. Cette fabrication d’une réalité alternative est le propre des régimes autoritaires — et elle fonctionne remarquablement bien aux États-Unis de 2025.
L’absence de contre-pouvoir efficace
Ce qui rend cette hypocrisie particulièrement dangereuse, c’est l’absence de contre-pouvoir efficace. Les juges tentent de bloquer les déploiements militaires, mais Trump ignore leurs décisions. Les élus démocrates dénoncent ses abus, mais ils sont minoritaires et décrits comme ennemis de la nation. Les médias indépendants rapportent les faits, mais ils sont accusés de fake news et de complot. Les experts en droits humains publient des rapports alarmants, mais ils sont balayés comme propagande gauchiste. Les institutions démocratiques américaines — censées empêcher cette dérive — sont systématiquement contournées, affaiblies ou capturées. Trump a licencié les avocats du ministère de la Justice qui refusaient d’obéir, purgé les cadres militaires et de renseignement dont les vues étaient en désaccord avec les siennes, et remplacé les fonctionnaires loyaux aux institutions par des loyalistes personnels. Le résultat est un système où les freins et contrepoids ne fonctionnent plus. Trump peut faire ce qu’il veut… et personne ne peut l’arrêter.
Conclusion

Ce qu’il faut retenir: une imposture à grande échelle
Donald Trump se présente comme artisan de la paix au Moyen-Orient tout en transformant les États-Unis en zone de guerre intérieure. Son plan pour Gaza est un cessez-le-feu temporaire qui ne résout aucune des causes profondes du conflit israélo-palestinien — les Palestiniens restent exclus de leur propre avenir, réduits à un rôle de figurants dans un protectorat orchestré de l’extérieur. Pendant ce temps, sur le sol américain, Trump déploie plus de dix mille militaires dans des villes démocrates sous des prétextes fallacieux, désigne le mouvement antifa comme organisation terroriste et menace de recourir à l’Insurrection Act pour réprimer la dissidence. Il minimise les violences conjugales pour gonfler artificiellement ses statistiques de baisse de criminalité. Il poursuit ses ennemis politiques, licencie les fonctionnaires loyaux aux institutions et capture le ministère de la Justice pour en faire une arme contre l’opposition. Cette imposture à grande échelle révèle une stratégie délibérée: utiliser les succès diplomatiques à l’étranger comme couverture pour des dérives autoritaires à l’intérieur. L’hypocrisie n’est pas un défaut de sa politique… c’est sa colonne vertébrale.
Ce qui change dès maintenant: la démocratie américaine en péril
Ce double jeu — pacificateur à l’étranger, répresseur à l’intérieur — normalise des pratiques autoritaires qui détruisent les fondements de la démocratie américaine. Les Américains s’habituent à voir des soldats dans leurs rues, à entendre leur président décrire ses concitoyens comme des ennemis sans uniformes, à accepter que les institutions judiciaires soient contournées au nom de la sécurité nationale. La militarisation de la vie civique devient banale. La répression politique devient acceptable. L’hypocrisie devient invisible. Les alliés internationaux assistent impuissants à cette dérive. Les experts en droits humains multiplient les alertes. Mais rien ne semble pouvoir arrêter cette machine. Trump a capturé les leviers du pouvoir et les utilise pour consolider son autorité personnelle au détriment des institutions démocratiques. Ce qui change dès maintenant, c’est que l’Amérique de Trump n’est plus une démocratie fonctionnelle — c’est un régime hybride où l’apparence démocratique masque une réalité de plus en plus autoritaire. Et le reste du monde regarde, sidéré et inquiet.
Ce que je recommande: nommer l’hypocrisie avant qu’il ne soit trop tard
Il est urgent de nommer cette hypocrisie pour ce qu’elle est: une stratégie de domination qui utilise la paix comme façade tout en faisant la guerre à sa propre population. Les médias doivent cesser de traiter séparément la politique étrangère et domestique de Trump — ces deux dimensions sont intimement liées et révèlent une vision cohérente du pouvoir comme rapport de force. Les opposants politiques doivent dénoncer publiquement cette imposture au lieu de se réjouir naïvement des succès diplomatiques. Les alliés internationaux doivent conditionner leur soutien au respect des normes démocratiques à l’intérieur des États-Unis. Les citoyens américains doivent refuser la normalisation de la militarisation et exiger le respect des institutions. Les juges doivent résister aux pressions et faire appliquer la loi même contre le président. Les militaires doivent se souvenir que leur loyauté va à la Constitution, pas à un homme. Mais surtout, il faut comprendre que cette hypocrisie n’est pas accidentelle — elle est structurelle. Trump ne croit pas à la paix… il croit au pouvoir. Et tant qu’on refusera de voir cette réalité en face, il continuera de jouer au pacificateur à l’étranger tout en installant l’apocalypse chez lui.